Conseil Présidentiel, de la création au scandale de corruption !

0
164
De gauche à droite Louis Gérald Gilles, Smith Augustin et Emmanuel Vertilaire

(7e partie)

 

(…) « La même décision a également été prise contre le Consul Lonick Léandre qui a effectué des achats totalisant la somme de cinq cent quarante-six mille neuf cent vingt et une gourdes et 60/100 (546,921.60 gourdes), et aucun remboursement n’a été fait. Quant à l’ancien juge d’instruction Emmanuel Vertilaire, il a, en deux jours, soit entre le 1er et le 3 juin 2024, effectué cinq achats totalisant la somme d’un million soixante-dix-huit mille deux cent vingt-cinq gourdes et 61/100 (1,078, 225.61 gdes). Tandis que Louis Gérald Gilles, entre le 1er juin et le 4 août 2024, a effectué des dépenses à partir de sa Carte de crédit BNC totalisant la somme d’un million vingt-sept mille trois cent trente-six gourdes et 82/100 (1, 027,336.82 gourdes). Il n’a fait qu’un seul remboursement de cinquante-cinq mille sept cent gourdes (55,700.00) le 2 août 2024. Les Conseillers Emmanuel Vertilaire et Louis Gérald Gilles ont commencé à faire de faibles versements à la BNC dès le lancement de l’enquête.

Les dépenses effectuées avec une telle diligence par ces membres du CP laissent déduire qu’il a été effectivement convenu que le remboursement des transactions faites à partir de la Carte de crédit se fera par Raoul Pascal Pierre-Louis. En acceptant l’offre de M. Pierre-Louis, les membres du CPT ont abusé de leurs fonctions et sont coupables de versement de pots-de-vin et de corruption passive, faits prévus et punis par les dispositions des articles 5.5, 5.6 et 11 de la loi du 12 mars 2014 portant prévention et répression de la corruption (…) » avait écrit la Commission d’enquête de l’ULCC dans le Rapport. Mais, comme nous l’avons signalé plus haut, cette affaire a également révélé les-dessous du gaspillage financier de l’État haïtien à travers ses dirigeants dans un moment où la population peine à survivre face aux différentes crises sociales et politiques que le pays traverse.

Lors de son audition, en effet, le Conseiller Smith Augustin avait été très bavard et ne s’était pas embarrassé pour donner des chiffres en énumérant ses différentes rentrées d’argent du fait, selon lui, du privilège d’être Conseiller-Présidentiel. Devant des enquêteurs ébahis, l’ancien ambassadeur d’Haïti en République dominicaine devait déclarer qu’en additionnant salaire et autres frais faisant partie des privilèges de la fonction, le montant s’élève à plus de 25 millions de gourdes mensuellement. Durant un cours instant, les fonctionnaires de l’ULCC croyaient à une plaisanterie de mauvais goût connaissant le salaire moyen d’un haïtien, surtout dans cette conjoncture où la grande majorité a le plus grand mal à joindre les deux bouts. Pourtant non ! Il s’agit bien de la réalité. Smith Augustin ne se moquait pas d’eux, il disait seulement la vérité sur une situation absurde. C’est en comptabilisant toute une série de frais et d’autres rentrées annexes relatives à son statut de Conseiller-Président qu’il a abouti à tant d’argents sur un mois. Le membre du Conseil Présidentiel de Transition souligne pour les enquêteurs que chacun de ses collègues, il y en a neuf, y compris lui perçoit : « Un salaire de deux cent vingt mille gourdes (220,000.00 HTG) ; un (1) chèque représentant un tiers (1/3) du salaire comme frais de fonctionnement ; des frais de résidence de quatre cent mille gourdes (400,000.00 HTG) ; des frais d’intelligence pour la présidence de vingt-cinq millions de gourdes mensuels (25,000,000.00 HTG/mois) ; une Carte prépayée qui devrait être entre quatre cent mille et cinq cent mille gourdes (entre 400,000.00 et 500,000.00 HTG); un bon de carburant de deux cent cinquante mille gourdes (250,000.00 HGT) ; une Carte de recharge téléphonique de vingt mille gourdes (20,000.00 HTG) » avait-il comptabilisé à la Commission. Suite à la publication du Rapport, chacun des accusés cherchait à se défendre en rejetant d’un revers de main tout ce que contient le document qui a été remis au Commissaire du gouvernement pour suite judiciaire. Accusés de corruption passive et d’abus de fonction, la presse s’était empressée pour avoir leur avis et surtout leur demander si dans de telles conditions, ils étaient prêts à démissionner afin de mieux se défendre. La réponse des trois Conseillers a été sans appel : NON.

