André ’’Dadou’’ Pasquet*
(Port-au-Prince, 13 Aout 1953)
« Un musicien conquérant et guitariste d’exception»
Certainement, le plus adulé des musiciens contemporains, l’ascension fulgurante de “Dadou” Pasquet, l’ultime virtuose et surdoué de la guitare fut sans encombre.
Musicien précoce, c’est à l’âge des culottes courtes et de la rougeole que sa vélocité lui permit de se faire remarquer par ces illustres devanciers tels: Raymond Sicot, Raoul Guillaume, Richard Duroseau régnant alors dans les milieux new-yorkais; qui sollicitèrent tour à tour ses services. C’est ainsi qu’il fut intégré au groupe «Tropical» de New York, deuxième groupe haïtien après L’«Orchestre de Pépé Bayard» à se fixer dans la ville cosmopolite. Après avoir grandi dans une superbe ambiance musicale, façonnée par ses oncles: “dodof”, Richard, Jean et Alexandre Legros etc., aussi bien, d’un professeur nommé Pierre Prato qui l’inculqua bien du secret des cordes. Au début des années soixante-dix, sa carrière prit un autre tournant, lorsqu’il contribua à la réformation du «Tabou Combo» à New York, nouvellement venu d’Haïti et amputé de quelques membres.
Tout en trouvant utile de parfaire ses connaissances musicales au Staten Island College. Il évolua durant cinq années en compagnie de: Herman Nau, “dòf” Chancy, “shoubou”, “fanfan”, “biassou”, “kòk”, “kapi”, Yvon Ciné etc., apportant de sa guitare riffée de hard rock et de longs phrasés florissants, les paramètres d’un konpa éclatant, dans lequel son discours soliste fut imprégné des influences du blues et du funk etc. En contribuant aussi comme compositeur et arrangeur, au succès du groupe dans quatre albums dont: “Canne à sucre”, “Respect”, “8th Sacrement”, “The masters”. Cependant, le moment le plus fort du groupe resta l’album “8th Sacrement” dont le hit New-York City fut classé au hit parade international des variétés de France, et vendu à des milliers d’exemplaires ; imbibé de solos que reprendra le légendaire Santana.. C’était surtout dans cet album que le public découvrit en lui un superbe vocaliste au registre et aux rebonds vertigineux, donnant la réplique dans le slow : ‘’Come-back my love’’, qui l’attesta comme le plus soul des chanteurs haïtiens ; fort d’une sonorité feutrée qui laissa pantois les incrédules. Auréolé d’un registre qui l’imposa suprême, en planant au dessus des complexités.
Pourtant sa carrière avec le «Tabou» ne fait pas partie de ses meilleurs souvenirs, avouant amèrement, que ses efforts n’ont pas été appréciés. Ainsi, après un lustre de loyaux et impeccables services, le maître de la guitare laissa le “T. C.” pour fonder son propre groupe. Le 24 juin 1976 date qui correspond à celle de la Saint Jean, son saint patron, flanqué de son frère ainé l’excellent batteur ‘’Tico’’ Pasquet, il introduisit le «Magnum Band» sur les fonds baptismaux et au public. A cette étape, il apporta son talent à un palier supérieur. Son grand rêve d’un retour à la source de la musique natale, devint réalisable. Après quelques années de vaches maigres où il traina sa bosse de New York à la Californie puis la Floride ; il atteignit finalement sa vitesse de croisière, présentant deux approches: L’une avec le «Magnum», dans un konpa rénové, d’une structure rythmique épanouie, nimbée des données traditionnelles natives. Une orientation harmonique fusionnée,’’ breaks’’ et tournures allégoriques, un clavier latin, des cuivres d’acier, dans un cocktail dansant des plus explosifs.
L’autre approche, il l’offrit en solo plus près de la sensibilité locale. Tout en y intégrant une touche de romantisme, un jeu fleuri d’inspiration et d’improvisation, fréquentes ruptures de tempo. Innovant toujours, comme l’éclair qui fait jaillir la lumière; dans la rénovation des morceaux populaires et des compositions nourries de rythmes indigènes, bien infusées d’influences afro-états-uniennes. Dans ces méandres, il apparut comme chef de file d’une musique alternative et de fusion. Les mélomanes les plus racés sont conquis. Que se soit à travers ses oeuvres délivrées avec le «Magnum»: “Expérience”, “Jéhovah”, “Pike devan”, “Adoration”, “Paka pala”, “Ashadei”, “Dife”, “The best in town”, “Pure gold”, “Sans frontière, ‘’,”Sakalakawè’’, Oulala’’. Et “en solo”: Chèche la vi, Croosover, Islam. Puis “Les archives de Dadou Pasquet”, sorties en 1998 pour célébrer ses trente ans de carrière, avec quelques titres inédits.
