Le vendredi 4 août 2023, la Sous-Secrétaire adjointe aux Affaires caribéennes et d’Haïti, Mme. Barbara A. Feinstein, s’était montrée très optimiste sur la présentation de la Résolution autorisant Nairobi à prendre le leadership de la force multinationale à Port-au-Prince sous l’œil bienveillant de l’Oncle Sam.
« Les États-Unis sont prêts à présenter une résolution en ce sens. Nous nous réjouissons de travailler avec nos partenaires au sein du Conseil de sécurité à cette fin. D’ici le 15 août, l’ONU va produire un Rapport sur la sécurité. Tout cela va, sans aucun doute, influencer la manière dont cette force va être déployée. On continue de travailler avec des membres du Conseil de sécurité et d’autres pays à travers le monde pour essayer d’assurer l’adoption de cette résolution. On est optimiste sur les chances de voir passer cette résolution mais on va continuer de travailler de près avec nos partenaires pour y parvenir. Nous avons vu des déclarations de soutien de la part des Bahamas, de Trinidad-et-Tobago, de la Jamaïque, du Chili, du Canada, du Royaume-Uni, de la République Dominicaine et de l’OEA. Je crois qu’il y a un vaste soutien pour résoudre cette crise sécuritaire en Haïti » avait avancé la Responsable du dossier Caraïbes et d’Haïti au Département d’Etat américain.
Pour être sûre de ne pas passer à côté, Barbara A. Feinstein disait que les Etats-Unis ne négligeront rien pour obtenir le feu vert de l’ONU. « On continue d’essayer de discuter de ce à quoi doit ressembler ce soutien. On discute avec les différentes agences du gouvernement des États-Unis. On attend encore les évaluations du Kenya. Si c’est le Kenya qui prend la tête de cette force multinationale, ce sera à lui d’identifier, en consultation avec l’ONU, quels sont les besoins et quel devra être le caractère de cette force. Avant d’avoir toutes ces données pour donner des détails sur notre contribution, on peut vous dire qu’on a l’intention de soutenir de manière très forte et solide cette initiative. On va soutenir ce processus, de la meilleure façon que l’on peut. Que ce soit en personnel, en équipements, en formation, en financement ou d’autres assistances en nature », avait confirmé l’officielle américaine le 4 août 2023. Mais, le bras de fer s’annonçait plus laborieuse que l’espérait Washington.
Dans l’attente de la présentation de la Résolution des Etats-Unis, devant l’ONU, en Haïti, une pléiade d’organisations, d’acteurs politiques et de la Société civile ont pris la plume et se sont adressés directement à la Russie et chose plus étonnante à …l’Union africaine pour dire leur désaccord à la venue de ce qu’ils appellent : une force d’occupation. Dans deux courriers séparés, un adressé à l’ambassadeur Vitalie Tchourkine, Représentant de la Fédération de Russie auprès du Conseil de sécurité des Nations-Unies et un autre à l’Union africaine à Addis-Abeba en Éthiopie où siège cette institution Panafricaine, les signataires ne sont pas allés avec le dos de la cuillère pour dire ce qu’ils pensent de cette force dite multinationale, son objectif réel et surtout pour s’opposer à la présence kenyane en tête de gondole dans une affaire où ils ne servent qu’à apporter la serviette.
« Pour préparer l’opinion publique nationale et internationale à accepter l’inacceptable, le gouvernement de facto actuel et les gangs armés sont activement et quotidiennement mobilisés en vue d’aider à renforcer le chaos fabriqué devant servir de justification à l’occupation. Nous tenons à vous informer que la demande illégale d’une intervention militaire qui sert de prétexte au Secrétaire général de l’ONU, M. António Guterres, et à l’Administration Biden a été formulée par un gouvernement haïtien de facto et décrié. Ce gouvernement est prêt à tout pour assurer son maintien au pouvoir et continuer ainsi à opprimer le peuple haïtien au profit de ses supporteurs internationaux, ses patrons pour lesquels il travaille. L’envoi en urgence sur le terrain d’une Commission d’enquête indépendante incluant, entre autres, des représentants de la Russie et de la Chine pour une évaluation d’abord du niveau de complicité entre les gangs armés, le Core Group et le pouvoir en place et ensuite pour une évaluation de ces dix-huit années d’accompagnement de l’ONU ayant conduit à la situation chaotique actuelle. ”Vous avez donc un rôle crucial à jouer en refusant la voie de la complicité dans la déstabilisation d’Haïti et en vous opposant, pour le plus grand bien de notre pays, au projet criminel américano-onusien d’occupation » ont, entre autres, écrit plus d’une centaine d’organisations, d’acteurs politiques et de la Société civile dans les deux correspondances. Entretemps, le dimanche 20 août 2023, une forte délégation kenyane était arrivée à Port-au-Prince en vue de faire une première évaluation de la situation sur le terrain.
