Cette semaine, les États-Unis d’Amérique s’en vont célébrer le 238e anniversaire de leur célèbre Déclaration d’Indépendance. « Le 4 Juillet 1776, un petit groupe de patriotes avait déclaré que nous étions un peuple créé égal, libre de penser, de culte et de vivre comme il veut, que notre destin ne serait pas déterminé pour nous, mais par nous », avait déclaré le président américain Barack Obama, lors d’une cérémonie à la Maison Blanche l’année dernière. « A cette époque de l’histoire humaine, il revenait aux rois, aux princes et aux empereurs de prendre des décisions. Mais ces patriotes savaient qu’il y avait une meilleure façon de faire les choses, que la liberté était possible, et que pour obtenir leur liberté, ils étaient prêts à donner leur vie, leur fortune et leur honneur. Et ainsi ils ont fait une révolution ».
Ceci est la version trompeuse de l’histoire des États-Unis que chaque écolier américain apprend. Mais l’historien Gerald Horne a fait exploser ce mythe dans son nouveau livre « La Contre-Révolution de 1776: Résistance des esclaves et les origines des États-Unis d’Amérique », publié il y a deux mois par New York University Press.
« Nous devons comprendre que le 4 Juillet 1776, à bien des égards, représente une contre-révolution », a expliqué le Dr. Horne dans une interview au sujet du livre le 27 juin au cours de son intervention au programme «Democracy Now». « C’est-à-dire que ce qui a contribué à inciter le 4 Juillet 1776 était la perception parmi les colons européens sur le continent nord-américain que Londres était en train de s’orienter rapidement vers l’abolition. Cette perception a été motivée par “le cas de Somerset”, un cas décidé à Londres en Juin 1772 qui semblait suggérer que l’abolition, non seulement allait être ratifiée à Londres elle-même, mais elle allait aussi traverser l’Atlantique pour essentiellement déferler sur le continent [Nord américain], mettant ainsi en péril de nombreuses fortunes construites, non seulement sur la base de l’esclavage, mais sur le commerce des esclaves ».
« On peut dire avec justice que 1776 était une contre-révolution de l’esclavage », écrit le Dr Horne dans son livre.
Il a été noté souvent que les « droits inaliénables » de « la vie, la liberté et la poursuite du bonheur » exigés par le propriétaire d’esclaves et rédacteur principal de la Déclaration d’Indépendance, Thomas Jefferson, ne s’étendaient pas aux 500 000 esclaves africains qui composaient environ 20% des 2,5 millions de personnes vivant dans les 13 colonies séparatistes ; d’autant que les femmes n’y étaient pas impliquées.
Mais le livre du Dr Horne illustre comment cette exclusion n’était pas le résultat d’un simple oubli ou d’une hypocrisie opportuniste. « On peut dire avec justice que 1776 était une contre-révolution de l’esclavage », écrit le Dr Horne dans son livre. « Les défenseurs de soi-disant États confédérés d’Amérique [pendant la guerre civile des États-Unis] étaient loin d’être fous quand ils firent valoir avec passion que leur révolte était conforme à l’esprit animateur et propulseur de 1776 ».
En effet, on comprend mieux le reproche que les pères fondateurs américains ont fait « à leurs frères britanniques » dans leur Déclaration d’indépendance: « Nous les avons avertis de temps en temps des tentatives faites par leur législature pour étendre une injuste juridiction sur nous ». Leur principale préoccupation était que l’esclavage et le commerce des esclaves seraient interdits.
La naissance d’Haïti, le deuxième pays indépendant de l’hémisphère occidental, se trouve à l’opposée de celle de son voisin du Nord. C’était une véritable révolution, qui visait à mettre fin à l’esclavage pour toujours, mais non à la préserver.
La différence est nette. Considérons les paroles prononcées par le général Jean-Jacques Dessalines le 1er janvier 1804 dans la ville des Gonaïves: « Ce n’est pas assez d’avoir expulsé de notre pays les barbares qui l’ont ensanglanté depuis deux siècles ; ce n’est pas assez d’avoir mis un frein aux factions toujours renaissantes qui se jouaient tour à tour du fantôme de liberté que la France exposait à nos yeux. Il faut, par un dernier acte d’autorité nationale, assurer à jamais l’empire de la liberté dans le pays qui nous a vus naître ; il faut ravir au gouvernement inhumain, qui tient depuis longtemps nos esprits dans la torpeur la plus humiliante, tout espoir de nous réasservir. Il faut enfin vivre indépendant ou mourir ».
