À partir du 18 novembre et pendant environ six jours, une rébellion s’était emparée d’Haïti. Les masses haïtiennes avaient envahi les rues, fermé des écoles, des transports et des commerces, allumé des feux de barricades aux pneus en caoutchouc ou incendiant des symboles d’autorité et de corruption. Au moins 11 personnes ont été tuées, principalement par la police, et 34 ont été blessées. Un policier est décédé pendant les manifestations. Une nouvelle force, probablement paramilitaire, aurait brandi des mitraillettes M-60, une arme capable de tirer des balles piégées.
La manifestation a été déclenchée par l’arnaque de près de 3,8 milliards de dollars d’aide vénézuélienne au Venezuela sous la forme d’un programme de réduction du gaz appelé PetroCaribe, comme le révèle une étude du Sénat haïtien.
Les manifestants ont scandé: «Où est passé l’argent de PetroCaribe?” Et « Moïse doit aller! »– faisant référence à Jovenel Moïse, le pro-américain Président corrompu d’Haïti. Jusqu’ici, le régime de Moïse, qui n’a été élu que par 600 000 voix sur des accusations de fraude, a refusé de démissionner ou d’enquêter sur le vol de fonds PetroCaribe. Moïse, dont les finances faisaient déjà l’objet d’une enquête pour blanchiment d’argent au moment de son entrée en fonction, il est soupçonné d’être impliqué dans le scandale PetroCaribe, ainsi que son réseau d’amis et de partenaires commerciaux malhonnêtes.
L’Organisation des États américains (OEA), perpétuelle servante de la politique américaine, a publié une déclaration réprimandant les manifestants, tout en appelant au «dialogue» solennel. Pour l’instant, le dialogue est au moins rejeté par certains courants de la dite opposition. Selon l’avocat Me André Michel, du secteur dit populaire et démocratique «il n’y a qu’une option. Jovenel Moïse est un cadavre politique qui doit être amené au cimetière. C’est fini pour lui. Nous ne pouvons plus rien faire avec lui. Il doit partir sans délai pour éviter le chaos »
Le 18 novembre dernier rappelait le 215e anniversaire de la victoire de l’esclave haïtien sur le colonialisme français à la bataille de Vertières, dirigée par le héros révolutionnaire haïtien Jean-Jacques Dessalines. Cette année, par crainte d’être accueilli par des manifestations indisciplinées, le président a rompu avec la tradition d’aller au Cap-Haïtien pour célébrer l’anniversaire. Il s’est plutôt rendu à Port-au-Prince, la capitale, pour une célébration discrète.
Les milliards de PetroCaribe disparus auraient pu être utilisés pour créer des emplois indispensables à la construction d’écoles, d’hôpitaux et de logements décents pour les Haïtiens, qui doivent vivre avec moins de 3,15 dollars par jour en moyenne dans un pays où le taux de chômage est d’environ 40%.
Pris de panique, le Premier ministre Jean-Henry Céant a annoncé la création d’environ 50 000 emplois temporaires d’ici la fin de l’année. Pour sa part, le sénateur haïtien Evaliere Beauplan, membre du secteur démocrate et populaire, a rencontré au moins un représentant de Trump le 21 novembre pour discuter de la crise – c’est-à-dire mal diriger et tromper les masses haïtiennes. Beauplan était un auteur da rapport du Sénat haïtien sur le scandale PetroCaribe.
Plus de deux siècles d’impérialisme américain ont fait d’Haïti une néo-colonie qui a nourri son élite corrompue. Aujourd’hui, Haïti est occupée par la MINUJUSTH (Mission d’appui à la justice en Haïti), qui compte environ 1 200 officiers de police armés qui occupent des postes clés et conseillent ou dictent une intervention armée. L’ONU dominée par les États-Unis est l’ultime autorité en Haïti, pas les Haïtiens, et peut déployer 10 000 soldats à tout moment.
Les manifestations ont été organisées par des coalitions de forces de l’opposition, parmi lesquelles une cinquantaine de partis politiques; parmi eux se trouvaient d’anciens partisans de Jean-Bertrand Aristide. Mais aucun de ces partis n’a appelé à la fin de l’occupation et de la domination américaines.
Berthony Dupont, directeur de l’hebdomadaire Haïti Liberté, avait déclaré à Action Socialiste, bien que le journal soutienne les revendications, il rejette fermement ce que Dupont a appelé les « partis bourgeois » de l’opposition qui sont à la traine des puissances tutrices dominantes. Ils refusent d’appeler les États-Unis et l’ONU à sortir d’Haïti ; sans quoi, dit-il, «on revient à la même politique néocoloniale ».
Les mobilisations de novembre ont été la troisième effusion de masse depuis le 6 au 8 juillet dernier, lorsque les masses haïtiennes ont déferlé dans les rues pour résister à l’ordre du président Moise de pratiquement doubler les prix de l’essence à la demande du Fonds monétaire international (FMI), un organisme semblable à un gangster. En juillet, des Haïtiens ont bloqué des routes, incendié des pneus, déchargé des armes à feu et détruit environ 80 magasins, dont trois dans des supermarchés appartenant à Réginald Boulos, membre influent de la chambre de commerce et d’industrie d’Haïti. Une vingtaine de personnes ont été tuées et plus de 50 ont été arrêtées. Les Haïtiens ont appelé les plans de la Banque mondiale et du FMI «le plan de la mort».
Le 17 octobre, des dizaines de milliers de personnes sont descendues dans les rues à travers Haïti pour participer à de grandes manifestations. Certains observateurs disent qu’il était encore plus grand que le 18 novembre. C’était un jour férié pour les travailleurs, car c’est le jour où le dirigeant révolutionnaire Dessalines a été assassiné en 1806. Des 10 départements du pays, seuls les Nippes n’ont pas assisté à de grandes marches. Au moins huit personnes ont été tuées le 17 octobre par des policiers haïtiens.
Après les obsèques de six des 7 personnes tuées le 17 octobre, le 31 octobre, dans une église du bidonville de Bel-Air à Port-au-Prince, une marche a été organisée et s’est transformée en une manifestation contre la corruption de PetroCaribe. Au cours de la marche, un homme a été abattu et au moins huit autres ont été blessés.
Le désespoir et la mobilisation des masses haïtiennes sont à un stade aigu. La direction des forces de la classe moyenne et de la classe dirigeante n’offrira aucune solution à la misère en Haïti. Une transformation complète de la société haïtienne est nécessaire, c’est-à-dire l’élimination de l’impérialisme et du capitalisme. L’espoir réside dans les forces qui cherchent un changement révolutionnaire.