Jovenel Moïse, la République c’est moi !

(1e partie)

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Jovenel Moïse Superman

 Définitivement, le Président Jovenel Moïse prend le large. Pas seulement avec l’arrivée des bateaux « barges » turcs devant fournir de l’électricité dans les régions métropolitaines de Port-au-Prince et du Cap-Haïtien. L’homme du 7 février 2017 échappe finalement à tout contrôle. Comme un fou, il bouleverse l’ordre établi par la Constitution en vigueur qu’il s’apprête d’ailleurs à remplacer par une nouvelle taillée sur mesure et selon la volonté du Prince. Mine de rien, plus les jours passent plus l’opposition et la population perdent le contrôle d’un Président obnubilé par l’étendue des pouvoirs qu’il détient ou plus justement qu’il s’est octroyé depuis le 13 janvier 2020. Jovenel Moïse se délecte et visiblement fait corps avec le nouveau costume présidentiel. Il était timide. Hésitant. Il avait du mal à y croire ne sachant pas comment rentrer dans l’habit de la nouvelle fonction qu’il a créée après trois ans de bras de fer avec l’opposition. 

 Mais, après quatre ans de guerre larvée avec ses adversaires politiques, il est sorti presque victorieux. Et pour cause. Les contestataires ont pratiquement tous jeté les armes. Ils sont par terre. Certes, la plupart bougent toujours mais le constat est là, ils deviennent inoffensifs pour le pouvoir. Aujourd’hui, ils manifestent pour la forme. Sans conviction. Espérant tous un revirement de la Communauté internationale contre le pouvoir. Incapables d’empêcher le Président de faire ce qu’il veut et ce qu’il entend faire. Ils guettent tous les jours la moindre déclaration défavorable au régime en provenance surtout de Washington. Tandis que Jovenel Moïse croit à sa victoire sur ses adversaires politiques et la Société civile. Le gens du « Système », les « Oligarques corrompus » comme il s’y plait à répéter, ne sont pas vaincus. Pas encore selon lui.  Mais ils ont peur. 

 Certains prennent depuis longtemps le chemin de l’exil. D’autres restent au carreau histoire de passer sous le radar du régime. Quant à Jovenel Moïse, il peut maintenant passer à autre chose, c’est-à-dire mettre le pays au pas à marche forcée par l’application de sa politique en dehors des normes constitutionnelles. Malgré les critiques, les suppliques, les mises en garde et les alertes, le chef de l’Etat paraît sourd. Il n’entend qu’une seule voix, la sienne. On revient à la vieille rhétorique : Haïti c’est moi ! La République c’est moi ! Comme il le dit, « C’est la démocratie à la Jovenel ». Tout est dit. François Duvalier (Papa Doc), avant lui, disait : En Haïti, la démocratie c’est moi. Pourtant, il ne reste à Jovenel Moïse qu’une année à passer au Palais national si l’on s’en tient à l’agenda qu’il s’est attribué. 

libéré des contraintes institutionnelles en renvoyant les députés et sénateurs chez eux en jouant sur une faille constitutionnelle,

 Tel n’est pas pour autant l’avis des oppositions qui penchent plutôt pour cette année  2021, après leur échec du 7 février dernier. Un délai il est vrai que personne aujourd’hui ne prend au sérieux à commencer par Jovenel Moïse qui veut mettre à profit ce laps de temps pour réaliser tout ce qu’il n’a pas pu faire avant d’avoir eu les mains libres, en clair, avant le dysfonctionnement du Parlement. Depuis, c’est chose faite. Il déploie ou déroule son agenda présidentiel tel un Papyrus égyptien dont il est le seul à pouvoir lire les hiéroglyphes annonçant les réformes qu’il entend appliquer au pays. A ceux qui ont des yeux pour contempler, contentez-vous de lire les arrêtés présidentiels publiés dans Le Moniteur, le journal officiel de la République nommant à tour de bras et en violation flagrante de la Constitution, des ambassadeurs Extraordinaires et Plénipotentiaires et des Consuls généraux à travers le monde et dans les Organisations internationales. 

 C’est le seul moyen de connaître, après coup, la volonté du Monarque républicain établi au Palais national qui nomme et révoque comme bon lui semble.  A ceux qui ont la bouche pour parler, critiquez comme vous voulez sa décision de poursuivre la « Caravane du changement » dans le plus grand secret, c’est-à-dire sans les tapages médiatiques d’autrefois et surtout sans les propagandes à outrance qui l’accompagnaient au début de l’année 2017 selon les dires mêmes du Président. 

