Le feuilleton kenyan en Haïti (15)

(15e partie)

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Des policiers de la Jamaica Constabulary Force (JCF)

A la fin du mois d’avril 2024, les bonnes nouvelles pleuvaient de toute part pour les supporters de la mission armée internationale en Haïti. En effet, entre les 26, 27 et 28 avril, plusieurs contingents militaires étaient déjà prêts pour le débarquement. C’était la fin de « l’Opération Hélios », cette opération qui consistait à entrainer une bonne partie des militaires de la CARICOM en vue de leur participation au déploiement en Haïti. En stationnement à la Jamaïque, des dizaines de membre des Forces Armées canadiennes (FAC), tous appartenant au 1er bataillon du Royal 22e Régiment basé à Valcartier au Québec, avaient terminé la première partie de la formation de plus de 300 soldats venus de Belize, du Kenya, des Bahamas et bien entendu de la Jamaïque.

Le colonel Tarik Messousa, Commandant de « l’Opération Hélios », tout fier devait déclarer le vendredi 26 avril 2024 « Il est impressionnant de voir ce que le Canada peut livrer en termes d’expertise et d’entraînement. Je peux dire, au nom des forces qui ont pris part dans l’opération et des forces kényanes, que nous avons atteint notre but.» Par ailleurs, la cheffe de la diplomatie jamaïcaine, Kamina Johnson, avait fait l’éloge de ce qui a été fait par les 70 militaires canadiens venus comme formateurs dans son pays. Elle se disait satisfaite du travail accompli. La ministre des Affaires Etrangères était toute contente de dire « Nous avons complété une formation sur les opérations et les forces spéciales, sur les infrastructures, la récupération des otages, etc… C’est le travail qui s’est fait ici pour nous assurer que nous soyons prêts à apporter notre soutien dès qu’on nous le demandera. » Pour sa part, l’un des premiers concernés sur le plan militaire, Kevron Henry, Commandant des Forces de Défense de la Jamaïque, s’enorgueillit du niveau atteint par les hommes qui étaient en formation dans son pays pour le compte des Etats-Unis et de la CARICOM.

Le général jamaïcain estimait que c’était mission accomplie à voir la capacité d’intervention de ces militaires aguerris prêts pour le combat. D’après le Commandant Kevron Henry, « Ces hommes sont, je crois, capables d’intervenir et de mener des opérations à haute intensité pour restaurer l’ordre dans des endroits comme Haïti ou ailleurs dans le monde. Selon notre évaluation, nous sommes capables d’affronter les défis qui peuvent survenir dans n’importe quel environnement, y compris à Port-au-Prince. » Déclaration faite le 26 avril 2024. Avec de telles déclarations, Barbecue et ses hommes du mouvement « Vivre ensemble » avaient tout intérêt à rester à carreau ou à se préparer à affronter leur pire cauchemar.

Sinon, cette Mission Multinationale d’Appui à la Sécurité en Haïti n’aura été qu’une farce, une mission de plus de l’ONU, comme celles qui se sont succédé dans le pays depuis près de quatre décennies. Après l’espoir créé par les déclarations de ces trois membres de la Communauté internationale, les partisans de l’intervention militaire en Haïti se prenaient à rêver avec l’installation du Conseil Présidentiel de la Transition qui commençait à parler de rétablir l’ordre et la sécurité avec l’idée de la formation du Conseil de sécurité nationale (CSN) prévu dans l’accord politique du 3 avril 2024. Sans savoir d’où venait cette information, certains avaient commencé à parler de l’arrivée des premières troupes kenyanes en Haïti aux environs de 23 mai, d’autres avançaient la date du 29.

En réalité, il s’agissait d’une fausse alerte. Le déploiement des kenyans allait devoir attendre la fin du mois de mai 2024 pour que le Conseil Présidentiel de la Transition nomme un successeur au Dr Ariel Henry. Il s’agit du Dr Garry Conille, haut fonctionnaire de l’ONU. En fait, la rumeur venait d’une déclaration du Surintendant adjoint de la police jamaïcaine, Adrian Hamilton, le jeudi 2 mai 2024. Ancien Commandant du contingent et Conseiller de police dans la précédente mission de l’ONU en Haïti – MINUSTHA- durant trois ans (2008-2011), Hamilton est un habitué des missions difficiles en Haïti, pays qu’il connaît fort bien.

