« Ce n’est rien de mourir, c’est affreux de ne pas vivre. » (Victor Hugo)
Avec les mascarades électorales de Pierre-Louis Opont et de Léopold Berlanger, nul ne peut prédire un avenir tranquille pour la République d’Haïti. Le pays nage dans un torrent d’hostilités et de divisions politiques inquiétantes. Les vents d’une occupation étrangère musclée se lèvent à l’horizon. Ils soufflent très fort. Si les quatre parties en conflit, à savoir La Fanmi Lavalas, Pitit Dessalines, la Ligue Alternative pour le Progrès et l’Émancipation Haïtienne (Lapeh) et le Parti Haïtien Tèt Kale (PHTK) étaient armées, la société haïtienne ne serait-elle pas déjà basculée dans une guerre fratricide meurtrière? Washington, Paris, Ottawa sont sur le qui-vive. Ils suivent de près l’évolution de la situation électorale labyrinthique et explosive. En prévision du désastre social, du cataclysme politique et de l’effondrement économique qui se dessinent en traits foncés, le plan d’opération de « mise sous tutelle internationale» d’Haïti est déjà déployé sur la table d’observation du Département d’État et du Pentagone. Haïti n’est pas la Somalie, l’Irak, l’Afghanistan, la Syrie… Les précautions à prendre sont minimes. Les facteurs de risque en pertes de vies humaines pour les envahisseurs sont très faibles. En 1994, les militaires du général Raoul Cédras, paniqués et déboussolés, n’offraient aucune résistance aux soldats des États-Unis expédiés par Bill Clinton pour rétablir Jean-Bertrand Aristide dans sa fonction présidentielle. Ils se sont déployés à travers le pays, sans coup férir. Depuis la dissolution de l’armée indigène, Haïti est devenue un État fragile et vulnérable. Elle n’a aucune possibilité de protection militaire, aucune capacité de défense territoriale. Alors que la République Dominicaine entretient une armée bien entraînée et bien équipée par les États-Unis. La police nationale se révèle même incapable d’assurer la sécurité interne du pays. À l’occasion des opérations policières d’envergure, les observateurs remarquent toujours la présence des casques bleus. D’ailleurs les policiers n’arrivent pas à se protéger eux-mêmes. Ils tombent ces derniers jours comme des mouches sous les balles des bandits qui assiègent la capitale et les zones périphériques.
La Mission des Nations Unies pour la Stabilisation en Haïti (Minustah) reconnaît qu’elle a échoué dans son mandat qui consistait à remembrer l’économie haïtienne, à favoriser l’organisation d’élections libres et honnêtes sur une base régulière, à réorganiser la police nationale, à renforcer les institutions de l’État, à créer des conditions de stabilité sociétale, de paix et de sécurité sur l’ensemble du territoire national… Mais vous et moi en sommes parvenus à la conclusion que rien de tout cela n’a été réalisé. Aujourd’hui, après ce constat d’échec flagrant, la Minustah de Sandra Honoré serait prête à céder la place à une « armée de tutelle » placée sous le commandement direct des « puissances néocoloniales » qui siègent au sein du Conseil de sécurité. Particulièrement les États-Unis, la France et le Canada. Cela ne peut se faire que dans une situation d’anarchie sociale et de désordre politique. Le Core Group est en train de créer les conditions de cette nouvelle forme d’invasion militaire avec les complications du scrutin du 20 novembre 2016.
