Garry Conille, les raisons de son limogeage !

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Le Conseil Présidentiel de Transition, par une « Résolution » signé par 8 Conseillers sur 9, a mis fin aux fonctions du Premier ministre Garry Conille le 8 novembre 2024

(Dernière partie)

Garry Conille, totalement aveuglé par les lustres du pouvoir et pris dans l’euphorie du succès de son « Forum citoyen » du week-end du 2 novembre, et suite à l’écho dans la presse de son discours programme pour la Transition, va enfoncer le clou le mardi 5 novembre 2024 par une nouvelle correspondance qu’il a adressée directement à Leslie Voltaire. Dans cette énième et dernière missive en tant que Premier ministre, il devait faire un cours de droit constitutionnel et administratif au Président du CPT sur la Transition en lui indiquant la marche à suivre tout en s’appuyant sur l’Accord du 3 avril 2024 comme base juridique et légale. Ce pourquoi, selon lui, il s’opposait à un remaniement qui n’apporterait rien si la présidence continue d’ignorer certains faits. Inspiré comme personne, le Premier ministre posait en toute clarté ses conditions en commençant par réclamer la tête des trois membres du CPT sous le coup d’une inculpation pour corruption.

Pour Carry Conille, cette question n’était pas négociable. Le départ de Smith Augustin, Emmanuel Vertilaire et Louis Gérard Gilles du CPT est un préalable à toute acceptation d’un remaniement ministériel comme Leslie Voltaire et ses collègues du CPT l’entendaient. Si le discours de Kenscoff était un message politique dans le but d’attirer la sympathie de la population, sa lettre à Leslie Voltaire en date du 5 novembre 2024 n’est autre qu’une tentative de prise du pouvoir de manière déguisée en se basant sur l’Accord du 3 avril qui, en vérité, n’était pratiquement plus d’actualité dans la mesure où aucun des signataires dudit Accord n’a prise sur le Conseil Présidentiel de Transition ni d’ailleurs sur la Primature.  En tout cas, dans sa lettre, Garry Conille cherchait à mettre Leslie Voltaire au pied du mur quand il lui demandait publiquement et ouvertement de trancher et de se positionner sur le cas des trois Conseillers-Président impliqués dans l’affaire de la BNC.

En lisant un extrait de ce courrier, l’on comprendrait mieux ce qui motivait Conille surtout combien il était naïf dans sa confrontation avec l’organe qui a autorité de nomination donc aussi de révocation. « Monsieur le Président du Conseil Présidentiel de Transition, lorsque nous avons accepté la responsabilité de diriger cette transition, nous l’avons fait en sachant qu’elle nécessiterait de grands sacrifices personnels, pour nous-mêmes et pour nos familles. Nous avons embrassé ce défi immense parce que nous avons vu en lui une occasion unique de changer le cours de notre histoire, d’éviter l’abîme, et de tracer pour Haïti la voie de la stabilité, de la sécurité et d’élections crédibles. Ce sont là les fondations qui guident nos actions, les principes que nous devons à notre peuple et à notre patrie. Il y a eu des consultations approfondies avec toutes les parties prenantes de l’Accord du 3 avril et avec les différents secteurs de la vie nationale. Après ces rencontres, il ressent avec encore plus de conviction la nécessité de revenir à cet accord historique, qui reste l’épine dorsale de notre transition. Nous devons réaffirmer notre engagement envers ces principes chèrement acquis, qui demeurent la seule source de légitimité de ce processus.

Je crois, par exemple, qu’il est impératif que les secteurs retrouvent leur place légitime en tant qu’influenceurs centraux de cette trajectoire politique. C’est uniquement à travers leur pleine implication que nous pourrons éviter les erreurs du passé et construire une transition réussie, porteuse d’espoir pour le peuple haïtien. Je vous exhorte donc, Monsieur le Président du Conseil Présidentiel de Transition, à convoquer sans plus attendre l’Assemblée des Secteurs et à publier officiellement l’Accord du 3 avril. Cela enverrait un signal fort de la volonté de l’Exécutif de demeurer fidèle à ses engagements. Je propose également que le Conseil des ministres adopte d’urgence la version de l’OCAG, soutenue par la société civile, afin que cette structure puisse voir le jour dans les meilleurs délais. Le changement de certains ministres en dehors des cadres constitutionnels et des dispositions de l’article 8 de l’Accord du 3 avril, ne saurait suffire à résoudre les terribles défis auxquels notre nation est confrontée.

