« C’est pourquoi, nous considérons le réveil du peuple haïtien contre la dilapidation des fonds petro-caribe comme la continuité du combat pour la justice et le bien-être collectif. L’idéal dessalinien est, en ce sens, encore pertinent aujourd’hui. »
REHMONCO *
Un titre très inhabituel, plutôt étrange, d’allure cabalistique, hermétique, cercueillante, funèbre, dira-t-on. Pourtant, il n’en est rien, car il se rapporte à une réalité politique que plusieurs tendent à ne pas vouloir considérer, à négligemment sous-estimer, à légèrement mésestimer, à insoucieusement garder sous le boisseau, à paresseusement esquiver, à renvoyer à une autre occasion, à mettre de côté, même à ignorer, soit parce qu’ils n’y pensent pas, soit parce qu’ils ne veulent pas y penser, ce qui pourrait menacer leur position ou intérêt politique.
Oublions le titre un moment, nous y reviendrons plus loin. Pour l’instant, laissons la place au tsunami politique qui a déferlé le 17 octobre sur l’ensemble du pays, inondant de sa force dessalinienne, dénonciatrice et accusatrice les petrovoleurs, les petrovauriens, les petrovoyous, les petro-fripouilles, les petrogredins, les petrocoquins, les protecteurs des petromalfaiteurs qui s’amusent à narguer la population, en l’occurrence Jovenel l’inculpé osant clamer: « Toutes les personnes ayant participé à la mauvaise gestion de ces fonds vont devoir rendre compte par-devant la justice ». Or, Jovenel lui- même doit commencer par rendre des comptes.
De façon unanime, le soulèvement populaire durant la journée du 17 octobre 2018 commémorant le 212ème anniversaire du crapuleux assassinat de Dessalines, du premier coup d’État politique contre la nation, a été une victorieuse avancée sans conteste du peuple haïtien, toutes couches confondues, contre la corruption dénoncée haut et fort, contre le siphonnage sans vergogne, le détournement scandaleux, le gaspillage éhonté des fonds Petrocaribe par une meute de chiens méchants assoiffés de pouvoir, de richesse illicite, acquise à la sueur de leur immoralité.
Comme le rappelle bien le Regroupement des Haïtiens de Montréal Contre l’Occupation d’Haïti: “La lutte pour le triomphe de l’idéal dessalinien reste vivace tout au long de notre histoire de peuple. Elle prend différentes formes. Elle est autant au cœur des combats contre la domination et le pillage des ressources du pays par les puissances impérialistes qu’au centre des luttes contre l’exploitation et la répression politique par des élites prédatrices.”
Le soulèvement populaire sur tout le territoire de la république a été salué, heureusement, par la classe politique et la société civile, même si parmi elles nombre d’individus appartenant à une classe moyenne timorée, alliée occasionnelle de la bourgeoisie, ont toujours eu peur de ces déferlements populaires dont ils craignent de potentiels dérapages assimilés à de «l’anarchie» si ce n’est à de «bolcheviques» convulsions du « popoulo». Car, dans la mesure du possible, il faut faire l’impossible pour calmer ces flambées bolcheviques popoulottes, pourtant légitimes puisque révolutionnaires.
Ainsi, commentant ce déchaînement pacifique des masses, le sinueux, tortueux, malin, rusé, magouilleur, embrouilleur Evans Paul, ancien Premier ministre du sordide et grotesque Michel Martelly, certes, a eu à dire: «C’est la plus grande mobilisation populaire de l’histoire du peuple haïtien», mais c’est pour tout juste après « inviter la nation au dialogue pour éviter au pays de sombrer dans le chaos». Pour préciser les tortuosités et sinuosités de sa pensée, il s’empresse d’ajouter, la fleur à l’oreille: «Faisons de notre désaccord une opportunité de s’entendre mutuellement ».
Evans Paul qui a fait pas mal de chemin en politique n’est plus le bruyant militant radical d’antan qui, à une époque, avait flirté avec Lavalas. Ce qui était presque un gage d’infréquentabilité. Mais au fil des années, le militant qui sait comment se faufiler a acquis de la notabilité. Il faut faire, il faut s’arranger avec la bourgeoisie, l’avoir dans ses manches pour sizoka. Tiré à quatre épingles, on le voit courir les réceptions d’ambassade. Ah! Il a pris du grade, l’animal… Pour avoir flairé les aisselles des “184” avant, pendant et après 2004, pour avoir été dans la confidence des Apaid Junior, Charles Henri Baker et autres reluisants vers luisants GNBistes, l’homme a pris des galons. Gare à celui qui oserait l’appeler Konpè Plim, encore moins K-Plim. Au tout début de janvier 2014, à la surprise de plus d’un, de façon inimaginable, Radio Télé Métropole reçoit dans ses studios un Evans Paul frais, rangé, modéré, tout neuf, arborant rosette s’il vous plaît. Adieu au militant radical! Adieu K-Plim! Bienvenue à vous, Monsieur Evans Paul!
