Contrairement à ce qu’avait annoncé l’opposition plurielle à propos de la Transition politique qui devait être effective depuis le 7 février 2021, le moins que l’on puisse dire, cinq mois plus tard, c’est le cafouillage total dans les rangs des oppositions. D’un côté, il y a le groupe dirigé par le trio André Michel, Nènèl Cassy et Marjorie Michel pour qui, seule la solution de Me Joseph Mécène Jean-Louis qu’ils avaient désigné dans les conditions que l’on sait comme « Président » de la Transition est viable. De l’autre côté, il y a l’immense majorité des leaders politiques et acteurs de la Société civile organisée qui ne l’entend pas de cette oreille. Sans parler d’un pan entier de cette Société civile qui ne cesse de monter, elle aussi, des Commissions en vue de trouver des solutions à la crise.
Résultat : depuis le 7 février 2021, date à laquelle le Président Jovenel Moïse aurait dû quitter le pouvoir, c’est l’ensemble de l’opposition et de la Société civile qui patinent. Un vrai blocage donc sur ce dossier qui devrait en principe être traité collectivement, en tout cas, par une décision commune. Tel n’est malheureusement pas le cas à sept mois du 7 février 2022, comme on le sait, date revendiquée par le locataire du Palais national pour rendre les clés à un nouveau Président de la République élu. Alors, pour essayer de sortir de ce qui ressemble plus à un labyrinthe qu’à une bataille politique, certains au sein de ce conglomérat de partis, mouvances, groupes et plateformes politiques tentent une percée louverturienne afin, si c’était possible, de voir le bout du tunnel. A ce qui ressemble plus à une sorte d’Arche de Noé ou une jungle où seuls les plus croyants, plus forts psychologiquement ou plus malins sortiraient vivants. Commençons par dire que la Commission pour la Recherche d’une solution à l’haïtienne créée au cours de l’année par plus de 400 organisations de la Société civile, selon ses fondateurs, avait donné le 19 mai 2021 sa première conférence de presse afin d’informer la population de l’avancée de ses travaux.
Magalie Comeau Denis qui faisait office de porte-parole ce jour-là avait seulement annoncé que « La Commission cherche à trouver une solution haïtienne entre les acteurs qui nous ont désignés, mais aussi avec d’autres acteurs qui ne nous ont pas désignés et qui seront rejoints par des acteurs politiques pour trouver un accord, lequel ne devra pas se limiter au dénouement de la crise. Il doit prendre en compte l’intérêt du pays, de la majorité, des gens qui souffrent. Cette Commission s’appuie sur deux points clés : l’écoute et l’humilité ». Pour sa part, Jacques Ed Saint-Dic de la même commission nous a joué le coup de la neutralité, voire apolitique. Devant un parterre de journalistes et d’observateurs politiques, celui-ci a rajouté que « Nous ne pouvons pas réduire la crise à une crise entre les protagonistes et mettre la population en posture de spectatrice. Cela ne va pas nous permettre de nous en sortir. Il nous faut trouver un niveau de captation de souveraineté qui est imposable à tout élément de blocage du pays, qu’ils soient des étrangers ou des nationaux. C’est dans le cadre de cette action que nous nous inscrivons. Nous ne sommes pas un groupe politique de plus, ni un groupe de médiation, de négociation ou encore de facilitation ».
Alors de quoi cette Commission est-elle le nom ? En tout cas, c’est encore dans cette optique que cinq regroupements et formations politiques de l’opposition ont essayé de se soustraire de cet enfermement et ont lancé un appel à un dialogue dit inclusif, histoire de ne pas donner l’impression qu’ils veulent faire cavaliers seuls. Pourtant, c’est bien le but de la manœuvre : se démarquer des radicaux qui prônent un départ sans condition du chef de l’Etat du Palais national, en clair agir comme si Jovenel Moïse n’existe pas. Un raisonnement totalement absurde pour un certain nombre de leaders politiques dans la mesure où en dehors d’un vaste mouvement populaire qui déboucherait sur une révolte politique englobant l’ensemble du territoire comme en 1986 sous Jean-Claude Duvalier et même en 2004 sous Jean-Bertrand Aristide, aucun parti ni personne ne peut exclure d’office l’hypothèse d’un « départ ordonné » pour le détenteur des clés de l’ensemble du pouvoir.
