Ma défunte grand-mère maternelle, faisant allusion aux pillageurs de l’État, disait toujours : fè enpe, kite enpe. Un proverbe haïtien allant dans le même sens que la vieille granmoun assure que se nan chimen jennen yo kenbe chwal malen. Un autre veut qu’il y a un jour pour le chasseur, un autre pour le gibier. De proverbe en proverbe, j’en arrive à celui-ci : la rosée taille son banda aussi longtemps que le soleil ne s’est pas encore levé. La bonne sagesse populaire conseille d’y aller avec grande prudence parce que le faire voire ne dure pas, fè wè pa dire.
Ces proverbes s’appliquent surtout à ces personnes qui, sans le vouloir ou sans le savoir, se plaisent ou se laissent aller à nuire leur nid, à nui nich yo. Le commun des Haïtiens dirait que yo bat kò yo twòp. Ils n’ont aucun sens de la mesure, aucun sens du danger qui guette la rosée de leur insouciance, alors que le soleil des règlements de comptes n’attend que le moment propice pour se lever dans le ciel de leur incurie. Ils en font trop, alors qu’ils pourraient se contenter d’en faire moins et ménager leur avenir.
Il y en a qui aiment le danger, se plaisent à lui faire les yeux doux, à le caresser, à lui flairer les aisselles, espérant même pouvoir l’apprivoiser. Ce sont des bravedanje selon la terminologie haïtienne. Or dès notre plus jeune âge, nous l’avons appris, nous en avons fait l’expérience : qui s’y frotte s’y pique, s’y perce, s’y blesse, et même peut s’y brûler. Car, « C’est folie de prétendre marcher pieds nus sur des charbons ardents, avec l’espérance de ne pas se brûler» (Prov. VI, 28). Et «Qui cherche le danger au danger périra» (Eccle. III, 27). Surtout, «Qui frappe par lepe périra par ce même pe».
Avant d’en arriver au vif du texte, permettez-moi un détour par un proverbe qui nous est arrivé suite à une faute de transcription. C’est l’histoire d’une jeune fille un peu turlututute, niaise, une cruche, quoi. A force d’exposer ses charmes à la piscine, elle avait quand même fini par y trouver un mari. Le proverbe était ainsi libellé: «Tant va la cruche à l’eau qu’à la fin elle se case». C’est au XIIIe siècle que le proverbe va prendre sa forme cassante, sous la forme de «tant va le pot au puits qu’il casse». Dans le Roman de Renart, la chose devient simplement brisante : “tant va pot à l’eau que brise“. Finalement, le proverbe, tel que nous le connaissons aujourd’hui, s’énonce ainsi : « Tant va la cruche à l’eau qu’à la fin elle se casse». Bref, à force de s’exposer au danger, on finit par en être victime. Qui amat periculum in illo peribit, selon les Écritures. Suivez ma plume.
C’est ce qui est arrivé au sénateur «élu» Guy Philippe. En passant, celui-ci n’avait pas approfondi la pensée de Lao-Tseu, ce sage chinois, personnage peut-être fictif, contemporain de Confucius. Tseu disait que «Si tu tapes une cruche contre ta tête et que tu entends un son creux, n’en déduis pas forcément que c’est la cruche qui est vide». Guy s’était tapé la tête contre le «laboratoire». Ayant perçu un son creux, il en avait déduit que tout ces «laborantins» était des cruches vides et qu’il allait pouvoir les remplir de… cocaïne. Il s’en approcha, s’y frotta trop souvent, s’y piqua, se fit attraper, menotter et expédier aux gars de la Drug Enforcement Administration (DEA), des drôles de zigs qui après avoir appâté, et même épaté Guy avec la poudre blanche vont lui demander des comptes pour n’avoir pas fè enpe, kite enpe. Tant va la cruche…
Lors des deblozay qui en 2004 conduisirent au coup d’État kidnapping contre Aristide, les intellos, artistes et membres de la société civile avaient laissé le sale boulot militaire aux «rebelles» de Guy Philippe. Les GNBistes avaient toujours prétendu qu’ils n’avaient rien à voir avec le chef de la «rébellion» qui après avoir taillé son banda en prenant d’assaut commissariat après commissariat dans le nord du pays, crut la partie gagnée pour lui et se voyait déjà commandant en chef des FADH. Mais le faire voir ne dure pas, fè wè pa dire.
