Le feuilleton kenyan en Haïti (18)

(18e partie)

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Signature de l’Accord dénommé : SOFA entre l’ambassadeur Gandy Thomas, Représentant a.i. de la République d’Haïti auprès de l’OEA à Washington, et Lazarus O. Amayo, ambassadeur du Kenya aux Etats-Unis.

Le mardi 18 juin 2024, la délégation de la PNH conduite par Joachin Prophète, Inspecteur général de la PNH et Persans Robinson, le Responsable du SWAT, était arrivée dans la capitale kenyane, Nairobi, où les hauts gradés de la police d’Haïti furent accueillis par Japheth Koome, Inspecteur général de la police kenyane, Douglas Kania Kirocho, Inspecteur général du Service de la police kenyane et Noor Gabow, chef de la police administrative kenyane. Au terme de ce voyage sur la terre africaine, les membres de la délégation ont signifié leur contentement et leur satisfaction et ont témoigné toute leur confiance à l’égard des officiels et des dirigeants de la police du Kenya.

Entre-temps, les nouvelles allaient bon train à Port-au-Prince. Chacun avançait une date d’arrivée des premiers kenyans en Haïti. Mais, en vérité, personne ne savait rien. Personne n’était dans la confidence. Seule la Maison Blanche, le Département d’État et le Pentagone détenaient la clé du déploiement. Les nouvelles autorités haïtiennes, le Conseil Présidentiel de Transition (CPT) et le nouveau chef du gouvernement intérimaire, Garry Conille, s’impatientaient eux aussi en mangeant leurs ongles.

Car, depuis plusieurs années, la situation échappe à tout contrôle des autorités qui, finalement par défaitisme, refusent d’entreprendre des moyens drastiques en matière de rétablissement de l’ordre public non seulement dans la capitale et ses périphéries : Croix-des-Bouquets, Ganthier, la Plaine, Torcelle, Carrefour, Mariani, Gressier, etc. complètement sous le contrôle des bandits, mais aussi dans le département de l’Artibonite où les gangs avaient chassé tous les policiers de la commune de Petite-Rivière de l’Artibonite et mis le feu au Commissariat de la ville avant de viser la ville Saint-Marc. Cependant, le mercredi 19 juin 2024, les dirigeants haïtiens avaient repris contact avec leurs homologues du Kenya par visioconférence. A travers un long entretien qui s’est déroulé entre le Président du Conseil Présidentiel de Transition (CPT), Edgard Leblanc Fils, et William Ruto, Président du Kenya, ils se sont entendus pour établir un circuit de communication unique entre les deux présidences.

C’est le Président du CPT qui a publié sur son compte X le communiqué annonçant, le mercredi 19 juin, l’établissement de ce canal officiel de communication entre les deux États dans le cadre du déploiement de la mission internationale. « Le Président du Conseil Présidentiel de Transition, M. Egard Leblanc Fils, accompagné des Conseillers-Présidents, a eu, ce mercredi 19 juin, une réunion en visioconférence avec le Président de la République du Kenya, M. William Ruto, qui a accepté d’assurer le leadership de la Mission Multinationale d’Appui à la Sécurité (MMAS) créée par la résolution 2699 des Nations-Unies. Le Président du CPT en a profité pour souligner l’importante contribution financière de 109 millions de dollars des États-Unis d’Amérique, tout en saluant celles que d’autres partenaires apporteront prochainement à la République d’Haïti. Les deux Présidents ont décidé d’établir à partir d’aujourd’hui un canal officiel de communication.» Cette démarche avait été confirmée par l’autre partie le même jour et par le même moyen de communication. En effet, le Président William Ruto, depuis Nairobi, s’était fendu d’un message sur son compte X relatif à cette réunion par visioconférence qu’il a eue avec le chef du CPT.

