Incontestablement, l’affaire PetroCaribe prend de l’ampleur. De jour en jour, la société haïtienne dans son intégralité se sent concernée par cette affaire qui met à nu le comportement de nos dirigeants vis-à-vis des deniers publics.
Si depuis toujours la corruption au sein de l’administration et des institutions publiques haïtiennes demeure une sorte de cancer qui affaiblit lentement mais sûrement l’Etat sans pour autant trouver un traitement de choc capable de le guérir, il semblerait que le dossier PetroCaribe en serait un ultime secours sinon un palliatif pour un demain meilleur. En effet, avec les vagues de mécontentement enregistrées aujourd’hui au sein de la population sur cette affaire de PetroCaribe, elle prend brutalement une tournure dont personne n’est en mesure de dire jusqu’où cela s’arrêtera. PetroCaribe apparaît comme un grand livre dans lequel chaque page retournée nous plonge dans ce que les scénaristes appellent dans les films la « trame », c’est-à-dire des passages ou dialogues qui envoient les spectateurs vers de nouvelles découvertes ou de nouveaux suspenses.
Le dossier PetroCaribe qui n’est pas nouveau, puisqu’il date tout au moins de la présidence de feu Président René Préval, résume à lui seul l’étendue du niveau de la corruption publique en Haïti de ces quarante dernières années. Depuis longtemps, les acteurs de la Société civile, les mouvements alternatifs et de manière générale l’opposition politique dans toutes ses composantes et dimensions cherchaient un dominateur commun afin de faire cause commune sur les moyens de combattre ce fléau qui ruine la Nation. Mais la volatilité des conjonctures politiques fait qu’il était impossible de trouver ce point commun.
Ce socle dans lequel toute la population se rejoint afin de porter les gouvernements, la justice et les pouvoirs publics en général à porter un coup d’arrêt à cette corruption d’Etat mettant à mal les fonds publics destinés au développement du pays. Parmi les trois acteurs cités plus haut, aucun d’entre eux n’est assez crédible et n’a suffisamment de capacité financière à lui seul pour créer un mouvement aussi hétérogène et populaire que celui auquel on assiste depuis quelques mois. Il fallait cette jonction. Ce sujet capital qui, non seulement capte l’attention, mais démontre l’intérêt pour chacun des citoyens de la Cité d’adhérer à une telle mobilisation.
Ce socle fédérateur c’est la Reddition des comptes publics. Nous sommes en plein questionnement : quand la Nation demande des comptes ? Aujourd’hui, il y va de la crédibilité de la Nation devant ses voisins ne comprenant pas qu’un peuple aussi vaillant qu’intrépide puisse accepter sans mot dire que ce qui lui revient de droit passe en perte et profit au bénéfice de quelques individus. Ceux qu’on appelle déjà les Petro-voleurs. Le vol et la dilapidation des fonds PetroCaribe mettent à mal une fois encore l’honneur, le sérieux et la réputation de nos dirigeants. Car ils sont les seuls à ne rien faire de concret pour le pays avec ces fonds. Nos voisins de la Caraïbe et de l’Amérique latine ont eux aussi reçu de la part de nos amis vénézuéliens des prêts défiant toute concurrence afin de moderniser leurs pays respectifs en améliorant la situation sociale et économique de leurs compatriotes. Puisque ces prêts étaient destinés au développement national de tous les pays ayant bénéficié de cet accord financier au taux exceptionnellement bas. Pour ne pas dire pratiquement nul.
En République Dominicaine, les dirigeants passés et présents de ce pays ont fait avec cet argent un usage allant au-delà même de ce qu’on leur avait demandé. La multiplication des grandes infrastructures autoroutières, la modernisation du secteur des transports publics, l’investissement dans les secteurs de l’éducation et de la santé et sur un plan général la modernisation du pays marquent les esprits de tous les visiteurs débarquant pour la première fois dans l’un des grands aéroports internationaux de ce pays. De l’autre côté de la frontière haïtienne, les fonds PetroCaribe auront servi à quelque chose. Et cela se voit. Ainsi, les acteurs haïtiens ont su, une fois n’est pas coutume, s’allier pour faire de ce dossier une affaire commune. Ils convergent leur force, concentrent leur énergie et leurs moyens financiers afin de permettre que leurs revendications soient entendues par l’ensemble des pouvoirs publics.