Ils ne comptaient pas faire ce cadeau, selon eux, à ceux qui veulent la fin du CPT. Louis Gérard Gilles, tout comme Emmanuel Vertilaire qui ont été tout au début du scandale très discrets, finissent par monter au créneau. Le jeudi 3 octobre 2024, dans les colonnes du quotidien Le Nouvelliste, Gérald Gilles répond par moquerie au Directeur de l’ULCC qui réclame la poursuite judiciaire à leur encontre, tout en justifiant, lui aussi, le salaire mirobolant qu’il perçoit et les frais qui l’accompagnent « Je tiens à féliciter le Directeur de l’ULCC pour ce Rapport administratif, car effectivement, ce Rapport est vide. Je pense que ce Rapport est avant tout un document politique biaisé, mal construit et orchestré par certains secteurs qui cherchent à s’accaparer du pouvoir. Ce rapport est le reflet d’un totalitarisme grimaçant qui frappe à nos portes, menaçant nos institutions et nos valeurs démocratiques.

Un élément particulièrement troublant réside dans le fait que des conversations impliquant d’autres personnes avec Raoul Pierre Louis sont incluses, alors que ces individus n’ont jamais été entendus par l’ULCC. Cela soulève de sérieuses questions quant à la légitimité et à l’intégrité de l’enquête. Qu’une Carte de crédit n’est pas un cadeau. Toutes les personnalités occupant des fonctions importantes au sein de l’État ou dans le secteur privé, que ce soit en Haïti ou dans les grandes nations, sont régulièrement sollicitées par les banques pour obtenir des Cartes de crédit ou d’autres privilèges. Cela fait partie des avantages courants liés à leur statut et ne constitue en aucun cas un acte de corruption. Il est important de souligner que ce Rapport semble davantage être dirigé contre le Président de la Banque Nationale de Crédit (BNC), Raoul Pierre Louis, plutôt que contre les Conseillers Présidentiels. Cette orientation politique pose des questions sur l’intention réelle derrière cette enquête. Nous faisons face à une tentative de manipulation à des fins politiques, dont l’objectif ultime est d’éliminer le Conseil Présidentiel de Transition (CPT). Cette démarche vise à fragiliser et discréditer cette institution pour ouvrir la voie à des ambitions totalitaires. »

Le Consul Lonick Léandre

C’est aussi l’avis et l’angle de défense du représentant de EDE/RED et Compromis historique quand on lui demande ce qu’il allait faire face à ces graves accusations et la décision de l’ULCC de l’envoyer devant la justice en compagnie de ses deux collègues. Comme Gérard Gilles, Smith Augustin se prononce contre toute démission en laissant entendre qu’il avait chargé ses avocats de conduire sa défense. En effet, le jeudi 3 octobre 2024, l’un des avocats de Smith Augustin expliquait sur radio Magik9 qu’aucun des mis en cause n’était pour le moment poursuivi par la justice. Selon Me Patrick Laurent, il ne faut pas mettre la charrue avant les bœufs. A l’entendre, cela prendra du temps, beaucoup de temps avant qu’il y ait un hypothétique procès, voire condamnation. « Ils ne sont ni prévenus, ni inculpés, ni accusés. Ils ne sont que des suspects qui ont des charges qui pèsent contre eux et ils font l’objet de possibles poursuites. Le Rapport de l’ULCC représente une information préliminaire qui sera transmise au Commissaire du gouvernement pour analyse.