Un tel changement n’allégerait pas la souffrance des 700 000 personnes déplacées internes, n’apaiserait pas le désespoir des 5,5 millions de personnes en insécurité alimentaire, ni la frustration des sans-emploi, ni encore la colère des communautés aux prises avec la violence des gangs. A la place d’un remaniement du gouvernement, ce qui pourrait être une véritable promesse de changement transformateur, c’est de restaurer la crédibilité de ce processus. Montrons au peuple haïtien que nous, dirigeants de cette transition décisive, sommes capables de dépasser nos egos et nos intérêts personnels pour nous unir et concrétiser les promesses vitales de cette mission. Le peuple haïtien mérite un signe clair de votre part, Monsieur le Président, concernant la position du Conseil Présidentiel de Transition (CPT) sur les trois Conseillers mis en cause par la justice et les mesures que vous proposez pour aborder cette question conformément à l’article 2 du Décret portant création du Conseil Présidentiel de Transition et aux articles 3 et 33 du Décret déterminant l’organisation et le mode de fonctionnement du CPT.

Il me semble que le peuple attend avec impatience cette étape cruciale. Une position claire du CPT sur ce sujet est indispensable pour progresser dans le travail essentiel que nous devons accomplir ensemble, y compris un remaniement ministériel dans un cadre d’inclusion et de transparence. Nous devons transcender nos propres limites. Je suis prêt à le faire et à travailler main dans la main avec vous pour le bien du peuple haïtien. Nous pouvons et nous devons faire mieux pour notre Nation, en nous unissant humblement autour de cette responsabilité historique. Nos compatriotes ne méritent rien de moins » lettre de Garry Conille du 5 novembre 2024 à Leslie Voltaire. Dès que la lettre du Premier ministre avait commencé à circuler sur les réseaux sociaux et dans la presse, certains dans la capitale commençaient à parler de baroud d’honneur, ultime combat d’une guerre perdue pour Garry Conille. Pourtant, le locataire de la Primature continuait d’ignorer l’évidence. Pire, son entourage et sa garde rapprochée l’encourageaient dans cette séquence de fou.

Tous, comme lui, imaginaient que l’Oncle d’Amérique, le Core Group, bref le « Blanc », ne laissera pas tomber le « Neveu ». A la réception de cette correspondance au vitriole sur le plan politique, marquée par ailleurs d’insubordination et laissant apparaître la volonté du chef du gouvernement de ne pas obéir à la présidence, Leslie Voltaire, dans un sursaut d’orgueil et d’autorité, convoque Garry Conille pour le lendemain pour une énième explication. Mais, en réalité, pour lui signifier qu’il allait être démis de ses fonctions. Comme on l’imaginait, la rencontre s’est révélée très tendue avec un Premier ministre plein de prétention, voire arrogant, habité par l’idée qu’il ne pouvait perdre devant Leslie Voltaire, selon une source de la présidence qui a vu un Conille totalement hors sol, vivant dans un autre monde. Insouciant, jusqu’à l’ultime moment, Garry Conille ne croyait pas une seconde et ne pensait toujours pas qu’il allait être mis à la porte de la Primature. Il faisait confiance à ses soutiens de l’étranger, ceux qui l’avaient adoubé et le comblaient de promesses pour la réussite de la Transition. Jusqu’au dernier moment, il pensait à un retournement de situation.