Avant les élections de novembre 2005 qui ont réinstallé René Préval au pouvoir, le major Michael T. Ward [1] des forces armées canadiennes a publié un texte dans la Revue militaire canadienne (RMC) intitulé « L’utilité de placer Haïti sous tutelle internationale ». L’auteur écrit : « L’une des solutions pour résoudre ces faiblesses serait de placer Haïti sous la tutelle des Nations-Unies. Les Nations-Unies devraient assurer la gouvernance du pays de manière à mettre en place les conditions nécessaires à l’émergence d’une culture démocratique suffisamment solide pour garantir que les rivalités politiques ne débouchent pas sur la violence. De manière générale, les tâches de l’administration onusienne devraient largement coïncider avec celles définies dans le mandat de la Minustah; mais elles devraient être directement confiées à une instance permanente et non tournante afin d’éviter les contraintes imposées par la culture et le système de gouvernance actuel. »
Les États hégémoniques y pensent sérieusement. L’état de sous-développement avancé dans lequel se trouve Haïti ne lui permettra pas d’échapper à ce projet officieux. À moins que les forces en présence sur la scène politique controversée choisissent la voie préconisée par la raison pure : se rassembler autour d’une table nationale de concertation et de réconciliation. Le défunt Chris Hanni, appelé le Guevara de l’Afrique du Sud, le héros anti-apartheid, l’avait fait pour son pays. Cependant, les salopards lui ont enlevé la vie le 10 avril 1993 à Boksburg. Dans le cas d’Haïti, s’asseoir, certes, mais avec qui ? Pas avec les antinationaux qui – comme Gérard Latortue, Hérard Abraham, Guy Philippe, Ravix Rémissainthe, Louis Jodel Chamblain, … – travaillaient pour mener le pays à ce carrefour de perte totale d’autonomie politique et d’autodétermination économique, financière et culturelle ? Comme Jean le Baptiste, le précurseur du Messie, ces « antipatriotes », en février 2004, avaient la mission de préparer le terrain pour les seigneurs de « l’Empire de la honte » qui veulent à tout prix prendre le contrôle absolu de l’appareil de l’État haïtien. C’est bien dommage que le président Jean-Bertrand Aristide avait choisi de céder si facilement aux pressions des mercenaires financés et armés par la CIA, sans résister. Alors que le chef lavalassien avait une équipe autour de lui déterminée à se battre, disposée à affronter les pseudo-assaillants. Le 11 septembre 1973, avec la mitraillette que lui avait offerte Fidel Castro en cadeau, Salvador Allende n’a-t-il pas vendu chèrement sa peau à Augusto Pinochet supporté par les faucons des États-Unis. Parfois, il est d’une nécessité historique de savoir « Mourir pour Vivre ». Montaigne confirme : « Celui qui a appris à mourir, a désappris à servir. »
Ainsi, la geste sacrificielle des héros, vainqueurs de la Crête-à-Pierrot et de la Butte Charrier serait donc sur le point d’être recouverte une « quatrième fois » d’une couche épaisse d’assombrissement. Si l’épine de controverses, de bourrage des urnes n’est pas enlevée au pied des élections d’Opont et de Berlanger, les « blancs » vont encore « débarquer » dans les mêmes circonstances qui ont valu aux masses haïtiennes les événements dégradants du 28 juillet 1915, et qui ont duré 19 ans. Nous ne voyons toujours pas comment un individu qui fait l’objet d’une « présomption de culpabilité » pour « crimes économiques » dans un rapport étoffé de l’Unité Centrale de Renseignements Financiers (UCREF) puisse espérer être investi à la présidence d’Haïti le 7 février 2017 ?
Des historiens anti-esclavagistes – comme Claude Ribbe – ont comparé les monstruosités commises par le napoléonisme à Saint-Domingue avec celles que l’humanité reproche au nazisme durant la seconde guerre mondiale. Certains essayistes pensent même que le mode de traitement que le cruel Rochambeau réservait aux Africains esclavagés servait d’inspiration à l’invention des chambres à gaz d’Adolphe Hitler. L’économiste Lesly Péan a abordé les atrocités que nous évoquons dans un texte publié le mardi 12 novembre 2013 sous le titre « Haïti-Histoire : De Vertières à ce jour en passant par le Pont Rouge. Lesly Péan a repris lui-même Beaubrun Ardouin que nous citons en exemple : « Rochambeau les fit embarquer sur un navire de guerre; on les plaça dans la cale en fermant hermétiquement les écoutilles, après y avoir allumé du souffre. Ces malheureux furent asphyxiés et leurs cadavres jetés ensuite dans la mer. C’est à ce barbare qu’on doit imputer ce genre de mort, qu’il inventa dans sa rage d’extermination et qui fut employé si souvent dans son gouvernement [2]. »
Certains « ingrats » peureux voudraient que nous taisions les « hauts faits d’armes » qui ont creusé la fondation de la patrie. Que nous cessions aussi de notifier à l’opinion mondiale les sentiments de cruauté et de tribulation qui sous-tendent l’époque coloniale. Au contraire, nous avons pour devoir de perpétuer la mémoire de l’histoire, de tenir en éveil la « conscience » des générations présentes et futures. En présence d’un ressortissant espagnol, français ou anglais, il faut que l’Haïtien garde dans son esprit qu’il se trouve en face d’un individu dont le trisaïeul a acquis la quadruple et triste réputation de voleur, d’usurpateur, d’assassin et de violeur, un être infâme, quelqu’un qui participa à l’« entreprise anti-humanitaire » la plus abjecte, la plus monstrueuse que l’univers ait supportée.
