En lisant l’éditorial de Haïti Liberté de la semaine dernière sous la plume de Berthony Dupont, n’importe qui peut se faire une idée de ce que prépare l’opposition haïtienne pour la succession du Président Jovenel Moïse dans quelques années. C’est clair et précis. Le groupe se présentant sous le joli label de : « Unité du secteur Démocratique et Populaire » veut lancer dès maintenant la machine à perdre.
Selon le calcul de ses concepteurs, le plus tôt serait le mieux pour brouiller les cartes. Déjà, face à une population qui vit à des années-lumière de la préoccupation d’une opposition sans projet, sans perspective et in fine sans avenir. Comment des gens sans mémoire et comme des novices du système politique et électoral haïtien pensent pouvoir réussir avec les mêmes méthodes et pratiques qui ont causé leur perte lors du dernier processus électoral, face au pouvoir Tèt Kale? Quelle pauvreté d’esprit ! Même en choisissant le nom de ce regroupement, on souligne un manque terrible d’originalité et de paresse intellectuelle de ces responsables d’opposition.
Qu’est-ce que cela signifie « Secteur Démocratique et Populaire » ? Absolument rien. Sinon un plagiat de l’ancienne opposition datant de l’époque du Président Jean-Bertrand Aristide. Ce n’est certainement pas en rajoutant le mot « populaire » derrière « démocratique » que cela apportera une certaine originalité dans la démarche et dans l’action que ces leaders de l’actuelle opposition comptent mener en vue, selon eux, de renverser le Président Jovenel Moïse qui, en somme, demeure leur principale cible. Une vision à courte vue qui, là aussi, est une grave erreur dans leur agenda. Depuis les années 2000, l’appellation « Secteur démocratique » appartient à la droite et l’extrême droite haïtienne en vue de renverser tout régime conduit justement par la Mouvance lavalas. Les deux coups d’Etat militaire (1991) et civil (2004) contre les gouvernements légitimes de la présidence de Jean-Bertrand Aristide ont été exécutés par ce secteur dit démocratique.
S’il y a eu deux intermèdes de l’Administration de René Préval, c’est le soi-disant « Secteur démocratique » qui a hérité du pouvoir à travers l’élection de Michel Martelly dit Sweet Micky en 2011 ou en 2017 avec l’avènement de Jovenel Moïse qui poursuit l’œuvre de combattre la politique que ce nouveau groupe entend mener en lieu et à la place du PHTK. Donc, aujourd’hui, faute d’inspiration et d’alternative, le vocable « Secteur démocratique » change de camp pour être accaparé par les vaincus d’hier. Quelle misère ! Maintenant, voyons le fond de cette affaire d’« Unité du Secteur Démocratique et Populaire ». A première vue, il n’y a rien d’unité, encore moins d’union. Dans la mesure où un pan entier des anciens acteurs d’hier qui étaient sur le macadam a décliné, avec raison d’ailleurs, l’offre de monter dans un train dont tout le monde sait qu’il va dérailler dès le premier virage électoral, en clair, dès l’annonce des premières joutes électorales de l’Administration Moïse/Lafontant. Trop de malentendus et de divergences séparent les membres de ce regroupement pour être crédibles aux yeux de l’opinion publique.
Une opinion qui en a vu d’autres durant ces dix dernières années en matière d’union et d’unité ratée. Mal conçue et trop hâtivement mise en place avec des arrières pensées politiques légitimes, l’on mettra la main au feu que cette structure dont on ne sait pas si c’est un front commun ou une sorte de «G8» à la manière du regroupement conduit par l’ancien candidat à la présidence, Jude Célestin, ne fera pas long feu sur la scène politique haïtienne. Trop d’ambition personnelle aussi. Le premier handicap, et non des moindres, pour la survie de l’« Unité du Secteur Démocratique et Populaire » c’est l’absence du Parti Fanmi Lavalas dans le dispositif. Certains pourraient épiloguer sur ce point et même croire que ce parti ne pèse plus son pesant d’or au sein de la population. Donc, son absence ne peut pas nuire à l’épanouissement de l’« Unité du Secteur Démocratique et Populaire ». Grosse erreur de jugement.