Le colonel Tarik Messousa, Commandant de « l’Opération Hélios » et Kevron Henry, Commandant des Forces de Défense de la Jamaïque

Étant Commandant de l’unité de la police jamaïcaine devant intégrer la Mission Multinationale d’Appui à la Sécurité en Haïti (MMAS), ce Surintendant disait que ce détachement de la Jamaica Constabulary Force (JCF) était fin prêt pour se déployer en Haïti. « Nous nous sommes toujours entraînés et avons opéré à l’unisson avec nos partenaires essentiels de la Force de défense jamaïcaine. Notre JCF est dotée de capacités dynamiques pour soutenir cette initiative (…) Nous sommes compétents, engagés et confiants quant au niveau de formation que nous avons reçu jusqu’à présent et avec les conseils continus du Commissaire de police, du haut commandement de la JCF, de la Force de défense jamaïcaine et de nos partenaires régionaux et internationaux, nous atteindrons notre objectif » avançait le Surintendant de police le 2 mai 2024 après l’entrainement de plusieurs contingents militaires et policiers intégrés dans une force opérationnelle interarmée composée de la Jamaïque, Belize et les Bahamas.

Les déclarations de ce haut cadre de la police jamaïcaine ont été amplifiées et soutenues par certaines déclarations des officiels américains et les autorités haïtiennes qui ont rapportés dans la presse que les Etats-Unis avaient commencé la construction de la première base pour l’installation du premier contingent kenyan. En effet, selon le quotidien Le Nouvelliste du 3 mai 2024, c’est le Pentagone (ministère de la Défense des Etats-Unis) qui assurait cette partie de la logistique après que le Département d’État (ministère des Affaires Étrangères), toujours américain, eut sollicité l’autorisation du gouvernement haïtien pour que la police haïtienne aide à assurer la sécurité des employés américains chargés de construire ces bases aux environs de l’aéroport Toussaint Louverture sur le territoire de la commune de Tabarre. « Les États-Unis ont pris contact avec le gouvernement haïtien pour la construction d’une base pour accueillir les premiers membres de la MMAS.

C’est le Pentagone qui s’assure de ce volet. Les États-Unis, via le ministère des Affaires étrangères, ont demandé au gouvernement haïtien d’autoriser la PNH à fournir un soutien aux entrepreneurs privés de sécurité du département de la Défense des États-Unis (PSC) s’ils devaient faire l’objet d’une attaque hostile au cours de leurs tâches contractuelles à l’Aéroport International Toussaint Louverture. La PNH doit fournir un nombre approprié de personnel pour contrecarrer les entrées illégales, les tirs hostiles, les attentats à la bombe ou tout autre événement critique ne relevant pas du contrat PSC, dans un délai rapide suivant la demande de soutien. Des procédures doivent être mises en place pour la communication entre la PNH et le commandement de la PSC » rapportait le plus ancien quotidien d’Haïti. Par ailleurs, le dimanche 6 mai 2024, les autorités de Suriname, jusque-là assez en retrait dans ce dossier, pourtant État membre de la CARICOM, sortaient du bois.

Dans une rencontre avec la presse, le Président du Suriname, Chan Santokhi, devait annoncer que Paramaribo, la capitale du Suriname, était prête à intégrer la mission internationale en Haïti. Selon le chef de l’État de cette ancienne colonie néerlandaise (Pays-Bas), des militaires et des policiers étaient en préparation pour la mission. Chan Santokhi qui ne semblait pas très bien informé de ce qui se passait dans la guerre entre la Russie et l’Ukraine laissait entendre qu’il y avait plus de morts en Haïti que celles enregistrées dans cette partie du monde où les deux belligérants s’entretuent au quotidien depuis le début des hostilités le 24 février 2022. Qu’importe pour le Président surinamien, l’important c’est de dramatiser au maximum la situation afin de sensibiliser davantage, comme il le disait lui-même, les États membres de la Communauté caribéenne de venir au secours de la Première République Noire du Nouveau monde. (…) « Nous soutiendrons notre Nation sœur de la Communauté des Caraïbes (CARICOM). Nous apporterons notre soutien à la force multinationale dirigée par le Kenya, entre autres choses. Ces contingents sont préparés par les ministres de la Défense et de la Police, et le ministre de la Justice, en collaboration avec la police et l’armée nationale du Suriname. Savez-vous combien de personnes meurent chaque jour en Haïti ?