L’enlèvement cynique de l’ex-président Jean-Bertrand Aristide – encouragé par des médias locaux sans conviction idéologique, sans formation politique, sans capacité d’analyses des grands faits de l’histoire universelle, et avec la connivence des groupements politiques hostiles à la lutte des masses – a agrandi les brèches de basculement de la société haïtienne dans le désordre politique, l’anarchie sociale et l’ingouvernabilité. Il s’agit des trois principaux facteurs qui précipitent un pays du haut des falaises de l’occupation étrangère. Car les forces démoniaques n’attendent que ces occasions alléchantes pour poser leurs griffes sur les richesses naturelles des populations du Sud.
« Tout royaume divisé contre lui-même ne peut survivre. » Les situations de division politique profitent toujours aux camps adverses dont font partie les États impériaux et le « cheptel » corrompu des bourgeois compradores. Depuis 2010, le duvaliérisme s’est réinstallé tranquillement dans les circuits des trois pouvoirs décisionnels. Tranquillement. Mais en force. Alors que ses opposants traditionnels et ses victimes s’affaiblissent. Éparpillées à travers des groupuscules sociopolitiques amorphes, les « élites universitaires » qui ont investi la scène publique après la chute de Jean-Claude Duvalier sont en panne de stratégie de combat. Impuissantes et désarmées, elles se laissent massacrer bêtement en première ligne. Certains de leurs membres – à l’instar d’Evans Paul –, se sont reconvertis à l’idéologie « françoisienne ».
Turneb Delpé doit être triste.
Cette opposition fait montre d’une désorganisation décevante, d’une division avilissante, d’une misérabilité d’esprit déconcertante, d’un agissement illogique, insensé et imprévisible. Aucun signe de prévoyance. Aucune manifestation de compétence. Aucune marque d’intelligence. La «bête féroce» de 1957 et ses méchants géniteurs internationaux auraient dû être décapités dès les premiers moments du mouvement de révolte massive qui embrasait le pays au lendemain de la tragédie des trois élèves gonaïviens. La page n’a pas été définitivement tournée sur la vomissure du passé. Il y a des « drapeaux étrangers » qui devraient cesser de flotter sur le territoire national, même si la diplomatie internationale insiste sur les principes inviolables de l’extraterritorialité. On ne peut pas ouvrir les portes de sa maison à ses « détracteurs entêtés ». Le monde ne sera jamais prêt à accueillir un « nazi » à la tête de l’Allemagne. Aucun chef d’État n’accepterait de s’asseoir à une table de discussion ou de négociation avec des anciens membres de la Gestapo. D’ailleurs, ces criminels ne font-ils pas encore l’objet d’intense recherche de la part de la CIA, de la DGSE, du Scotland Yard, du Mossad, de la GRC, partout dans l’univers, de sorte qu’ils soient jugés, châtiés ou éliminés, conformément à la « Convention sur l’imprescriptibilité des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité ». La résolution qui renforce les recommandations du 13 février et du 11 décembre 1946 en matière « d’infractions graves » a été adoptée et ratifiée le 26 novembre 1968 par l’Assemblée générale des Nations Unies. Les auteurs des actes classés dans les « catégories de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité » ne pourront pas échapper aux poursuites judiciaires. Il n’y a donc pas de « limitation dans le temps » pour les «victimes » qui veulent déposer une plainte contre les « tortionnaires » par devant les « tribunaux compétents », dans l’espoir d’en obtenir justice et réparation.