Le rouge militant a laissé tomber une certaine dialectique pour s’habiller de rose Micky. Les nouveaux habits lui siéent bien, il faut l’avouer. Voilà que le pouvoir semble échapper au président grouillador. Qui s’offre avec l’idée géniale d’un « conseil de sages» pour trouver une sortie de crise à une situation menacée de débâcle pour le président dont les fesses grouilladeuses ont pris froid? Personne d’autre que le grand sage, Monsieur Paul, “promoteur de l’artisanat et d’art plastique, homme de pardon facile et de modération, apôtre du vivre-ensemble et homme politique d’avant-garde”. Il emberlificote le saltimbanque de président qui fait de lui un Premier ministre.
Mais il n’y a pas que Monsieur Paul à vouloir serrer la bride à cette masse dont on redoute les sautes d’humeur krazébrizantes, les caprices explosifs insurrectionnels des 6 et 7 juillet derniers. Il y a aussi le coordonnateur général de l’OPL, Edgard Leblanc Fils, qui conseillait: «C’est un deuxième avertissement de la population (…) Jovenel Moïse doit nécessairement envoyer le signal qu’il veut réellement que le jugement soit effectif. Il est temps pour lui de passer de la parole aux actes ». Or, Leblanc sait sciemment que l’inculpé barbote, lui aussi, dans la boue petrocaribéenne, et que li pa sou anyen. Comme le sage Monsieur Paul, Edgard Leblanc Fils espère contre toute attente “[faire] de notre désaccord une opportunité de s’entendre mutuellement”.
Décidément, cette classe politique timorée émet sur les mêmes longueurs d’onde. Ainsi, Clarens Renois, ancien candidat à la présidence du parti UNIR appelle le président qu’il sait être un barbotard dans le marais petrocaribéen, à «se montrer sage, modéré, capable d’adoucir les positions» en vue d’éviter au pays un katchoumboumbe que créerait une masse de néo-chimères. Le raisonnement est simple: pourvu que l’inculpé lâche du lest, lâche quelque miettes, il y a espoir de faire partie d’un éventuel renouvellement de cabinet ministériel, voire même reprendre la course au “fauteuil bourré” en 2022. Entre-temps, on s’assied sur deux chaises, on tue le temps. Les mecs se rendent bien compte que les masses, instinctivement, voient en cette commémoration du 17 octobre la continuité de l’idéal dessalinien pour la justice et le bien-être collectif, mais ils redoutent le grisou révolutionnaire. Ah, les capons!
Les organismes de droits humains n’ont pas été en reste qui n’ont pas voulu donner dans le mutisme. Ils ont, eux aussi, réagi positivement, joyeusement à cette festive bruyance populaire qui a tenu en haleine, pendant toute une journée, jusqu’à la tombée du jour, les gens de bien habitant les hauteurs. Ainsi, le co-directeur du collectif Défenseur plus, Antonal Mortimé, a salué “la sortie spectaculaire, très réussie de la population pour exiger des comptes”. Le militant des droits humains a par ailleurs salué le dynamisme des agents de l’ordre qui ont fait de leur mieux pour assurer la sécurité, entendez de façon à ce que “la nation soit invitée au dialogue pour éviter au pays de sombrer dans le chaos”, selon une formule K-Plimante, que dis-je, selon une formule de Monsieur Paul, à encourager.
Dans ce concert d’espérance dialogante, on aura remarqué que le bruyant, l’époustouflant, le tonitruant, l’assourdissant, l’étourdissant Me André Michel se limite à exiger “de la Justice des actes concrets (…) l’arrestation des principaux dilapidateurs des 3.8 milliards de dollars américains du fonds Petrocaribe (…) que des scellées soient apposées sur la résidence de Michel Martelly située au bord de la mer de St Marc (…) la saisie des biens meubles et immeubles des dilapidateurs des 3.8 milliards de dollars américains du Fonds PETROCARIBE”.
Vieux rat prudent, le disciple de Thémis avance que “la présence de Jovenel Moïse au Pouvoir représente le principal obstacle au Procès PETROCARIBE (…) Nous appelons à la poursuite de la mobilisation pour créer les conditions favorables à la réalisation du PROCÈS PETROCARIBE”, Alors, si Jovenel est le “principal obstacle”, comment Michel peut-il espérer voir se réaliser les “conditions favorables à la réalisation du Procès PetroCaribe”, avec Jovenel au pouvoir? Logiquement, Me Michel, comme la masse des manifestants du 17 octobre, devrait exiger le départ de Jovenel. Mais notre renard qui doit être au parfum de quelque confidence diplomatique sans doute souhaite, au fond de lui-même, “faire du désaccord [avec l’inculpé] une opportunité de s’entendre mutuellement”, n’est-ce pas M. Edgard Leblanc fils? La chanson le dit bien: nèg gen move mannyè.
