Cinq Présidents pour un fauteuil, la Transition dans le brouillard !

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Les protagonistes de l’Accord de Montana ont choisi leur Président en la personne de l’ancien Gouverneur de la Banque centrale (BRH), Fritz Alphonse Jean et leur Premier ministre qu’est l’ex-sénateur Steven Benoit.

Les autorités américaines soufflent le chaud et le froid dans le dossier de la transition politique en Haïti. Certains diraient que Washington joue à cache-cache avec les principaux tenants de cette transition. Une chose est sûre, il y a quelqu’un délégué pour jouer le rôle de brouilleur de piste. Il s’appelle Brian A. Nichols. C’est lui qui était chargé, à l’issue de la Conférence internationale sur Haïti organisée à l’initiative du Canada, d’annoncer que le Premier ministre a.i, Ariel Henry, n’est pas lié au mandat du défunt Président Jovenel Moïse. En clair, il n’a rien à craindre pour la date du 7 février. « Le mandat du Premier ministre Ariel Henry n’est pas lié au mandat du Président le 7 février. Ce que le peuple haïtien espère est de faire des progrès pour qu’il y ait des élections et un Président élu démocratiquement. C’est sur cela que le gouvernement travaille actuellement. Je ne crois pas que le peuple haïtien se concentre sur la date du 7 février », a indiqué le diplomate.

Or, c’est ce même Brian A. Nichols, Sous-secrétaire d’Etat américain chargé de l’hémisphère Ouest qui, le lundi 10 janvier 2022, avait annoncé dans un tweet qu’il a eu en compagnie du Chargé d’Affaires américain en Haïti, Kenneth H. Merten, un fructueux entretien avec les principaux signataires de l’Accord du 30 août 2021 dit de Montana : « Aujourd’hui, le CDA Merten et moi-même avons rencontré des représentants du groupe Montana d’Haïti. Nous les avons exhortés à s’engager dans des discussions sérieuses avec le Premier ministre Ariel Henry et d’autres parties prenantes clés sur une solution unifiée dirigée par les Haïtiens qui ouvre la voie à des élections libres et équitables ». Cette rencontre a eu lieu la veille de l’annonce par le groupe de Montana et le PEN (Protocole d’Entente Nationale) d’avoir signé eux un « Consensus politique » dans le cadre de la mise en place des instances de la nouvelle transition.

Ce n’est pas la première fois et on l’a déjà signalé, qu’après chaque rencontre des signataires de l’Accord de Montana, que ce soit en Haïti ou aux Etats-Unis avec les officiels américains, il est pratiquement certain qu’il va y avoir une initiative venue de ce groupe. Tout se passe comme si les leaders du groupe de Montana ne font qu’appliquer à la lettre les recommandations des autorités américaines en fonctions d’un calendrier prédéfini. En tout cas, cela en a tout l’air. Même si les décisions ou les initiatives ne sont pas toujours comprises par tout le monde vu que certaines sont pour le moins assez laborieuses à mettre en place. C’est le cas de l’un des points retenus dans « l’entente politique » qui a été trouvée avec les dirigeants du Protocole d’Entente Politique le mardi 11 janvier 2022. Il s’agit de la fameuse et très surprenante proposition de « Collège présidentiel » imaginé par les deux entités pour assurer la présidence provisoire d’Haïti en attendant l’élection d’un Président de la République élu dans deux ans.

« Après plusieurs rounds de négociations, les membres de l’accord de Montana et du Protocole d’entente nationale (PEN) se sont mis d’accord le mardi 11 janvier 2022 sur un « consensus politique » qui permettra de mettre en place une transition de deux ans dirigée par un collège présidentiel de cinq membres, un Premier ministre et un cabinet ministériel » ont-ils annoncé sous l’applaudissement de l’ensemble des signataires des deux regroupements  qui, depuis l’assassinat du Président Jovenel Moïse il y a sept mois, ne chôment pas en vue de parvenir à une solution acceptable pour une large majorité des acteurs. Une équation difficile à déchiffrer pour les protagonistes de l’ex-opposition qui, depuis cinq ans, butent sur les obstacles. Or, malgré ce rapprochement tactique et stratégique vis-à-vis des signataires de l’Accord du 11 septembre qui détiennent pour le moment le pouvoir, il semble que la formule d’une présidence collégiale proposée est loin de convaincre au sein même des leaders de l’ex-opposition. Autant tous applaudissent des deux mains le « consensus politique » trouvé entre les deux groupes, autant ils ne croient pas du tout à la réussite d’un tel procédé.