Et pourtant en Haïti, après avoir assassiné des paysans à Fort-Dimanche, aux casernes Dessalines, après avoir torturé, égorgé des professeurs, des médecins, des ingénieurs, des avocats, des étudiants, des élèves, des cultivateurs, des pères et mères de famille, après avoir humilié, battu et exilé des journalistes, des syndicalistes, des chefs de mouvement politique, les néoduvaliéristes osent revendiquer en 2016, avec audace et arrogance, la légitimité de la gouvernance. Ils veulent encore régner sur les êtres et les choses. Ils gueulent fort. Trop fort même. Alors qu’ils auraient dû être forcés au « Silence expiatoire». Pourquoi les Haïtiens ne pourraient-ils pas utiliser les armes avec lesquelles leurs bourreaux les ont persécutés durant 29 ans? Sous François Duvalier et son fils étourdi, les masses populaires vivaient dans leurs trous comme des lézards drogués. Elles ne pouvaient même pas pleurer leurs morts en public. Elles étouffaient leurs cris de souffrances physiques et morales, afin de ne pas attirer sur elles la « foudre du macoutisme. Et ce « Polydore» sans « Pyram » transformé minablement en une clef passe-partout qui n’arrête pas de faire son mauvais cinéma dans le centre de tabulation où a lieu la « comédie de vérification » des procès verbaux : « Vous savez, on ne peut pas confier les outils de la démocratie à des individus qui ne sont pas des démocrates…Vous comprenez? » Un « néoduvaliériste » parle de « crédibilité » et d’ « honnêteté ». Quelle comédie!
Lorsque Lénine ordonna l’exécution du Tsar Nicolas II, qui avait affamé son peuple, emprisonné et assassiné des militants des droits civils et politiques, qui s’aventurerait, sans risque de se faire contredire, à déclarer que ce geste patriotique n’eut aucun rapport avec les notions fondamentales de la « démocratie »? Au nom de l’anticommunisme primaire, les Pinochet, les Duvalier, les Trujillo, les Somoza ont obtenu « carte blanche » des puissances occidentales pour remplir les cimetières de cadavres des combattants de la liberté. Mais quand le peuple réagit, venge les « grandes injustices » exercées contre lui, incendie les demeures luxueuses des exploiteurs, détruit les biens matériels des bourreaux, lapide les répresseurs sadiques et farouches, tels que les Jacques Gracia, Luc désir, Franck Romain, Albert Pierre alias Ti Boule, Jean Valmé, il est accusé de «sauvagerie » et d’« incivilité ». Comment des néoduvaliéristes endurcis, peuvent-ils s’arroger le droit d’utiliser le langage constitutionnel, alors que leur « président skyzophrène » a aboli la Chambre du sénat, interdit le fonctionnement des partis politiques, muselé la presse, prohibé la lecture des livres qui traitent du système idéologique de gauche…?
En politique, « il faut marcher, quand la conjecture l’inspire, jusqu’au bout ». Si les États-Unis, le Canada, la France, l’Allemagne, l’Organisation des Nations Unies ont pu ressusciter en si peu de temps le « macoutisme duvaliérien » du tombeau de l’horreur et de la terreur, jusqu’à vouloir le transporter sur les vestiges du palais national, c’est parce que le peuple haïtien leur a laissé la chance de retrouver le chemin du cimetière où l’insurrection du 7 février 1986 était censée l’inhumer, en tant que « système politique ». Adolphe Hitler n’a pas de sépulcre connu. Aucun fanatique ne peut aller se recueillir sur la fosse du dictateur assassin.
