Conseil Présidentiel, de la création au scandale de corruption !

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Les neufs membres du Conseil présidentiel de Transition

(12ème partie)

 

Selon les défenseurs des trois mis en cause dans l’affaire de corruption de la Banque Nationale de Crédit (BNC), seule une Haute cour de justice peut les juger, en sachant naturellement que cette haute juridiction dans le cas actuel n’existe pas à cause, justement, du dysfonctionnement des institutions haïtiennes, notamment le Parlement depuis 2020. Trois semaines avant les fêtes de fin d’année, le Groupe des Eminentes Personnalités de la CARICOM (GEP) avait réuni une grande partie des acteurs de la Transition, notamment les signataires de l’Accord du 3 avril 2024, afin de faire des propositions de sortie de crise, entre autres se fixer sur le cas des trois Conseillers-Président impliqués. La rencontre, il faut le dire, s’était terminée dans le flou dans la mesure où aucun consensus n’avait été trouvé entre les Parties prenantes. Pour s’en sortir, les envoyés spéciaux de la Communauté caribéenne, par une pirouette, leur avaient donné une semaine pour trouver un accord avec le CPT et leur présenter des propositions concrètes.

En fait, c’était une façon pour renvoyer les acteurs à leurs responsabilités. Malheureusement, plusieurs semaines après, les Parties prenantes n’ont jamais pu se mettre d’accord. Me André Michel, un des dirigeants de l’Accord du 21 décembre et soutien de l’ex-Premier ministre Ariel Henry, s’était confié au quotidien Le Nouvelliste le 26 décembre 2024 sur le retard pris dans les discussions « Il y a beaucoup de discussions formelles et informelles entre les Parties prenantes à la suite de la rencontre avec la CARICOM. Si la rencontre du 16 décembre avec la CARICOM a permis aux secteurs de revenir au centre du jeu, maintenant, il appartient aux Parties prenantes de faire preuve de maturité et d’intelligence politique. Les consultations se poursuivent avec des points de consensus et des points de divergence. Pour nous autres de l’Accord du 21 décembre, il y a 3 points qui doivent figurer dans toute proposition sérieuse de redressement : la mise à l’écart des trois Conseillers Présidentiels inculpés qui représentent une menace pour l’avenir du processus, la reconfiguration du CPT, la formation d’un gouvernement de sauvetage national.

Nous espérons que les acteurs parviendront à faire émerger une proposition dominante dans les prochains jours, même s’il y aurait des propositions parallèles ou dissidentes ». Même son de cloche de la part du Collectif 30 janvier qui s’était exprimé par l’entremise de l’un de leurs leaders. En effet, à propos du retard observé dans les pourparlers et les propositions attendues par les autorités de la Caraïbe, Liné Balthazar avait tenté de faire diversion en déclarant à la presse « Les Secteurs qui se rencontrent envisagent de créer une Commission pour travailler sur les propositions demandées par la CARICOM. Si les Secteurs devaient se mettre d’accord sur une proposition à soumettre à la CARICOM avant la Noël, pour le moment, rien n’est encore décidé. Les discussions continuent. Les acteurs s’orientent vers une date avant le 30 décembre. » La vérité, il n’y a jamais eu d’autres rencontres entre les Parties prenantes avant celle du mois de février 2025 et encore moins d’accord sur quoi que ce soit au 30 décembre 2024.

Dans les premiers jours de l’année 2025, le dossier de la Corruption au sein du CPT allait une fois encore susciter l’intérêt des médias, des observateurs politiques et bien sûr de la population. C’est le Président du Conseil Présidentiel de Transition, Leslie Voltaire, qui allait donner, malgré lui, l’occasion de revenir sur l’affaire en inaugurant, le mardi 14 janvier 2025 à la Villa d’Accueil où siègent provisoirement les neuf membres du CPT, ce qu’il avait appelé « Les Mardis de la Nation », une sorte de « Ti koze anba tonel » qu’avait initié le feu Président Leslie Manigat en 1988 au Palais national. Cette grand-messe avec la presse est l’occasion de faire le point en public sur différents dossiers en cours ou réalisés par le pouvoir. Mais, cet exercice pourrait être aussi un piège pour les autorités qui pensent jouer à la transparence aux yeux de la population.