« Le Kenya croit fermement aux valeurs mondiales partagées du multilatéralisme telles que consacrées dans la Charte des Nations-Unies. Nous sauvegarderons les principes communs d’humanité qui nous permettent de faire progresser la paix, la sécurité et la stabilité. J’ai eu des entretiens avec le Conseil Présidentiel de Transition d’Haïti présidé par l’ingénieur Edgard Leblanc Fils. Nous établirons des canaux de communication dans le cadre de l’engagement continu en faveur du rétablissement de la paix en Haïti.» Rappelons que ces échanges ont eu lieu le jour même où le Secrétaire d’État américain, Antony Blinken, avait autorisé son ministère à décaisser une nouvelle tranche de 109 millions de dollars sur les 300 millions promis par les Etats-Unis pour financer la Mission Multinationale en Haïti.

Selon le journal américain The Miami Herald du 18 juin 2024, cette décision du chef de la diplomatie américaine est connue sous le nom de « Option nucléaire ». C’est un équivalent de l’article 49-3 de la Constitution française autorisant le Premier ministre, chef du gouvernement, à faire passer à l’Assemblée Nationale une loi sans le vote des parlementaires. D’ailleurs, le journal avait rapporté la déclaration d’un haut fonctionnaire du Département d’État qui a approuvé la démarche de Antony Blinken. « Avec l’autorisation de Blinken, il y a non seulement de l’argent pour acheter les équipements qu’une équipe d’évaluation de la sécurité kényane a jugé nécessaires avant l’arrivée des officiers à Port-au-Prince, mais cela envoie également un signal fort à d’autres nations. En avançant avec l’obligation des ressources, le Secrétaire indique également à d’autres pays la sincérité et le sérieux de notre engagement, en partie pour inciter les autres à augmenter leurs propres contributions à la mission » cité par The Miami Herald.

Délégation de la PNH dans la capitale kenyane, conduite par Joachin Prophète, Inspecteur général de la PNH et Persans Robinson, Responsable du SWAT. Elle a été accueillie par Japheth Koome, Inspecteur général de la police kenyane, Douglas Kania Kirocho, Inspecteur général du Service de la police kenyane et Noor Gabow, chef de la police administrative kenyane.

Entretemps, dans la capitale fédérale américaine, les choses s’accélèrent. Le vendredi 21 juin 2024, l’OEA, à travers Cristobal Dupouy, le Représentant spécial permanent du Secrétaire général en Haïti, Luis Almagro, annonçait qu’un Accord sur le statut de la Mission Multinationale d’Appui à la Sécurité en Haïti a été signé entre les autorités haïtiennes et leurs homologues kenyans. Selon l’information publiée sur le compte X de Cristobal Dupouy, ce jour-là, ce sont l’ambassadeur Gandy Thomas, Représentant a.i. de la République d’Haïti auprès de l’OEA à Washington, et Lazarus O. Amayo, ambassadeur du Kenya aux Etats-Unis, qui ont signé cet Accord dénommé : SOFA (Status Of Force Agreement) sur le statut de la mission ce 21 juin 2024. Sur son compte X, le diplomate de l’OEA note que « Cette entente juridique (SOFA/SPA) déposée à l’OEA est une étape importante qui devrait accélérer le déploiement de la MMAS. Le SOFA/SPA est destiné à clarifier les termes sous lesquelles les troupes stationnées peuvent intervenir et doivent se comporter. Les questions relatives aux opérations militaires, comme la localisation des bases et l’accès aux services, sont couverts par des ententes séparées. »

En réalité, lorsqu’on prend connaissance de la teneur de cet Accord comportant 26 articles de protection proprement dite et deux autres supplémentaires relatif aux dispositions diverses, l’on découvre qu’il s’agit, en vérité, d’un véritable cadeau d’immunité fait aux membres de la mission, dans la mesure où en Haïti, ils sont intouchables et ne sont responsables que devant les chefs de la mission quels que soient les forfaits, actes, voire d’éventuels crimes qu’ils pourraient commettre et ce quel que soit l’endroit où ils se trouvent sur le territoire haïtien. En clair, les autorités haïtiennes se sont couchées devant la Communauté internationale et acceptent l’intégralité des demandes, voire des diktats de cette mission. Rien, absolument rien n’a été refusé à la mission. Ce qui confirme que Haïti en 2024 est bel et bien un État sous tutelle. Juste quelques extraits de cet « Accord Relatif aux Protections de Statut de la Mission Multinationale d’Appuis à la Sécurité en Haïti (MMAS) » peuvent donner une idée de l’avilissement des dirigeants de la Transition ayant sollicité et cautionné ce déploiement pour une énième fois des forces étrangères sur le sol d’Haïti.