Après quelques actions individuelles, ils ont compris que seuls ils n’obtiendraient rien du pouvoir. De ce fait, ils se sont mis d’accord sur une date, celle du 17 octobre 2018 pour lancer leur « longue marche » vers ce qu’on peut déjà appeler : le procès PetroCaribe. Plusieurs manifestations ont déjà eu lieu à l’appel du groupe PetroCaribe/Challenge et d’autres acteurs socioculturels. Mais celle du 17 octobre 2018 fera sans aucun doute date dans le processus devant conduire inévitablement à un nouveau procès de la « Consolidation » en Haïti. La réussite de cette grande manifestation nationale et populaire peut-être considérée comme l’Acte I d’une chronique d’un procès annoncé. Les acteurs eux-mêmes sont surpris de l’ampleur du mouvement qu’ils ont lancé il y a quelques mois, d’abord sur les Réseaux sociaux ensuite en foulant le macadam de Port-au-Prince en s’interrogeant : kot kob PetroCaribe a ? Littéralement, « où sont passés les fonds PetroCaribe ? Si l’exploitation des dates historiques d’Haïti, entre autres, celle de l’assassinat de l’Empereur Jean-Jacques Dessalines Le Grand, Fondateur de l’Etat d’Haïti, peut servir à contraindre les pouvoirs publics à faire la lumière sur l’utilisation des fonds PetroCaribe, pourquoi pas ? Cela donnera encore la preuve que même mort, son idéal demeura intact.
Ce socle dans lequel toute la population se rejoint afin de porter les gouvernements, la justice et les pouvoirs publics en général à porter un coup d’arrêt à cette corruption d’Etat mettant à mal les fonds publics destinés au développement du pays.
En tout cas, le 17 octobre 2018, le pouvoir politique qui ne s’attendait certainement pas à une mobilisation d’une telle ampleur apparaît ébranlé sur ses fondations et ses certitudes. Pris de panique, ébranlé et totalement déstabilisé, le Président Jovenel Moïse qui cherche à sauver sa peau à défaut de sa présidence a sans doute compris que le dossier PetroCaribe, devenu depuis quelque temps « Affaire PetroCaribe », tient ses fondements dans l’arrogance et le mépris des autorités politiques à faciliter le travail de la justice. Du coup, il s’est séparé de manière brutale et sans préavis de l’ensemble de ses collaborateurs, surtout les deux plus hauts personnages épinglés ou accusés de détournement des fonds PetroCaribe, par un simple décret en date du 19 octobre 2018. Quelques jours plus tard, c’était au tour d’une icône qu’on croyait indéboulonnable, l’ancienne Conseillère du Conseil Electoral Provisoire (CEP), madame Yolette Mengual d’être démise de ses fonctions à la Direction générale du Ministère des Haïtiens vivant à l’étranger. Critiquée et accusée de corruption avérée lors des élections de 2016, personne n’avait compris que le chef de l’Etat puisse nommer madame Yolette Mengual au poste de Directrice générale d’un Ministère, alors même qu’elle était déjà mise en examen (inculpée) pour fait de corruption.
En congédiant sine die ces hauts fonctionnaires de l’administration publique, le Président de la République tente d’éteindre le feu qui marche à grand pas vers sa maison qui n’est point à l’abri. C’est aussi la première retombée positive pour les organisateurs de la manifestation populaire du 17 octobre qui n’attendaient pas mieux en attendant d’autres gestes encore plus significatifs du pouvoir politique. Car, l’objectif n’est autre que l’arrestation de tous ceux dont les noms sont nommément cités dans les deux Rapports des Commissions sénatoriales conduits par les sénateurs Youri Latortue et Evallière Beauplan sur l’utilisation des fonds PetroCaribe. Le limogeage du chef de cabinet du Président, Wilson Laleau et du Secrétaire général de la présidence, Yves Germain Joseph, deux hauts dignitaires mis en cause dans le dossier des fonds PetroCaribe et menacés de poursuite judicaire est perçu comme une fenêtre entre-ouverte vers ce procès tant réclamé par la population outrée que ces gens puissent trouver refuge au Palais national pour se soustraire à la justice.
Outre ces hauts serviteurs de l’Etat lâchés par le pouvoir et pratiquement mis à la disposition du Commissaire du gouvernement (Procureur de la République), au cours de la même semaine, deux autres anciens grands commis de l’Etat s’étaient vus convoquer par le Parquet de Port-au-Prince toujours dans le cadre du dossier PetroCaribe. Il s’agit de l’ancien Premier ministre Laurent Lamothe et de l’entrepreneur Patrice Milfort, Directeur général de la firme Général Construction S.A. Ils étaient invités à venir dire ce qu’ils savent de l’utilisation des fonds PetroCaribe qui est en fait, un Accord de coopération sur l’énergie (fourniture de pétrole et de gaz) signé entre le gouvernement haïtien et celui du Venezuela le 15 mai 2006.
