Pour le moment, il semble que ce sont les radicaux du SDP (Secteur Démocratique et Populaire) qui entourent le Premier ministre a.i Ariel Henry qui marquent des points, puisque pratiquement toutes leurs demandes ont été accordées. Selon les dires de Me André Michel qui parlait sous le contrôle de l’ex-sénateur des Nippes, Nènèl Cassy, et de Marjorie Michel, toutes les révocations et les mises à pieds au sein de l’appareil de l’Etat ont été exécutées à sa demande ou à celle du Secteur Démocratique et Populaire (SDP). La révocation du Secrétaire général du Conseil des ministres, Rénald Lubérice, en passant par le ministre de la justice, Rockfeller Vincent, sans oublier le Commissaire du gouvernement, Bed-Ford Claude, et l’envoi du CEP du 22 septembre, a été l’œuvre de ce groupuscule politique qui, à en croire ses responsables, a été déterminant pour la signature de l’Accord de la Primature.
D’ailleurs, certains s’interrogent sur la place qu’occupe le Secteur Démocratique et Populaire dans le dispositif du Premier ministre dans la mesure où Me André Michel semble combler tout l’espace du pouvoir. Un tournant dans cette lutte sans merci pour le pouvoir depuis l’élection de Jovenel Moïse en 2017. Puisque, durant ces joutes électorales qui ont duré une éternité et auxquelles Me André Michel eut à prendre part en tant que candidat au Sénat d’une part et soutien du candidat à la présidence, Jude Célestin, d’autre part, il n’avait obtenu que 1% de voix. Or, aujourd’hui, à la faveur de l’assassinat de son adversaire politique qu’il a combattu durant presque cinq longues années, il devient comme par enchantement l’homme fort du pouvoir devant d’autres leaders politiques qui avaient obtenu des scores dix à quinze fois plus élevés. Haïti n’a pas fini de nous surprendre et d’étonner le monde sur le plan politique. Sauf que, dans leur marche forcée vers le sommet du pouvoir en s’appuyant sur Ariel Henry comme l’on s’appuie sur une béquille, d’autres leaders politiques et de la Société civile n’ont pas dit leurs derniers mots.
Avant l’existence de l’Accord de Ariel Henry, d’autres secteurs et acteurs politiques planchaient de manière plus large, plus collégiale pour une sortie de crise et sur une autre conception de la Transition post-Jovenel Moïse. Au moins deux autres groupes distincts se sont donné pour mission de trouver un « Accord » plus ou moins consensuel en regroupant : acteurs politiques, membres de la Société civile organisée, organisations populaires, citoyens engagés, le reste du Sénat, etc. Ces mouvements n’entendent pas participer directement à la gestion du pouvoir. Leur but: faciliter la mise en place des structures pouvant permettre d’entamer plus harmonieusement la Transition post-Jovenel. Le plus avancé dans ses démarches est incontestablement : la Commission pour la Recherche d’une Solution Haïtienne à la Crise (CRSHC). Après des rencontres avec un nombre incalculable de partis politiques, personnalités et diverses organisations citoyennes, les coordonnateurs de la CRSHC sont parvenus à faire signer le 30 août 2021 un « Accord » par une multitude de secteurs qui accepte tous, le principe d’une Transition menée par un Pouvoir exécutif à deux têtes comme le prévoit la Constitution de 1987.
Cet accord dit « Accord de Montana » est celui qui a le plus de signataires aujourd’hui. Il compte aussi des secteurs qui acceptent non seulement un Exécutif bicéphale mais préconisant par dessus le marché la mise en place d’un Conseil National de Transition (CNT) composé de 52 membres venant de différents secteurs sociaux du pays et issu des organisations politiques. Et selon les organisateurs de la CRSHC, ce sont les membres du CNT qui procéderont à la nomination des deux chefs de l’exécutif : un Président provisoire de la République et un Premier ministre pour la gestion quotidienne des affaires de l’Etat. La Commission pour la Recherche d’une Solution Haïtienne à la Crise a même pris à son compte un certain nombre de propositions d’autres Accords antérieurs. Les Coordonnateurs de la CRSHC ont aussi innové sur la forme et sur le fond dans la manière dont la Commission entend parvenir à installer une direction pour la Transition.
Depuis le 30 août 2021, cette organisation ne chôme pas. Les concepteurs s’emploient minutieusement et patiemment à ce qu’il y ait une nouveauté à appliquer son agenda sans se laisser détourner par des initiatives d’autres secteurs qui ont eux aussi des idées sur comment doit être formatée la Transition de l’après Jovenel Moïse. Si les dirigeants de l’Accord dit de Montana continuent leur petit bonhomme de chemin en rencontrant d’ailleurs le Premier ministre a.i Ariel Henry qui souhaitait, pour le moment sans succès de les intégrer dans celui du 11 septembre, il y a le Groupe dit : Nap Mache pou lavi. Ce regroupement a à peu près les mêmes prétentions que la CRSHC et il partage la même conception sur la Transition. Les responsables de Nap Mache pou lavi non plus n’ont pas voulu signer l’Accord de Ariel Henry. En tout cas comme se présente ledit accord. Ils estiment que celui proposé et signé le 30 août à Montana par des dizaines de partis, organisations et une partie du secteur de la Société civile est déjà une très grande avancée sans pour autant le signer eux-mêmes.