(…) 1– Tout le personnel de la MMAS, y compris le personnel recruté localement, jouit de l’immunité de juridiction pour tous les actes accomplis dans l’exercice de ses fonctions officielles (y compris ses paroles et écrits). Cette immunité continue d’avoir effet même lorsqu’ils ne feront plus partie du personnel de la MMAS ou ne seront plus employés par cette dernière et après que les autres dispositions du présent Accord auront expiré.

2– Le Gouvernement haïtien reconnaît : le droit de la MMAS et de ses contractuels d’importer, par la voie maritime, aérienne ou terrestre la plus aisée et directe, en franchise de droits, de taxes, de redevances et autres charges, sans autre interdiction ni restriction, des équipements, des provisions, des fournitures, du carburant, des matériaux et autres biens, y compris des pièces de rechange et des moyens de transport, destinés à l’usage exclusif et officiel de la MMAS .

3– Si le Gouvernement haïtien estime qu’un membre du personnel de la MMAS a commis une infraction pénale, il en informe le (la) Commandant(e) de la MMAS dans les meilleurs délais et lui présente tout élément de preuve en sa possession. Le personnel de la MMAS est soumis à la juridiction exclusive de son État participant en ce qui concerne toute infraction pénale qu’il commettrait en Haïti.

4–  Le Gouvernement haïtien garantit que les locaux attribués à la MMAS sont inviolables et soumis à l’autorité et au contrôle exclusifs de celle-ci; garantit un accès permanent, direct et immédiat à ces locaux lorsque des membres du personnel de la MMAS sont postés dans les mêmes locaux que du personnel de police d’Haïti…

5– Haïti accepte d’établir, dans les meilleurs délais, à des fins d’appui à la MMAS, des installations temporaires de douane destinées à la mission dans des lieux pratiques pour cette dernière et n’ayant pas été précédemment désignés comme ports d’entrée officiels en Haïti. Le pays reconnait aussi le droit d’établir, de maintenir et d’exploiter des économats au siège de la MMAS, dans ses camps et à ses postes au bénéfice du personnel de la MMAS.

6– Conformément à la Résolution 2699 (2023) du Conseil de sécurité, le Gouvernement haïtien accorde à la MMAS et son personnel ou ses contractuels les privilèges, immunités, facilités ou concessions qui s’appliquent selon la Convention. « Les États participants, leurs biens, leurs fonds, leurs avoirs et la MMAS et son personnel jouissent des privilèges et immunités énoncés dans le présent Accord.

7– Le Gouvernement facilite l’entrée en Haïti, la résidence et la sortie de ce pays :

  1. a) Du personnel de la MMAS, sans délai ni entrave, et est tenu informé de ces mouvements. b) Dispense des formalités de passeport et de visa, ainsi que de l’inspection et des restrictions prévues par les services d’immigration, et du paiement de tous droits ou taxes à l’entrée ou à la sortie d’Haïti. » (…)

Après la signature dudit Accord qui avilit davantage l’élite politique et qui met à nu leur irresponsabilité en tant que telle, il était devenu évident que le déploiement ne saurait tarder même si nous affirmons que les deux équipes qui dirigent la Transition à Port-au-Prince, en dépit de livrer le pays à une vraie occupation militaire étrangère, sans avoir aucun regard à ce qui pourrait se passer au sein de cette mission, n’étaient nullement au courant de quoi que ce soit, c’est-à-dire, n’avaient aucune idée du jour exact que cela allait se produire. Deux jours après la signature de cet Accord de la honte, la presse internationale avait commencé à distiller des informations relatives au débarquement qui était imminent selon elle. Nous sommes le dimanche 23 juin 2024. L’Agence France Presse (AFP), Associated Press (AP) et Reuters, dans leurs bulletins, avaient indiqué, selon une source gouvernementale kenyane, que le déploiement était pour cette semaine. Car, d’après une source au ministère de l’Intérieur kenyan, « Les préparatifs sont en cours pour un départ de l’équipe pour Haïti mardi. Nous avons déjà deux équipes préparatoires qui sont parties, une la semaine dernière et une autre hier samedi. » AFP 23 juin 2024.

