Qui veut du Comité de médiation constitué officieusement par le Core Group ? Apparemment personne, sinon seulement, le Premier ministre a.i Ariel Henry qui travaille sous l’étroite surveillance de Mme Helen La Lime qui l’a nommé à ce poste. Ce Comité de médiation ou Commission de médiateurs composé de : Mgr Ogé Beauvoir de Religions pour la Paix, Laurent St Cyr de la Chambre de Commerce et d’Industrie d’Haïti (CCIH) et de Jean Robert Charles de la Conférence des Recteurs, Présidents et Dirigeants des Universités et Institutions d’enseignement supérieur haïtiennes (CORPUHA), a vu le jour dans la confusion la plus totale comme nous l’avons déjà raconté dans une précédente chronique. Seule la Primature et les signataires de l’Accord du 11 septembre, semble-t-il, ont accepté son existence. Et pour cause. Cette structure serait en mission commandée pour le compte, justement, du chef du gouvernement à la demande du Core Group.
Personne d’autre, jusqu’au moment où nous écrivons cette chronique, (9 août), ne veut ou ne souhaite réellement travailler avec un organisme n’ayant reçu l’accord d’aucun acteur sérieux de la Transition outre Ariel Henry, naturellement et encore. D’ailleurs, après son apparition inattendue dans le paysage politique et médiatique quelques jours avant les deux rencontres surprises du Premier ministre Ariel Henry dans la nuit du 11 et du 15 mai 2022 avec un membre du Bureau de Suivi de l’Accord (BSA), en l’occurrence, madame Magali Comeau Denis, de l’Accord du Montana, pour le pays et pour l’ensemble des acteurs intéressés à la question des négociations, le dossier du Comité de médiation était clos.
Cette probabilité était tellement évidente que la mission du Comité paraissait inutile puisque son rôle aurait été de mettre en relation les protagonistes qui ne se parlaient plus. Les deux visites du chef du Pouvoir exécutif chez Magali Comeau Denis semblaient sceller le sort de la mission des médiateurs. Ce d’autant plus que les membres du Comité avaient révélé que leur mission serait de rétablir le contact avec l’ensemble des entités en conflit et surtout de les ramener à s’asseoir autour d’une table de négociation.
Bien que, à propos de cette structure, Jacques Ted St-Dic membre du BSA croit qu’il ne s’agit que d’une action instantanée de trois individus sans aucune mission officielle de l’ensemble des protagonistes : « Nous ne savons pas quand ce Comité a été formé ni qui lui a donné mandat. On a juste constaté que trois personnalités ont décidé un bon matin de former un Comité de médiation. Nous n’avons jamais reçu à date une invitation de ce Comité de médiation » disait-il. De fait, à l’annonce que les deux principaux acteurs de la Transition avaient renoué le dialogue, soit c’était mission accomplie pour le trio qui constitue cet organisme très contesté par la quasi-totalité des acteurs de la Transition soit qu’il n’avait plus sa raison d’être. A ce point, certains se demandaient en toute logique : que devient le Comité de médiation ? Dans la mesure où les pourparlers reprennent sans condition apparente après plusieurs mois de silence.
Sauf que ces deux tête-à-tête du Premier ministre avec Magali Comeau Denis cachaient un jeu en trompe l’œil. Un mystère, diraient d’autres. Et aujourd’hui, certains observateurs de la politique haïtienne, surtout ceux qui suivent le processus de la Transition, demeurent persuadés que ces rencontres sans aucun protocole entre le Titulaire de la Primature et l’une des voix écoutées de l’Accord du Montana entrent dans une stratégie de donner un coup de main au Comité de médiation et peut-être à Mme La Lime qui tente de jouer sur deux tableaux. En réalité, si l’on tient compte des déclarations des membres du Comité, jamais au grand jamais les tête-à-tête d’Ariel Henry et Magali Comeau Denis ne devaient arrêter la mission pour laquelle ils avaient été nommés. Ces rencontres venaient en support, non pour freiner ni affaiblir le rôle des médiateurs.
Selon le quotidien Le Nouvelliste du 13 mai 2022 rapportant les déclarations d’un membre du Comité, celui-ci a déclaré sans aucune ambiguïté : « Un Premier ministre peut rencontrer n’importe qui quand il veut. Cela ne nous concerne pas. D’autant plus qu’il n’y a pas eu de décision après cette rencontre. Il n’y a pas eu d’entente après la rencontre entre Mme Denis et M. Henry. Nous autres, au sein du Comité de médiation, nous avons une mission et nous restons dans le cadre de cette mission. Le Premier ministre avait déjà manifesté sa volonté et donné la garantie qu’il participerait au processus de dialogue sous le leadership du Comité de médiation. C’est ce que le Premier ministre nous a dit lors d’une rencontre avec lui. Nous allons continuer à rencontrer les acteurs. » Ces propos rapportés par Le Nouvelliste devraient, en vérité, attirer l’attention de tous ceux qui pensaient que Ariel Henry chercherait à saper l’autorité morale de cet organisme de médiation souffrant déjà d’un énorme déficit de crédit auprès des acteurs et qu’il n’avait pas besoin de ce coup médiatique qui paraît l’enterrer. Mais, très vite, l’opinion publique haïtienne va comprendre.