Ils continuent de conseiller le Premier ministre et ceux qui ont paraphé son « Accord » à se rapprocher du groupe de Montana et de poursuivre la discussion avec des secteurs qui demeurent plus réticents à rejoindre les différents « accords » en circulation, entre autres celui du 11 septembre. La particularité de N ap Mache pou lavi c’est qu’il n’ambitionne point de proposer un accord à la société. Il se donne comme objectif d’être interlocuteur, c’est-à-dire, promouvoir un rapprochement entre les « accords » en circulation, d’encourager et de forcer tous ceux ayant un « accord » à proposer à se joindre à l « Accord » du 30 août 2021. Il semble que le but de Nap Mache pou lavi est de parvenir à un Accord unique pour la Transition. « L’organisation N ap Mache pou lavi a encouragé les signataires du Protocole d’Entente Nationale (PEN), ceux de l’accord du 30 août et de la résolution du Sénat, les non-signataires et le Premier ministre Ariel Henry à se mettre ensemble pour définitivement doter le pays d’un accord politique.
Cet ultime appel au rassemblement devrait être conduit par un Groupe de Travail Inclusif (CTI) qui aurait pour responsabilité de parvenir à l’accord unique dont le pays a tant besoin ». Pour l’heure, en tout cas, au moment où nous écrivons ces lignes, (mardi 12 octobre) il semble que Nap Mache pou lavi est loin d’atteindre ce noble objectif : rassembler tous les protagonistes autour d’une même table, sous une même bannière. Pire, l’espoir d’une sortie de crise de sitôt s’éloigne au fur et à mesure que le temps passe. Après la signature de l’Accord du 11 septembre, celui porté par Me André Michel et Ariel Henry, certains pensaient que le calme était revenu autour du Premier ministre, puisque les plus radicaux semblaient avoir gagné, au moins, la première manche. Cet « Accord » baptisé « Accord politique pour une gouvernance apaisée et efficace », présenté comme le premier grand coup politique réalisé par Ariel Henry qui a même bénéficié d’une publication pour le moins douteuse au Journal officiel de la République, Le Moniteur, devait être marqué par la formation d’un nouveau Cabinet ministériel huit jours après la signature dudit Accord.
« Dans la huitaine suivant la signature de l’Accord, un gouvernement sera constitué par le Premier ministre en concertation avec les forces politiques et sociales, signataires des présentes » section I, art. 3 dudit accord signé le 11 septembre. Or, l’on n’est à la première quinze du mois d’octobre. Il n’y a toujours pas de nouveau gouvernement encore moins « apaisé et efficace ». Même une séance de lancement de l’application de l’Accord qui devrait avoir lieu le vendredi 24 septembre a été reportée sine die. « Le cabinet du Premier ministre a le regret d’informer les signataires de l’ Accord politique pour une gouvernance apaisée et efficace de la période intérimaire que la cérémonie de lancement de la mise en application dudit accord, qui devait se tenir ce vendredi 24 septembre 2021, à l’hôtel Le Ritz Kinam a été reportée à une date ultérieure, pour des raisons logistiques » pouvait-on lire dans une note comportant la signature de Samuel Henry Saturné, chef de Cabinet du Premier ministre, en date du 23 septembre 2021.
Certes, dans une interview accordée au quotidien Le Nouvelliste le vendredi 8 octobre 2021, le Premier ministre a.i a annoncé la formation d’un nouveau gouvernement dans une quinzaine de jours. Ariel Henry ne souhaitait pas donner de date. Il préférait rester assez vague à une question pourtant assez précise du journal. « Quand aura lieu la présentation d’un nouveau cabinet ministériel ? Lui a-t-on demandé. Réponse d’Ariel Henry : « Ce sera pour très, très bientôt. Dans une quinzaine de jours ». C’est dire les difficultés que rencontre l’occupant de la Primature pour respecter ce fameux Accord qui laisse le pays un peu perplexe. Outre les difficultés prévisibles à l’application dudit « Accord » de Ariel Henry, il y a l’opposition politique, administrative et institutionnelle de certains hauts fonctionnaires de l’Etat. C’est le cas, naturellement, du Président du Sénat, Joseph Lambert qui se voit toujours Président provisoire de la République et qui considère le locataire de la Villa d’Accueil comme un imposteur politique.
Après la publication dudit Accord dans le journal officiel, le vendredi 17 septembre 2021, le sénateur du Sud-Est a violemment réagi sur son compte Twitter « Le Moniteur a publié l’Accord que le Dr Ariel Henry a signé avec quelques partis et Organisations. Ce document rétrograde interdit la Constitution, ignore la légitimité et repousse la démocratie. Le Sénat, avec ses 10 élus, s’oppose au pouvoir absolu, » a écrit celui qui revendique encore et toujours la présidence de la République. On n’oublie point la posture légaliste du Secrétaire général du Palais national, Lyonel Valbrun qui s’opposait ouvertement et avec force détails à la publication dans Le Moniteur, d’un accord politique n’ayant pas force de loi et ne relevant pas du domaine législatif. Celui-ci s’était fendu d’un ensemble de courriers adressés à Ronald Saint-Jean, Directeur général des Presses Nationales, au Titulaire du Ministère de la Culture et de la Communication, Jean Emmanuel Jacques et bien entendu au Premier ministre a.i Ariel Henry pour dire son étonnement, son sens de l’Etat et dénoncer la publication de cet accord dans le journal officiel d’Haïti.
« Je tiens à signaler à votre attention que seules les décisions prises au Conseil des ministres et engageant ainsi le gouvernement de la République peuvent faire l’objet de publication au journal officiel, mises à part les publications légales usuelles. Cette publication constitue donc une faute grave et engage la responsabilité personnelle du Directeur des Presses nationales » dénonce et avertit le Secrétaire général de la présidence haïtienne sans oublier de rappeler au Directeur des Presses Nationales que seul le Secrétariat général de la présidence d’Haïti est habilité à transmettre les actes et textes aux Presses Nationales pour être publiés. Ambiance ! Ambiance au sein du pouvoir intérimaire. (Fin)
C.C