D’autre part, le lundi 24 juin, ces mêmes agences de presse avaient précisé que, d’après le ministère de l’Intérieur qui n’a pas donné de chiffre, « Les premiers contingents Kenyans dans le cadre de la Mission Multinationale de Soutien à la Sécurité (MMSS) autorisée le 2 octobre 2023, par la résolution 2699 votée au Conseil de sécurité de l’ONU, quittera Nairobi à destination de Port-au-Prince demain mardi 25 juin 2024 pour combattre aux côtés de leurs frères d’armes de la Police Nationale d’Haïti (PNH) la violence des gangs armés » Cette déclaration a été faite en marge d’une cérémonie organisée dans une base de la police kenyane qui était sur le départ le lundi 24 juin 2024 à laquelle le Président William Ruto en personne a participé et a procédé à la remise des couleurs.

En effet, accompagné de celui qui devait prendre le Commandement militaire de la mission à Port-au-Prince, le chef des opérations du Service administratif et l’Inspecteur général principal adjoint de la Police, le général Goeffrey Otunge et du ministre de l’Intérieur, Kithure Kindiki, le Président William Ruto s’était rendu à cette Académie de police de Nairobi pour saluer et s’entretenir avec les hommes de ce premier contingent de policiers qui devaient s’envoler le soir même pour les Caraïbes dans le cadre de l’engagement du Kenya avec la Communauté internationale pour Haïti. A la fin de la cérémonie, le ministre de l’Intérieur, Kithure Kindiki, dans un communiqué, se disait « Honoré de dire au revoir au premier groupe du contingent des services de la police nationale qui prend part à la mission historique des Nations-Unies en Haïti. Il s’agissait d’une cérémonie officielle de remise du drapeau par le Président, 400 officiers sont maintenant prêts à partir pour Haïti.

Le groupe initial était composé d’officiers d’élite provenant de plusieurs unités entre autres de l’escadron antiterroriste, qui a combattu les islamistes radicaux somaliens shebab sur le sol kényan ; des membres de l’Unité de déploiement rapide, de l’Unité de patrouille aux frontières, engagés également dans la lutte contre les shebab, de membres de l’unité de déploiement rapide, de l’unité des services généraux, de la police administrative kenyane. Ils ont tous suivi un entraînement rigoureux pour cette mission, en plus de leur formation préalable à la gestion de situations complexes et ils sont prêts pour la mission, ne doutez pas  de leur capacité. » Trois jours avant cette cérémonie de départ, le Commissaire Stephen Chebet a été promu chef des opérations de l’Unité des Services généraux, tandis que l’Inspecteur général adjoint de la police, Noor Gabow, prévu au départ pour commander la mission, a finalement pris la tête de la Direction de Formation et du Développement des capacités des troupes à l’extérieur depuis Nairobi.

Enfin, arriva le Jour-J tant espéré par le gouvernement haïtien de Transition. Comme en juin 1944, pour le débarquement sur les Plages de Normandie, en France, les dirigeants anglais et américains, notamment le général Dwight D. Eisenhower et le Premier ministre Winston Churchill n’avaient pas mis le Général Charles de Gaulle, pourtant chef incontesté et inconstatable de la résistance française, dans la confidence pour éviter les fuites. Les autorités haïtiennes non plus n’étaient pas vraiment au courant de la date exacte ni du jour du déploiement des premières troupes kenyanes à Port-au-Prince. Elles ont été informées presque comme monsieur tout le monde, par les médias et les réseaux sociaux, en tout cas, de manière officielle seulement quelques heures avant que les soldats, les policiers kenyans et d’autres n’atterrissent à l’aéroport Toussaint Louverture de Port-au-Prince. Pourtant, cela faisait deux longues années qu’ils attendaient ce « grand » jour pour eux.

(A suivre)

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