Les brigands déchaînés: les Brandt, les Acra et les autres

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Marc Antoine Acra, celui qui «se sucrait» à la cocaïne.

« Le vol est la passion maîtresse de la bourgeoisie, et il faut qu’à tout prix elle satisfasse sa passion ».
Paul Lafargue*

Un jour pour le chasseur, un jour pour le gibier, c’est un proverbe bien de chez nous. Y en a qui chassent depuis longtemps sur toutes sortes de terrains. Le goût immodéré de l’argent et du pouvoir, les honneurs, les richesses naturelles d’un pays, la force de travail des déshérités, les satisfactions et joies de la vie refusées au plus grand nombre, l’habitude de se laisser choyer par un destin favorable sont autant de proies sur lesquelles s’abat une minorité de privilégiés avides de jouissances sans retenue, fussent même celles-ci interdites.

Clifford Brandt, le bourgeois déchu, suite à ses activités kidnappantes.
Clifford Brandt, le bourgeois déchu, suite
à ses activités kidnappantes.

Jusqu’à la justice peut représenter à leurs yeux une proie, un gibier, qu’ils doivent à tout prix contrôler, juguler, neutraliser, mater, freiner, museler, domestiquer, assujettir, asservir, pour servir leurs propres intérêts, immédiats et lointains. Mais si la dame aux yeux bandés réalise qu’on abuse d’elle, de sa sérénité, de son impartialité au détriment du droit, de la moralité, de toute décence humaine, elle a alors tout le loisir de se défaire de son bandeau d’équanimité et de frapper avec les dernières rigueurs de la loi.

C’est justement le sort qui a échu à cette bande de brigands déchaînés que sont les Brandt, les Acra et autres délinquants de leur acabit : ils ont été frappés par le glaive de la Justice. Ma grand-mère paternelle disait volontiers : fè enpe, kite enpe. Ces scélérats en ont fait plus qu’enpe, ils en ont même fait trop, et n’ont même pas laissé enpe. Ils n’ont jamais pensé qu’un jour ils pourraient se faire glaiver par la dame aux yeux bandés. Ma grand-mère disait aussi : kite yon chante pou yo chante pou ou. Autrement dit, il n’y a   aucun cantique, aucun air, aucune barcarolle, aucun refrain qu’on puisse chanter qui puisse absoudre ces brigands déchaînés.

On rappellera que ces chenapans «de la haute» écument les mers de la corruption et du vice depuis bien longtemps. Ainsi, Oswald John Brandt, grand-père de Clifford le kidnappeur, fut un bandit légal avant la lettre. Le journal La Ruche l’a décrit en 1946 comme un «escroc [qui] se fit passer les usines de Saint-Marc valant au minimum deux cent mille dollars pour la scandaleuse somme de trente cinq mille dollars». La fraude était de taille, mais dame Justice, avec ses yeux bandés, trébucha, n’arriva point à mettre le grappin sur Oswald.

Ce fut le président Estimé, qui, exaspéré, ordonna que O.J Brandt fut arrêté et mis sous les verrous. Le richissime homme d’affaires, brasseur d’affaires, se retrouva alors jeté en cellule sous des allégations de fraude fiscale, d’abus de confiance et de corruption de fonctionnaires. Sa détention n’allait toutefois durer que trois jours. Car, comme l’a écrit Leslie Péan : «Difficile de condamner Oswald Brandt sans des preuves palpables de pots-de-vin. Difficile à cause des complices invisibles qu’il a alors au sein du Comité Exécutif Militaire qui vient de prendre le pouvoir» à la chute de Lescot.

Environ soixante ans plus tard, la progéniture d’Oswald Brandt allait se montrer digne du proverbe tel père, tel fils, (et même) tel petit-fils. En effet, l’homme d’affaires, l’homme des affaires louches, Fritz Brandt et son fils David étaient déférés le mercredi 1er août 2007, pour la première fois, au cabinet d’instruction, dans le cadre de l’enquête judiciaire ouverte sur leur implication présumée dans une affaire de fausses factures d’importation.

Les deux fèzè, les deux escrocs, les deux manigansè, les deux fripons, les deux fripouillons, les deux larrons, lawon gòch, furent écroués au Pénitencier national pour leur responsabilité présumée dans la tentative de dédouanement d’un camion avec des bordereaux de paiement contrefaits, pour une valeur de 100 000 dollars US.  Les malfratons, que dis-je, les malfrats, allaient passer plusieurs mois en taule.

Les Brandt figurent parmi les familles d’hommes d’affaires les plus riches d’Haïti, les membres de cette most repugnant elite, selon le N.Y Times. Ils sont présents dans le secteur bancaire, l’industrie alimentaire et l’importation de véhicules. Les membres de l’élite économique haïtienne, généralement réputés intouchables, font rarement l’objet de poursuites judiciaires. Men papa ! Un jour pour le chasseur, un jour pour le gibier. Un jour pour les Brandt, un jour pour dame Justice.