Le professeur Manigat n’a pas eu le temps d’aller loin dans cette expérience. Comme on le sait, il a été vite « viré » par les militaires dont le général Henry Namphy en fut le Commandant en chef. Leslie Voltaire, quant à lui, à cause de la présidence tournante, n’a excellé dans ce show médiatique que quelques mardis. Mais, le premier exercice a été révélateur et une expérience qu’il n’oubliera jamais. En effet, pour sa première édition le 14 janvier, le Lavalassien a été servi par les journalistes qui, en dépit de tout ce que Voltaire voulait mettre en avant sur sa présidence, s’intéresseraient davantage aux accusations de détournement de fonds et de corruption dont les membres du CPT font l’objet. Dès l’ouverture de l’audience des « Mardis de la Nation », le représentant Lavalas au CPT s’est vu bombarder de questions sur la position incompréhensible de la présidence collégiale concernant : Smith Augustin, Louis Gérald Gilles et Emmanuel Vertilaire.

Une succursale de la Banque Nationale de Crédit

Embarrassé, Voltaire bégayait et n’avait rien voulu répondre en préférant se réfugier derrière un article de la Constitution n’ayant rien à voir avec le sujet. En effet, pour écarter d’un revers de main la question sur la corruption et le détournement de fonds, il a préféré faire l’amalgame entre la stratégie de l’État sur la sécurité et l’exigence de transparence de l’État envers ses citoyens. Pour se faire, il a tiré l’article 40 de la Constitution stipulant « L’obligation est faite à l’État de donner publicité par voie de presse, parlée, écrite et télévisée à tout ce qui touche à la vie nationale, exception faite pour les informations relevant de la Sécurité nationale » souligné par nous. Sur ce, le Président du CPT a refusé catégoriquement de répondre clairement aux accusations. Après cette sortie en touche du Coordonnateur du Collège présidentiel, certains avaient compris que le CPT ne tranchera jamais dans ce dossier, laissant alors à l’institution judiciaire de décider sur le sort des 3 Conseillers accusés.

Rappelons que le dossier avait été transmis au Commissaire du Gouvernement près du Tribunal de Première instance de Port-au-Prince, Frantz Monclair, le vendredi 17 janvier 2025 afin qu’il puisse faire son réquisitoire définitif pour qu’enfin le juge instructeur présente son ordonnance définitive. Le 15 janvier 2025, Patrick Laurent, avocat au Barreau de Port-au-Prince, par crainte sans doute que l’affaire ne soit classée sans suite, avait même suggéré une solution qui arrangerait dans un premier temps tous les protagonistes du dossier. Il suggérait que le juge de la Cour d’appel qui devait statuer sur le recours des trois mis en cause, notamment Emmanuel Vertilaire, penche pour un sursis. Une décision provisoire, le temps que Louis Gerald Gilles, Emmanuel Vertilaire et Smith Augustin ne soient plus Conseillers Présidentiels. Intervenant dans l’émission Panel Magik le mercredi 15 janvier 2025, l’homme de loi avait développé avec force détails son argument justifiant cette précaution. « Si la Cour d’appel juge que le tribunal était incompétent, car la personne en cause était investie des prérogatives présidentielles, on ne pourra jamais poursuivre ces Conseillers Présidentiels et éventuellement d’autres Présidents à l’avenir. En revanche, si la Cour d’appel juge que le tribunal est compétent, cela reviendra à dire que même un Président pourra être poursuivi. Il serait plus sage de la part de la Cour d’appel d’opter pour un sursis. Dans ce cas, la Cour constaterait que le cabinet d’instruction est compétent pour entendre les Conseillers Présidentiels pour les faits reprochés. Toutefois, vu leur fonction, la Cour d’appel fera le constat d’un empêchement légal à leur poursuite et ordonnera un sursis à l’instruction jusqu’à ce que cet empêchement arrive à terme.