Evans Paul

Certains chefs politiques s’opposent à cette idée d’un « fauteuil pour cinq » non pas par principe mais tout simplement parce qu’ils estiment irréaliste et surtout l’ingouvernabilité de ce mécanisme politique dans une transition. Parmi ces politiques qui s’opposent et n’encouragent pas les groupes de Montana et PEN à aller dans cette voie, il y a l’ancien Premier ministre Evans Paul (KP) très sceptique quant à l’application d’une telle formule. D’après KP qui se fait de plus en plus historien ces dernières années, « Cette idée utopique, dangereuse et contre-productive, risque d’intensifier l’ambiance d’instabilité politique chronique qui déstabilise l’État depuis plusieurs décennies » avance-il. Après une analyse historique et très détaillée sur cette histoire de présidence collégiale, l’ancien Premier ministre de Michel Martelly avoue qu’il ne comprend point une telle approche pour sortir de la crise qui mine déjà la transition avant même qu’elle ne soit vraiment commencée.

Le leader du parti politique Konvanyon Inite Demokratik (KID) pense « qu’il sera très difficile de trouver l’adhésion de la population à une telle formule déjà expérimentée, malheureusement, il y a 66 ans, dans le cadre d’un gouvernement collégial, implosé après environ deux mois, en 1956 ». Dans un entretien accordé au quotidien Le Nouvelliste le mercredi 19 janvier 2021,  celui qui maîtrise de mieux en mieux le système et la classe politique haïtienne pour avoir été chef de gouvernement dans une période aussi mouvementée, sinon, pire que le contexte actuel, a déclaré que ce serait la pire des décisions si les acteurs reviennent avec ce système de collège présidentiel surtout avec cinq membres « Ce serait à mon humble avis la pire décision à adopter qui, loin de favoriser l’harmonie, rendrait l’État, déjà faible, dysfonctionnel.

 En plus d’une logistique budgétivore et complexe qui coûterait trop cher au pays, confronté à une situation de disette financière, chaque petite décision nécessiterait d’énormes négociations, sans référence constitutionnelle ou légale, conduirait au chaos », lance Evans Paul en guise de mise en garde à l’ensemble des protagonistes qui, à force d’inventer des solutions irréalistes, risquent de jeter le bébé avec l’eau du bain. Mais, il n’y pas que des politiques qui ne voient pas d’un bon œil l’installation d’un collège présidentiel pour diriger le pays en l’espace de deux ans de transition. Des intellectuels, historiens, politologues sont eux aussi montés au créneau pour mettre en garde les dirigeants de l’Accord de Montana et ceux du Protocole d’Entente Nationale contre le retour avec un concept qui, comme le dit le politologue Joseph Harold Pierre, n’a jamais marché en Haïti. En effet, selon celui-ci « L’histoire d’Haïti a aussi montré que les collèges présidentiels n’ont jamais fonctionné. Le collège présidentiel, du point de vue structurel, fonctionnerait comme la structure bicéphale de l’exécutif avec un Président et un Premier ministre qui a causé tant de torts au pays.

