Après l’ouragan Matthew: Haïti doit maintenant traiter avec les chevaux de Troie

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Des Marines américains à l’aéroport de Port au Prince le 7 octobre 2016. Le plus grand danger vient de ces porte-avions, de ces troupes étrangères, de ces livraisons de produits alimentaires, et de ces hordes de travailleurs d'ONG qui sont en Haïti maintenant ostensiblement pour aider les victimes de la tempête.

Les images et les rapports de dévastation sont déchirants. Le nombre de morts, déjà plusieurs centaines ne cesse d’augmenter. Des villages entiers ont été effacés. La réponse du gouvernement haïtien assiégé est anémique. Les appels angoissés des victimes à l’aide sont déchirants. Les spectateurs horrifiés du monde entier souhaitent que quelque chose, soit rapidement faite.

Mais, à la suite du passage catastrophique de l’ouragan Matthew sur la péninsule sud d’Haïti tôt le 4 octobre. Le plus grand danger ne vient pas de la destruction des récoltes et des infrastructures, la flambée à venir des cas de choléra, ou l’itinérance soudaine de dizaines de milliers ;  mais, des porte-avions, des troupes étrangères, des livraisons de produits alimentaires, et des hordes de travailleurs d’ONG qui sont descendus maintenant sur Haïti ostensiblement pour aider les victimes de la tempête.

Cette aide prétendue peut finir par miner la production alimentaire locale, saboter les élections en suspens, renforcer l’intervention militaire étrangère, et généralement subvertir les initiatives prises récemment d’Haïti à retrouver sa souveraineté.

Nous avons vu ce scénario il y a près de sept ans, à la suite du tremblement de terre de 7,0 qui a rasé Léogâne et la région métropolitaine de Port-au-Prince le 12 janvier 2010. Les États-Unis avaient déployé 22.000 soldats en Haïti (sans une autorisation officielle haïtienne), ont occupé l’aéroport de Port-au-Prince, et  militarisé la réponse humanitaire.

« Des marines armés, comme s’ils allaient à la guerre », s’était exclamé l’ancien président vénézuélien Hugo Chavez. « Il n’y a pas une pénurie d’armes là-bas, mon Dieu. Médecins, médecine, carburant, des hôpitaux de campagne, voilà ce que les États-Unis devraient envoyer. Ils occupent Haïti d’une manière secrète ».

Les États-Unis ont envoyé en Haïti le porte-avions USS George Washington et le navire américain de transport amphibie USS Mesa Verde, avec 300 Marines à bord, ainsi que 100 Marines avec neuf hélicoptères
Les États-Unis ont envoyé en Haïti le porte-avions USS George Washington et le navire américain de transport amphibie USS Mesa Verde, avec 300 Marines à bord, ainsi que 100 Marines avec neuf hélicoptères

Aujourd’hui, les États-Unis viennent d’envoyer en Haïti le porte-avions USS George Washington et le navire américain de transport amphibie USS Mesa Verde, avec 300 Marines à bord, ainsi que 100 Marines avec neuf hélicoptères en provenance du Honduras.

En revanche, le lendemain du passage de l’ouragan sur Haïti, le gouvernement du Venezuela que dirige Nicolas Maduro, en dépit d’être soumis à une crise économique et politique d’agression de la part de Washington, a envoyé 20 tonnes d’aide humanitaire au peuple haïtien – constituée de nourriture, d’eau, de couvertures, de draps, et des médicaments. Il a envoyé deux expéditions de plus dans les jours suivants, la dernière étant un navire contenant 660 tonnes de matériel, dont 450 tonnes de machines pour retirer les débris, réparer les routes et les ponts et 90 tonnes de denrées non périssables et des médicaments, des fournitures, des tentes, des couvertures et de l’eau potable.

Dans cette dernière catastrophe, « le Venezuela est le premier à venir au secours d’Haïti », a déclaré l’ambassadeur haïtien à Caracas, Lesly David.