Technicien génial, habité par le syncrétisme, il réussit toutes les synthèses inimaginables. Guitariste d’avant-garde, son style ‘’hendrixien’’ du début a évolué entre Montgomery et B.B King; sans altérer sa propre originalité et sa touche florissante qui lui permettent de jouer aussi bien en accords, en octaves et en simple note. En fait, du “dadouisme” authentique ; ayant depuis longtemps justifié sa grande potentialité, “l’homme au doigt magique” a continué de faire son métier dans un milieu difficile. N’étant toujours pas prophète dans son pays où la qualité n’est pas toujours la bienvenue, il s’est appliqué avec son “big band” à faire le renom d’Haïti sous d’autres cieux. Spécialement dans les Antilles françaises où le Magazine France-Antilles l’a baptisé “Le potomitan du konpa évolutif”. Complaisant, il a collaboré avec: “Coupé Cloué”, “Ti Plum”, “Assali”, Réginald Policard, “Touco” Bouzi, Ronald Rubinel, Richie et tant d’autres. Et après avoir été mentionné dans ‘’Guitar Magazine’’ aux côtés de: B.B King, Santana, G. Benson, et J. Hendrix, ça ne lui donna même pas la grosse tête.
Car ce “born again christian”, puis, témoin de Jéhovah et ensuite adepte de l’Islam; et finalement vodouisant n’en finit pas de faire des vagues, au gré d’une polyvalence hors-commune. Perfectionniste, il n’a pas cessé d’explorer cet instrument qui lui est si cher. Quelque fois avec fougue, toujours avec béatitude; selon les paramètres qu’il sillonne; avec enthousiasme, modestie et véracité. Bien que certaines de ses productions ressortent ce péché mignon, d’un obsédé pour les adaptations buissonnières et les interprétations à outrance des succès d’outre-mer ; s’apparentant à des signes d’essoufflement. Même si au niveau des prestations, on ne peut quand même s’empêcher d’être admiratifs. Toujours au sommet de son art, il a déclaré: “Ma guitare loue Dieu et chante mes sentiments…”.Autant de signes qui attestent de sa solidité mentale, ainsi bien que de son talent hors-norme. De même que sa colossale armada musicale qui lui a permis de se maintenir en standard de première classe, et un joyau musical sans frontières.
*Déja apparu dans ‘’Top 10 vocaliste’’.
Réginal Policard
(Les Cayes, 15 Octobre, 1953)
« Musicien éclairé et claviériste épatant»
Propulsé maestro et pourvoyeur éclectique au gré de multiples traversées, ce claviériste expressionniste a fait fi des conventions pour aller au delà des vogues ambiantes .En s’illustrant comme l’un des plus caractéristiques pianistes haïtiens contemporains. Instrumentiste divers, il a aussi joué les percussions et la batterie. Autodidacte, Réginald apprit la musique au contact des autres, en se mettant sérieusement à l’exploration de divers styles anciens et modernes, pour en tirer son jeu tout à fait original sans influence directe. C’est à New York, où il se fixa dès l’âge de l’adolescence avec sa famille, qu’il fit ses premières armes de musicien professionnel. Notamment au sein de l’«Ibo Combo» (2ème version), avec lequel il culmina les fonctions de batteur et pianiste.
Après ses études au ‘’state’’, il retourna au bercail dans la seconde moitié des années soixante-dix, et donna le coup d’envoi à la formation du «Caribbean Sextet»; en compagnie des fidèles collaborateurs de l’«Ibo Combo» tels: “boulo” Valcourt, “gaguy” Dépestre, “janjan” Laraque, Claudy Jean etc. Ce fut le début d’une aventure très fructueuse. Cette fois, c’est essentiellement au clavier qu’il s’adonna en faisant ressortir ce phrasé “polycardien” apparemment exquis, caractérisé par le recul de la main droite sur la main gauche, en pourvoyeur d’une forte dose d’eurythmie, extériorisant tempos et accords. Alors que la main droite fait jubiler un timbre coloré en simples notes ou en phrasés; mettant à nu une parfaite cohésion des deux mains. Ce qui en résulte avec des paramètres très élaborés et des paraphes aux développements très innovatifs, de couleur latine ; égrennant des cordes aux dissonances infinies. Compositeur, arrangeur, il prouva que la musique peut-être à la fois édifiée et dansante avec le «Caribbean Sextet», qui offrit une musique tout à fait digestive.