Comprenant cela, les dirigeants de ENTENTE (Entente Nationale pour une Transition de Rupture), MTV Ayiti (Mouvement pour la Transformation et la Valorisation d’Haïti) dit 3e Voie, Operasyon Tèt Ansanm, FND (Forces Nationales pour la Démocratie), et En Avant de l’ancien député Jerry Tardieu ont publié une déclaration commune dans laquelle ils appellent tous les acteurs impliqués dans la crise à trouver en urgence un Accord politique pour sortir de ce labyrinthe. Lesdits leaders politiques indiquent avoir pris note de : La résolution 1168 du Conseil permanent de l’OEA, constatant avec justesse les violations de la Constitution, la non-tenue des élections régulières pour renouveler démocratiquement le personnel politique, la gouvernance abusive par décrets, les violations systématiques des droits humains et la dégradation accélérée de l’environnement sécuritaire qui a plongé la société haïtienne dans l’angoisse et la peur. Par ladite résolution, le Conseil permanent de l’OEA a proposé ses bons offices en vue de normaliser la démocratie institutionnelle (article 20 de la Charte démocratique interaméricaine) ».
D’après les cinq signataires de cette note, leur démarche va dans le sens des prises de positions de la Communauté internationale, l’OEA, l’ONU, l’Union européenne et de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) dont la Secrétaire générale, madame Louise Mushikiwabo, avait envoyé une délégation dans la capitale haïtienne, bien avant les autres, en vue de s’enquérir de l’ampleur de la crise politique et sociale que traverse Haïti. Ils disent fonder leur position commune devant le refus du Président Jovenel Moïse qui s’entête à organiser un référendum inconstitutionnel, illégitime et impopulaire qui risque de plonger le pays dans encore plus d’instabilité et de chaos. Les responsables de ces cinq partis ne sont pas de nouveaux venus dans l’arène politique. Tous ou presque sont de vieilles connaissances dans le milieu politique. Certes, avec de nouvelles formations politiques, ils pensent pouvoir dénouer la crise en appelant tous les autres acteurs à faire des concessions tout en incluant le Président Jovenel Moïse dans le dénouement de la crise.
A partir de là, l’affaire devient plus compliquée puisque, en proposant un gouvernement d’Union Nationale, ce groupe d’opposants prend carrément le contrepied des propositions d’au moins trois autres entités au sein des oppositions.
Les cinq signataires que sont les anciens députés Joseph Manès Louis (Operasyon Tèt Ansanm), Antoine Rodon Bien-Aimé (FND), Jerry Tardieu (En Avant), et l’ex-sénateur Steven Benoit (ENTENTE) sans oublier le Dr Réginald Boulos (MTV Ayiti) demeurent persuadés qu’en proposant un départ sous condition du Président de la République tout n’est pas perdu. Puisqu’ils : « déclarent qu’il est encore possible de trouver un accord politique inclusif entre les protagonistes de la crise incluant nécessairement le départ ordonné de M. Jovenel Moïse dont le mandat a pris fin le 7 février 2021 (selon les articles 134-2 ,134-3 de la Constitution et l’article 239 du décret électoral du 2 mars 2015), la mise en place d’un gouvernement d’Union Nationale et l’organisation d’élections honnêtes, transparentes et crédibles dans un délai techniquement possible et un climat de sécurité rétabli ». A partir de là, l’affaire devient plus compliquée puisque, en proposant un gouvernement d’Union Nationale, ce groupe d’opposants prend carrément le contrepied des propositions d’au moins trois autres entités au sein des oppositions.
En fait, en parlant de gouvernement d’Union Nationale, les cinq excluent d’office l’ex-juge de la Cour de cassation, Joseph Mécène Jean-Louis propulsé « Président de la Transition » par le Secteur Démocratique et Populaire depuis le 7 février 2021. En faisant ce choix, c’est divorce assuré avec le groupe du SDP qui fait de Me Mécène Jean-Louis son navire amiral sans qui, rien, selon cette frange de l’opposition, ne serait possible. Sinon, ce serait une trahison vis-à-vis de l’homme de loi qui s’est livré en sacrifice en faisant don de sa personne à Haïti pour sauver l’opposition, d’après les responsables de cette branche radicale des oppositions. Deuxième problème, les cinq et la DIRPOD se mettent aussi à dos avec le Parti Pitit Dessalines de l’ex-candidat à la présidence Jean-Charles Moïse qui, à aucun moment de la bataille politique contre le Président Jovenel Moïse, n’a évoqué un quelconque gouvernement d’Union ou d’Entente Nationale.
L’ancien Maire de Milot a toujours œuvré pour un gouvernement de Transition avec un juge de la Cour de cassation sans pour autant que ce soit Me Joseph Mécène Jean-Louis. Il reste le cas du parti Fanmi Lavalas de l’ex-Président Jean-Bertrand Aristide et de Maryse Narcisse. On le sait, depuis fort longtemps, cette formation politique milite pour la formation d’un gouvernement de Salut Public n’incluant pas forcément un juge de la Cour de cassation. Parler de gouvernement d’Entente Nationale ou d’Union Nationale sans leur consentement signifierait qu’on les exclut sans même les avoir consultés même si, d’après les responsables de Fanmi Lavalas qui n’ont pas signé cet « Accord pour la formation d’un gouvernement d’Entente Nationale » ils n’ont aucun problème pour participer aux discussions devant aboutir à un gouvernement de transition. Bref, avec l’opposition, on nage en plein cafouillage sur cette transition qui a du mal à se concrétiser alors qu’on marche tout droit vers le 7 février 2022. Rien qu’au cours du seul mois de juin, on est déjà à deux propositions simultanées sans compter toutes les autres offres de sortie de crise que nous ont déjà offert les oppositions qui peinent sérieusement à trouver la bonne formule pour mettre fin au mandat du Président de la République qui refuse d’entendre parler de gouvernement de transition pour le remplacer avant la fin et même après son départ.