La bourgeoisie, alliée du «laboratoire», allait vite lui rabattre le caquet et le forcer à se confiner dans son Pestel natal, d’autant que la mésaventure de Ravix Rémissainthe commandant autoproclamé des militaires démobilisés, abattu le 9 avril 2005, lui avait glacé le sang. Il faut certainement mentionner que les compères Boulos, Accra, Apaid et compagnie, après s’être servi de ce faux rebelle le précipitèrent dans les poubelles de leurs préjugés de classe et, probablement, de couleur pour ne plus lui faire de confidences amères et hostiles contre Lavalas.
En juillet 2007, l’ancien chef rebelle et candidat à la présidentielle en 2006 avait pris le maquis après que des agents de la Drug Enforcement Administration (DEA) des États-Unis avaient lancé une opération de type militaire pour l’arrêter dans son patelin de Pestel. Curieusement, il en avait réchappé. De façon aussi curieuse, il avait repris ses activités sans être inquiété. Comme ces types de la DEA ne sont pas tous de première vertu, ils peuvent avoir joué la comédie, ce n’est pas à exclure. Sans doute, Philippe commençait à vouloir, comme Noriega à Panama, se libérer de la tutelle de la DEA et faire à sa guise. On peut penser que les mecs de l’Administration de la lutte antidrogue avaient simplement voulu lui rappeler de continuer à aiguiser son couteau cocaïnant mais de prendre garde à ses doigts de trafiquant de stupéfiants. D’autres opérations (ou simulacres d’opérations?) ont été menées par la suite dans la Grand’Anse particulièrement dans les environs de Pestel, fief de l’ancien militaire. Mais comme il s’est toujours agi d’un kachkach liben bò Sen maten, les simulacritudes et madigratudes de la DEA ont toujours tourné court.
En août 2011, alors que l’ancien «chef rebelle» semblait être en cavale, suite à des simulacres d’arrestation par la DEA, Mark Trouville, un agent spécial de la DEA, cité dans un article de Jay Weaver du Miami Herald, publié le jeudi 25 août , avait eu à déclarer que l’homme de qui l’on craint, kidonk Philippe, sera arrêté tôt ou tard. Guy Philippe, selon ce responsable de la DEA, «fait partie d’une douzaine d’Haïtiens accusés d’avoir expédié de la cocaïne colombienne vers le sud de la Floride au cours de l’année 2000». Grave accusation qui n’a pas empêché le cavaleur et cocaïneur de reprendre ses activités stupéfiantes avec comme imparable couverture un business d’hôtellerie dans le cadre touristique de Pestel.
Dans une correspondance datée du 9 juin 2011 à l’attention de l’ancien président Michel Joseph Martelly sur la présence dans son entourage « d’ex-policiers à la moralité douteuse», le RNDDH rapportait les informations d’une enquête de l’Inspection générale de la Police nationale d’Haïti (IGPNH) révélant qu’une réunion préparatoire à l’atterrissage le 10 septembre 1999 d’un petit avion en provenance de Colombie avec 450 kilos de cocaïne s’était tenue deux jours plus tôt à Pèlerin 6, chez Guy Philippe. Ce dernier avait rondement, carrément, vertement, rougement critiqué le RNDDH accusé, lors, de «médisance visant à avilir des gens, des professionnels» (sic), et menacé d’être traîné devant la justice, pour «diffamation» (resic). C’était le mardi 14 juin 2011. Presque cinq ans plus tard, le RNDDH est encore en attente de cette traînade devant les tribunaux. Ah, Guy le filou !