Par cette décision, les concernés resteront inculpés jusqu’à ce qu’ils soient aptes à se présenter au juge instructeur. Si la Cour d’appel donne gain de cause à l’appelant, le tribunal ne sera plus apte à juger l’affaire. Ce jugement est définitif, à moins d’une décision de la Cour de cassation » expliquait avec clairvoyance et en bon connaisseur du droit Me Patrick Laurent.  Un mois plus tard, soit le mercredi 19 février 2025, le verdict de la Cour d’appel de Port-au-Prince tombe : les Conseillers-Présidentiel Smith Augustin, Emmanuel Vertilaire et Louis Gérald Gilles ne peuvent être poursuivis devant les tribunaux de droit commun.

L’arrêt de la Cour d’appel va encore plus loin. Il qualifie d’inconstitutionnels les mandats de comparution décernés en décembre 2024 par le juge instructeur Benjamin Félismé contre les trois accusés. Les intéressés sont-ils sortis d’affaire pour autant avec ce verdict à l’apparence favorable à leur demande après l’annulation de mandats de comparution ? Pas si sûr. Puisque le même arrêt dudit Cour d’appel réclame que le juge Benjamin Félismé poursuivre l’instruction dans le cadre de cette affaire. En fait, selon tous les spécialistes de droit, par la manière dont l’arrêt est énoncé, il s’agit d’un piège pour les intéressés, sinon le « sursis » qu’avait indiqué Me Patrick Laurent quelques semaines plus tôt. D’après différents avocats, les trois accusés auraient mieux fait de se rendre maintenant devant le juge d’instruction avant de perdre ce soi-disant statut ou immunité présidentiel qui les confère une sorte de bouclier constitutionnel très précaire.

Les trois Conseillers Présidentiels : Smith Augustin, Emmanuel Vertilaire et Louis Gérald Gilles sont toujours des inculpés dans le cadre de l’affaire CPT-BNC.

D’après leurs analyses, les juges, quels qu’ils soient, ne feront aucun cadeau à aucun d’entre eux le jour où ils ne seront plus couverts par ce parapluie présidentiel surtout qu’aux yeux de la communauté nationale, ils demeurent inculpés dans une affaire de corruption d’État et sous le coup d’accusation de détournement de fonds du Service d’Intelligence Nationale (SIN). Libérés du joug de la justice ? Pas vraiment ! Dans la mesure où la quasi-totalité des organisations de la Société civile a critiqué vertement cette décision que ces entités qualifient de cadeau fait aux corrupteurs et aux corrompus et un très mauvais coup porté à la lutte contre la corruption en Haïti. Dès que le verdict était rendu public, divers secteurs ont manifesté leur regret et leur mécontentement. C’est le cas de l’organisation de Pierre Espérance, le Réseau National de Défense des Droits Humains (RNDDH) qui n’a pas tardé à réagir par l’intermédiaire de l’une de ses dirigeants, madame Rosy Auguste Ducéna estimant que le dossier n’est pas clos.

Elle a fait remarquer que l’arrêt laisse tout de même une porte ouverte pour la poursuite du dossier sans oublier de parler de collusion entre le pouvoir judiciaire et la politique. Selon cette responsable, il y a eu tractation entre les trois accusés et le Commissaire du Gouvernement près de la Cour d’appel. En tout cas, ses déclarations le vendredi 21 février 2025 sur Magik9 ne laissent aucun doute sur sa colère par rapport à ce verdict qui, pour autant, ne met pas à l’abri : Louis Gérald Gilles, Emmanuel Vertilaire et Smith Augustin, d’une condamnation dans le futur pour corruption. « Nous estimons que l’arrêt de la Cour d’appel de Port-au-Prince est une décision de lâcheté car cette décision est loin d’aider dans la lutte contre la corruption dans l’Administration publique.

Nous nous sommes attendus à une décision de courage, où la Cour allait soutenir que les charges retenues contre ces messieurs : abus de pouvoir, sollicitation de pot-de-vin, corruption passive n’avaient rien à voir avec l’exercice de leur fonction et d’ordonner la poursuite des instructions dans le respect des garanties judiciaires de toutes les parties impliquées. Il y a eu des rencontres secrètes entre le Commissaire du Gouvernement près la Cour d’appel de Port-au-Prince, Claude Jean, et les trois Conseillers Présidentiels inculpés, bien avant le début de l’audience. L’arrêt de la Cour d’appel de Port-au-Prince vient perpétuer l’idée selon laquelle celui qui occupe une haute fonction dans l’État peut commettre des crimes de droit commun ou des crimes financiers sans être inquiété en raison de sa fonction. 