Ce dernier aura alors plusieurs options : saisir les juridictions de jugement, les juridictions d’instruction, ou encore décider de classer le dossier sans suite. Ce Rapport de l’ULCC n’a ni valeur contraignante ni force probante. Le Rapport de l’ULCC est une forme d’information préliminaire qui sera transmise au Commissaire du gouvernement qui va l’analyser et en donner suite. Une fois que l’ULCC a terminé une enquête et qu’elle a trouvé des indices de corruption, un Rapport est rédigé. Cependant, ce Rapport ne détermine pas la culpabilité de la personne concernée, lequel est ensuite transféré au Parquet, mais il n’oblige pas nécessairement les Commissaires du gouvernement à saisir immédiatement le cabinet d’instruction » argumentait Me Patrick Laurent, avocat Conseil de Smith Augustin. En revanche, il fallait attendre une semaine plus tard pour qu’Emmanuel Vertilaire réagisse par le biais d’un communiqué émis par son avocat qui disait avoir saisi le Parquet de Port-au-Prince contre une enquête fondée sur des observations personnelles.

« Le conflit d’intérêts auquel a été confronté le Directeur général de l’ULCC dans le cadre de l’enquête en raison d’un des avocats de monsieur Raoul Pierre-Louis qui est en collaboration libérale régulière avec le Cabinet d’avocats « EXPERTUS » dont le Directeur général de l’ULCC est propriétaire. Même en incompatibilité, ledit cabinet présente toujours le Directeur général de l’ULCC comme le propriétaire de cette structure d’avocats. Or, le conflit d’intérêts s’étend à l’ensemble du personnel du cabinet d’avocats. La méconnaissance de la notion de corruption passive par l’ULCC qui ne rapporte pas la preuve d’un acte positif (demande expresse) réalisé par le Conseiller Vertilaire à un prétendu pacte de corruption. La présomption de culpabilité s’appliquant uniquement à l’infraction d’enrichissement illicite en matière de corruption, la charge de la preuve d’un acte positif du Conseiller Vertilaire incombe à l’ULCC. Le Conseiller Vertilaire a également démontré que ses échanges avec monsieur Pierre-Louis ne constituent même pas le trafic d’influence. 

L’excès de pouvoir de l’ULC quant au contrôle exercé sur la fréquence d’utilisation du crédit à la consommation du Conseiller Vertilaire par l’obtention régulière d’une Carte de crédit au sein de la BNC sans l’intervention d’un tiers » écrivaient les défenseurs d’Emmanuel Vertilaire dans une réquisition de 13 pages. Alors que le débat sur le départ ou non du CPT des trois mis en cause, après la publication du Rapport, était dans toutes les conversations, une autre question d’une importance urgente survint : pouvaient-ils encore accéder à la présidence de cette entité exécutive dans la mesure où c’est le Conseiller Présidentiel, Smith Augustin, qui devrait succéder à Edgard Leblanc Fils dans le cadre de la présidence tournante du Conseil Présidentiel de Transition ? Ce sont les trois accusés eux-mêmes qui ont apporté la réponse à la question sans laisser le temps aux Parties prenantes et signataires de l’Accord du 3 avril 2024, l’organe qui a conçu le CPT avec la Communauté internationale, notamment la CARICOM et le Core Group de trancher.

Deux jours après que l’ULCC ait remis son Rapport à l’appareil judiciaire, les Conseillers-Présidentiel se sont arrangés pour modifier l’ordre d’entrée en lice de la présidence tournante. Le vendredi 4 octobre 2024, dans une note rendue publique, la présidence de la République avait annoncé que « Le Conseil Présidentiel de Transition prend acte du Rapport d’enquête de l’Unité de Lutte Contre la Corruption (ULCC) sur les allégations visant trois de ses membres. Dans le cadre de ce Rapport d’enquête, le Conseil Présidentiel de Transition (CPT) est en concertation et prendra incessamment toutes les dispositions pour garantir la stabilité de l’État, les intérêts de la Nation et le bon fonctionnement de l’institution. » En fait, cette note était venue en prélude à la décision politique que les 9 membres du CPT étaient sur le point d’entériner. Le même jour, s’est tenue une réunion à la Villa d’Accueil entre l’ensemble des membres du CPT sur la question du remplacement du Coordonnateur sortant, Edgard Leblanc Fils, dont le mandat devrait arriver à échéance le 7 octobre 2024.