Guy Philippe continuait à prétendre «marcher pieds nus sur des charbons ardents, avec l’espérance de ne pas se brûler». Il prenait sa cruche avec lui avec désinvolture, et s’en allait par ses chemins de stupéfiance, de défiance, d’arrogance, de suffisance, d’outrecuidance, d’impudence et même d’impertinence. Au mois de janvier, plein d’assurance, il déclarait : «Un gouvernement de transition post-Martelly, oui. Mais un gouvernement qui sera composé de membres issus de tous les départements de la République […] Le Sud et la Grand’Anse n’accepteront pas de recevoir d’ordre d’un gouvernement de transition composé seulement de raquetteurs politiques de Port-au-Prince (sic)», avant de réaffirmer sa détermination à se mobiliser contre «les anarchistes de la capitale haïtienne» (resic). Qui n’a pas encore entendu parler de corde dans la maison du pendu ?
Oublieux des judicieux proverbes du terroir, Philippe avait du mal à se rappeler que van woule pilon, se pa laye li pa ta pote ale, les grandes gueules aussi. Pauvre Philippe ! Il aimait trop approcher le feu du danger, jouer avec, jouer avec les diables de l’Administration de la lutte antidrogue et même leur faire des filalang. Or djab pa janm bay pou granmesi. Qu’à cela ne tienne. Philippe continue d’entendre un son creux en se tapant cette cruche de malheur contre sa tête.
Que fait-il ? Dans la nuit du dimanche 15 au lundi 16 mai 2016, il envoie un commando en treillis militaire, lourdement armé, lancer une attaque contre le commissariat de police des Cayes. Au cours de l’affrontement en question, il y eut un mort et deux blessés dans les rangs des policiers. Un assaillant avait été tué avec les forces de l’ordre et trois autres avaient trouvé la mort dans un accident de voiture lors de leur fuite. Le Bureau des affaires criminelles (BAC) de la PNH avait conclu dans une enquête que Guy Philippe était l’auteur intellectuel de l’attaque survenue en mai 2016. Selon le rapport du BAC : « Cette attaque a été planifiée au cours d’une rencontre tenue par un groupe de présumés bandits se faisant passer pour des membres de l’ex-FAD’H (Forces Armées d’Haïti, démantelées en 1995), sous l’égide du nommé Guy Philippe». Manifestement, Guy Philippe nuisait un peu trop à son nid.
Un proverbe haïtien veut que avan chen manje zo li mezire machwè l, c’est ce que Philippe a omis de faire tout au long de son parcours post-rébellionnaire. Bien que poursuivi depuis une dizaine d’années par la police nationale et la Drug enforcement administration (DEA) pour trafic de drogue présumé, Philippe a osé se porter candidat au sénat lors des dernières élections à la sauce berlangère. On le dit avoir été «élu» au deuxième tour, sans doute par la même manœuvre tabulatoire qui a valu à 20% de l’électorat le bananant Jovenel Moïse. Promenant sa superbe, Philippe s’est présenté aux studios de la radio Scoop FM pour participer à des débats. Toujours pris dans ses filalangances avec le diable, il avait fini par oublier que chak kochon gen samdi pa l.
Mais dans le cas de Philippe, ce fut un jeudi, jour vachement cochon pour lui. Quelques minutes avant 4 heures, le jeudi 5 janvier, en sortant d’une émission de débats très populaire à la radio Scoop FM, le débatteur a été appréhendé par des membres de l’unité antidrogue de la Police d’Haïti, la fameuse Brigade de lutte contre les stupéfiants (BLTS). Apparemment, pris au dépourvu, il n’a pas eu le temps de… débattre avec les brigadiers. Il n’a pu dire kwik, d’autant que ravèt pa janm gen rezon devan poul, surtout si c’est une grosse manman poul brigadière. C’est entouré d’agents en armes de la DEA que Philippe a été vu montant menotté à bord de l’avion qui l’a emmené aux USA.