Après les événements fastes du 7 février 1986, les « taureaux duvaliéristes » ne devraient pas se promener avec les cornes levées dans la cité. Cette démocratie qu’imposent Barack Obama, François Hollande, Angela Merkel à la Nation haïtienne dépasse les bornes. La misère, ou mieux encore, l’appauvrissement d’un peuple ne lui enlève pas sa « Dignité ». Mais eux disent que les parias, dont une bonne partie traînent dans les grandes métropoles de l’univers, se défoncent dans les usines de sous-traitance nord-américaine, grattent les fonds des chaudrons dans les restaurants huppés de New York, lavent des autobus à Paris, cueillent des tomates et des oranges en Floride, se fatiguent derrière le volant d’un taxi à Montréal, se prostituent et se droguent dans les bars de striptease de Miami, n’ont aucun droit. Ils regardent encore les descendants des esclaves africains avec leurs yeux racistes et haineux de « colons ». Les « blancs » apportent sans remord le sida, distribuent le choléra, propagent la prostitution mâle et femelle, perpètrent le viol sur le territoire national. Ils n’ont même pas la décence de reconnaître leurs crimes et de s’excuser. Et quand Ban ki moon l’a fait pour le choléra, la tardivité du geste ne recèle-t-elle pas l’indifférence et le mépris des innombrables victimes, de leurs familles et de l’État haïtien ? Et le pauvre président de facto qui ne cesse de répéter stupidement en parlant des Nations Unies : « Notre organisation… » Depuis quand cette institution internationale pourrie se préoccupait-elle des problèmes qui concernent les pays défavorisés ? Les Nations Unies servent d’abord les intérêts « intra-extra-environnementaux » des superpuissances. Celles-ci possèdent tout pour imposer leur volonté dictatoriale aux peuples du Sud. Elles jouissent d’une plénipotentiarité étonnante. Mais leurs « bras invaincus » sont-ils pour autant « invincibles » ? Chaque État, chaque être humain possède son talon d’Achille. Rome, après le temps des conquêtes florissantes et glorieuses, avait fini par sombrer dans la décadence. Et l’Église, comme vous le savez, devint l’unique institution détentrice de la suprématie en matière de philosophie sociale et d’endoctrinement politique. Anastasio Somoza croisa un jour sur sa route un révolutionnaire répondant au nom de Daniel Ortega qui mit fin au spectacle de désolation dans lequel étaient entraînées les masses nicaraguayennes contre leur gré. Et cela nous offre encore l’occasion de rappeler que le soleil se lève à l’Est et se couche à l’Ouest! Peut-être que la fable de Jean de La Fontaine, Le lion et le moucheron, se « rematérialisera » sur la terre épopéenne de la République d’Haïti.
Le défunt professeur Marcel Gilbert est considéré comme un « révolutionnaire de la pensée politique moderne dans l’espace social haïtien. » Nous l’avons interviewé à l’émission Ces mots qui dérangent, peu avant son décès. Marcel Gilbert, prophétisant sur la conjoncture sociale, politique et économique difficile, affirmait : « Les grandes puissances continuent encore à exploiter le pays. Elles ont planifié une privatisation des entreprises publiques. Elles réalisent la privatisation sans rencontrer de résistance. Cela leur permet de contrôler davantage le pays. Aujourd’hui, les lavalassiens qui ont cédé au chantage du Fond monétaire international, de la Banque mondiale, sont embarrassés. La grande puissance en question travaille déjà à les diviser. Constamment, il faut déplacer le démon. Il faut le déplacer quelque part de visible, car si vous ne le faites pas, le peuple national haïtien va découvrir que le véritable responsable caché derrière ses déboires est en général une grande puissance. Et il faudra à ce moment-là contrer les agissements de cette grande puissance. Le combat d’un peuple national ne peut être mené et gagné que par l’ensemble des catégories sociales qui sont victimes de l’injustice politique, économique et financière. »
Marcel Gilbert évoquait subtilement les conditions subjectives et objectives de matérialisation d’un mouvement de lutte révolutionnaire. Les propos du professeur renvoient aussi à la nécessité incontournable de cette prise de conscience collective pour penser, dresser et imposer le plan de l’édifice du changement. C’est à partir de ce carrefour névralgique que se posent les problèmes et les conséquences liés au phénomène de l’analphabétisme observé dans les zones urbaines défavorisées et les sections rurales négligées. Ces populations pauvres qui accusent un grave déficit en matière d’éducation et d’instruction ne comprennent pas toujours les avantages sociaux, politiques et économiques qu’ils peuvent tirer de l’aboutissement triomphal d’un combat pour la désaliénation des libertés collectives et individuelles qui se rattachent aux principes imprescriptibles des droits naturels accentués dans les études philosophiques de Johannes Althusius [3] appelé le père de la souveraineté populaire. Les masses ont besoin de préparation idéologique pour être en mesure d’épouser véritablement une « cause » de changement social et politique. Ernesto Guevara a échoué en Bolivie parce que les paysans qu’il défendait sont allés eux-mêmes le dénoncer aux autorités militaires, par peur de représailles.
