Qui protège les agents de la Police Nationale d’Haïti ?

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Cérémonie de graduation de la 31ème promotion de la Police Nationale d’Haïti, le 17 décembre 2021

Protéger et servir, telle est la noble mission de la Police Nationale d’Haïti (PNH).  Mais quand les policiers eux-mêmes ne sont pas en sécurité, il y a lieu de se demander qui protège le peuple, y compris les agents de l’institution policière ?

Aujourd’hui, ils sont nombreux ceux qui se posent cette question à savoir: qui peut protéger la population, spécialement contre le banditisme généralisé ou de préférence, qui peut protéger la population sans la police?   Doit-on se protéger de la police ou se protéger sans la police ?  Autant de questions pour autant de réponses. En attendant de trouver les réponses à tous ces questionnements, maintenant la plus urgente est: qu’est-ce qu’on doit faire pour protéger les agents des forces de l’ordre?

Depuis les temps anciens, comme toute société, en termes de sécurité, le peuple haïtien a toujours eu deux grands besoins à satisfaire, besoins auxquels on ne peut pas répondre de la même manière, voire considérer avec négligence ou amateurisme.  Pierre J.C Allard dans son texte, Sécurité : police et armée écrit que : « La société doit d’abord être gouvernée et administrée, sans quoi elle ne peut constituer un tout cohérent. Quand cela est fait et que son identité est acquise, son besoin prioritaire, pour continuer d’être comme société, est d’être protégée. Elle a besoin d’une force qui la protège contre ses ennemis de l’extérieur et aussi d’assurer, sur son propre territoire, la protection des sociétaires, de leurs droits et de leurs biens, contre ceux au sein de la société qui menacent les droits des autres. »

Théoriquement, la police et l’armée répondent donc à des problématiques totalement différentes. Si la mission de l’armée est de défendre l’État contre ceux qui en contestent son autorité ou le territoire, celle de la police est, à l’intérieur du pays, de protéger et servir la population. « Armée et police ont des missions de sécurité complémentaires. L’armée surveille les menaces qui viennent d’ailleurs, la police celles qui peuvent sourdre au sein de la société même. Ces deux structures de sécurité ont donc, dès le départ, tendance à évoluer en parallèle et à devenir différentes, tant dans leurs moyens et leurs méthodes que dans leurs objectifs. » (Op. cit.) C’était en réponse à ce besoin de protéger, particulièrement dans un contexte très difficile qu’est, en 1994, créée l’institution policière.

Création de la PNH

Après le coup d’État du 30 septembre 1991 et le retour du président Aristide de son exil de trois ans de Washington, en termes de sécurité, la situation d’Haïti était fragile et précaire. Donc dans ses efforts pour consolider le processus démocratique initié dans le pays depuis après le départ de Jean-Claude Duvalier le 7 février, des discussions avaient eu lieu avec le gouvernement des États-Unis, l’Organisation des Nations unies (ONU), les alliés et amis d’Haïti de la communauté internationale à propos notamment de la formation d’une nouvelle force de police.

Mais, la transition vers une nouvelle force de police civile à vocation démocratique était-elle possible à implanter en Haïti compte tenu des mauvaises expériences de la population avec les militaires putschistes avant et durant les trois ans du coup d’État de septembre 1991?  Cette transition était beaucoup plus difficile d’autant plus qu’après le démantèlement de l’institution militaire par le président Aristide en 1995, la Police nationale d’Haïti (PNH) était la seule force légalement armée dans le pays.  Ainsi, protéger, servir et faire respecter les lois n’étaient pas une tâche facile pour une institution très politisée, surtout avec de maigres moyens et effectifs.

PNH et sa mission de protéger et servir   

Vu la complexité et le contexte dans lesquels cette force de police avait vu le jour, bon nombre de gens étaient peu réceptifs, voire même pessimistes, à savoir: comment la PNH allait faire pour s’intégrer et avoir sa légitimité auprès d’une population.  Surtout si cette dernière gardait encore les cicatrices de violence et d’abus soit directement ou de l’un de leurs proches d’un quelconque membre de l’institution militaire.

Mais, en dépit de toutes ces considérations, une bonne partie de la population avait considéré la nouvelle force de police comme une institution légitime, capable d’assurer l’ordre et la sécurité dans le pays. Malheureusement plus de vingt-cinq ans après, la police, dans sa noble mission de servir et de protéger la population, particulièrement ses agents, a échoué.

Puisque, depuis plusieurs mois, quand ce ne sont pas des paisibles citoyens, ce sont les agents de la PNH qui font les frais des bandits armés dans le pays. Ce n’est pas un phénomène nouveau, depuis un bout de temps, les agents de la PNH sont devenus la cible de violence des bandits légaux qui sèment le deuil dans les familles haïtiennes.  Ainsi, quand les agents de la PNH, eux aussi, sont victimes du vent d’insécurité qui souffle dans le pays, cela affecte considérablement le moral et le bon fonctionnement de l’institution dans sa noble mission qui est de: protéger et servir.

Si la PNH ne peut même  pas protéger ses agents, donc elle contrôle et protège qui alors?  Cette année, collectivement, dans sa délicate et difficile mission de protéger et servir ou dans ses activités personnelles, il y a, un nombre incalculable d’agents des forces de l’ordre tués ces derniers mois par des bandits parfois des gangs issus même de cette police.  Et c’était presque toujours ainsi depuis les toutes premières années de création de cette institution.  Comme rien n’est fait pour freiner cette banalisation, surtout avec la montée effrénée du kidnapping et la prolifération des gangs armés qui n’ont épargné personne, ce qui chaque jour rend, malheureusement, le travail des policiers beaucoup plus difficile.  De par ces tueries, pour une force de maintien d’ordre non seulement politisée, mais, en termes d’effectif déjà insuffisant pour servir la population, donc l’institution est de plus en plus affectée.  Et, elle continue de perdre sa crédibilité.

Face à ce constat accablant, faut-il donner du temps au temps pour accorder les accords qui ont, jusqu’à présent, désaccordé le pays dans le domaine de sécurité, pour qu’enfin la PNH puisse être en mesure de protéger et servir la population, plus particulièrement ses agents ?

Il est évident que la police à elle-même ne pourrait assurer la sécurité de la population, si l’Etat haïtien démissionnaire de ses responsabilités envers le peuple se comporte lui-même en bandit. Les policiers dont la grande majorité pour ne pas dire la totalité sont issus des masses défavorisées et sont considérés non pas comme des humains par les acteurs des classes possédantes mais tout simplement comme des objets, des outils, des instruments à leur service et qui n’ont aucun besoin, ne nécessitent rien. Dans les conditions où ils fonctionnent sans un salaire décent, les policiers sont livrés comme des parias au sein de la population.

Dans ce cas, les vrais bandits ne sont pas les laissés pour compte, les gens vulnérables, les chômeurs mais bien les mercenaires à cravate, ceux qui pillent et gaspillent les richesses du pays tout en réduisant au banditisme des éléments au sein des masses des quartiers populaires qu’il préfère sacrifier plutôt que de les accompagner pour leur assurer une vie meilleure. Et les policiers sont également des victimes tout comme la masse populaire exploitée et opprimée.

Prof. Esau Jean-Baptiste

 

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