Plus de personnes civiles meurent chaque jour en Haïti que dans la guerre entre la Russie et l’Ukraine […] » estimait Chan Santokhi du Suriname le 5 mai 2024. Deux jours après, Washington avait annoncé que les Etats-Unis ont débloqué 60 millions de dollars pour l’achat de matériels, d’armes et d’autres éléments de transports des troupes dans le cadre de la mission dont la date commençait à se préciser de plus en plus. Tandis que la revue américaine Politico devait apporter plus de détails sur ce à quoi ces 60 millions de dollars devaient servir. Selon Politico, « Cette enveloppe de 60 millions de dollars américains est débloquée pour soutenir Haïti dans l’acquisition d’équipements militaires en vue de renforcer la Mission Multinationale de Soutien à la Sécurité en Haïti. 

Ce financement permettra l’achat de 35 transporteurs d’infanterie MaxPro, 80 Humvees, des armes à feu, des munitions, des drones de surveillance, des fusils de sniper et d’autres équipements. Cette aide vise également la poursuite de la formation des troupes en vue du déploiement imminent de la mission kényane. » En outre, d’après le journal The Tribune des Bahamas, en date du 7 mai 2024 citant le chef de la diplomatie de cette île anglophone et celui de la Sécurité nationale, le déploiement était même fixé pour le dimanche 26 mai 2024. The Tribune avait confirmé que « Le ministre des Affaires étrangères des Bahamas a révélé que le déploiement des troupes kenyanes en Haïti est programmé pour le 26 mai prochain. Des soldats bahaméens se joindront également aux policiers kenyans dans cette mission. Par ailleurs, le ministre de la Sécurité nationale, Wayne Munroe, avait souligné que ces soldats auront pour mission de contribuer à assurer la sécurité maritime dans la région. »

Le Président du Suriname, Chan Santokhi

En outre, le mardi 8 mai 2024, c’est par voix de presse qu’on avait appris en Haïti que le Conseil Présidentiel de la Transition (CPT) avait écrit au chef de l’État kenyan, William Ruto, lui informant que la présidence provisoire de la République avait désormais pris en charge le dossier du déploiement et que tous les Conseillers présidentiels attendaient, comme il était convenu, l’arrivée de la Mission multinationale, selon la Résolution 2699 de l’ONU. « Nous, le Président et les Membres du Conseil Présidentiel de Transition de la République d’Haïti, avons l’honneur d’exprimer à Votre Excellence notre satisfaction face à la solidarité dont le Kenya a fait preuve à l’égard de notre pays en ces temps de crise sans précédent dans la vie de la République (…) Le Conseil réaffirme son adhésion au Mémorandum d’Entente entre le gouvernement de la République d’Haïti et le gouvernement de la République du Kenya pour la coopération en matière de police et de sécurité, signé à Nairobi le 1er mars 2024.

Ainsi, à la lumière de la Résolution 2699 du Conseil de sécurité des Nations-Unies, l’accord bilatéral de sécurité signé entre la République Haïti et la République du Kenya ouvre la voie à la finalisation des modalités de mise en œuvre les plus appropriées de la Mission Multinationale de Soutien à la Sécurité (MMSS) (…) Créé par décret du 12 avril 2024, suite à l’Accord politique pour une transition pacifique et ordonnée conclu entre les représentants des principales forces politiques, économiques, sociales et religieuses du pays, le Conseil présidentiel de Transition représente une réponse à la demande collective de la société haïtienne. Sa mission principale, consiste à rétablir l’État de droit démocratique en Haïti et sa première priorité est de restaurer la sécurité sur toute l’étendue du territoire national.

La volonté du Kenya de soutenir des solutions de sécurité pour la nation est grandement appréciée » extrait de la lettre du Président du Conseil Présidentiel de Transition, Edgard Leblanc Fils, au chef de l’État William Ruto datée du 3 mai 2024. Une initiative ou décision fort mal appréciée par l’une des parties prenantes de l’Accord du 3 avril 2024 qui a initié la formation du CPT. Le groupe Montana qui est représenté par Fritz Alphonse Jean au Conseil Présidentiel ne digère pas la teneur de cette lettre expédiée par la présidence haïtienne dont il est membre au Président kenyan. C’est l’instance dite Bureau de Suivi de l’Accord (BSA) qui a fait connaître la position de l’Accord du 30 août ou de Montana par rapport à ce courrier.