L’état de « misérabilité extrême » dans lequel est plongée la République d’Haïti fait reculer considérablement les tentatives d’aménagement d’un champ de combat politique d’avant-garde. L’internationale néocoloniale a miné la capacité de résistance des masses, en les assujettissant à une situation de précarité existentielle de plus en plus désespérante. Les couches de la société haïtienne touchées par la misère ne pensent pas à se révolter, mais plutôt à fuir. Et tout autant qu’il existera un « ailleurs » en opposition à cet « ici » dégueulasse, elles ne changeront pas de comportement. Le salut passe aujourd’hui par le Brésil, l’Argentine, le Chili, le Mexique, pour aboutir finalement aux portes inexpugnables des États-Unis. Ceux-là qui choisissent l’option de s’en aller ne reviendront pas. D’ailleurs, ils savent qu’il existe dans chaque coin de rue un mystérieux « Ti Lèlè » attaché à la mairie de Pétionville, qui les attend avec un revolver de calibre 9 mm pour faire exploser leur cervelle. Tout ceci fait partie du complot contre la Nation. Il serait difficile pour la Minustah de prouver qu’elle ne soit pas en mesure d’aider la police nationale à élucider le phénomène du banditisme qui étrangle surtout les riverains de Port-au-Prince. Remarquez qu’aucun fonctionnaire de l’ambassade états-unienne n’est venu expliquer de façon plausible comment un sale tueur à gage qui porte le sobriquet de « Tèt kale » a-t-il pu décrocher sans difficulté un visa pour se rendre aux États-Unis avec sa petite copine? Alors que de paisibles citoyens, des étudiants et même des politiques honnêtes échouent à ce niveau. Le consulat général des États-Unis enlève les visas des passeports des « militants engagés » qui défendent les intérêts des pauvres, pour les redistribuer aux voyous de la pègre de Grand Ravine financée par les Organisations non gouvernementales (ONG), les Groupuscules politiques corrompus (GPC), et le petit lot de « commerçants minables du bord de mer » (CMBM) qui se rangent derrière Jovenel Moïse, la marionnette du PHTK, et qui revendiquent le « retour des charognards » au palais national. Comme dit le vieux proverbe : « Qui s’assemble se ressemble. »
Nous craignons que l’histoire, dans sa marche lente et précise, ne vienne demain établir une quelconque relation entre la Minustah et la prolifération des gangs armés dans les milieux bidonvillisés et populeux. Ce ne serait pas souhaitable pour cette « organisation » de façade qui, de complicité avec la France, a laissé massacrer environ 1 million de Tutsis au Rwanda, du 7 avril 1994 à juillet de la même année. Il faut noter que les enquêteurs policiers refusent de rendre publiques les révélations faites par les bandits appréhendés. Les procès-verbaux dressés dans le cadre des interrogatoires menés par la police ne reflètent pas l’« authenticité des témoignages confessionnels » recueillis des individus impliqués dans les meurtres qui endeuillent les familles. Le contenu de ces documents douteux se place loin de la réalité.
Le banditisme s’est institutionnalisé à Port-au-Prince. Les adolescents et les jeunes adultes exposés aux conséquences fâcheuses de l’inculture et du chômage chronique louent leurs bras et leur sadicité aux mafiosi locaux et étrangers qui profitent largement de la faiblesse du système de sécurité politique, législative et judiciaire. L’armée ayant été dissoute, les membres des gangs des quartiers de promiscuité sociale ont remplacé les militaires qui agissaient dans l’ombre sur le terrain de la criminalité institutionnelle, dont la plupart astiquaient les bottes du colonel Jean-Claude Paul affecté aux casernes Dessalines. L’équipe du Parti haïtien tèt kale (PHTK) reviendra au pouvoir dans le but d’aider aussi la Minustah à cacher les squelettes qu’elle garde craintivement dans ses armoires. Dans le film de Michael Winner, Le Justicier de New York, Charles Bronson nous a montré de quelle façon on traite les vauriens assassins.