Garry Conille a quitté le pays juste après son limogeage

C’est plus fort que lui! La Communauté internationale, notamment Washington et Paris, ne laisseront pas faire le Conseil Présidentiel de Transition, surtout embourbé dans le scandale de la corruption auquel trois d’entre eux sont impliqués jusqu’au cou. Mais, la réalité politique est toute autre. On connaît l’adage : les Etats n’ont pas d’amis mais des intérêts. Garry Conille, trop confiant et trop lié à ses géniteurs extérieurs, a été tout naturellement sacrifié sur l’autel de la raison et de la realpolitik. Dans la matinée du vendredi 8 novembre 2024, les médias de la capitale ne parlaient plus au conditionnel de la « Résolution » même si, par éthique professionnelle, ils tenaient à attendre l’officialisation de la nouvelle. Car, en dépit d’un conflit touchant à son paroxysme, le commun des mortels, y compris d’ailleurs les observateurs politiques haïtiens les plus avisés et grands connaisseurs du fonctionnement du système politique haïtiens, demeurent prudents.

Ce d’autant plus que la classe politique en général ne semble pas non plus admettre que Leslie Voltaire et ses compagnons de la présidence tenteront le coup par peur de représailles de Washington et du reste des « amis » de Garry Conille aux Nations-Unies. Le matin du vendredi 8 novembre 2024, Magik9 était allé chercher un ancien Président de la République pour commenter la crise de confiance et le conflit ouvert entre les deux têtes de l’Exécutif. Il s’agissait de l’ex-Président provisoire Jocelerme Privert. Ancien sénateur, ancien Président de l’Assemblée Nationale, fin connaisseur du système. D’emblée, Privert posait le décor en appelant les protagonistes à arrêter les frais. « Il faut cesser toute cette chamaillerie au sommet de l’Etat » disait-il avant d’enchainer « Ce qui manque aux deux têtes de l’Exécutif qui se chamaillent, c’est un minimum de sagesse et d’humilité pour comprendre que les intérêts supérieurs de la nation doivent transcender sur les petites querelles de chapelle. 

Il est temps de cesser les chicaneries inutiles et d’aborder les véritables enjeux de la nation. La cohabitation entre un Président et un Premier ministre est clairement établie dans l’article 136 de la Constitution. Les responsabilités de chacune des têtes de l’Exécutif sont clairement fixées par des dispositifs de la Constitution. Il n’y a pas de subordination du Premier ministre par rapport au gouvernement. Les Premiers ministres ne sont pas des subordonnés du Président de la République. Cependant, le Président a le droit de regard sur le fonctionnement des institutions. Il est le garant de la bonne marche des institutions. Le Président doit pouvoir rencontrer les hauts fonctionnaires en dehors de toute contrainte, quelle que soit sa nature. La Transition doit impérativement cesser pour que les défis de la société puissent être abordés par des autorités légitimes librement choisies par le peuple à travers des élections honnêtes et démocratiques ».

Dans l’après-midi de ce même vendredi 8, la nouvelle est enfin officielle. Le Conseil Présidentiel de Transition, par une « Résolution » signé par 8 Conseillers sur 9, a mis fin aux fonctions du Premier ministre Garry Conille et a nommé pour lui succéder le citoyen Didier Alix Fils-Aimé. Mis devant le fait accompli, Garry Conille a été pris de court. Il ne s’y attendait visiblement pas malgré plusieurs signaux d’alerte émis à son encontre par le Président du CPT, Leslie Voltaire, qui avait juré de se venger de l’affront subit à New-York lors de la 79e Assemblée générale des Nations-Unies. Dans un premier temps, Conille a tenté de contester sa révocation par deux moyens. D’abord, il a encore écrit une longue lettre, cette fois à l’intention de la population, pour expliquer par A+B que cette décision du CPT est contraire à la Constitution et à l’Accord du 3 avril 2024. Pour l’histoire, nous publions un extrait de cette lettre dans laquelle le Premier ministre Garry Conille contestait la décision du CPT qualifiée de coup de force. « Cette « Résolution », prise en dehors de tout cadre légal et constitutionnel, soulève de sérieuses préoccupations sur sa légitimité et ses répercussions sur l’avenir de notre pays. Je tiens d’abord à souligner que cette décision contrevient directement à la fois à la Constitution et aux textes qui régissent la période de Transition.