L’arrestation s’est faite apparemment en vertu d’un mandat d’arrêt international qui avait été décerné contre lui depuis des années pour implication dans le trafic de stupéfiants. Les autorités haïtiennes n’en ont soufflé mot. Ni kwik, ni kwak. Les charges retenues jusqu’ici sont lourdes : trafic de drogues et blanchiment d’argent à partir de 1997. Déjà en 2005 il avait été inculpé pour importation de stupéfiants, complot en vue de blanchir des instruments monétaires et d’effectuer des transactions monétaires sur des biens dérivés d’activités illégales, et un nombre important de transactions monétaires découlant d’activités illégales. Comme Philippe n’était pas kanzo, il a eu fini par se brûler à vouloir marcher pieds nus sur les charbons ardents de la drogue.
Avant de conclure, je voudrais m’adresser à ceux et celles qui se sont drapés dans leur «dignité nationaliste blessée» pour défendre Guy Philippe, particulièrement la bande à PHTK et ses alliés. C’est entendu que n’importe quel haïtien supporte très mal cette intrusion américaine dans les affaires du pays. Mais quand la justice états-unienne s’est saisi, pour les juger, de «près de deux douzaines de suspects haïtiens, dont l’ancien garde de sécurité d’Aristide, Oriel Jean, [qui]ont été condamnés par des procureurs fédéraux à Miami» (Miami Herald. 6 janvier 2017) sans oublier Beaudouin “Jacques” Ketant, il n’y a jamais eu ces cris d’orfraie de crispation dans une souveraineté et un nationalisme de circonstance. Deux poids, deux mesures? Combien parmi ces «indignés», ces souverainistes, ces circonstancistes, ont jamais accepté de se joindre au peuple pour manifester sans désemparer, exiger activement, souverainement, dignement, nationalistement le départ de la MINUSTAH ? Pas un seul.
Alors, dekilakyèl ? De qui et de laquelle ? Se nan chimen jennen yo kenbe chwal malen. Depuis qu’il s’était constitué un mercenaire payé par la CIA et peut-être par les gros bourgeois GNBistes, Guy Philippe s’était rangé parmi les traîtres à la célébration du bicentenaire de notre Indépendance, s’était métamorphosé en gusano pour attaquer et brûler des commissariats, tuer des innocents, lors d’incursions militaires à partir de la République dominicaine, territoire ennemi de fait des Haïtiens et de leurs descendants. Le fric vert à l’effigie de Washington et la poudre blanche lui avaient tourné la tête. Philippe bat kò l twòp, il a été pris à son propre piège, nan pye travay li.
Dans un certain sens, Guy Philippe est peut-être à plaindre. Une première fois, le «laboratoire» s’est servi de lui à titre de mercenaire, a fait miroiter à son ego le fauteuil présidentiel pour après le laisser tomber et le forcer à se terrer dans son trou à Pestel. Thecel, tu as été trouvé trop léger dans la balance, tu n’es pas des nôtres. Une deuxième fois le «système» s’est encore servi du mercenaire en faisant deux kabès sur lui. Premier kabès : arrestation surprise suivie d’inculpation pour importation de stupéfiants et blanchiment d’argent. Deuxième kabès : manœuvre de diversion pour neutraliser (et faire oublier) l’agitation autour des résultats des élections présidentielles et faire taire les candidats contestataires déjà essouflés, sans vrai recours contre le CEP.
Ils sont nombreux ceux-là qui ont pu se faufiler au parlement après avoir été «élu» sans avoir eu besoin de présenter un certificat de bonne vie et mœurs au CEP. Ce, grâce à une obligeance de l’Exécutif, plus précisément une loi signée par le dépravé et immoral Martelly, loi qui a permis à des dizaines de personnes accusées de kidnapping, de trafic de drogue, et d’autres individus avec des antécédents criminels de se présenter clean aux autorités de vérification des documents d’éligibilté à des postes électifs et d’être élus, selon le Miami Herald cité plus haut (aucun nom cité). Qu’ils surveillent leurs os !
La barbe de Philippe ayant pris feu, ces présumés délinquants, dasomann par surcroît, devraient mettre leur propre barbe à la trempe. Sa yo dwe santi a, c’est la DEA qui est en train de le boucaner. Ils devraient se rappeler que sa k rive koukouloukou a k a rive kakalanga tou. Je n’en dirai pas plus. À bon entendeur, salut !
8 janvier 2017