Dirigée par un haut fonctionnaire, l’ambassadeur Georges Orina, Directeur général des Affaires bilatérales et politiques au Ministère des affaires étrangères et de la diaspora du Kenya et secondé par le Sous-Inspecteur général de la police, Noor Gabow, dès son arrivée, l’équipe était à pied-d’œuvre.
Les premières déclarations du chef de la Mission ont été simples et se voulaient apaisantes « Nous sommes là pour évaluer les besoins de la Police Nationale d’Haïti, mieux comprendre la situation et faire de notre mieux pour venir en aide au Peuple Haïtien » devait affirmer Georges Orina. Avant d’atterrir dans la capitale haïtienne, la délégation avait fait un détour par New-York au siège des Nations-Unies. Au bord du fleuve Hudson, les kenyans ont eu une série de rencontres avec divers pays et agences impliqués dans le dossier haïtien, notamment, les Etats-Unis, la France, le Canada, l’Equateur et travaillant justement sur la Résolution que devraient présenter les américains au Conseil de sécurité à la mi-septembre 2023 pour le déploiement de la force multinationale sous le leadership du Kenya.
Les missionnaires kenyans ont rassuré les autorités haïtiennes sur leur démarche qui, semble-t-il, a été bien comprise par la Communauté internationale et par le gouvernement de Nairobi.
Les 21, 22 et 23 août 2023 ont été des journées de marathon pour toutes les parties et pour la Délégation kenyane arrivée la veille en Haïti. Très tôt, ce fut un chassé-croisé dans les rues de Port-au-Prince et de Pétion-Ville avec diverses délégations haïtiennes invitées par la Mission kenyane souhaitant acquérir le maximum d’informations sur la crise politique et sur la situation sécuritaire chaotique qui paralyse totalement le bon fonctionnement de la vie dans la Cité. Le Premier ministre et les ministres concernés, le haut Etat-major de la police nationale, les membres du Haut Conseil de la Transition (HCT), les diplomates les plus impliqués, le CSPJ (Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire), des chefs de partis politiques ont eu des discussions avec les membres de la Mission.
La Délégation kenyane n’avait pas chômé et essayait de ne pas faire de jaloux, histoire de plaire à tout le monde dans un dossier qui, le moins que l’on puisse dire, sent le soufre, tant qu’il est sensible sur le plan politique. « Ils sont venus sur le terrain voir de par eux-mêmes la nature profonde du problème. Ils ont cherché à savoir de quoi la Police nationale a exactement besoin et de quoi elle dispose, ce afin de déterminer de quoi ils auront besoin pour venir en Haïti » rapportait le journal Le Nouvelliste du 22 août 2023 qui cite une source diplomatique. Les kenyans et les promoteurs du déploiement de cette force militaro-policière internationale n’ignorent point l’hostilité d’une majorité d’Haïtiens à la présence des soldats étrangers sur le sol national. Plusieurs déjeuners de travail ont été organisés avec le Corps diplomatique, le haut Etat-major de la police, des membres du gouvernement et la Délégation durant lesquels les Haïtiens ont exprimé leurs attentes et les kenyans, le rôle que les policiers et soldats de la force multinationale auront à jouer une fois débarqués sur le terrain. Un théâtre d’opérations qu’ils savent miné au propre comme au figuré par des milliers d’armes que détiennent des dizaines de groupes armés qui ne vont pas se laisser désarmer sans se défendre, pour certains, jusqu’à la mort.
Après sa première rencontre avec la Délégation kenyane, le gouvernement haïtien, à travers un Communiqué du Ministère de la Communication, a livré sa version « La Délégation a rencontré le gouvernement haïtien, le Haut Conseil de la Transition, le Haut Etat-major de la Police nationale et le Corps diplomatique. Cette première visite d’évaluation s’inscrit dans la perspective du support pour le renforcement des capacités de la Police nationale demandé par l’Exécutif haïtien en octobre 2022 et réitéré par le Premier ministre Ariel Henry, en juin 2023, dans une nouvelle correspondance adressée au Secrétaire général des Nations-Unies. Le Premier ministre Ariel Henry a explicité la demande haïtienne qui est d’appuyer la Police nationale pour rétablir la sécurité et permettre la libre circulation des personnes et des biens. Les enseignements tirés des précédentes Missions ont permis au gouvernement et à la Communauté internationale d’avoir une approche différente et d’opter pour une force multinationale plus adaptée afin d’apporter un soutien effectif à la PNH et de permettre à Haïti d’avoir une force de police plus à même de faire face aux nouvelles formes de criminalité, tout en continuant sa coopération avec le BINUH.