Dans un Mémorandum qu’il a envoyé au CPT, les signataires de l’Accord de Montana dénonçaient le bien fondé de cette lettre qui, selon eux, est un « accroc » à l’Accord du 3 avril 2024 donnant naissance au CPT. Ils estiment que Edgard Leblanc Fils, Coordonnateur du CPT, et ses collègues du Conseil auraient dû attendre la création du Conseil National de Sécurité (CNS) avant de prendre cet engagement devant la Mission Multinationale d’Appui à la Sécurité en Haïti. Pour les compagnons du Conseiller-Président Fritz Alphonse Jean du Bureau de Suivi de l’Accord, cette lettre représente une entrave à la mission du Conseil National de Sécurité.

Pour bien comprendre la position du BSA de l’Accord du Montana, lisez ce large extrait du Mémorandum que les responsables ont adressé à Edgard Leblanc Fils, Président du CPT « La lettre écrite au gouvernement kenyan constitue un accroc à l’Accord du 3 Avril en mettant en avant le rôle du Conseil National de Sécurité (CNS) qui n’est pas encore créé. Le CNS a pour mission de protéger les intérêts de la population et de s’assurer que cette assistance, au-delà de la bonne volonté des pays frères d’aider Haïti dans la lutte contre le grand banditisme, ne se transforme en une force de violation des droits de la nation et du peuple haïtien.

Ce serait par exemple au CNS de fournir les explications nécessaires afin d’éclairer et de rassurer la population sur la présence accrue d’avions et d’hélicoptères militaires sur le territoire haïtien, dans le respect de son devoir de réserve sur les informations stratégiques. Le Conseil étant une instance politique de cohabitation, il s’est agi de confier le lourd dossier de la sécurité à cet organe indépendant qu’est le CNS qui, pour être efficace, doit être libre de toute contrainte politique partisane afin que cesse le règne de l’impunité à l’origine de l’intensification de la violence en Haïti. Il s’agit d’une condition indispensable à la tenue d’élections transparentes et démocratiques.

Cette lettre du CP, adressée au gouvernement kenyan avant même la création et les travaux du CNS, représente une entrave à la mission de ce dernier. Les blessures laissées par l’occupation militaire de 1915-1934 et les dernières interventions étrangères dans notre territoire demeurent douloureuses et sensibles. Il incombe particulièrement au CNS de veiller à ce que cette assistance internationale soit conforme à son mandat initial, à savoir un soutien aux forces de sécurité nationales, conformément au point 1.a de la Résolution, qui vise à fournir un appui opérationnel à la Police nationale d’Haïti pour renforcer ses capacités dans la lutte contre l’insécurité.

Nous savons toutes et tous qu’aucune force étrangère n’a jamais résolu dans aucun pays les problèmes d’insécurité, encore moins en Haïti qui vit sous la terreur des gangs après de multiples interventions », soulignaient les responsables du BSA de Montana. Pendant ce temps, à Port-au-Prince, notamment à l’aéroport Toussaint Louverture, les autorités et les entreprises américaines s’activaient pour recevoir les matériels devant servir à la construction de diverses bases pour les troupes et autres infrastructures pour accueillir la logistique et le personnel civil de la mission. Rappelons que, depuis le 29 février 2024, le jour de l’attaque de groupes armées sur les institutions de l’Etat, les infrastructures aéroportuaires étaient fermées et qu’aucun décollage ni atterrissage n’était autorisé pour les avions commerciaux.

Mais, dès la fin du mois de mars 2024, les autorités américaines avaient littéralement fait main basse sur l’aéroport de Port-au-Prince en déployant des dizaines de militaires sur le Site. Si elles autorisaient le gouvernement intérimaire à faire le nécessaire afin de garantir la sécurité des avions et le complexe aéroportuaire, c’est-à-dire en détruisant toutes les maisons situées à proximité immédiate de l’aéroport dont la plupart servaient effectivement de refuges et campements pour les groupes armés afin de mener des attaques, elles avaient décidé aussi de s’y installer sous prétexte d’assurer la sécurité des équipements et fournitures destinés à la construction de la base opérationnelle de la mission multinationale.

En effet, en prévision du débarquement, le génie militaire de l’US Army devait prendre le contrôle de cette infrastructure afin de débarquer les matériels comme indiqué plus haut.

(A suivre)

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