Définitivement, c’est confirmé, Haïti devient un champ d’expérimentation pour la Communauté internationale. Nous l’avons déjà souligné dans une précédente chronique sur cette Transition démontrant que les Etats-Unis via le Canada et celui-ci via la Jamaïque expérimentent d’autres approches diplomatiques et politiques en utilisant Haïti comme terrain d’essai. L’arrivée discrète d’un « 3e élément », genre « cinquième colonne », puisqu’il évolue en toute autonomie mais non officiel sur le terrain dans la crise haïtienne, vient d’apporter une confirmation dans ce que nous avons avancé. En effet, après avoir tout tenté ou presque sans succès pour faire s’asseoir tous les protagonistes de la Transition sur une même table, Washington ne semble pas prêt de lâcher la partie. Sachant qu’il est le seul à pouvoir le faire de gré ou de force, il refuse de s’avouer vaincu. Il ne veut pas lâcher l’affaire quitte à avoir recours à des « opérateurs » indépendants après l’échec de ses diplomates officiels et plusieurs tentatives de sortie de crise.
D’où l’entrée en scène d’un certain Jonathan Powell. Mais quelle entrée ! Discret, mystérieux, passe partout, jovial, ce personnage surprend par sa discrétion légendaire dans un pays comme Haïti où, en vérité, il est difficile de passer inaperçu, surtout quand on est un étranger, « blanc » de surcroit. Déjà, il faut le reconnaître, Jonathan Powell a remporté une première victoire et gagné la première manche par le fait qu’il est venu si souvent à Port-au-Prince ces derniers mois et y est passé quasi incognito à l’heure des réseaux sociaux. Un exploit ! Avant de voir quelle est la mission de ce caméléon dans la crise haïtienne, tentons de savoir d’où il vient et qui il est, ce Jonathan Powell. Pour commencer, c’est un citoyen britannique né en 1956, diplomate, mais très politique. Il est l’un des principaux responsables d’une ONG britannique, dénommée « Intermediate Organisation» dont la principale activité est de résoudre les crises socio-politiques à travers le monde, particulièrement dans les pays émergents ou Etats faillis comme Haïti.
Jonathan Powell a été chef de Cabinet de Tony Blair qui fût Premier ministre travailliste (Gauche) de la Grande-Bretagne pendant dix ans (1997-2007). Il est resté en poste durant tout le mandat de Blair et jouait un rôle de premier plan autour du Premier ministre en étant aussi son principal Conseiller politique jusqu’à la démission, en 2007, de Tony Blair à la tête du gouvernement. En quittant le 10 Downing Street, la résidence officielle du gouvernement du Royaume-Uni, Jonathan Powell rejoint fin 2007 une grande banque privée, la Banque Morgan Stanley, tout en intégrant l’Université de Pennsylvanie et University College comme professeur. Très actif dans les conflits politiques qui rongent certains pays du continent africain, Jonathan Powell est, en fait, un globe-trotter. Il est partout où il se passe quelque chose sur le plan politique en Asie et surtout en Amérique latine. Il n’est nullement étonnant qu’il soit repéré par les « hommes du Président » Biden et qu’il ait été chaudement recommandé pour cette mission de la dernière chance en Haïti.
D’ailleurs, selon les informations recoupées un peu partout, ce diplomate anglais serait un bon « conseiller » de la CIA, c’est dire que Jonathan Powell est dans son élément dans ce champ d’expérimentation qu’est Haïti aujourd’hui pour différentes puissances étrangères en pleine mutation politique et diplomatique. Alors, revenons sur sa présence furtive en Haïti qui, le moins que l’on puisse dire, surprend plus d’un, dans la mesure où cela faisait des mois que cet « Envoyé spécial » sillonnait les rues de la capitale haïtienne et les hauteurs de Pétion-Ville sans se faire remarquer par le grand public, encore moins par la presse. Il paraît que Jonathan Powell aurait été dans nos murs depuis mi 2022 et menait un travail assidu pour le compte de la Maison Blanche afin de porter les acteurs de la crise post-Jovenel Moïse à trouver un consensus.
On apprend aussi que ce monsieur a déjà eu des entretiens et rencontres avec la quasi-totalité des responsables politiques, Secteur privé des affaires et naturellement la Société civile organisée. La question que l’on peut se poser : comment expliquer que cet anglais puisse passer sous les radars des médias haïtiens, voire ceux des Etats-Unis et le Royaume-Uni sans se faire repérer depuis tout ce temps ? Et c’est là que ce professeur d’université et « ami » de certains services secrets des Etats-Unis paraît très fort. Voilà qu’un Délégué de l’Administration Biden qui a entrepris plusieurs voyages en Haïti, un pays en proie à une crise politique de longue haleine dont les médias américains surveillent la moindre avancée, arrive à se faufiler sans qu’il n’y ait aucune fuite de la part d’aucun de ses interlocuteurs.