Même quand l’argent leur sort par les narines, les répugnants n’en ont encore pas suffisamment. Le cas échéant, ils recourront aux activités les plus abjectes pour remplir leur tonneau des Danaïdes. C’est ainsi que Cliffordt Brandt fils a sombré dans l’affreuse et immorale pratique du kidnapping. Le lundi 22 août 2014, dans l’après-midi, la brigade criminelle de la PNH lui mettait le grappin dessus, pour son implication présumée dans l’enlèvement de deux jeunes gens, Coralie et Nicolas Moscoso, qui ont pu être libérés après avoir fait l’objet d’une demande de rançon de 2.5 millions de dollars. Un jour pour Clifford, un jour pour la PNH.

Révélatrice  de pratiques criminelles insoupçonnées au sommet de la société, la répugnancerie du kidnapping pratiqué par un secteur corrompu au sein d’une élite déjà malpropre a permis de lever le voile sur ce sordide et crapuleux phénomène que généralement on attribuait, jusque là, aux délinquants des bidonvilles autour des grands centres urbains comme Port-au-Prince. Inévitablement, on est amené à se poser la keksyon (merci docteur Jacques Fourcand) : le cerveau cliffordien, le cerveau d’un brigand déchaîné, ne commandait-il pas, au sens neurologique du terme, les bras maigres, affamés des bidonvillois ?

On aurait cru la canaille grand-bourgeoise des affaires immunisée contre toute tentative de traîner leur petit monde tilolitant et répugnant dans la boue de la honte et du déshonneur. Hélas non ! La «bonne société» se remettait malman de la débâcle sociale que fut la deuxième chute morale au sein de la famille huppée et argentée des Brandt, lorsque deux membres d’une des plus riches familles bourgeoises du pays, Marc Antoine Acra et son frère Sébastien François Xavier se sont faits inculper pour « trafic illicite de drogue », ainsi qu’un des leurs, Grégory Georges, alias Ti Ketan.

Oui, c’est bien ce qui est écrit dans l’ordonnance de clôture de l’instruction du juge Berge O. Surpris du tribunal de première instance de Port-au-Prince, en date du 29 juillet 2016 : « trafic illicite de drogue ». Le magistrat a du même coup inculpé les nommés Fedner Doliscar, alias Surpris, et Jacquelin Wilfrid, alias Bouboul pour « complicité de trafic illicite de drogue ». Deux bidonvillois, peut-être. Ce qu’ils ont le dos large ces chimères des favelas autour de Port-au-Prince pour se laisser ainsi laye dessus par la salope aristocracie acrate !

Sans doute, ce 29 juillet n’était plus un autre «jour» pour les chasseurs Antoine et Sébastien, mais bien le «jour» de triomphe de la Justice, le jour du gibier. Cependant, je garde toujours à l’oreille une puce conseillère. Que m’a-t-elle rappelé ? Nos deux trafiquants de drogue avaient été interdits de départ par le bruyant Commissaire du gouvernement près le tribunal de première instance de Port-au-Prince, Jean Danton Léger. Boum ! Voilà que cette décision a été brusquement attaquée et cassée sèk par le tribunal des référés ! Bizarre comme cassure. Dites, ça casse et ça boume chez les référés… Un vrai tchouboum judiciaire qui jusqu’à preuve du contraire exhale un parfum âcre et irritant de pot-de-vin.  Suivez mon œil, ma plume et le pot.

Youri Latortue: «caïd ambitieux sans vergogne et sans scrupules», enquête, pour comble
d’ironie, sur la corruption du gouvernement Martelly dont il était le «conseiller»

De boum en tchouboum et de bim en banm, ma puce m’a encore averti. Oui, pompeusement, le vendredi 5 août 2016, le Commissaire Jean Danton Léger a averti: « L’ordonnance a été reçue [de coffrer la gente acrate]. Le substitut en charge du dossier a été instruit pour donner suite prompte et rapide à l’ordonnance du juge instructeur ». Toutefois, à la keksyon : « Inculpés en dehors du territoire national ?», Léger, la langue devenue lourde, a gauchement répondu avec moins de promptitude: « Je n’ai pas encore vérifié cela (sic). Mais si c’est le cas, j’utiliserai les procédures pour qu’ils reviennent pour être remis à la justice (resic) ». Bizarre, ne pensez-vous pas ? Kenbe do m, mezanmi, kenbe do m.

Entendons-nous. Ce tribunal des référés fait partie du même système judiciaire que le Commissaire  Léger. Il n’est pas sans savoir la gravité du crime de la bande acrate. Pourtant, il a cassé l’enthousiasme «prompt et rapide» d’un Commissaire du genre rapido presto. Est-ce que je dis vrai ? Léger de son côté, n’aurait-il pas dû «vérifier cela»,  avant de donner bêtement dans la rapidance et la prestance ? À moins d’une connivence suspecte, secrète, entre les référés et un Commissaire plus prompt que l’éclair… D’autant que le mal existe. Croustillante affaire à suivre.

