
(Première partie)
Depuis l’installation du Conseil Présidentiel de Transition (CPT) de 9 membres en mai 2024, le moins que l’on puisse dire, il n’a jamais fait l’unanimité au sein de la classe politique. Vis-à-vis d’un Exécutif politique, c’est tout à fait normal. En revanche, ce qui l’est moins, c’est l’impasse politique et institutionnelle dans laquelle s’est retrouvée cette structure gouvernementale appelée à gérer le pays depuis cette date. D’après l’Accord politique défini en 2024 depuis la Jamaïque et nommé Accord du 3 avril, il est clairement stipulé que le mandat du Conseil Présidentiel prendra fin le 7 février 2026. Cet engagement implique que les 9 membres dudit Conseil organisent les élections dans les temps afin qu’il puisse avoir une passation des pouvoirs à la date prévue. Selon la feuille de route qui a été élaborée et acceptée par toutes les parties prenantes lors de sa formation et de son installation, il est prévu, entre autres, l’élaboration d’une nouvelle Constitution qui doit être soumise à l’approbation ou non de la population par voie référendaire avant d’entamer le processus électoral devant aboutir aux élections de tous les élus, en principe, avant le 7 février 2026.
Déjà, cette contrainte est une gageure dans la mesure où, depuis le renvoi du Conseil Electoral Provisoire (CEP) de Jovenel Moïse par l’ex-Premier ministre Ariel Henry, il fallait tout reprendre à zéro dans un pays où chaque formation d’un CEP relève d’une prouesse politique et provoque des psychodrames effroyables. Le 7 août dernier, le CPT a procédé à l’installation de Laurent Saint-Cyr, représentant du Secteur privé, comme Président du CPT. Dans le cadre du processus et de l’ordonnancement de cette entité Exécutive collégiale, il est en principe le dernier des quatre Coordonnateurs (Présidents) du CPT et c’est à lui que revient la lourde charge d’organiser les scrutins et de clôturer ce qui devrait être la dernière séquence de cette Transition qui pourrait bien en cacher une autre. Depuis sa prise de fonction, le nouvel homme fort de la Transition ne cesse de démontrer qu’il veut aller vite, trop vite, peut-être pour tenter de récupérer le temps perdu depuis l’installation du CPT. En moins d’une semaine, il a rencontré tout ce qu’Haïti compte d’anciens chefs d’Etat encore vivants.
Tous, pas tout à fait ! Si l’homme du Secteur d’affaires et économique a eu la sagesse et l’idée de consulter les ex-Présidents Jean-Bertrand Aristide, Jocelerme Privert et le général Prosper Avril, il a omis cependant de rencontrer ou contacter officiellement le sulfureux Michel Martelly. Pourtant, suite à l’assassinat du Président Jovenel Moïse, celui-ci est le plus proche prédécesseur de Laurent Saint-Cyr. En excluant le chanteur de Sweet Micky, peut-être qu’il cherche à se mettre à l’abri des critiques inutiles de ses opposants et de ne pas trop attirer l’attention de ses amis de Washington qui, depuis quelque temps, ne digèrent pas trop celui qu’ils avaient bombardé en 2011 chef d’Etat d’Haïti. En tout cas, le pays attend les retombées de ces consultations. Ce qui est certain et confirmé auprès de tous ses prestigieux interlocuteurs, c’est que tous le pressent de mettre fin à cette Transition au plus tard le 7 février 2026, ce dont il est conscient, semble-t-il.

Mais, malgré cette ouverture, Laurent Saint-Cyr et le CPT se trouvent dans l’impasse. Depuis des mois, en effet, une abondance d’organisations et de leaders politiques, pour certains d’anciens soutiens, voire des signataires de l’Accord du 3 avril 2024, ne demandent que le départ du CPT estimant que ce pouvoir a échoué dans sa mission. Tous ou presque proposent de revenir à un Exécutif plus classique, plus proche de la Constitution, c’est-à-dire, un Président et un Premier ministre, afin de sauver la Transition. A quelque chose près, la majorité de ces chefs de partis et des mouvements contestataires suggèrent la formation d’un nouvel Exécutif ayant à sa tête un membre de la Cour de cassation qui nommera un Chef de gouvernement par consensus et qui aura pour seule mission : rétablir la sécurité et organiser les scrutins prévus.
L’ancien et le dernier Premier ministre de Jovenel Moïse, Claude Joseph, dont le parti est signataire de la Déclaration conjointe de la Jamaïque, est l’un des premiers à estimer que le recours à ce haut personnage de l’État demeure la meilleure solution pour sauver la Transition. Avec plus d’une centaine d’organisations et de chefs politiques, l’ex-Chancelier a mis en place, parallèlement à son parti EDE, une nouvelle structure en vue de faciliter la concrétisation de cette ambition qu’est le remplacement du CPT par un juge de la plus haute instance judiciaire du pays. Dénommée Initiative du 24 avril 2025, cette coalition politique se veut être l’alternative au CPT. Un mois après sa création, soit le 20 mai 2025, « Initiative du 24 avril 2025 » avait présenté à l’hôtel Montana, au cours d’une activité publique en vue d’attirer de nouvelles adhésions, un Plan pour la nouvelle gouvernance de la Transition sous la présidence d’un juge de la Cour de cassation.