Cependant, le manque de professionnalisme dans le milieu n’a pas permis à Réginald d’être actif avec ce groupe. Parallèlement, il continua à gérer ses entreprises en homme d’affaires avisé. Ainsi après quatre albums à succès avec le «Caribbean» tels: “Forte dose”, “Magoudou”, “En gala”, Caribbean news” (Lavironn dédé), il commença dès 1989, à produire des œuvres ‘’en solo’’, avec: “Lese Mwen viv”, “Vinn avèm”, “Sa se twòp”, etc, toujours de la musique ambiante mais, dépouillée de superflus. Dans lesquelles, s’assimilent différents genres musicaux tels: konpa, méringue, ballade, boléro et le latin-jazz qu’il affectionne particulièrement. En plus de ce jeu pianistique s’apparentant aux vagues furtives des flots de la mer. Ces accords chaloupés qui murmurent l’aube, font scintiller le soleil et allument le crépuscule. Grâce à son approche fusionnée d’essence native, le classant en orchestrateur sophistiqué et, en as tonitruant de l’environnement sonore.
C’est paré de tant d’atouts que ce pianiste syncrétique s’est imposé dans la musique conceptuelle contemporaine. Cependant, c’est à partir de : ‘’Ki sa nou ye’’ ?, puis ‘’Sérénité’’ que l’artiste devint plus complexe, bien instillé d’une musique plus cérébrale ; mettant au pinacle un élaborateur qui s’est remis en question, en offrant une musique accessible aux mélomanes. Puis vinrent : ‘’Gade w’’,’’ Détour’’ et ‘’Momentum’’, et encore : ‘’Changing Moods’’ la plus jazzée de toutes avec ses structures improvisées de swing et bien instillée de la grille de l’évolution stylistique et, ‘’Jodi a’’ ; injectée d’une sonorité percussive abondante où la polyrythmie y est prépondérante ; lesquelles exhibent un Réginald au sommet de son art, dans l’exploration de divers paramètres ; du jazz à la ballade en passant par la méringue. De la bossa nova au bolero, tous imbibés de coloration native, sur fond sonore jazzistique. Tout en propulsant un inspirateur alliant présence, originalité et clarté musicales. Des cuivres aux éclats schématiques, dont des anches en glissandos et épanchements prosodiques, guitares expressives et basse déliée ; supportés par un rythmique nuancé d’une rigueur métronomique, fort d’une batterie imprégnée de saveur harmonique. Aspergeant tout de sa touche délicate, sans pour autant n’en avoir retenu aucun, pour les bonds extasiés, lorsque c’est nécessaire ; moyennant une tonalité discrète mais pénétrante.
Avec cette pénurie de créateurs qui caractérise la musique moderne actuelle, embourbée sous l’influence de la pop-culture, Réginald s’est amplement distingué en se distançant du mercenariat ambiant. C’est surtout un musicien de feeling, qui ne prétend pas impressionner dans des pointes de virtuosité inutile. Préférant communier avec son audience sans la tenir à distance. Dans l’instrumentalisation d’une approche rehaussée de simplicité et de singularité ; en faisant plus avec moins, tout en mettant en évidence la force de : concision, suggestion et d’espace. Plutôt que d’emboiter autant de notes possibles, Régi s’imbibe de brillance et d’inspiration ;en parant son mode d’expression dans la définition que par la quantité des phrases, autant que par le silence qu’il laisse entre elles. Tout en trouvant l’équilibre entre multiples genres de variétés, auréolés d’une délicatesse coutumière sur fond de vibrations plurielles. Pour s’imposer en messager de l’aube bien loin des vacarmes abasourdissants qui rendent la nuit si longue. Mais, même si la nuit languit, c’est que le jour est là. A la manière de la musique ‘’polycardienne’’, pour faire jaillir la clarté.