Car, c’est vite oublier le poids psychologique de l’homme qui se cache aujourd’hui derrière Maryse Narcisse pour piloter le parti. Fanmi Lavalas est certes en perte de vitesse depuis longtemps. En clair depuis l’arrivée du Dr Maryse Narcisse à sa tête. Mais le sigle Fanmi Lavalas est une AOC (Appellation Origine contrôlée). Elle demeure un symbole pour lequel il faut du temps pour abattre ou faire oublier dans la mémoire collective de la masse des bidonvilles et des ghettos où ce parti trouve sa source. Or, sans ces entités populaires dans le sens le plus large, aucun mouvement politique et autres structures populaires ne peuvent vraiment s’imposer face à un pouvoir quelconque installé au Palais national. L’homme qui se cache derrière Maryse Narcisse qui se nomme Jean-Bertrand Aristide est loin d’être une quantité négligeable politiquement parlant. Même s’il n’est plus en capacité de faire gagner un scrutin présidentiel ou de faire réussir un regroupement politique, il demeure une capacité de nuisance. C’est-à-dire qu’il peut faire capoter une initiative politique sans même prendre la parole. En maintenant son parti Fanmi Lavalas loin de toute autre mouvance, plateforme ou alliance politique, l’ancien Prêtre de Saint Jean Bosco peut les conduire à un échec certain.
L’épilogue du long processus électoral de 2016 et du G8 de Jude Célestin et les autres sont des témoins encore vivants prouvant la capacité de Fanmi Lavalas d’empêcher la réussite d’un candidat ou d’un regroupement sans sa participation. L’échec du G8 face à Jovenel Moïse jusqu’à sa dissolution quelques semaines avant l’élection présidentielle de 2016 est en grande partie un coup de la non participation du Parti Fanmi Lavalas à cette organisation éphémère. L’initiative de certains responsables politiques haïtiens de lancer l’ « Unité du Secteur Démocratique et Populaire » pratiquement sans l’accord de leurs militants ou de la base de leurs partis nous rappelle l’histoire récente de « La Belle Alliance Populaire » de la gauche lancée en France en 2015 par le Parti Socialiste sous la direction de Jean-Christophe Cambadélis qui, en panne d’idées et de perspectives face aux échéances électorales, n’a eu finalement aucun effet sur la population.
Alors que tous les partis de la gauche française prennent leur distance avec un PS totalement coupé de sa base électorale, donc de l’électorat populaire, les socialistes, en lançant cette « belle machine » qui tournait à vide sans l’adhésion ni de ses propres électeurs potentiels ni de l’accord des militants des autres partis de gauche, n’avaient aucune chance de réussir ni de combler l’échec social de la présidence de François Hollande. Résultat : avant même l’ouverture des campagnes de la « Primaire », tous les autres partis de gauche avaient présenté leurs propres candidats à la présidence de la République. On connaît la suite. Un outsider nommé Emmanuel Macron, sans parti ni base électorale, a remporté haut la main la compétition. La morale de l’histoire : il ne suffit point de s’affubler du titre « populaire » ou « démocrate » pour penser convaincre les plus sceptiques. D’ailleurs, avant même de parvenir à la signature de ce que les initiateurs de l’« Unité du Secteur Démocratique et Populaire » appellent « Accord de Principe et d’engagement », il y a eu une telle confusion entre les signataires, les partis ou les plateformes que les observateurs finissent par s’y perdre.
Comment des gens sans mémoire et comme des novices du système politique et électoral haïtien pensent pouvoir réussir avec les mêmes méthodes et pratiques qui ont causé leur perte lors du dernier processus électoral, face au pouvoir Tèt Kale?
Il faut bien maitriser la scène politique haïtienne pour comprendre et s’y retrouver tant les choses sont chaotiques et laborieuses pour les acteurs eux-mêmes. Tout d’abord, c’est au sein de la Fanmi Lavalas qu’on a enregistré les premières casses. Ceux qui se croient plus légitimes en tant que membres de la famille et ceux ayant un mandat du peuple se sont entredéchirés ouvertement sur la place publique. Entre Dr Maryse Narcisse et Dr Schiller Louidor prenant l’opinion publique et la presse à témoins à coup de communiqué, cette guerre des docteurs est l’une des premières conséquences de cette unité introuvable. Des polémiques qui laisseront certainement des traces et des morceaux qui seront difficiles à coller. Des vétérans de la première heure reprochent à d’autres leur manque de légitimité pour les avoir empêchés de signer un document dont leur parti n’est pas partie prenante. Finalement, on a compris que la division fait rage au sein du parti du Dr Jean-Bertrand Aristide, le père fondateur.