Le Comité de médiation était loin de dire son dernier mot même si certaines de ses démarches ne jouent pas franchement en sa faveur, en tout cas, auprès de la plus importante structure qui donne du fil à retordre à Ariel Henry. Sans doute, constatant l’échec de ses tête-à-tête avec Mme Comeau Denis et l’intransigeance des deux parties aux propositions sur lesquelles les pourparlers butent, dans la petite ville de l’Arcahaie, le Premier ministre avait remis en selle le Comité de médiation le 18 mai 2022 lors de la Commémoration du 219e anniversaire de la création du bicolore national. Prenant de court l’assistance et la population en général, Ariel Henry allait replacer : Mgr Ogé Beauvoir de Religions pour la Paix, Laurent St Cyr de la Chambre de Commerce et d’Industrie d’Haïti (CCIH) et Jean Robert Charles de la Conférence des Recteurs, Présidents et Dirigeants des Universités et institutions d’enseignement supérieur haïtiennes (CORPUHA) au cœur du débat pour la reprise du dialogue inter-haïtien dans cette Transition. Depuis son pupitre, le chef du gouvernement lança : « Aujourd’hui, nous sommes à un carrefour qui génère toutes formes d’inquiétudes à cause de problèmes économiques, environnementaux, sécuritaires.
Nous avons besoin de travailler, de discuter, nous entendre, nous fixer des objectifs et faire de notre mieux pour les atteindre ensemble. C’est pour cela que j’encourage l’initiative des représentants du monde religieux, de l’université et du secteur privé à poursuivre leur démarche de consultation et de concertation avec tous les segments de la société. Et je convie fortement ceux qui n’ont pas encore participé à ces échanges à le faire, car ceci est une voie qui vaut la peine d’être explorée et qui peut, qui sait ? Nous permettre de déboucher sur une entente sur quelques questions essentielles susceptibles de mener vers une issue durable et acceptable pour nous tous. » Un discours laissant sans voix les signataires de l’Accord du Montana et de leurs alliés. Les membres du BSA (Bureau de Suivi de l’Accord) de Montana s’attendaient à tout sauf à cette confirmation dans sa mission quasi impossible d’un Comité de médiation. Un Comité n’ayant aucune légitimité faute de ce qu’aucun de ses membres ne soit validé par aucune autre organisation politique ou de la Société civile organisée.
Mais uniquement par le locataire de la Villa d’Accueil et Mme Helen La Lime, cheffe de l’association de diplomates en poste à Port-au-Prince. Cette déclaration du 18 mai du Premier ministre était d’autant plus malvenue, que la veille, les membres du BSA avaient carrément envoyé balader les responsables dudit Comité suite à un mail reçu de la part de la Direction exécutive de la Chambre du Commerce et d’Industrie de l’Ouest (CCIO). D’après un Communiqué à la presse pour faire suite à ce mystérieux e-mail de la CCIO, les membres du BSA disent penser avoir affaire à une institution de sondage sur le climat d’insécurité général dans le pays. Dans leur communiqué, presque indignés, les membres du Bureau de Suivi de l’Accord de Montana expliquent « Pendant la conversation directe avec le pouvoir en place, le BSA a reçu, le 17 mai 2022, un email de la « Direction exécutive de la CCIO », composée de Mgr Ogé Beauvoir, le professeur Jean Robert Charles et de M. Laurent St-Cyr.
Ils se présentent comme membres d’un Comité de médiation qui représentent Religions pour la Paix-Haïti, la Conférence des Recteurs, Présidents et Responsables d’universités et d’institutions d’enseignement supérieur haïtiennes (CORPUHA) et la Chambre de Commerce et d’Industrie d’Haïti (CCIH). Ils nous ont demandé notre opinion sur l’insécurité, les élections, la Constitution, la crise humanitaire et la gouvernance. Le BSA comprend donc qu’il s’agit là d’un sondage. Il est nécessaire que ces trois citoyens présentent au public le mandat des institutions qu’ils disent représenter, le mandat des gens qui ont fait choix d’eux, la méthodologie du sondage d’opinion qu’ils veulent faire, leur agenda, comment ils vont traiter les résultats du sondage… » En clair, pour Leslie Voltaire, Jacques Ted St-Dic et les autres, c’est plus qu’une vaste plaisanterie. Comme on dit en Haïti : Ariel Henry « ap pase moun nan betiz ». D’ailleurs, d’après Danio Siriac, du parti politique Organisation du Peuple en Lutte (OPL), membre de l’Accord du 30 août, ce Comité n’est habilité à entreprendre aucune initiative en ce sens puisqu’il n’a pas été validé par les acteurs politiques.
Surtout, le jour même de cette tentative de réaliser avec eux ce « sondage » sur l’avenir du pays, c’est-à-dire, le mardi 17 mai, la Primature avait fait parvenir les contre-propositions pour la reprise des discussions devant aboutir à un accord de sortie de crise et sur la gestion de la Transition de rupture. Sans fermer complètement la porte au processus du dialogue avec le chef du gouvernement et éventuellement avec d’autres entités engagées dans le processus de la Transition, les dirigeants de l’Accord du Montana confirment : « Qu’ils sont disposés et disponibles à travailler avec toutes entités et citoyens conséquents dans le pays afin d’arriver à un compromis national. Le BSA croit qu’il est important de rappeler que la situation est grave et cela demande beaucoup de sérénité, de sincérité et de respect pour la bataille que nous menons au sein de la population. » En attendant, le malaise et l’ambigüité sur l’existence même du Comité de médiation persistent ainsi que sur son rôle dans les négociations. Pour certains, ledit Comité n’est autre qu’un « Comité Théodule » c’est-à-dire une Commission sans aucune utilité selon une expression du général Charles de Gaulle en 1963. On y reviendra.