Dans le collimateur de l’opposition depuis la découverte de cette corruption à grande échelle, Laurent Lamothe qui cumulait pendant un temps la fonction de ministre de la Planification et de la Coopération Externe avec le poste de chef du gouvernement se trouve être l’un des principaux accusés dans ce dossier. Il a déjà été entendu plusieurs fois par un juge. Mais il n’y a jamais eu de suite. Cette fois, il n’a pas répondu à l’invitation du Commissaire du gouvernement Me Ocnam Darméus le 23 octobre 2018 comme prévu pour s’expliquer sur la gestion de cette réserve mise à la disposition du gouvernement pour le développement du pays. Quant au patron de l’entreprise des BTP (Bâtiment et Travaux Publics), Patrice Milfort de la Général Construction S.A lui non plus ne s’est pas présenté au Parquet afin de donner des explications : pourquoi son entreprise n’a pas exécuté les contrats qu’elle avait gagnés dans le cadre de ces fonds de développement ? Entretemps, du côté du gouvernement de Jean Henry Céant, plusieurs initiatives ont été prises afin de calmer un peu la tension.
Outre une Conférence de presse hebdomadaire annoncée afin de donner aux médias et à la population en général les informations relatives à l’avancement du dossier auprès de la justice, une Commission indépendante devrait être formée incluant différents groupes de pression, selon le Premier ministre qui peine tout de même à convaincre les concernés d’intégrer cette Commission. D’ailleurs, avant même que les invitations ne soient lancées officiellement, la quasi-totalité des membres de la Société civile organisée et des personnalités respectables pressenties ont tous déjà fait savoir que cela ne les intéresse pas. Selon ces acteurs sociopolitiques et culturels, ils sont avant tout des forces de pression, leur place n’est pas à l’intérieur d’une Commission quelconque, fût-elle indépendante. Leur rôle en tant que tel est de faire pression sur les pouvoirs publics afin de faire bouger les institutions, pas de les intégrer. Ce qui serait contre-productif.
Au même moment, la Primature a fait publier un document dans lequel est compilé un ensemble de textes ayant rapport avec les fonds PetroCaribe de 2006 à 2018. Le Premier ministre Jean Henry Céant qui a présenté cette sorte de « livre blanc » sur l’utilisation et la gestion de cette manne financière veut par ce geste rendre transparent le processus en cours et prouver que son gouvernement n’entend pas cacher la vérité à la population sur la dilapidation de ces fonds. Dans la foulée, le Premier ministre a aussi augmenté la sécurité du juge d’instruction chargé du dossier PetroCaribe au Parquet de Port-au-Prince. Une voiture blindée a même été livrée à ce juge. Sans oublier d’annoncer qu’il a entrepris les mêmes démarches auprès des membres du Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire (CSPJ) n’attendant qu’une franche coopération du pouvoir exécutif pour que la justice entre en action contre ceux qui ont vidé les caisse de l’Etat sans se soucier du reste. Le chef du gouvernement a aussi écrit à la Cour Supérieure des Comptes en leur promettant toute aide et assistance nécessaire à son travail dans le cadre de cette affaire.
Avant ce grand déballage, le jour même de la grande manifestation du 17 octobre, la Présidence de la République avait commencé par lancer quelques signaux sur son compte twitter à destination des acteurs qui attendent de lui, pour certains, toute la lumière, sinon sa démission pour les plus radicaux, surtout pour les leaders politiques qui ne voient dans cette mobilisation populaire sur l’affaire PetroCaribe et contre la corruption en général dans les appareils de l’Etat, qu’un signe d’encouragement des citoyens pour qu’ils accélèrent le départ du Président Jovenel Moïse du Palais national. Pourtant, avec tous les signaux émis par le pouvoir après la grande manif du 17 octobre, il semble bien que les autorités sont en train d’ouvrir un boulevard vers le Palais de justice de Port-au-Prince et que rien ni personne ne semble en mesure de stopper la machine prête à sévir contre tous ceux ayant participé de près ou de loin à ce grand scandale du siècle. Selon l’avis même d’un accusé qui s’inquiète pour son sort de la tournure que prend cette affaire PetroCaribe depuis la manifestation du 17 octobre : il n’y a aucun doute, l’on s’achemine vers ce qu’on a appelé au début du siècle dernier le procès de la « Consolidation » sous la présidence de Nord Alexis entre 1903 et 1904.