Cela relève d’un mystère, sinon, un gage d’efficacité qu’il faut souligner et mettre au crédit de ce curieux diplomate. Certains se demandent même s’il ne s’agissait pas d’un accord tacite noué entre des journaux comme The New York Times, The Miami Herald, entre autres, et Jonathan Powell pour ne pas révéler sa présence dans le dossier haïtien, tant il est impensable que cet « Emissaire » arrive à brouiller toutes les pistes ou mettre un « black-out » total sur ses « allers-retours » en Haïti relevant d’une discrétion digne du silence d’un Cardinal. La presse américaine, passons. Mais qu’en est-il de la presse haïtienne ? Personne, vraiment personne n’était au courant ou avait donné sa parole pour garder le silence ! Encore, un mystère avec la parution de ce curieux personnage dans cette Transition qui nous cache encore bien des surprises.
Encore plus surprenant, le silence des acteurs de la Transition, les protagonistes de tout bord, les différents Secteurs de la Société civile avec lesquels Jonathan Powell a mené des discussions au long cours sans que personne n’ait pipé mot à aucun journaliste « ami », pour ne pas dire un média de grande écoute de la capitale. Sachant que les politiques haïtiens prennent toujours un malin plaisir à divulguer la moindre causerie, le moindre chuchotement ou la moindre petite rencontre ayant eu lieu avec un obscur Délégué étranger, notamment, américain, histoire de faire valoir leur rang et leurs considérations dans la crise. Pas un n’a souligné un instant le passage de l’« émissaire de la maison Blanche » et du Département d’Etat dans le pays ni son intégration dans le groupe de recherche de compromis entre les différents camps. Pourtant, l’homme a rencontré du monde, beaucoup de monde depuis son apparition dans le dossier de la Transition.
Des dirigeants de l’Accord de Montana à ceux du 21 décembre en passant par Pierre Espérance du RNDDH et bien sûr le Premier ministre de facto, Ariel Henry, tous restaient silencieux comme des capes, peut-être après avoir reçu la consigne, sinon, l’ordre de garder leur langue de leur bouche. Rien, absolument rien n’a filtré de ces conversations entre l’« Envoyé spécial » officieux de Washington et la classe politique, les élites économiques et intellectuelles haïtiennes depuis près de six mois qu’ont été entrepris ces pourparlers secrets. Est-ce par peur de sanctions en guise de représailles de la part des autorités américaines que les haïtiens dans cette affaire se sont vus obligés de garder le silence ou par souci de faciliter la tâche à cet anglais venu de Washington afin de dénouer la situation ?
Tout ceci et ce comportement inhabituel rendent encore plus curieux, sinon, plus perplexe l’arrivée de ce britannique sur le terrain haïtien très loin de son champ d’activités. Mais, il y a toujours une fin à tout ou peut-être aussi parce que ce mystérieux émissaire a enfin donné son feu vert pour rendre publique sa participation dans le processus du dénouement de la crise. Rendons à César ce qui est à César. C’est le quotidien Le Nouvelliste qui n’a point révélé ses sources qui a été le premier à donner l’alerte en relatant qu’il y a un « Mystérieux émissaire qui cherche à construire un consensus » en Haïti. Et c’est de là qu’on a appris que plusieurs personnalités du monde politique ont bel et bien rencontré en catimini cet émissaire, en l’occurrence Jonathan Powell.
Si en interrogeant les acteurs certains ont facilement confirmé la présence du Délégué mystère sur le sol haïtien, d’autres avaient plus de scrupules en niant carrément, dans un premier temps, qu’ils avaient rencontré Jonathan Powell. En effet, Le Nouvelliste a eu la confidence de Clarens Renois et de Pierre Espérance et même du principal allié du pouvoir de Transition, Me André Michel du SDP, qui jouait, selon le journal, au « trouble-fête » lors de cette rencontre avec Jonathan Powell. D’après ce qui a été rapporté, Pierre Espérance a été assez loquace pour parler de sa rencontre avec cet émissaire pas comme les autres. Presque libéré d’un fardeau de pouvoir décharger son cœur, le patron du Réseau National de Défense des Droits Humains (RNDDH) a laissé entendre « Je pense que Powell a un mandat de l’Administration Biden.
Sans tambour ni trompette, il essaie de mettre les acteurs autour d’une même table. Il a beaucoup d’expérience dans les résolutions de conflits en Asie, en Afrique et en Amérique. Considérant le niveau de polarisation du pays, on a certainement besoin d’un facilitateur. C’est quelque chose de très positif » avançait Pierre Espérance. En revanche, lors du dernier passage de Jonathan Powell dans la capitale haïtienne, une mission ayant eu lieu entre le 1e et 6 mars 2023, Mme Mirlande Manigat et ses collègues du HCT (Haut Conseil de la Transition) n’ont pas été reçus par celui-ci. N’étant pas invitée aux discussions avec le Délégué du Président Joe Biden, la Présidente du HCT se faisait une raison en déclarant : « On est au courant de la visite, mais on ne nous a pas rencontrés » lâchait fataliste Mirlande H. Manigat.
(A suivre)
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