D’où son activisme afin de réaliser, certes avec des mois de retard, les élections générales précédées du référendum sur la nouvelle Constitution. En fait, le premier groupe de cinq partis a été rejoint par d’autres forces politiques de la Direction Politique de l’Opposition Démocratique (DIRPOD) dans leur projet de trouver un Accord de sortie de crise en incluant Jovenel Moïse, c’est-à-dire en lui proposant un « départ ordonné » à l’inverse de ce que croient SDP, Fanmi Lavalas et Pitit Dessalines. A la vérité, ce sont toujours les mêmes acteurs qui font le va-et-vient selon la conjoncture politique et l’ambiance du moment. Les partis et plates-formes politiques comme MOCHRENA, AAA, VERITE, OPL, VEYE YO et Fusion des Sociaux Démocrates qui ont proposé cet accord de gouvernement d’Entente Nationale qui est, en vérité, la même chose qu’un gouvernement d’Union Nationale, sont pratiquement tous membres de la DIRPOD. Sauf que, de temps en temps, certains font bande à part et proposent leurs propres solutions de sortie de crise ou annoncent qu’ils ont trouvé un Accord avec d’autres partis frères. Mais, en regardant de plus près, l’on s’aperçoit vite que ce sont des frères jumeaux ou issus de la même plate-forme politique.
C’est au sein de ces myriades de mouvances et de plates-formes politiques qu’on trouve l’organisation ANAFOS (Alliance Nationale des Forces Organisées pour la Solidarité) où sont issus deux anciens Présidents de l’Assemblée Nationale Kelly C. Bastien et Simon Dieuseul Desras plus Evalière Beauplan lui aussi ancien sénateur et Walsonn Sanon, tous partisans d’un dialogue avec le Président Jovenel Moïse et qui sont en négociation directe avec celui-ci pour décrocher le poste de Premier ministre soit pour eux soit pour un autre membre de leur parti dont le Dr Claude Joseph assure l’intérim depuis des mois déjà. Ce groupe ne fait aucun mystère sur les contacts qu’ils ont avec le Président de la République relatif à un accord minima pour constituer un gouvernement d’ouverture.
Pendant que certains responsables de l’opposition refusent d’assumer les contacts qu’ils ont eus avec le Palais national, eux et particulièrement l’ancien sénateur du département du Centre, Simon Dieuseul Desras, ne se privent point de dire tout haut la vérité et faire voler en éclat l’hypocrisie de certains leaders des oppositions. Pour l’ancien Président du Sénat, il faut avoir le courage de dire la vérité et il en profite pour tacler certains de ses petits camarades de l’opposition plurielle en ces termes « Le dialogue est un processus permanent. Il peut se faire en continu ou peut connaitre des interruptions. Je parle avec lui. Il n’y a encore rien d’officiel pour ce qui est des initiatives. Mais, il y a des discussions avec différents acteurs. Il y a des émissaires qui facilitent les échanges. Certains parlent au Président en plein jour, d’autres le font au cours de la nuit. Certains ont le courage de révéler avoir eu des discussions avec lui, d’autres non.
Mais, comme toujours, avec les oppositions qui perdent de plus en plus le Nord, on est toujours égaré dans cette tempête de sable pire que celle venue du Sahara.
S’ils sont intéressés à obtenir le poste de Premier ministre de Jovenel Moïse, je ne vois pas pourquoi ils traînent les pieds. Cela permettrait de gagner du temps », avance Desras très remonté contre la plupart de ses amis refusant d’assumer leurs responsabilités. Comme on peut le constater au sein des oppositions, cela commence à agacer certains qui, définitivement, perdent patience. Surtout, chaque jour ils découvrent avec effarement dans les médias et sur les réseaux sociaux que ceux qui les critiquaient hier sur telle ou telle position de sortie de crise, reprennent mot à mot ce qu’ils avaient rejeté la veille. D’où l’énervement de l’ancien ministre de l’Environnement de l’ex-Président Jocelerme Privert « J’avais dit qu’un démocrate ne devrait pas refuser de dialoguer. J’ai reçu une pluie de critiques dans certains médias et sur les réseaux sociaux. Récemment, certains ont rejeté violemment une tentative de Religions pour la Paix de mettre tous les acteurs sur la table afin de trouver une solution haïtienne à la crise. Ils ont chassé Religions pour la Paix avec fracas. Aujourd’hui, ils écrivent à l’OEA pour chercher une médiation. Ils se tournent vers le Blanc pour tenter de trouver ce que nous, Haïtiens, avons proposé » fustige Simon Dieuseul Desras.