On n’a pas la culture politique pour des structures complexes de décision politique. » Selon ce professeur de science politique qui connaît sur le bout des doigts le fonctionnement des institutions étatiques haïtiennes et les acteurs politiques de ce pays, qui s’est confié au journal Le Nouvelliste le 14 janvier 2022, « Il serait mieux de nommer un Président au lieu de former un collège présidentiel. Cela témoignerait d’une plus grande maturité politique de la part des acteurs, expression d’une volonté politique qui dissipe tout doute sur la formation d’un gouvernement animé par un esprit de partage de gâteau, pour utiliser une expression de notre jargon politique » a conseillé le professeur Joseph Harold Pierre. D’autre part, le juriste et ancien ministre Bernard Gousse, dans le cadre de ce débat ou de ce pavé jeté dans le paysage politique par une partie des acteurs de la Transition de rupture, s’est mis à se questionner sur un ensemble de sujets relatifs à cette idée de présidence collégiale de cinq membres : « Comment un collège présidentiel de cinq membres va s’y prendre pour décider ? Quel est le processus décisionnel ? Majorité, unanimité, consensus, droit de veto d’un membre ? On va tout droit vers le blocage. On oublie les leçons de l’histoire (Collégial de 1957), et on installe les semences de la confrontation violente » argumente Me. Bernard Gousse qui, en tant qu’ancien ministre, sait de quoi il parle.

Sans oublier de s’interroger avec lucidité sur le financement de tout cette armada de personnels politiques de haut rang en ce temps de crise où le Trésor public est en faillite comme l’est d’ailleurs l’Etat haïtien « Première réflexion instinctive : la République la plus pauvre de l’hémisphère a suffisamment d’argent pour payer cinq Présidents, sans compter un Premier ministre et une vingtaine de ministres et leur entourage. Cela ne fait aucun sens » dit-il. Une question de bon sens, en effet, même si on peut comprendre que les groupes de Montana et PEN, à travers ce « Consensus politique », poussent les autres acteurs à réagir et pourquoi pas à s’asseoir avec eux sur la question de l’exécutif bicéphale comme il a toujours été pour eux dès le début et dans tous les rounds de négociations et de propositions après l’assassinat du 7 juillet 2021. Outre ces personnalités qui, d’après leurs analyses et le passé peu glorieux de ce concept présidentiel qui n’aboutit à rien, on ne peut oublier la sortie de l’historien Georges Michel, qui, comme d’habitude, ne prend jamais de gant pour exprimer sa position sur les sujets ayant trait à la présidence du pays.

L’on se souvient de sa sortie fracassante contre le projet de réforme constitutionnelle voulu par le défunt Président Jovenel Moïse. D’ailleurs, cet ancien membre de l’Assemblée Constituante de 1986 qui avait rédigé la Charte fondamentale de 1987 demeure très vigilent à tout ce qui touche de près ou de loin au pouvoir exécutif. Dans ce débat sur cette affaire de présidence collégiale à cinq membres, Dr Georges Michel ne pouvait garder le silence en tant qu’historien et en tant que citoyen engagé. Pour lui, « Inévitablement, les cinq membres du collège présidentiel vont se battre. On a déjà fait l’expérience d’un gouvernement collégial en 1957 cela s’est très mal terminé. Cinq personnes dans un collège présidentiel est une formule suicidaire. Les cinq membres du collège présidentiel pourraient se mettre d’accord sur un point aujourd’hui, demain ils seront à couteaux tirés sur le même point. Cette formule aggravera davantage la crise et donnera naissance à une nouvelle crise » argumente l’historien. Le moins que l’on puisse dire, sur le plan strictement historique et compte tenu de l’attitude des politiciens haïtiens ces dernières décennies en qui concerne la prise et la gestion du pouvoir, on ne peut qu’être d’accord avec lui.

Cette formule qui a déjà été expérimentée dans le temps a prouvé qu’elle n’est pas applicable en Haïti. En tout cas, pas dans ce schéma institutionnel. Pourtant, depuis le dimanche 30 janvier 2022, les signataires de l’Accord de Montana ont choisi leur Président en la personne de l’ancien Gouverneur de la Banque centrale (BRH), Fritz Alphonse Jean et leur Premier ministre qu’est l’ex-sénateur Steven Benoit. Seule la Suisse, pour le moment, avec son système de présidence tournante (Conseil fédéral) dans le cadre de la Confédération Suisse des Etats fédérés datant de 1848, a réussi à le mettre en pratique avec succès et sans heurt. En Haïti, l’on n’est pas dans cette configuration politique. Que les acteurs de la Transition de rupture se remettent à l’ouvrage !

 

C.C

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