Du 30 septembre 1991 à aujourd’hui, les « États mafieux » qui ont concocté le putsch sanglant contre le pouvoir aristidien, ont commis en Haïti des « atrocités inimaginables et des abominations inconcevables ». Et nous aurions pu remonter jusqu’à février 1986. Les États-Unis, la France et le Canada font payer aux masses urbaines et rurales l’exploit monumental qu’elles ont réalisé en chassant l’équipe des Duvalier et des Bennett. L’ex-président Prosper Avril n’est-il pas un produit corrompu d’une certaine « mafia politique » internationale ? Nous avons déjà rappelé que c’est sous le gouvernement de facto de ce « général » délinquant – aussi rusé que le renard de La Fontaine et plus féroce que le loup de Gubbio apprivoisé par Saint-François d’Assise – que les « escrocs militaires » ont monté le vaste réseau de vol qualifié, de viol collectif et d’assassinat qui est solidement implanté dans les régions départementales du pays. Plus particulièrement dans l’Ouest. Les gendarmes d’Avril, de Daniel Narcisse et du sergent analphabète Hébreu volaient, pillaient, violaient, tuaient au vu et au su des missions diplomatiques et de la nonciature apostolique. Il avait fallu encore une fois la mobilisation des masses populaires pour stopper les élans terrorisants de cet « Attila, le fléau de Dieu ».
Ahmadou Kourouma explique dans son roman En attendant le vote des bêtes sauvages : « La politique est comme la chasse, on entre en politique comme on entre dans l’association des chasseurs. La grande brousse ou opère le chasseur est vaste, inhumaine et impitoyable comme l’espace, le monde politique [4]. »
Le gouvernement nommé par Barack Obama et Hilary Clinton en 2011 porte les étampes
d’une cascade de malversations financières graves. Le « gourou » et les « membres immédiats de sa famille » essuient des accusations qui font état de détournements importants des fonds publics. Toute cette énergie désespérée libérée par les « grands ténors » du PHTK – Guichard Doré, Rudy Hériveaux, Youri Latortue, Evans Paul, etc. –, dans l’espoir de forcer l’installation de Jovenel Moïse au pouvoir le 7 février 2017 – et cela, malgré le poids des suspicions d’irrégularités et de fraudes massives qui pèse sur le processus de vote du 20 novembre 2016 – s’inscrit dans la logique d’une « peur cauchemardesque » en relation avec d’« éventuelles poursuites judiciaires contre l’ancienne administration » à laquelle ils ont tous participé. Les uns et les autres se démènent, comme ils le peuvent, pour éviter la prison.
En Haïti, nous constatons avec regret que le chômage et la misère poursuivent l’œuvre dégradante d’atrophier le cerveau, d’enlaidir l’esprit et de ralentir l’intelligence des « universitaires déclassés ». Ces tristes individus ne se rendent même pas compte qu’ils se promènent dans la laideur de leur âme, dans la honte de leur orgueil et dans la nudité de leur conscience. Ils sont devenus, pour ainsi dire, des « sous-hommes » méconnaissables! Comme Égisthe, l’assassin d’Agamemnon, ils doivent vociférer : « Qui suis-je, sinon la peur que les autres ont de moi ? »
Le jour où le soleil se lèvera sur Haïti n’est plus bien loin. Réveillez-vous, camarades ! Et en avant! Demain à l’aube, à notre tour, nous entonnerons « Le chant des partisans [5] » avec Yves Montand.
« Ami, entends-tu le vol noir des corbeaux sur nos plaines?
Ami, entends-tu les cris sourds du pays qu’on enchaîne?
Ohé! Partisans, ouvriers et paysans. C’est l’alarme!
Ce soir l’ennemi connaîtra le prix du sang et des larmes!
Robert Lodimus
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Notes et références
[1] Michael T. Ward, L’utilité de placer Haïti sous tutelle internationale, article publié dans Revue
Militaire Canada (RMC).
[2] Extrait de Beaubrun Ardouin repris par Lesly Péan dans sa série : Haïti-Histoire : De Vertières à ce jour en passant par le Pont Rouge.
[3] Johanne Althusius, La politique, exposée de façon méthodique, et illustrée par des exemples sacrés et profanes…
[4] Ahmadou Kourouma, En attendant le vote des bêtes sauvages, Éd. Seuil, 1998.
[5] L’hymne du mouvement de Résistance des Français contre l’occupation allemande.