À plus long terme, il est probable que Washington cherchera à utiliser la crise post-ouragan pour renforcer sa force de substitution, la Mission des Nations Unies pour stabiliser Haïti (MINUSTAH), qui a occupé militairement Haïti, en violation du droit haïtien et international, pendant 12 ans depuis le 1er  juin 2004. Le mandat du Conseil de sécurité de la mission expire le 15 octobre. Face à la levée de boucliers haïtiens et internationaux ainsi qu’au retrait de plusieurs pays clés d’Amérique latine comme l’Argentine, l’Uruguay et le Chili, Ban Ki-moon, Secrétaire général de l’ONU, avait recommandé la prolongation du mandat de six mois seulement, jusqu’au 15 avril 2017, au lieu de l’habituel un an, afin de réaliser « une évaluation stratégique de la situation en Haïti ». Cependant, Ban a conditionné ce mandat plus court à l’espoir que « le calendrier électoral actuel sera maintenu » de sorte que la « mission d’évaluation stratégique serait déployée en Haïti après le 7 Février 2017 », date à laquelle un nouveau président élu devra être assermenté.

Maintenant, il est peu probable qu’un nouveau président sera inauguré ce jour-là. Après Matthew, le Conseil électoral provisoire (CEP) d’Haïti a reporté indéfiniment les élections du 9 octobre, ce qui aurait impliqué le premier tour des présidentielles et le deuxième tour législatives. Le 12 octobre, le CEP doit annoncer le nouveau calendrier électoral, il est bruit que ce soit le dimanche 30 octobre prochain. Autrement, il pourrait être impossible de tenir deux tours avant le 7 février 2017, alors que des dizaines de milliers d’électeurs potentiels sur la péninsule sud d’Haïti ont sûrement perdu leurs cartes électorales, tout comme de nombreux bureaux de vote – pour la plupart des écoles – doivent être réparés ou complètement reconstruits. En ce sens, l’absence éventuelle d’un président élu serait sûrement utilisée comme une excuse pour l’extension du mandat de la MINUSTAH, malgré que les Haïtiens soient presque unanimement opposés à la présence des troupes qui ont introduit le choléra en Haïti en Octobre 2010.

En ce qui concerne la relation entre la reconstruction et les élections à venir, le lendemain du tremblement de terre est également instructif. En tant que secrétaire d’Etat, Hillary Clinton et l’ancien président Bill Clinton ont pris le commandement de la reconstruction post-séisme en Haïti à travers la Commission intérimaire pour la reconstruction d’Haïti (CIRH), puis le président haïtien René Préval est devenu de plus en plus en désaccord avec Washington. Préval, avec un ressentiment mal voilé, est presque devenu un simple comparse, pendant que les Clinton menaient le bal.

Après un premier tour en Novembre 2010, le CEP avait déterminé que Jude Célestin, le candidat du parti de Préval, irait à un deuxième tour face à la première finissante Mirlande Manigat. Mais Washington est intervenu (Hillary Clinton personnellement, le 31 janvier 2011), ce qui obligea Haïti à rétrograder Célestin en troisième place et mettre Michel Martelly en deuxième position, qui a remporté le deuxième tour Mars 2011.

Est-ce que ca va être le même jeu similaire des puissances tutrices qui pourrait avoir lieu aux  prochaines élections en Haïti, en particulier avec l’élection probable de Hillary Clinton comme le prochain président des Etats-Unis en Novembre?

Ensuite, il y a la question de l’aide alimentaire. De toute évidence, il est nécessaire après la catastrophe de la nourriture dans l’immédiat, comme celle envoyée par le Venezuela. Cependant, dans le passé, Washington a utilisé son aide alimentaire pour écraser et affaiblir la production alimentaire haïtienne locale. En tant qu’ancien employé de CARE, Tim Schwartz a expliqué et documenté longuement dans son livre de 2010 “Le travesti en Haïti: un compte exact des missions chrétiennes, Orphelinats, la fraude, l’aide alimentaire et le trafic de drogue”, le rôle de l’aide alimentaire « n’était pas principalement pour aider les gens, mais à promouvoir les ventes à l’étranger de produits agricoles des États-Unis. Les conséquences ont été dévastatrices à travers le monde ». Il a apporté, avant tout, la ruine des petits agriculteurs haïtiens.« Les Occidentaux voulant aider ne devraient pas supposer qu’il n’y a pas de ressources disponibles pour les Haïtiens dans le pays », a écrit Jocelyn McCalla dans The Guardian le 6 octobre. « Alors que les biens de bienfaisance peuvent apporter un soulagement temporaire, ils peuvent empêcher le recouvrement à long terme dans la mesure où ils peuvent avoir un impact négatif sur l’économie locale ».

