Suresnes rend hommage à un résistant haïtien mort pour la France

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Tony Bloncourt

79 ans après son exécution par l’armée allemande, au fort du Mont-Valérien, Tony Bloncourt est honoré, mardi, lors d’une cérémonie, par des élus de la République française.

Sur l’invitation du maire de Suresnes, Guillaume Boudy, et de la conseillère régionale Anne-Louise Mesadieu, une trentaine de personnes s’étaient réunies, ce mardi, dans la clairière des fusillés au mémorial du Mont-Valérien, à Suresnes, pour un hommage à Tony Bloncourt. Ce nombre réduit s’explique en raison des mesures sanitaires en vigueur dans le cadre de la pandémie. Des élus de Suresnes, de Chaville, de la région Île-de-France, de la préfecture des Hauts-de-Seine, des élus franco-haïtiens de l’Île-de-France, ainsi que des personnalités du monde politique, associatif et culturel et des membres de la famille ont assisté à la cérémonie.

D’une mère française et d’un père guadeloupéen, Tony Louis Marie Edmond Bloncourt est né le 25 février 1921 à Port-au-Prince. En 1939, il étudie à la Faculté des sciences à Paris et milite au sein de l’Union des étudiants et lycéens communistes. À ce titre, il prend part à la manifestation du 14 novembre 1940 à l’Arc de Triomphe. En août 1941, Tony Bloncourt devient chef de groupe des Bataillons de la jeunesse. Il est l’auteur de nombreux attentats commis à mains armées contre des membres de l’armée d’occupation. Arrêté par la police française, le 5 janvier 1942 à Paris, il est remis aux Allemands.

Tony Bloncourt fait partie des sept accusés du procès qui se déroulera au Palais Bourbon du 4 au 6 mars 1942. Ce premier procès du genre, organisé par les autorités militaires allemandes avec audience publique, devait démontrer que ces résistants étaient en réalité des « terroristes responsables des exécutions d’otages, faites en réponse aux attentats ». Arrêté par les Allemands, il est fusillé au fort du Mont-Valérien, le 9 mars 1942, avec six de ses camarades. Il n’a que 21 ans.

«Je meurs avec courage»

Cette histoire est méconnue d’une bonne partie des Français mais aussi des Haïtiens. Pourtant Gérald Bloncourt, le célèbre photographe, peintre, poète et frère de Tony, qui a passé toute sa vie à militer contre l’injustice, n’a eu de cesse de vouloir honorer la mémoire de son aîné. En préambule, le conservateur du Mémorial, Jean-Baptiste Romain, directeur des Hauts lieux de la mémoire nationale en Île-de-France, a rappelé l’histoire du Mont-Valérien. Cette forteresse militaire construite au milieu du XIXe siècle est utilisée pendant la Seconde Guerre mondiale par l’armée allemande comme le principal lieu d’exécution. Elle est devenue un lieu de recueillement familial après la Libération.

C’est pourquoi je meurs pour la cause du socialisme.

Jean-Baptiste Romain a lu une brève biographie du jeune résistant. Ensuite Anne-Louise Mesadieu et Isabelle Bloncourt-Repiton, la belle-sœur de Tony, ont, à tour de rôle, donné lecture de la lettre, poignante, que le jeune prisonnier a écrite à ses parents, ce lundi 9 mars 1942, avant d’être exécuté, ce qui n’a pas manqué de décrocher quelques larmes dans l’assistance : « Maman, Papa chéris, Vous saurez la terrible nouvelle déjà quand vous recevrez ma lettre. Je meurs avec courage. Je ne tremble pas devant la mort. Ce que j’ai fait, je ne le regrette pas si cela a pu servir mon pays et la liberté ! Je regrette profondément de quitter la vie car je me sentais capable d’être utile. Toute ma volonté a été tendue pour assurer un monde meilleur. J’ai compris combien la structure sociale actuelle est monstrueusement injuste. J’ai compris que la liberté de vivre, ce que l’on pense, n’est qu’un mot et j’ai voulu que ça change. C’est pourquoi je meurs pour la cause du socialisme. J’ai la certitude que le monde de demain sera meilleur, sera plus juste, que les humbles et les petits auront le droit de vivre plus dignement, plus humainement… ».