Finalement, cette perspective “de s’entendre mutuellement” correspond à une réalité: Jovenel l’inculpé n’est maître d’aucun pouvoir décisionnel, d’autant qu’il est aussi dans le petro-pétrin. Les mecs le savent. Ce pouvoir décisionnel, depuis l’occupation étatsunienne de 1915, est entre les mains du “Blanc”. Sauf à être dans la confidence du “Blanc” personne ne sait (encore) quel sort est réservé à Jovenel. Car, c’est ce “Blanc” qui (depuis 1915) “fait” tous les chefs d’État haïtiens (Aristide, excepté) et les “défait” tous (François Duvalier, excepté, mort des complications de son diabète).
Les “jeunes” de mon âge, les “plus jeunes” aussi, savent bien que Lescot avait la bénédiction de Washington qui lui avait assuré le vote de 56 sur 58 des parlementaires. À l’époque, une chanson très populaire courait les rues: “avril passé 1941, en assemblée, la chambre législative l’a proclamé: un président ki mande n pou n fè linyon, wi n ap fè linyon, Washington di nou fè linyon”. Et le refrain d’entonner: tout Blan di nou fè linyon (…) lame ap soutni Lescot (…) wi n ap jwenn travay Washington di nou fè linyon”.
Il fut un temps, le “Blanc” passait par l’assemblée législative et/ou l’armée. Il n’y a pas trop longtemps, il s’amène sans prendre de gants blancs. Il est même arrivé toutouni pour nous imposer un voyou au détriment d’une femme vertueuse. Enfin, ce n’était pas un “Blanc”, c’était une “Blanche”. Heureusement qu’elle est venue de nuit, recouverte d’un manteau de noire obscurité, de sorte que l’on n’a rien vu de “sa chose”, je veux dire de sa nocturne magouillance. Ô femme sanpwèl ! Pardon, ô femme chanpwèl!
De toute évidence, c’est le “Blanc” qui détient le pouvoir décisionnel. Alors, imagine-t-on une classe politique et une société civile conséquentes prenant sur eux-mêmes, de concert avec les masses, de renouveler le miracle du 17 octobre, sauf que le parcours de la manif passerait devant l’ambassade étatsunienne, pacifiquement, affichant des pancartes pimanboukantes mettant le “Blanc” au pied du mur, brandissant des slogans réclamant de lui que Jovenel s’amène avec sa corde, traînant avec lui tous les dilapidateurs des 3.8 milliards de dollars américains du fonds Petrocaribe, chacun d’eux avec sa corde. Ala bèl sa t a bèl! Mais non, je rêve, j’hallucine, je délire…
Maintenant, sortez vos mouchoirs, parce qu’on est tout proche du mort et du cercueil. Préparez-vous à essuyer vos larmes. Oui, la pression ne devrait pas se porter seulement sur Jovenel, mais surtout sur le “Blanc”. Mais voilà: nèg pito kite kò (le “Blanc”) pou y al kriye nan pye sèkèy (Jovenel). Personne n’a les couilles de jeter à la face du “Blanc” que s’il n’y avait pas de soutireur, il n’y aurait pas de voleurs. Les uns et les autres ne veulent pas déplaire au “Blanc”. Ils tiennent à leur renouvellement de visa, à protéger leur argent placé dans les banques USA, à être “en réserve de la république” dans les tiroirs du “Blanc”. Ni déplaire au “Blanc” ni rejoindre la cause des masses, c’est là leur credo.
Je vous parie que le 18 novembre prochain la population sortira en masse pour demander des comptes aux petro-siphonneurs, aux petro-buveurs. Jovenel l’inculpé-sans-honte-sans-sentiment ira faire un autre discours fastidieux, ennuyeux, affligeant, endormant à Vertières. La classe politique, la société civile, les intellectuels tèt bòbèch applaudiront des deux mains, des deux pieds s’il le faut, et inviteront “la nation au dialogue pour éviter au pays de sombrer dans le chaos”. Aussi longtemps que le “Blanc” n’aura dit krik, pèsonn p ap di krak; nèg ap pito kite kò pou y al kriye nan pye sèkèy.
22 octobre 2018
* REHMONCO. Regroupement des Haïtiens de Montréal Contre l’Occupation d’Haïti