Le moins que l’on puisse dire, si l’idée d’un magistrat de la haute Cour n’est pas nouvelle dans l’opinion publique, notamment auprès de divers autres acteurs socio-politiques, elle fait son chemin à l’approche de la fin du mandat du CPT. Allant dans cette voie, le responsable de Debout Citoyen, Eslhomme Raymond, ne voit que cette solution. Il est rejoint par les anciens parlementaires Deus Deronneth (ex-député), Jean Renel Senatus (ex-sénateur) et Djina Guillet Delatour, ancienne Coordonnatrice du PNCS (Programme National de Cantines Scolaires) qui se disent inquiets de l’état du pays et de l’incapacité du CPT à combattre l’insécurité, voire à pouvoir organiser des élections au cours de cette année. Face à l’échec du Conseil, eux aussi, optent pour le plus réaliste et le plus consensuel, d’après eux, la Cour de cassation. Sans oublier l’adhésion des organisations du Secteur non alignées à l’Accord du 3 avril que sont : le RDNP, le Congrès National de Ouanaminthe (CNO), Équilibre Démocratique, Alliance pour une gouvernance inclusive et redéfinie (AGIR), etc.

Même l’ancien Premier ministre, Jean-Michel Lapin, qui ne cache plus son ambition présidentielle a exprimé ses grandes préoccupations et appelle à un sursaut national. Et pour y parvenir, l’ex-ministre de la Culture ne voit qu’un seul chemin : la Cour de cassation. Toutes ces personnalités ne sont pas les seules à vouloir tourner la page du Conseil Présidentiel de Transition pour le remplacer par une autre structure exécutive. Le 19 juin 2025, l’organisation appelée « Congrès National de Ouanaminthe pour une Nouvelle Haïti », lors d’une conférence de presse, a dénoncé la corruption qui gangrène le CPT et dit constater l’échec de cet Exécutif. L’un des responsables du bureau du Congrès National de Ouanaminthe, Dr Fritz Bisserethe, a annoncé que, depuis une année déjà, une Résolution avait été adoptée par plusieurs secteurs de la vie nationale et c’est l’option d’un juge de la Cour de cassation qui avait fait l’unanimité et qui avait été retenue pour succéder au Collège présidentiel de 9 membres. « Cela fait déjà trois ans que nous, au sein du Congrès, sommes engagés dans cette initiative pour proposer une alternative viable.
Malheureusement, les dirigeants actuels semblent ignorer que la Constitution contient des articles qui permettent de résoudre la crise que traverse notre pays » avançait Fritz Bisserethe lors de la conférence. Par ailleurs, l’ex-député Serge Jean-Louis qui a toujours été un fervent défenseur de l’option de la Cour de cassation et dirigeant influent du Congrès National de Ouanaminthe estime que l’objectif est d’arriver à doter le pays d’un gouvernement de transition qui serait capable de restaurer la sécurité. Jean-Louis explique que : « Le Conseil Présidentiel de Transition, dès sa création, n’a pas respecté les engagements de l’Accord signé le 3 avril 2024, qui lui conférait pour mission d’organiser des Conférences nationales, de restaurer la sécurité, de mener un référendum et de préparer les élections. Aucun de ces points n’a été respecté. Pire encore, la situation se dégrade chaque jour davantage. Les territoires sont livrés à eux-mêmes, des groupes armés continuent de chasser la population de leurs quartiers, la capitale est déconnectée des villes de province, et les dirigeants ne manifestent aucune volonté réelle de sortir le pays de cette impasse. Dans ce contexte, il n’existe pas d’autre voie que celle proposée par le Congrès qui est la Cour de cassation ».
Cette position rejoint celle de « Chimen Delivrans Ayiti », une organisation luttant, dès le départ du Premier ministre Ariel Henry, pour l’alternative de la Cour de cassation. D’ailleurs, dans cette quasi-unanimité en faveur d’un juge de cette institution, Chimen Delivrans Ayiti met en garde certains qui sont aujourd’hui vent débout pour la Cour de cassation alors qu’ils ont largement contribué à la formule hybride donnant lieu à cet Exécutif pléthorique de 9 Conseillers Présidents. Me Jean Elysée Céliscar, le responsable des Affaires juridiques de cette mouvance sociopolitique, souligne, au cours d’une conférence de presse donnée le jeudi 12 juin 2025 que : « Aujourd’hui, nous constatons que tous les secteurs admettent désormais qu’il n’y a pas d’autre option que la Cour de cassation pour redresser le pouvoir intérimaire. Cependant, nous en profitons pour demander à certaines personnes de rester à l’écart de cette initiative, car, dès le départ, elles ont soutenu l’ancien Premier ministre Ariel Henry. Elles ont également contribué à l’initiative du Conseil Présidentiel de Transition (CPT) et ne sont donc pas dignes de donner le ton à cette démarche ». (À suivre)
C.C