Malheureusement, l’accumulation primitive du capital par la bourgeoisie nouvellement émergée aux États-Unis à travers ses crimes inhumains a aidé à faire de ce pays la superpuissance qu’elle est aujourd’hui. Comme le Dr Martin Luther King, Jr. a observé: « Nous nous sommes trompés en croyant le mythe que le capitalisme a grandi et prospéré sur l’éthique protestante du travail dur et de sacrifices. Le capitalisme a été construit sur l’exploitation des esclaves noirs et continue de prospérer encore sur l’exploitation des pauvres, à la fois noir et blanc, à la fois ici et à l’étranger ». En outre, le Dr King avait observé que les Etats-Unis « émergeaient du génocide quand ils ont embrassé la doctrine que l’original américain, l’indien, était une race inférieure … Nous sommes peut-être le seul pays qui a tenté, comme une question de politique nationale, d’effacer sa population indigène ; d’autant que nous avons trouvé dans cette expérience tragique comme une noble croisade ».
La naissance d’Haïti se trouve à l’opposée de celle de son voisin du Nord. C’était une véritable révolution…
Contrairement aux pères fondateurs américains, qui ont dénoncé les « sauvages indiens sans pitié » dans leur Déclaration, les esclaves victorieux de l’ancienne colonie française de Saint-Domingue ont renommé leur nouvelle nation «Haïti», le nom original des Arawak pour toute l’île, ce qui signifie «terre montagneuse». Haïti est, en fait, la première nation au monde à défendre véritablement la «liberté, l’égalité, et la fraternité» – les mots d’ordre de la Révolution française – s’opposant par ainsi à l’esclavage et à l’extermination des Amérindiens.
Ces principes fondateurs haïtiens ont privé la nation du grand capital de fortune qui pouvait être extraite de l’exploitation, le vol des terres, et l’agression impérialiste. La pauvreté d’Haïti a été augmentée également lorsque les Etats-Unis ont refusé de reconnaître Haïti pendant six décennies (pareil à l’embargo états-unien visant à étrangler l’île voisine de Cuba, révolutionnaire), ont occupé militairement notre pays pendant 36 ans du siècle passé, auxquels il faut ajouter, plus récemment, plus de dix années d’intervention soutenues par la force de proxy des Nations Unies, la MINUSTAH.
En effet, aujourd’hui, comme également à l’époque de Thomas Jefferson, les États-Unis cherchent à détruire notre révolution de 1804 en faisant de nous à nouveau une colonie d’esclaves. Durant la dernière décennie, les deux principales menées états-uniennes en direction d’Haiti ont été 1) le débarquement d’une armée d’occupation en 2004 et 2) l’intervention jusque dans nos élections souveraines de 2010/2011 pour mettre en place un régime fantoche néo-colonial, celui du président Michel Martelly et de son Premier ministre Laurent Lamothe. Le rôle de Bill Clinton et de ses laquais locaux, actuellement dans le pays, en est la preuve éclatante, puisque leur but étant de faire de nous leurs esclaves dans les zones de misère de libre-échange de la SONAPI, CODEVI, et Caracol et de voler les richesses de notre «terre montagneuse», en particulier les poussières d’or d’une valeur estimée à 20 milliards de dollars laissées derrière par les conquistadors espagnols qui ont anéanti les Arawaks.
Alors, à l’occasion de ce 4 Juillet, il sied que renouvelions notre allégeance à l’appel que le général Dessalines avait lancé à tous les Haïtiens – à la fois nos ancêtres et à nous-mêmes aussi qui vivons aujourd’hui – dans sa déclaration du 1er Janvier 1804: « Prêtez donc entre mes mains le serment de vivre libres et indépendants, et de préférer la mort à tout ce qui tendrait à vous remettre sous le joug ».