Cette décision rétrograde est contre-productive dans la lutte contre la corruption » a balancé sans se retenir Rosy Auguste Ducéna. Après cette charge contre les mis en cause, d’autres acteurs se sont prononcés mais de manière plus juridique. Et dans ce cadre, l’on retrouve l’avocat Patrick Laurent qui revient à la charge le 25 février 2025 pour dire sa compréhension de la décision de la Cour d’appel. Il persiste à dire que les autorités judiciaires n’ont pas classé le dossier, loin de là d’après lui, puisqu’elles ne se sont pas prononcées sur le fond mais sur la forme, c’est-à-dire, elles se sont prononcées uniquement sur le statut juridique des Conseillers Présidentiels.

A aucun moment la Cour d’appel ne s’est prononcée sur la non culpabilité des trois accusés, donc il laisse la place pour que le juge instructeur reprenne le dossier dès que les membres du CPT redeviennent des citoyens comme les autres. C’est le fameux « sursis » qu’il avait préconisé. Et Me Patrick Laurent s’en explique « La décision de la Cour d’appel de Port-au-Prince, dans l’affaire des membres du CPT dans le dossier de corruption à la BNC, se présente comme un « sursis » à l’égard du mandat de comparution du juge instructeur. La Cour d’appel n’a pas tranché sur la compétence de la juridiction. Le mandat peut reprendre effet une fois que les membres en question ne jouissent plus de leur statut de Conseiller-Présidentiel. Les trois Conseillers Présidentiels : Smith Augustin, Louis Gérald Gilles et Emmanuel Vertilaire sont toujours des inculpés dans le cadre de l’affaire CPT-BNC. Ils resteront inculpés jusqu’à ce qu’une ordonnance de clôture les renvoie hors des liens de l’inculpation » avançait-il le mardi 25 février 2025 sur Panel Magik.

Comme l’on peut remarquer, si les trois membres du Conseil Présidentiel de Transition crient victoire après cette décision de la Cour d’appel de Port-au-Prince et même si le Commissaire du Gouvernement auprès de celle-ci, Claude Jean, n’avait pas fait appel de cet arrêt, au moment d’écrire ces lignes, le moins que l’on puisse dire, tout n’est pas joué pour les accusés qui, en réalité, bénéficient d’un simple « sursis », le temps sans doute de démontrer que le moment judiciaire ne s’accorde jamais avec le moment politique au demeurant plus court. En attendant une démission volontaire ou forcée des trois mis en cause, peut-être avec l’arrivée du nouveau Président du CPT en la personne de Fritz Alphonse Jean depuis le 7 mars 2025, la question qu’on entend partout c’est qui sortira vainqueur de ce bras de fer à rebondissement ressemblant à une équation à multiples inconnues ?

Avec un Smith Augustin qui refuse de démissionner alors même que son parti a déjà envoyé le nom de son remplaçant à la CARICOM, suivi d’un Louis Gérald Gilles qui lui aussi n’entend pas abandonner son poste quand son cabinet laisse entendre que « Les membres du secteur de l’Accord du 21 décembre qui cherchent à remplacer le Dr Gilles n’ont pas les moyens de leur politique. Louis Gérald Gilles n’entend pas démissionner. » Enfin, Emmanuel Vertilaire soutenu par un Jean-Charles Moïse et son parti Pitit Dessalines qui ne veulent pas perdre la poule aux œufs qu’est le CPT en perspective des élections à venir, on craint que cette énième Transition ne passe en perte pour le grand nombre et en profit pour une minorité (zwit) ne se souciant que de ses intérêts et de son camp. Pendant que Haïti continue à être la risée du monde en quémandant de l’aide militaire extérieure pour combattre l’insécurité et du financement pour enrichir une classe politique corrompue et incapable. Une impasse pour la population ! (Fin)

 C.C

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