Selon l’organigramme de l’Accord du 3 avril, c’est Smith Augustin qui aurait dû succéder à Edgard Leblanc Fils. Mais, compte tenu de sa mise en cause dans l’affaire de la BNC en compagnie des deux autres membres, le CPT, sans se soucier des préalables des Parties prenantes et de l’Accord du 3 avril, a décidé de modifier cet organigramme. Ainsi, au cours de cette réunion, une « Résolution » a été prise en vue de régler la question. Il a été décidé que ce soit Leslie Voltaire qui succèdera à Edgard Leblanc Fils à la place de Smith Augustin qui s’est désisté. Ensuite, ce seront Fritz Alphonse Jean réintroduit pour succéder à Leslie Voltaire et Laurent Saint-Cyr en remplacement de Louis Gérard Gilles lui aussi mis de côté alors qu’il était sur la liste pour fermer le banc. Dans la soirée du vendredi 4 octobre, un membre du CPT avait souligné pour la presse que « Ce vendredi 4 octobre, nous étions cinq Conseillers Présidentiels avec droit de vote et un Conseiller observateur à avoir signé cette Résolution. A partir de ce lundi 7 octobre, Leslie Voltaire remplacera Edgard Leblanc Fils à la tête du CPT. Fritz Alphonse Jean et Laurent St-Cyr sont respectivement troisième et quatrième Président du CPT dans la logique de la présidence tournante.  

Les cinq Conseillers-Président qui, vendredi soir, avaient signé la Résolution sont : Leslie Voltaire, Fritz Alphonse Jean, Laurent St-Cyr, Louis Gérald Gilles et Emmanuel Vertilaire. Frinel Joseph avait signé comme membre observateur au Conseil Présidentiel. Les Conseillers Edgard Leblanc Fils et Smith Augustin n’avaient pas encore signé le document. Cinq sur sept des membres du Conseil Présidentiel ont signé la Résolution, elle est adoptée. Ce n’est pas nécessaire pour monsieur Leblanc de signer le document. » Justement, il y a eu un doute à cause du refus du Coordonnateur sortant du CPT, Edgard Leblanc Fils, qui avait refusé de signer la « Résolution » modifiant l’ordre de passage de la présidence tournante ce 4 octobre 2024. En constatant qu’il manquait la signature de l’ancien Président de l’Assemblée Nationale et représentant du Collectif des partis politiques du 30 janvier, tout le monde avait compris qu’il n’était pas d’accord avec la décision, car étant minoritaire, Leslie Voltaire et les autres Conseillers ont pu imposer la fameuse « Résolution » qui se lit comme suit :

Article 1. « Considérant que, depuis la fin du mois de juillet 2024, trois (3) membres du Conseil Présidentiel de Transition ont été indexés de corruption par l’ancien Président du Conseil d’Administration de la Banque Nationale de Crédit ; Considérant la publication, le mercredi 2 octobre 2024, du résumé exécutif du Rapport de l’Unité de Lutte Contre la Corruption (ULCC) ; Considérant qu’il n’y a pas encore eu une décision de justice définitive. Considérant que la présomption d’innocence est un principe fondamental du droit ; Attendu qu’il y a lieu d’œuvrer dans un esprit de dépassement pour construire l’équilibre nécessaire au bon fonctionnement de la République et à la réussite de la transition. Après le mandat d’Edgard Leblanc Fils qui a pris fin le lundi 7 octobre 2024, la présidence tournante du CPT devient maintenant : du 7 octobre 2024 au 7 mars 2025, Leslie Voltaire assure la présidence du CPT.

Ensuite, du 7 mars 2025 au 7 août 2025, ce sera le tour de Fritz Alphonse Jean et Laurent Saint-Cyr de boucler la présidence de la Transition du 7 août 2025 au 7 février 2026.  Article 2. Toutes les autres dispositions de la Résolution relative à la prise des grandes décisions en date du 7 mai 2024 restent et demeurent d’application » publiée au journal officiel Le Moniteur en date du 7 octobre 2024. Toutefois, il convient de souligner qu’à aucun moment le CPT, sous la présidence de Leblanc Fils, ne s’était vraiment exprimé sur l’affaire et n’avait jamais pris une position claire sur ce scandale de la BNC ni sur l’attitude des trois Conseillers mis en cause. Un positionnement à la Ponce Pilate que la plupart des leaders politiques et le reste de la population avaient toujours reproché au dirigeant de l’OPL. D’ailleurs, cette attitude d’attentiste et de non engagement avait beaucoup agacé l’ex-Premier ministre, Garry Conille, dans le conflit qui l’opposait au CPT. (A suivre)

 

 

C.C

 

HTML tutorial

LEAVE A REPLY

Please enter your comment!
Please enter your name here