Or, quoique désavoués par la Direction (Comité exécutif) du Parti, des élus et autres responsables ont bien apposé leurs signatures au bas dudit « Accord de Principe et d’engagement » mettant ainsi les dirigeants au pied du mur et leur faire passer comme ceux qui veulent barrer la route à l’union de l’opposition. Même cas de figure pour la Plateforme Pitit Dessalines dont l’on ne sait plus qui est le véritable patron. Après l’ultimatum et la brillante polémique mettant face à face Jean-Charles Moïse et quelques leaders et élus lavalas, c’était au tour du Secrétaire général de Pitit Dessalines d’affronter les mises en garde et le défit des quatre autres dirigeants de cette plateforme lui interdisant de signer quoi que ce soit au nom du parti sans l’accord de l’ensemble des autres responsables.
Du coup, l’on a du mal à identifier le vrai leader de la plateforme Pitit Dessalines ou s’il existe un autre parti dénommé Pitit Dessalines. Aux dernières nouvelles, Jean-Charles Moïse a bel et bien signé ce fameux « Accord de Principe et d’engagement ». Mais personne ne sait s’il l’a fait en son nom propre ou au nom de la plateforme Pitit Dessalines ou encore s’il avait trouvé un « accord » avec la bande des quatre à savoir : Dr Frantz Perpignan, Jean Gilus Aristil, Dénor Atus et Jose Benoît Louissaint. Bref, l’opposition est la première victime de sa propre initiative sans que l’unité recherchée soit à l’horizon. L’opération qui devait être une grande victoire pour l’opposition en termes de visibilité et de clarification à court, moyen et long terme afin de mener le front contre le Président Jovenel Moïse s’est soldée en source de division et de guerre des chefs.
Ce sont les deux maux responsables de l’effritement et de la balkanisation de l’opposition haïtienne face à un pouvoir établi depuis bientôt dix ans et qui n’en demande pas tant. En fait, au lieu d’apporter une certaine cohérence dans la démarche de l’opposition afin de définir une stratégie de lutte et une méthode pour porter la présidence haïtienne à démissionner puisque c’est le principal but de cette alliance introuvable, c’est une ligne de fracture qui a été créée entre les principaux leaders politiques de l’opposition. D’une côté, il y a le camp mené par Fanmi Lavalas de Maryse Narcisse qui s’oppose à toute union qui serait mal ficelée dont il ne reconnaît pas l’existence et d’autre part il y a le camp dont on n’identifie pas très bien le chef. Car, c’est bien beau de constituer un groupe, une alliance ou une union politique. Mais ceci ne peut se faire ni dans l’anarchie ni avec des vices cachés. Qui dirige cette union ? Tout le monde. Impossible. La politique doit se faire dans la transparence tout en évitant toute démagogie. Il ne saurait avoir une entité appelée « Unité du Secteur Démocratique et Populaire » sans qu’il y ait une adresse commune, un responsable ou un Coordonnateur unique sur une base de consensus. Sinon c’est introduire encore plus de confusion dans la tête de la population qui croit de moins en moins aux choses publiques.
On le sait, dans cette affaire Jean-Charles Moïse se positionne déjà pour être le nouveau leader devant mener cette « Unité du Secteur Démocratique et Populaire ». D’où, d’ailleurs, la méfiance du Dr Maryse Narcisse pour rester en dehors de cette mouvance afin de disposer de toute sa liberté de parole et de mouvement. Mais, l’ancien sénateur et candidat à la présidence, Jean-Charles Moïse, doit se préparer à affronter d’autres leaders et concurrents qui ont intégré l’« Unité du Secteur Démocratique et Populaire » en dépit du refus de leurs partis pour être le chef de ce groupe informel. Les sénateurs Evalière Beauplan et Nènel Cassy, l’ex-ministre Marjorie Michel et tant d’autres signataires n’ont pas dit leurs derniers mots dans cette course au leadership. Bien entendu, l’ancien sénateur du Nord, déjà chef incontesté de l’opposition au pouvoir du Parti Haïtien Tèt Kalé (PHTK), occupe largement l’espace. Mais, Jean-Charles Moïse dont la place de leader est contestée par des collègues de son propre parti se dit conscient qu’il reste du chemin à faire avant de parvenir à une candidature unique de l’opposition. Peut-être même à une candidature de l’« Unité du Secteur Démocratique et Populaire » dans le cadre des objectifs à atteindre.
Tout cela, bien entendu, après le départ de Jovenel Moïse qui sera remplacé par un Gouvernement de Consensus National (GCN) selon le 5e point de l’« Accord de Principe et d’engagement » qui a été signé le mardi 12 juin 2018 à Port-au-Prince. Quid du Rassemblement de l’Arcahaie pour la Reconstruction et l’Unité du Mouvement Démocratique et Populaire conclu le 19 août 2017. Place maintenant à l’Unité du Secteur Démocratique et Populaire. On n’en revient pas. Quelle affaire !
C.C.