En effet, l’affaire monte en puissance chaque jour qui passe. Et il semble qu’il y a tellement de monde impliqué, et pas n’importe qui, que cette affaire commence à avoir un petit air du grand procès dit de la « Consolidation » qui s’est déroulé après qu’un ensemble de grands commis de l’Etat, des ministres, des parlementaires, des hauts fonctionnaires et mêmes des citoyens étrangers furent trempés dans ce scandale d’Etat. Tout comme pour l’Accord PetroCaribe, le procès de la Consolidation a eu lieu après que le pays eut contracté une série d’emprunts afin de « consolider » ou « stabiliser » l’économie haïtienne. Des emprunts contractés à l’étranger mais aussi auprès de la banque de la République d’Haïti dirigée à l’époque par des ressortissants français. En fait, même si cette banque portait le nom de République d’Haïti, elle était en réalité une banque privée. Ces emprunts contractés par différents gouvernements arrivèrent à un point tel qu’ils étranglèrent le pays.
Mais bon an mal an, le 21 décembre 1897 le gouvernement de Tirésias Simon Sam arriva à solder cette dette vis-à-vis de ses créanciers étrangers. Sauf que pendant la période de consolidation de l’économie, en clair la période durant laquelle les gouvernements s’efforcèrent de libérer le pays de la tutelle économique des banques étrangères, en remboursant la dette, certains ministres et des hauts fonctionnaires de l’Etat ont fait leur beurre dans l’affaire, autrement dit se sont enrichis sur le dos de l’Etat par des actes de corruption et de détournement de fonds. Profitant du financement de la dette, ces hauts dignitaires s’en mettaient plein les poches en émettant de faux bons du Trésor et autres documents falsifiés exactement comme ce qui s’est passé pour l’utilisation des fonds PetroCaribe. Sauf que à la chute du Président Tirésias Simon Sam, un vieux général du nom de Nord Alexis, dit Tonton Nô, prit le pouvoir. Très vite, ce vieillard illettré qui s’était entouré tout de même de cadres de haut niveau s’est aperçu que l’élite du pays soutenue par la France et en complicité avec une bonne partie des fonctionnaires de l’Etat, des sénateurs, des ministres et de commerçants étrangers avait détourné des sommes considérables dans le cadre de la consolidation de la dette. Nous sommes en 1902.
Immédiatement, le général ordonna une enquête sur les richesses, le train de vie et les agissements des hauts fonctionnaires de l’ancien régime. Cette enquête menée sous l’expertise du Commissaire Thimoclès Lafontant va faire des découvertes ahurissantes de cas d’irrégularités d’une incroyable bande organisée. Aujourd’hui, l’on parlerait d’association de malfaiteurs. Ainsi, après les révélations du Rapport de la Commission spéciale d’enquête, le gouvernement de Nord Alexis ordonna en juin 1903 l’arrestation de tous ceux ayant participé à cette corruption massive au détriment du Trésor Public. Cette série d’arrestations fut suivie d’un procès retentissant qui marquera les annales judiciaires haïtiennes. Curieusement, si la population soutenait jusqu’au bout le gouvernement dans ce procès connu sous le nom de « Procès de la Consolidation », jusqu’au bout aussi le gouvernement français au nom de la protection de ses ressortissants et celui de l’Allemagne pour le même motif pensèrent empêcher que des fraudeurs payent pour leurs actes.
Les deux gouvernements envoyèrent leurs bateaux de guerre en rade de Port-au-Prince et des Gonaïves et s’opposèrent à ce procès historique. Ils ont tout fait pour renverser le Président Nord Alexis qui, par la même occasion, célébra en grande pompe le centenaire de l’indépendance d’Haïti le 1er janvier 1904 aux Palais du centenaire aux Gonaïves. C’est ainsi que, contre vents et marrées, le vieux général tenait bon et ceux que la population appela les « Consolidars » ont été jugés et condamnés entre 1903 et 1904 pour divers chefs d’accusations. C’est le 25 décembre 1904, le jour de Noël, que la sentence tomba pour les condamnés dont plusieurs ressortissants français entre autres le Directeur de la banque nationale d’Haïti, le citoyen Français Joseph de la Myre-Mory, sans oublier les autres responsables de la banque, tous des ressortissants étrangers en particulier français et allemands. Parmi les condamnés haïtiens figurèrent trois futurs chefs d’Etat d’Haïti. Ils se nommèrent Cincinnatus Leconte, Tancrède Auguste et Vilbrun Guillaume-Sam.