En 2010, la plupart de l’aide en cas de catastrophe humanitaire a été canalisée par des organisations non gouvernementales internationales (ONGI), et le résultat a été désastreux. Même la fille des Clinton, Chelsea, a été « profondément troublée » de ce qu’elle a vu sur le terrain, écrit dans un email déclassifié à sa mère que l’ « incompétence est abrutissante », que « les Haïtiens veulent s’aider eux-mêmes et non la communauté internationale  pour les aider à se prendre en main, » parce que « il n’y a pas de responsabilité dans le système des Nations Unies ou d’un système international humanitaire (y compris pour / entre les ONGI) ».

Aujourd’hui, le gouvernement haïtien, dirigé par le président par intérim Jocelerme Privert, tente de prendre le contrôle des efforts et des fonds de secours destinés à la catastrophe, quand seulement 1% est allé aux autorités haïtiennes en 2010. Ainsi, il a créé le Secrétariat Permanent National de Gestion des Risques et des Désastres (SNGRD) à travers lequel tous les secours nationaux et internationaux devraient être canalisés et coordonnés. Quelle sera la réponse de Washington à cette initiative?

Le gouvernement des Etats-Unis n’avait pas agréé cette année la formation de la commission de vérification indépendante créée par le gouvernement de Privert pour enquêter sur les élections de 2015. Privert a tout bonnement résisté à la pression de la puissance tutrice, et la colère est devenue indignation lorsque le CEP de Privert n’a pas respecté la loi électorale et les recommandations de la commission de vérification s’étaient avérées ambigües, sauf pour la reprise des présidentielles de 2015. Washington et l’Union européenne ont déclaré qu’ils refusaient tout soutien financier. Louablement, et quoique à court d’argent, Haïti n’a pas courbé et a réussi à financer les élections par elle-même.

Maintenant, il y a une confusion entre le gouvernement haïtien, ses corollaires locaux et les médias étrangers sur le nombre de victimes mortelles. À ce jour, les médias internationaux ont annoncé que près de 900 personnes ont péri, tandis que la Direction de la protection civile du gouvernement haïtien (DPC) donne un compte national officiel, partiel de 336 morts, 4 disparus et 211 blessés, avec plus de 60.000 personnes dans 191 abris.

« Une fois que les militaires et les journalistes des États-Unis ont commencé à évaluer les dégâts de l’ouragan par un système de comptage de leur propre invention, le nombre de victimes haïtiennes est monté en flèche, et il n’y avait plus aucun rapport sur la façon dont les morts ont rencontré leurs destins », écrit Dady Chéry  le 8 octobre. « En effet, le nombre des morts en Haïti de l’ouragan Matthieu a doublé environ toutes les 12 heures depuis mardi [le 4 octobre] matin et est maintenant estimé à 800 ».

Les  « comptes de victimes devraient être examinés avec soin et avec beaucoup de scepticisme », poursuit Chéry. « D’une part, il ne semble plus avoir une distinction entre les disparus et les morts. Par exemple, les enfants d’un orphelinat effondré sont présumés morts, mais aucune preuve de leur décès n’a été offerte ».

« Il est dans l’intérêt des puissances occupantes de  faire pression sur Haïti à exagérer les coûts humains et matériels de l’ouragan », conclut Chery.

En effet, Washington va probablement utiliser cette dernière crise haïtienne pour faire avancer son propre agenda économique et politique et intimider et saper le président Privert, qui a montré une certaine témérité et de l’indépendance. Après leur expérience des six dernières années, le peuple haïtien est justifié de se méfier des cadeaux apportés par ceux dont les politiques ont toujours miné sa démocratie et sa souveraineté.

En bref, la réponse à la catastrophe de l’ouragan Matthew devrait être dirigée par les Haïtiens, sans pourtant négliger que l’aide désintéressée soit certainement bienvenue.

 

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