L’article 158 de notre Constitution stipule que le Premier ministre est responsable devant le Parlement, et que seule une démission ou une motion de censure du Parlement peut entraîner la fin de ses fonctions. En aucun cas, le Conseil Présidentiel, même dans le cadre de ses fonctions transitoires, ne peut se substituer au Parlement ni exercer un pouvoir qui ne lui a pas été attribué. De plus, bien que le Conseil Présidentiel ait la prérogative de nommer le Premier ministre, aucun texte légal ne lui confère le pouvoir de le renvoyer. L’Accord du 3 avril et le Décret du 27 mai 2024, qui organisent la Transition, définissent clairement les procédures de gouvernance, mais ils ne permettent en aucune manière au Conseil de mettre fin unilatéralement aux fonctions du Premier Ministre. L’article 37 du décret, qui régit l’organisation et le fonctionnement du Conseil Présidentiel de Transition, est explicite « En cas de déficit de gouvernance documenté et présenté par l’Organe de Contrôle de l’Action Gouvernementale (OCAG), le Conseil Présidentiel de Transition met fin aux fonctions du Premier Ministre par la présentation de sa démission ».

Par conséquent, la décision du CPT, prise en dehors de ce cadre, constitue un abus de pouvoir et une forfaiture qui porte atteinte aux principes fondamentaux de notre démocratie ». Vu que rien ne s’est passé, la population étant restée indifférente à son éviction de la Primature, et que, malgré son cri dans le désert, même ses amis de Washington et de New-York ont gardé un silence complice qui en dit long sur l’amitié qu’ils lui portent, Conille s’était retourné cette fois vers le Directeur général de la Presse Nationale, Ronald Saint-Jean, en lui demandant par courrier en date du 10 novembre 2024 de désobéir aux ordres de la présidence, en clair, de ne pas publier la « Résolution » dans le journal officiel Le Moniteur. « (…) Considérant l’article 150 de la Constitution ne conférant au Président de la République que ceux que lui accordent la Constitution et les lois ; Considérant l’article 2 du décret du 10 avril 2024, créant le Conseil Présidentiel de Transition et l’article 151 et 37 du Décret du 23 mai 2024 portant l’Organisation du Conseil Présidentiel de Transition.

Considérant le principe de la légalité des actes administratifs, principe essentiel du fonctionnement de l’État de droit ; Considérant que la Résolution du Conseil Présidentiel de Transition, prise au mépris des textes visés, est manifestement entachée d’illégalité. Considérant que la publication des actes officiels au journal officiel, Le Moniteur, s’effectue sous la responsabilité du Gouvernement ; Pourquoi, je, Garry Conille, Premier ministre, vous enjoins de ne pas publier la résolution prise par le Conseil Présidentiel de Transition pour mettre fin aux fonctions du Premier ministre (…) Dr. Garry Conille. » Là aussi, ce fut un échec. Non seulement le Directeur Ronald Saint-Jean ne lui a pas répondu, mais la « Résolution » a été publiée dès le lundi 11 dans un numéro spécial du journal officiel Le Moniteur N° 57 confirmant le limogeage du Premier ministre et la nomination de son successeur dans la même « Résolution ».

C’est après la parution de cette publication que Garry Conille avait enfin compris qu’il n’était plus l’homme de la conjoncture et que sa séquence politique était belle et bien terminée. Constatant que sa tentative de résister était vaine, nulle et non avenue, il a fini par jeter l’éponge pour de bon par un tweet publié sur son compte X le mardi 12 novembre 2024 dans lequel il a donné le Clap de fin en tournant lui-même la page de ces quatre mois passés à la tête du gouvernement intérimaire d’Haïti en écrivant ceci « Je prends acte de la nomination de Alix Didier Fils-Aimé en tant que Premier ministre de la République d’Haïti et lui adresse mes voeux de réussite dans l’accomplissement de cette mission. Dans ce moment crucial, l’unité et la solidarité sont essentielles pour notre pays. Vive Haïti ! »

(Fin)

 

C.C

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