 Une autre stratégie utilisée afin de poursuivre les réformes, tout en contournant les blocages de la bourgeoise, le secteur des affaires, bref, le « système, d’après lui. « Mwen te ka mouri wi nan afè Karavàn sa a » dit-il aux micros des journalistes qui lui demandaient où est passée la Caravane du changement ?  Enfin, à ceux qui ont les oreilles pour entendre, si cela vous intéresse, réécoutez les émissions des radios et télévisions du pays durant l’offensive médiatique qu’avait entreprise le Président de la République au cours du mois de novembre 2020, considéré par certains comme le mois de Jovenel Moïse. Se sentant libéré des contraintes institutionnelles en renvoyant les députés et sénateurs chez eux en jouant sur une faille constitutionnelle, Jovenel Moïse, selon ses adversaires, montre son vrai visage, en tout cas son intention de remodeler le paysage politique, administratif et institutionnel haïtien sans attendre l’adoption ou le rejet de la nouvelle Charte fondamentale qu’il espérait tant. Insensible à toute critique d’où qu’elle vienne, Jovenel Moïse surprend par sa détermination et surtout par sa ténacité. En l’espace de quelques mois, le chef de l’Etat ouvre partout des chantiers dans le cadre de sa réforme politique et institutionnelle. 

 Pour se débarrasser de la Constitution du Dr Georges Michel, il prétend qu’elle n’est rien d’autre qu’un pacte signé entre les corrompus, en clair, cela l’autorise à passer outre pour aller de l’avant d’où son attitude un peu monacale à propos des décisions qu’il a prises depuis ce fameux 13 janvier 2020. Avec le Parlement en place, il n’a pu nommer légalement que deux Premiers ministres. En l’absence de celui-ci, il les nomme et les change comme on jette un mégot de cigarette avant d’en rallumer une autre sans avoir à solliciter ni négocier, ni marchander avec personne. Quant aux chefs de la police nationale, depuis le départ du Directeur général Michel-Ange Gédéon dont le mandat n’a pas été renouvelé en août 2019 alors qu’il avait été ratifié par le Sénat avant son dysfonctionnement, le Président a repris la main sur l’institution policière. Les Premiers ministres successifs y compris Jouthe Joseph ont beau fait de déclarations démontrant que ce sont eux qui commandent, en réalité, le pouvoir de décision reste au chef de l’Etat qui ne lâche rien. 

 C’est lui et lui seul qui tient la manette de la police nationale, une prétention qui agaçait énormément Michel-Ange Gédéon et qui a suscité beaucoup de malaises et de malentendus entre la présidence de la République et le commandement général de la PNH. De ce conflit on en retire que certains Conseillers du Président Jovenel Moïse cherchaient à écarter le Directeur général de la PNH bien avant la fin de son mandat. Dans sa stratégie de réappropriation de la totalité des pouvoirs, en attendant l’arrivée de la nouvelle Constitution, Jovenel Moïse ne laisse rien passer et en profite pour noyauter les institutions et administrations afin d’avoir les coudées franches.  Après le Parlement, la police nationale, les élus locaux (Maires, Asecs et Casecs) dont il a fini par prendre le contrôle soit en reconnaissant la caducité de leur mandat ou à ne pas renouveler le mandat du DG de la police qu’il trouve trop indépendant du Palais national, c’est le Conseil Electoral Provisoire (CEP) présidé par Léopold Berlanger qui a fait les frais de celui qu’on commence à considérer comme un Président autocrate. 

à la suite de la démission des membres du CEP nomme et installe à sa place un nouveau Conseil Electoral Provisoire sans même attendre la validation de ces membres par la Cour de cassation.

 Sans demander l’avis de personne, n’ayant aucun accord avec l’opposition et la Société civile, le Président à la suite de la démission des membres du CEP nomme et installe à sa place un nouveau Conseil Electoral Provisoire sans même attendre la validation de ces membres par la Cour de cassation. C’est inédit dans l’histoire des CEP depuis 1987. Quelques jours plus tard, un autre décret présidentiel nomme un Comité Consultatif Indépendant (CCI) dont la mission est de produire rapidement un texte constitutionnel pour le chef de l’Etat. Là aussi, sans consulter aucun acteur sociopolitique, il définit seul, dans le secret de son bureau, le mandat et la mission de ce Comité de 5 membres. Jovenel Moïse est comme extasié ou sous emprise et devant la quasi absence de mobilisation de l’opposition sur ses différentes décisions, pour certaines totalement anticonstitutionnelles, il est interloqué ne comprenant pas que le pays soit resté aussi calme devant tant de dérogations qu’on qualifierait jadis de pouvoir personne. 

Il veut profiter au maximum l’embarras dans lequel il a mis la Communauté internationale qui reste pour le moment sur la défensive pour parachever son œuvre présidentielle avant 2022. On le retrouve un peu partout sur le territoire. Il inaugure par-ci dans le département du Sud une parcelle de terre transformée en terminal électrique avec quelques panneaux photovoltaïques. Par-là, il visite dans la commune de Marion, dans le Nord-Ouest, un mini barrage en cours de construction. Ici, dans le département de la Grand’Anse, il est présent pour la réouverture de l’aérodrome de Jérémie ou encore il supervise la construction d’une route dans le Nord-Est du côté de Ouanaminthe, etc. Jovenel Moïse prend la forme de Superman. Il est infatigable et prêt à tout pour sauver la République dit-il menacée par l’immobilisme de ses prédécesseurs, les « Oligarques corrompus », bref par le « système ». 

(À suivre)

 

C.C

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