Mouvman Rap Kreyòl : Subjectivation et reconnaissance sociale !

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La subjectivation est un concept transdisciplinaire ; de la philosophie aux sciences humaines et sociales. Elle s’inscrit dans le paradigme d’explication des mouvements sociaux, qui est la lutte entre les classes pour le contrôle de l’historicité (Touraine, 2013). En fait, ce contrôle ne peut s’effectuer que par une classe sociale (ou catégorie sociale), préalablement assujettie, qui essaie de déclencher le processus de subjectivation. Ce dernier désigne le processus par lequel les individus s’inscrivent dans une perspective téléologique, qui tend vers le devenir-sujet des subalternes. La subjectivation est [en effet] une sorte de lutte pour la reconnaissance sociale (Honneth, 1992) des catégories marginalisées. Toutefois, ce concept n’est pas figé uniquement par cette acceptation. Pour le saisir dans toute son intelligibilité, nous allons [d’abord] faire un parcours transversal de la littérature sur la subjectivation, en suite nous essayerons de l’inscrire dans le cheminement de la reconnaissance sociale, et enfin, nous tenterons d’insérer cette démarche dans la trajectoire d’un mouvement social (le rap kreyòl).

L’étude de la subjectivation remonte de la philosophie antique. Platon, dans sa conception du bonheur, essaya de montrer l’obligation du devenir « soi-même » (cité par Badiou, 2015). C’est à-dire, l’individu doit faire le choix de subjectiver, donc de s’extraire de la médiocrité de la satisfaction. En fait, le bonheur, comme idéal et à la fois point cible de la modernité, charrie l’homme moderne dans le plein processus de subjectivation. La rationalité est le fondement de la modernité. Ce qui, par conséquent, inscrit la rationalisation, dans le sens wébérien, à l’origine du processus de subjectivation. Martucelli inscrit son analyse sur la subjectivation dans le même fil d’idée de Weber. Ce processus prend en compte le niveau individuel du sujet personnel, l’existence d’un acteur collectif susceptible de l’incarner (sujet collectif), d’un souci de libération stricto sensu, et d’une volonté croissante de contrôle social. Le contrôle du social inscrit dans la logique de Touraine, comme l’historicité. La société se compose d’un ensemble d’acteurs. Ces derniers concourent, dans une lutte perpétuelle, pour le contrôle de la société (ou de la direction que l’on veut lui donner). Ces mouvements se présentent comme une volonté de changer le statu quo établi par le capitalisme (Deleuze & Guattari, cité par Rambeau, 2013). Ce système s’inscrit dans un dynamisme de production de sujet, tout en incluant un grand mouvement d’aliénation. Alors, la subjectivation est, selon Touraine, un mode de construction des catégories dominées de la population, en acteurs sociaux puis en tant que sujets (Touraine, 2013).

La subjectivation est [aussi] une sorte de mouvement pour la reconnaissance sociale des assujettis (marginalisés). En fait, il faut dire, nous assistons de nos jours à une explosion des attentes et des demandes de reconnaissances. On demande la reconnaissance culturelle des minorités, des droits, et aussi des valeurs. La notion de reconnaissance, selon Ricœur (2004), peut être prise soit de manière cognitive, ou dans le sens pratique (qui nous intéresse dans le cadre de ce travail). C’est-à-dire, l’important est de valoriser et d’approuver les autres et de respecter les valeurs qu’ils partagent. De fait, la demande de reconnaissance est, pour A. Honneth, une attente de confirmation de capacités et des valeurs par les autres. Alors, elle tient compte de l’intégration des individus dans le corps social. Ainsi, si la reconnaissance comporte simultanément une dimension d’intégration et d’approbation sociales, on soutiendra que l’estime de soi constitue la traduction subjective de l’acte de reconnaissance.

L’approche d’une étude sur le processus de subjectivation dans toute lutte pour la reconnaissance sociale des catégories présente plusieurs problèmes. D’abord, il existe différentes formes de reconnaissance sociale. Ces formes de reconnaissance (trois) sont liées à trois types de rapports sociaux exprimant les aspects essentiels de la vie humaine. En premier lieu, les rapports sociaux liés à la distribution de formes d’estime sociale aux individus. En second lieu, les rapports juridiques liés au statut de la propriété et de la citoyenneté. Et en troisième lieu, les rapports interpersonnels au sein de la famille (Lavezzi & Caillé, 2004). Ce sont, évidemment, ces types de rapports qui se déclinent dans les trois grands registres de la subjectivation : celui de la compétence, celui de l’appartenance et celui de l’amour. Alors, il est important d’identifier celui qui est convenable dans le cadre de l’étude. Autre problème, la question de la reconnaissance sociale doit tenir compte de l’aspect collectif. Vu que, la lutte doit être inscrite dans une logique de mouvement social. En effet, dans le cadre d’un tel travail, nous devons utiliser la reconnaissance dans le sens de quête d’appartenance d’un groupe, ce qui engendra le mouvement social.

En fait, le mouvement rap kreyòl, comme mouvement social, embrasse et enchaîne de la subjectivation à la reconnaissance sociale dans la société haïtienne. Cette dernière est fondée sur un ensemble d’inégalité et d’exclusion sociale. Les jeunes, par exemple, qui habitent les quartiers défavorisés, sont les principales victimes. En revanche, les jeunes, assujettis d’alors, s’inscrivaient dans le processus de subjectivation. Ils recherchaient, à travers des textes rappologiques, la reconnaissance. Ces deux mouvements peuvent s’inscrire dans la recherche du contrôle de l’historicité, qui fut jadis contrôlé par la bourgeoisie. Alors, le rap kreyòl est un mouvement qui traverse ses étapes. Mais, très malheureusement, il est pollué par, ce que j’appelle, l’entrée de l’agent-roi au sein de ce mouvement social (voir l’Hégémonie du paraitre dans le Rap Kreyòl).

 

Bibliographie

Alain Ehrenberg, L’individu incertain, Paris, Calmann-Lévy, 1995.

Alain Touraine, Pourrons-nous vivre ensemble ?, Paris, Fayard, 1997.

Bernard Lahire, L’homme pluriel, Paris, Nathan, 1998.

Charles Wright Mills, L’imagination sociologique, Paris, La Découverte [1959] 1997.

Claude Dubar, La crise des identités, Paris, PUF, 2000.

Danilo Martuccelli, « Pour une sociologie de l’individuation » in Vincent Caradec, Danilo Martuccelli (éds.), Matériaux pour une sociologie de l’individu, Lille, Presses Universitaires du Septentrion, 2004, pp. 295-315.

Danilo Martuccelli, Grammaires de l’individu, Paris, Gallimard, 2002.

François de Singly, Les uns avec les autres, Paris, Armand Colin, 2003.

François Dubet, Sociologie de l’expérience, Paris, Seuil, 1994.

Georg Lukacs, Histoire et conscience de classe, Paris, Minuit, [1923] 1960.

Guy Vincent, L’école primaire française, Lyon, PUL, 1980

Jean-François Bayart, Le gouvernement du monde, Paris, Fayard, 2004.

Judith Butler, Gender Trouble, New York, Routledge, 1990.

Louis Dumont, Essais sur l’individualisme, Paris, Seuil, 1983.

Michel Foucault, L’usage des plaisirs, Paris, Gallimard, 1984.

Michel Foucault, Surveiller et punir, Paris, Gallimard, 1975.

Peter Berger, Thomas Luckmann, La construction sociale de la réalité, Paris, Méridiens Klincksieck, [1966] 1986.

Pierre Bourdieu, Le sens pratique, Paris, Minuit, 1980.

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