«On sent encore leur présence»

Quatre gerbes de fleurs ont été déposées devant la stèle des « 4500 » fusillés résistants successivement par Éric Sauray, d’origine haïtienne, maire adjoint à la culture de Montmorency ; Muriel Richard, première maire adjointe de Suresnes, chargée des relations internationales et du jumelage ; Anne-Louise Mesadieu, conseillère régionale, et Laurent Hottiaux, le préfet des Hauts-de-Seine.

L’Académicien Dany Laferrière, présent à la cérémonie, a fait écouter à l’assistance « L’Affiche rouge », poème de Louis Aragon chanté par Léo Ferré « parce que, explique le romancier pour Le Figaro, ce poème raconte la légende de ces jeunes gens venus d’ailleurs qui sont morts pour la liberté, la poésie, la vie. Et cette ressemblance est frappante : « La lettre du résistant fusillé du poème d’Aragon ressemble étrangement à celle de Tony Bloncourt, dit-il. La même chaleur (ils parlent tous deux de soleil), la même générosité, le même élan vers la vie. Ils voulaient tant vivre qu’on sent encore leur présence dans cette clairière du Mont-Valérien. »

Isabelle Bloncourt-Repiton lit la lettre de Tony Bloncourt adressée à ses parents, avant d’être exécuté, lors de la cérémonie en hommage à Tony Bloncourt, mardi au Mont-Valérien, à Suresnes.

Après la cérémonie officielle, les invités ont suivi le parcours de la France combattante, jusqu’au Monument des fusillés où sont gravés les noms des 1008 résistants et otages fusillés entre 1940 et 1944. Lancé en 1997 par Robert Badinter, à l’époque sénateur des Hauts-de-Seine, ce projet d’édifier un monument à la mémoire des fusillés du Mont-Valérien devait permettre d’établir une véritable liste de noms. Une commission réunissant des collectivités, des associations et des historiens a abouti après 5 années de recherche à une liste de 1010 noms. Rectifiée il y a quelques années, elle a été ramenée à 1008 hommes, comme le rappelle l’inscription gravée sur la façade de la forteresse. La forme de cloche de l’édifice a été conçue et réalisée par l’artiste plasticien français Pascal Convert, sélectionné lors d’un concours. Inauguré le 20 septembre 2003 par le premier ministre Jean-Pierre Raffarin (2002-2005), le Monument porte les noms des fusillés inscrits par ordre chronologique d’exécution. Le nom de Tony Bloncourt figure bien à la date du 9 mars 1942.

Ils voulaient tant vivre qu’on sent encore leur présence dans cette clairière du Mont-Valérien.

« Que Tony soit haïtien, pour moi cela dit que les combats justes n’ont pas de nationalité » Isabelle Bloncourt-Repiton

Isabelle Bloncourt-Repiton voit dans cet hommage un symbole pour que ces mémoires ne tombent pas dans l’oubli : « Les sept fusillés du 9 mars 1942 avaient de 17 à 27 ans. Ils étaient étudiants (Tony), ébéniste, fourreur, fraiseur…, de diverses origines et conditions mais unis par la volonté de combattre l’injustice, la foi dans leur combat et le coût de donner leur vie. C’est une leçon pour les jeunes générations et je pense que les hommages doivent servir à ça. Que Tony soit haïtien, pour moi cela dit que les combats justes n’ont pas de nationalité. »

Cérémonie d’hommage à Tony Bloncourt le mardi 9 mars 2021

Pour la franco-haïtienne Anne-Louise Mesadieu, conseillère régionale à l’initiative de cette cérémonie, « il s’agit d’un travail de mémoire pour faire connaître tous ceux qui ont marqué l’histoire et qui ont un lien avec Haïti ». Elle explique qu’elle s’était rendue à deux reprises au Mont-Valérien avec un groupe de jeunes Haïtiens et c’est là que l’idée d’organiser un « hommage conséquent » lui serait venue. « Cela fait cinq à six mois que je travaille dessus. Malheureusement à cause de la Covid-19, je n’ai pas pu mettre en place le programme que j’avais prévu », regrette l’élue, qui est également maire adjointe de Chaville, déléguée à la culture. Elle a tenu à tout prix, pour ce premier hommage, à associer d’autres élus français d’origine haïtienne. Quitte à reporter pour l’année prochaine une commémoration d’une plus grande ampleur, à l’occasion des 80 ans de la mort de ce Franco-Haïtien mort pour la France. « L’année prochaine si tout va bien on fera un très bel événement. Je vais travailler pour qu’il ait une portée nationale », dit-elle.

 

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