L’article sur la famille Bigio (“Des haïtiens impliqués dans les Pandora Papers”, Haïti Liberté, Vol. 15 #14, pages 3, 14, 18) est excellent. Je voudrais cependant y apporter quelques ajouts.
La fortune des Bigio ne date pas des Duvalier. Déjà dans mon enfance (je parle des années 1950) Ben Bigio était l’un des plus gros commerçants du Bord de Mer de Port-au-Prince. Plus généralement, l’histoire de ceux que nous appelons les Syriens en Haïti commence bien auparavant. Lorsque le 8 août 1912, à 3 heures du matin, le Palais National sauta, tuant le président Cincinnatus Leconte (un descendant de Dessalines) et toute sa Garde Présidentielle, la clameur publique en accusa les Syriens. Et il se trouve que Leconte avait fait baisser les prix des produits de première nécessité, ce qui allait à l’encontre des intérêts des gros commerçants, Syriens et autres. L’histoire orale raconte que la bombe à retardement traversa la frontière dominicano-haïtienne à dos de mulet. Il n’était nullement nécessaire qu’elle soit ni lourde, ni puissante: placée dans la poudrière du Palais par un ou des complices, elle provoqua l’explosion de toutes les munitions qui y étaient entreposées, d’où le désastre.
je ne suis pas anti-Syrien, ni anti-arabe, ni anti-juif.
Pendant la IIe Guerre Mondiale (1939-1945) il y eut, du fait même des opérations militaires, et notamment de la guerre sous-marine allemande, rareté de nombreux produits importés sur le marché national. La rareté provoque toujours l’apparition du marché noir. C’est une Loi économique. Celui-ci fit fureur en Haïti et, comme l’on ne prête qu’aux riches, on en accusa les Syriens. L’Histoire orale m’a appris que, là encore, plusieurs grandes familles pas Syriennes pour un sou y firent aussi leur beurre, mais ne faut-il pas toujours un bouc émissaire, pour faire accroire qu’on est moins salaud que l’autre ?
Si nous sautons à pieds joints jusqu’à l’ère duvaliérienne, nous noterons que les gwozouzoun, ayant accumulé par tous les moyens, licites et illicites, des richesses, avaient perfectionné la méthode de faire constamment de plus en plus d’argent, sur le dos bien sûr de notre pauvre peuple. Elle consistait, et consiste toujours, à acheter les tenants du pouvoir, et à se faire accorder, moyennant phynance (un chèque mensuel de quelques milliers ou dizaines de milliers de dollars adoucissant considérablement les raideurs légalistes ou moralisantes) des monopoles d’importation de n’importe quoi de vendable.
De vendable à des prix de monopole, naturellement. Lorsque l’on est seul sur le marché, point n’est besoin de faire de cadeaux à personne… En béca ou en bémol, le cochon de payant doit acheter… ou crever! Selavi…
Mais c’est aussi, petit détail sans importance pour les oligarques et leurs politicailleurs Aux Ordres de Son Excellence, la mort lente pour le Peuple…
Pour terminer, je préciserai que je ne suis pas anti-Syrien, ni anti-arabe, ni anti-juif. Personne ne viendra me faire accroire qu”Issa el Saieh n’était pas un grand musicien Haïtien, ni Antoine Izméry, un grand patriote et combattant pour le changement. Mais cela ne m’empêche pas de voir que les Bigio et leur clique d’oligarques, Syriens ou pas, ainsi que leurs souffle-au-cul de politicailleurs corrompus, sont en train d’assassiner notre peuple par leur monopole de toutes les ressources de la Nanchon. Et aussi du fait de leur soutien indéfectible de la part de leurs associés en affaires étrangers.
Le grand anarchiste français Joseph Proudhon affirmait que La propriété, c’est le Vol.” Cela lui valut une volée de bois vert de la part de nuls autres que Karl Marx et Friedrich Engels. Pour ma part, je pense comme Proudhon qu’à la base de la richesse de toute classe dominante, il y a toujours, quelque part, une poule qui se fait plumer. Elle crie, certainement, mais personne ne l’écoute…
Sauf quand elle a recours au canon.
Post-scriptum
J’ai entendu à la radio que la ville de Ouanaminthe venait de proclamer son indépendance et de former son propre gouvernement d’Etat souverain.
Tout le monde en rit. Pas moi.
Ces Levantins furent chassés de leurs pays d’origine à la fin du XIXe siècle
Dans l’Histoire, la déliquescence ou la disparition d’un gouvernement central a fort souvent précédé la division d’un pays. Notre gouvernement central a, à toutes fins utiles, disparu. Il se pourrait donc fort bien que s’entame un processus de dislocation et de désintégration de la Nanchon, donc de disparition de la nationalité Haïtienne..
D’autre part, Ouanaminthe n’est séparé de la ville dominicaine de Dajabon que par un petit pont sur une étroite rivière. C’est aussi un centre commercial important pour Haïti. Qui serait plus que tenté de profiter de sa séparation, par exemple pour l’annexer?
C’est très grave. Et les rieurs feraient bien de commencer à réfléchir.
Les scientifiques appellent plutôt ceux que nous qualifions de Syriens des Levantins, c’est-à-dire des gens originaires des Pays du Levant. Ce nom réfère à “l’ensemble des pays de la côte orientale de la Méditerranée” (Larousse), c’est-à-dire la Palestine (actuellement Israël), le Liban, et la Syrie. Ces Levantins furent chassés de leurs pays d’origine à la fin du XIXe siècle (fin des années 1800) par l’Empire Ottoman (i.e. Turc) alors dominant, et essaimèrent un peu partout, en particulier dans la Caraïbe, et donc chez nous. Ayant une très longue tradition de commerce, ils s’y lancèrent. Comme tous les peuples commerçants, ils savaient aussi s’accommoder avec le pouvoir, quel qu’il puisse être. Et ayant un fort sens de la famille et de la communauté, ils gardèrent de forts liens entre diasporas éparses et avec le Levant. J’ajouterai, pour finir, que ce sont des peuples de très vieille civilisation.
Et aussi, pour être complet, que ce n’est pas le seul exemple, dans l’histoire, d’opprimés devenant oppresseurs…