Ce procès qui a duré plus d’une année (mars 1903 – décembre 1904) est considéré, encore aujourd’hui, par les historiens comme étant le plus grand et le plus célèbre procès que Haïti ait connu. Malgré cet acte qu’on qualifierait volontiers aujourd’hui de citoyen, le Président Nord Alexis a été attaqué, vilipendé par l’opposition et les élites haïtiennes sans doute soutenue par la France puisqu’’ils ont fini par le renverser le 2 décembre 1908. Mais il se trouve que ce procès de la consolidation n’est pas le seul grand procès contre la corruption et le détournement de fonds publics en Haïti. Sous le régime dictatorial de Jean-Claude Duvalier aussi en 1975 il y eut un procès retentissant. Ce procès communément appelé : le procès des Timbres a été plus un divertissement intellectuel pour les étudiants en droit et des curieux qu’un réel procès contre des trafiquants et des fraudeurs. Tout avait commencé par la publication d’un ouvrage en guise d’hommage à un peintre et naturaliste américain du nom de John James Audubon. Son livre s’appelle « Les oiseaux d’Amérique » paru pour la première fois entre 1827 et 1838.
Haïti, comme toujours, ayant voulu rendre un hommage à ce savant du continent américain, avait décidé d’émettre dans le cadre de la philatélie haïtienne des timbres postes tirés des illustrations de cet ouvrage. Le service postal haïtien avait donc commandé des timbres d’un montant allant de 5 centimes à 5 gourdes. Car à l’époque la Poste fonctionnait comme dans n’importe quel pays. Jean-Claude Duvalier qui venait de succéder à son père François voulait aussi marquer le coup. Mais dès que les autorités haïtiennes eurent ordonné le tirage de ces timbres postes, une meute de dirigeants et de grands pontes du régime duvaliériste, soucieux de faire fortune rapidement, mirent en place un commerce parallèle de timbres postes au détriment de la Poste haïtienne. Sauf que, très rapidement, leur supercherie fut découverte. Ainsi, l’Administration postale haïtienne a dû faire retrait des timbres en circulation et le gouvernement avait mis en branle sa police et sa justice afin d’identifier les fraudeurs. Très vite, les coupables ont été identifiés par la police secrète du régime et immédiatement arrêtés et écroués.
Parmi les plus célèbres accusés, outre la famille Leroy (Frantz, Marlène, Guy et Jean-Robert), on y trouve le Dr Serge Fourcand, les Maximilien (Pierre-Richard et Eugène), Fritz Denis, René Exumé et André Dérose Junior. Tous accusés de faux et usage de faux. Ce procès qui avait attiré beaucoup de monde au Palais de justice de Port-au-Prince du 26 août 1975 au 10 septembre 1975 avait surpris la population qui n’était pas habituée à ce genre de plaidoirie publique. Surtout que c’étaient des grandes pointures du duvaliérisme qui faisaient face à la barre. Durant pratiquement trois semaines, les grands ténors du barreau de Port-au-Prince et même du pays sont montés aux créneaux pour défendre leurs clients ou comme représentants du Ministère public. Sur les dix accusés dont un absent, trois ont été acquittés et les autres condamnés à des peines allant de deux à quinze ans de prison. En réalité, vu qu’ils étaient tous des fils du régime, certains n’ont jamais mis les pieds dans une prison et les autres ont été vite relâchés. En fait, c’était un procès de pure forme. Certains disaient que c’était une façon pour le régime de faire peur aux opposants de toute sorte, mais il n’avait nullement l’intention de punir ses partisans.
Comme pour le procès de la Consolidation, certains condamnés du procès des timbres avaient fini par réintégrer leur place au sommet dans la hiérarchie et supporters du duvaliérisme. En fait, ces procès n’étaient pas venus des revendications de la population ni de l’opposition aux régimes en place. Il s’agissait des actions, certes louables, mais relevant de la seule initiative des tenants du pouvoir. La population n’était pas vraiment associée à ces actions en justice. Donc les coupables, qu’il s’agisse des « Consolidars » en 1904 ou des condamnés du procès des timbres en 1975, ils avaient tous les loisirs de revenir au premier plan soit pour se faire élire Président de la République soit pour réintégrer leurs postes ou fonctions sous les différents régimes succédant à leur procès.
Dans le cas d’un procès PetroCaribe, les choses seront forcément différentes. Ce procès qui se fera sous les revendications et les pressions de l’opposition, des acteurs socio-politiques et de la population en général signerait la fin de la carrière politique, voire professionnelle de tous ceux qui seront certainement condamnés pour corruption, détournement de fonds publics, faux et usage de faux, etc. Voilà pourquoi ce procès sera un grand coup de balai qui toucherait à n’en pas douter la société haïtienne dans son ensemble. La force de ce procès sera bien plus puissante que celle de la Consolidation et les condamnés seront considérés forcément par la population comme les parias de la République. Ce sera l’An premier de la nouvelle République.