Le Kenya a été membre non permanent du Conseil de sécurité. Il est engagé depuis 1989 dans des Missions de maintien de la paix. Les troupes kényanes ont une longue expérience; elles ont servi au Kosovo, en Yougoslavie, à Sierra Leone, au Timor, en Somalie, au Soudan, en Angola, notamment » ont indiqué les autorités. Selon le quotidien Le Nouvelliste daté du 23 août 2023, l’ambassade américaine en Haïti a été au four et au moulin, omniprésente durant le séjour de la Délégation kenyane. A en croire le journal de la rue du Centre « Le Chargé d’affaires américain Éric Stromayer est resté durant toute la journée et a pris part à toutes les discussions, au déjeuner des ambassadeurs comme à la réunion d’information du Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire (CSPN) avec les Kényans. Il s’est donné à fond dans l’organisation ». Une grande importance a été donnée au Haut Etat-Major de la police qui a pu exprimer librement ses souhaits à propos de cette force multinationale.
Outre les rencontres communes avec les autorités politiques et diplomatiques, il y eut d’autres rencontres avec les autorités policières et même, chose rare, une rencontre toute particulière avec un ancien Directeur général de la PNH dès le lundi 21 août 2023. C’est dire l’importance que les autorités et la Mission kenyane ont donnée à cette première prise de contact dite d’évaluation dans la perspective de cette intervention militaire étrangère en Haïti. La preuve de cette attention qu’a eue la police haïtienne, juste avant le départ de la Délégation le mercredi 23 août, une dernière réunion a été organisée entre les Hauts dirigeants de la police nationale et les membres de la Mission, ce qui souligne l’importance de cette institution dans le dispositif qu’entend mettre en place le gouvernement américain à travers les policiers kenyans et le reste de l’armada.
Le regard qu’ont apporté les membres de la Mission kenyane à l’institution policière lors de leur voyage en Haïti n’a point échappé, évidemment, à Frantz Elbé, le Directeur général de la PNH quand on lit le Communiqué émis par les autorités au terme de la Mission d’évaluation « Elle a permis, entre autres, de confirmer que toutes les parties avaient la même compréhension de la Mission : elle ne sera pas là pour remplacer la Police nationale ni pour effectuer son travail, elle viendra l’aider à devenir plus performante, plus adaptée, plus en mesure de remplir sa mission de protéger et servir. Le Haut commandement de la Police se réjouit que la Police haïtienne soit présente à toutes les phases de la préparation de la Mission et soit dans la réflexion pour la meilleure articulation possible afin d’obtenir des résultats qui, dès les premiers moments, changeront la vie des membres de la population et leur permettront de recouvrer leur liberté de circuler et d’habiter tranquillement leurs quartiers. Cette journée de travail a permis au haut commandement de la Police nationale de préciser ce qu’il voulait et attendait de l’aide qui va être fournie pour le renforcement de la Police et pour lui permettre de gagner en efficacité.
L’une des demandes de la Police nationale, dans le cadre de cette aide, a souligné le Haut commandement, est la formation d’unités d’intervention au sein de l’institution afin qu’elle puisse faire face aux défis sécuritaires de plus en plus nombreux et garantir la stabilité du pays » laissait entendre la partie haïtienne après une rencontre entre le Haut Etat-Major de la police et le Premier ministre Ariel Henry le mercredi 23 août 2023. Pourtant, malgré cette belle unanimité entre les autorités politiques et policières suite à la première Mission du Kenya à Port-au-Prince, il y a eu tout de même une vraie incompréhension, en tout cas, un malentendu, entre les membres de la Délégation kenyane et les autorités haïtiennes sur la forme exacte que doit prendre cette force multinationale. Sur la route du retour à Nairobi, l’ambassadeur Georges Orina et ses collègues avaient de nouveau fait une halte aux Nations-Unies, à New-York, pour faire le point avec les véritables maîtres de l’opération.
Après les premières déclarations des kenyans qui parlaient du déploiement d’une force « statique » pour sécuriser les infrastructures gouvernementales et étatiques du pays comprenant : bâtiments stratégiques, ministères, ports et aéroports internationaux, et les principales routes du pays, autant dire pas grand-chose compte tenu du peu d’infrastructures de grandes envergures dont dispose Haïti, ce fut la stupeur ! Incompréhension même ! De quoi parle-t-on ? En fait, à Port-au-Prince, la Délégation s’est entretenue sur une confusion. Certains acteurs haïtiens parlaient de protection des infrastructures et d’autres de la sécurité du pays. Comme d’habitude, une sorte de « marronnage » où personne ne veut assumer ses responsabilités. Résultat, les kenyans n’avaient rien compris.
(A suivre)
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