Je vous ai entretenu des brigands déchaînés que le glaive de Mère Justice a déjà frappés. Mais, il y a aussi ces brigands qui, par leur vaine jactance, leur arrogance, leur suffisance, leur impertinence, leur sans-gêne, leur sou moun, leur audacité (ce stade maléfique de l’audace), déchaînent la colère des gens honnêtes. Cependant, à cause des exigences et de certaines limites liées à la pratique même de la démocratie, on se voit obligés de serrer les poings et les dents, en attendant…. Ces «gens-là», comme dirait Jacques Brel, se retrouvent au sein du PHTK, de l’AAA et leurs alliés, partis funestes à l’avancement et à la stabilité du pays.

J’en veux pour preuve les gesticulations,  les contorsions, les convulsions, les agitations, les minauderies, les singeries, les macaqueries, les simagrées, les grimacées de Youri Latortue qui a accouché au forceps de sa brigande et fertile imagination une Commission éthique et anti-corruption censée enquêter sur l’usage, ou mieux, l’usage criminel des fonds de Petro Caribe. De façon curieuse, le sénateur Youri a choisi spécifiquement «sa propre piste d’atterrissage», pour reprendre Berthony Dupont dans le dernier éditorial du journal, alors que la vox populi, la vox bonorum, la voix des gens de bien réclame à cor et à cri une commission d’enquête sur l’entière gestion corrompue de l’administration Martelly, un audit que seules l’Unité de lutte contre la corruption (ULCC) et l’Unité centrale de renseignements financiers (UCREF) sont autorisées et mandatées à conduire.

Quelle autorité morale de la part de Youri ?                                                           

Des câbles secrets du Département d’État des É.-U. obtenus par l’organisme WikiLeaks et analysés par Haïti Liberté dressent «le portrait d’un caïd ambitieux sans vergogne et sans scrupules» (Kim Ives, Haïti Liberté Vol. 4 No. 50. Du 29 Juin au 5 Juillet 2011), l’image «du politicien haïtien le plus effrontément corrompu», d’après l’ambassade des É.-U. Dans un câble du 27 mai 2005, l’ambassadeur américain James Foley écrit que Youri Latortue fait partie d’« une petite camarilla de trafiquants de drogue et d’intrigants politiques qui contrôlent un réseau de policiers corrompus et de gangs, responsables […] de la perpétration de kidnappings et de meurtres… ». Mais alors, Haïti est un pays «souverain», pas question de s’en mêler, publiquement. Tiens mon dos, mes amis…tiens mon dos…

Le 2 août 2006, l’ambassadrice Janet Sanderson fait parvenir un câble rapportant qu’Edmond Mulet, le chef de la  MINUSTAH, «était préoccupé par le fait que  le trafic de la drogue est devenu un problème de plus en plus alarmant, qui est difficile à combattre, en partie à cause des liens au trafic de la drogue au sein du gouvernement haïtien […] Dans cette communication, il a mentionné le président du Sénat, Joseph Lambert, et le président de la Commission du Sénat sur la sécurité, Youri Latortue – décrivant ce dernier comme un ‘trafiquant de drogue’ ».

Le câble sans doute le plus édifiant de Sanderson est celui daté du 20 novembre 2006 où elle mentionne «les activités illégales ou peu recommandables de Latortue dans la ville portuaire des Gonaïves et d’autres secteurs de l’Artibonite », ainsi que « Les liens de famille de Latortue et sa proche association avec les gangs armés et des trafiquants de drogue [qui] lui permettent de manipuler la région ». Dans un autre câble du 27 juin 2007 à l’intention de Washington, Janet Sanderson rapporte que « Parmi les observateurs politiques, c’est un article de foi que Latortue était impliqué dans le trafic de drogues sous Aristide et durant les premières administrations de René Préval ».

Ecce homo, voici l’homme, voici le «vertueux» sénateur qui préside une soi-disant Commission éthique et anti-corruption enquêtant spécifiquement, précisément, explicitement, expressément, sur l’usage présumé criminel des fonds Petro Caribe. Or l’utilisation desdits fonds ne représente qu’un pan de la goujate et effrontée gabegie de l’administration Martelly-Lamothe-Paul, la plus corrompue, la plus dissolue, la plus vénale, la plus perverse, la plus dévoyée, la plus immorale dans l’histoire politique du pays; administration dont Latortue était un intime «conseiller» grassement payé. Qui va éventuellement faire toute la lumière sur la puanterie politique mickyste? Sûrement pas Youri Latortue.

Ce racketteur, ceMonsieur 30 pour cent’’, selon Thierry Oberlin du Figaro, a monté sa Commission bidon (en fait, je préfère bidonne, n’en déplaise aux grammairiens) pour «se refaire une virginité politique» ; essayer de redorer son blason affreusement terni par ses innombrables malversations, prévarications, escroqueries, duperies, friponneries, filouteries et truanderies ; détourner les vraies pistes et  «masquer tout éclairage possible sur l’utilisation des fonds Petro Caribe».

Non, Youri Latortue, votre truc de faux magicien ne passera pas. Delenda carthago. Carthage doit être détruite. Brigandi dechennen judicandii, les brigands déchaînés doivent être jugés, subir les rigueurs de la loi, sans aucun paspouki. Caveant brigandi !

*Paul Lafargue. Socialiste français né à Santiago de Cuba, gendre de Karl Marx. Surtout connu pour son essai Le droit à la paresse.

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