Mais, l’ex-sénateur n’a pas fini de s’énerver avec ses frères ennemis dans cette quête éternelle de trouver un accord de sortie de crise. En effet, si Desras et son groupe seraient prêts à cohabiter avec le Président Jovenel Moïse en acceptant le poste de chef du gouvernement d’ouverture ou de consensus national, l’idée ne semble pas trop séduire le reste des oppositions à commencer par la quasi totalité des partis et groupements politiques déjà cités dans le texte. Histoire de couper l’herbe sous les pieds du Sénateur et ses amis, la DIRPOD, en tout cas un ensemble de partis de cette plateforme, a avancé une autre hypothèse totalement utopique celle-là s’agissant d’un gouvernement de Transition dirigé par un Premier ministre naturellement sans Jovenel Moïse. Mais, le plus invraisemblable encore, sans aucun Président provisoire de la République jusqu’à l’inauguration du mandat du nouveau Président élu dans un an. En effet, selon une nouvelle proposition relative à la future transition, la DIRPOD annonce la mise en place bientôt d’une Commission de Mise en Œuvre de l’Accord dite COMOA qui sera composée de sept (7) membres issus des partis politiques (4) et de la Société civile (3).
Ladite COMOA aura pour mission, selon l’accord trouvé entre les partis ayant contribué à sa création, de mettre en place les structures pouvant faciliter le bon déroulement de l’accord. A en croire cet énième accord qui, après l’avoir lu, nous paraît être familier « Cette commission aura pour mission de choisir, selon les modalités le (la) Premier (e) ministre et les membres d’un gouvernement d’Entente Nationale. Les membres de la COMOA devront s’engager à faire tout leur possible pour que leurs décisions soient prises par consensus. À défaut de consensus, un vote sera organisé et la décision sera prise à la majorité des membres (soit 4, dont au moins une voix de la société civile). Dès la constitution de la COMOA, les secteurs signataires auront un délai de 48 heures pour lui soumettre la liste, accompagnée du dossier des candidats au poste de Premier ministre. La COMOA disposera d’un délai de 48 heures pour finaliser le processus de sélection et de publication du choix du Premier ministre. Dès l’installation du Premier ministre, le Président de facto (Jovenel Moïse) quitte le pouvoir. Le Premier ministre, en concertation avec les parties signataires du présent accord, forme un gouvernement d’Entente Nationale, conformément aux dispositions de l’accord.
Le choix des membres du gouvernement visera la parité de genre. Le Conseil des ministres, présidé par le Premier ministre, exerce le Pouvoir Exécutif jusqu’à la prise de fonction de la 51e législature et l’investiture d’un Président élu. » Si on lit attentivement ce court extrait de l’accord qui doit être trouvé entre les partenaires de la DIRPOD en attendant sa mise en place, on est loin, très loin de ce qui avait été annoncé dans le précédent accord qui avait été signé entre les cinq premiers partis et regroupements politiques proposant un gouvernement d’Union Nationale tout en accordant une chance à Jovenel Moïse d’organiser sa sortie puisqu’ils avaient évoqué un probable « départ ordonné ».
Or, lorsqu’on regarde de plus près la liste des partis qui ont contribué à ces nouvelles propositions, on remarquera que ce sont les mêmes. Mais, comme toujours, avec les oppositions qui perdent de plus en plus le Nord, on est toujours égaré dans cette tempête de sable pire que celle venue du Sahara. C’est du bouillard et du cafouillage politique dans toute sa splendeur ! D’ailleurs, avant même que l’affaire ne prenne corps, Jean-Charles Moïse a déjà donné son avis sur ce qui paraît pour lui totalement insolite dans cette recherche désespérée d’une Transition qui, sans même multiplier les propositions inutiles, finira par s’imposer d’elle-même. Il est farouchement opposé à une transition dirigée uniquement par un Premier ministre. En ce qui le concerne, la seule option demeure un juge de la Cour de cassation pour diriger la Transition en tant que Président provisoire de la République. Enfin, la suite de l’annonce de cet accord qui n’est pas si nouveau que cela est une suite de priorités que le gouvernement d’Entente Nationale aura à mettre en œuvre durant cette année de transition où la République ne sera dirigée que par un Exécutif monocéphale comme l’a proposé le Président Jovenel Moïse dans son projet de réforme constitutionnelle. Tout un symbole !
C.C.