Au moment de son plébiscite à Port-au-Prince, le mardi 28, le nouveau Premier ministre, Garry Conille, se trouvait dans un petit État de la CARICOM, Antigua et Barbuda. C’est de là qu’il s’était adressé aux Haïtiens et aux autorités d’Haïti dans un message enregistré à destination d’Haïti dans lequel il a déclaré
« J’accepte cette désignation avec beaucoup d’humilité, quand je regarde la liste des candidats. Je remercie les Conseillers et l’ensemble des organisations qu’ils représentent pour leur confiance. Je m’engage à travailler en étroite collaboration avec tous les Conseillers afin d’adresser les problèmes urgents que confronte le pays. Je ne saurais accepter cette responsabilité si je ne pouvais pas compter sur autant de solidarité. En dépit des défis majeurs qui nous attendent, je suis convaincu qu’un pas a été franchi. Car, c’est la première fois, depuis plusieurs générations, des groupes politiques de tendances différentes, des compétiteurs de longue date, s’accordent sur une personnalité indépendante, non partisane, qui viendra les aider à reconstruire la démocratie.
Depuis mardi, nous n’avons pas chômé. Nous avons des conversations informelles avec des amis de la Communauté nationale et internationale. Le Conseil continue de travailler activement pour identifier les profils de ceux qui feront partie du gouvernement. Nous allons faire en sorte que le gouvernement de la Transition reflète le courage, la générosité, la résilience et la diversité du peuple haïtien. Les femmes, les hommes, les professionnels expérimentés devront contribuer à ce gouvernement. Les jeunes et les femmes, qui sont majoritaires dans le pays, doivent y trouver leur place. La diaspora, qui est un gros support pour notre économie, doit être représentée.
Avec le CP, nous allons faire en sorte de trouver des personnes compétentes, pratiques, honnêtes et patriotes », avait avancé Garry Conille.
Bien entendu, avec cette nomination de Garry Conille à la Primature, les réactions pleuvaient, les félicitations et les salutations venaient de toute part à travers le monde. Du Canada à la France en passant par le Mexique, les États de la Communauté des Caraïbes, l’Union européenne, la République dominicaine, le Kenya, le Royaume-Uni, entre autres, qui attendaient avec impatience que la Communauté internationale dispose d’un vrai interlocuteur à Port-au-Prince, se disaient tous satisfaits de cette nomination et souhaitaient que le nouveau lauréat réussisse dans cette tâche qui ne sera pas pour lui des vacances sous les tropiques. Si le Bureau Intégré des Nations-Unies en Haïti (BINUH) que dirige la Représentante du Secrétaire général des Nations-Unies, Antonio Guterres en Haïti, Maria Isabel Salvador, avait indiqué sur son compte Twitter X que « Le BINUH prend note avec satisfaction du progrès enregistré dans le processus de mise en place des autorités de la transition.
Nous continuons à suivre les efforts en cours pour la formation d’un nouveau gouvernement dans les meilleurs délais. Le BINUH renouvelle l’appel du Secrétaire général des Nations-Unies pour une participation accrue des femmes et des jeunes dans le processus politique », les États de la Communauté caribéenne (CARICOM) ont par ailleurs cru que le CPT a mis de côté tout intérêt particulier et politique pour faciliter la nomination du haut cadre de l’ONU à la tête du gouvernement haïtien. Et selon les dirigeants de cette organisation régionale, nous nous acheminons vers la route pour l’organisation des élections en temps opportun. « La CARICOM félicite le Conseil Présidentiel de Transition pour avoir mis l’intérêt du pays et du peuple haïtien au-dessus de tout. Cela restera un objectif primordial alors que le CPT, en collaboration avec le Premier ministre de Transition Conille, continue d’aller de l’avant dans le rétablissement de la sécurité et dans l’établissement des institutions critiques largement représentatives nécessaires à la prestation de services publics, à la fourniture d’une aide humanitaire, à la facilitation de l’amélioration socio-économique et à la tenue d’élections libres et équitables en temps opportun » notait la CARICOM dans un communiqué.
L’Organisation des États Américains (OEA), l’Organisation des Nations-Unies (ONU), l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF), l’Union européenne (UE), bref, toutes ces organisations qui sont engagées dans la résolution des crises en Haïti depuis ces dernières décennies ont salué à leur manière l’arrivée de ce technocrate au sommet du pouvoir en Haïti. « Avec la nomination du nouveau Premier ministre Garry Conille, nous sommes déterminés à soutenir le gouvernement de Transition dans ses efforts pour sécuriser Haïti, réformer la Constitution et préparer les élections nationales », indiquait le Bureau du Secrétariat général de l’Organisation des Etats Américains en Haïti sur son compte X. En outre, la République dominicaine dont les relations avec Haïti ne sont pas au beau fixe depuis l’affaire du canal de Ouanaminthe, a lui aussi salué cette nomination de façon élogieuse pour Garry Conille en mettant en avant le niveau universitaire du nouveau titulaire de la Primature.
« Nous saluons la nomination par le Conseil Présidentiel d’Haïti du célèbre universitaire Garry Conille au poste de Premier ministre. Avec un profond désir d’harmonie dans les relations bilatérales, nous souhaitons plein succès dans votre gestion délicate et historique», devait déclarer le ministre des Affaires Étrangères de la République dominicaine, Roberto Alvarez sur son compte X le mercredi 29 mai 2024. Enfin, bouclons ce tour de salutations par un acteur important mais nouveau dans la crise haïtienne, le Kenya. Ce pays qui attend depuis deux ans pour envoyer ses policiers et militaires venir faire le Gendarme en Haïti à la demande des Etats-Unis, a réagi comme tous ceux dont la participation à la Mission Multinationale d’Appui à la Sécurité en Haïti est attendue pour dire que la nomination de Garry Conille est un pas vers la résolution de la crise sécuritaire que confronte le pays. Non seulement le gouvernement kenyan félicite le nouveau Premier ministre, mais il dit aussi être impatient de travailler avec les nouvelles autorités de Port-au-Prince pour s’attaquer aux gangs qui perturbent le bon fonctionnement du pays.
« Au nom de la République et du peuple du Kenya, j’adresse mes félicitations à Garry Conille à l’occasion de sa nomination au poste de Premier ministre d’Haïti. Cette étape importante n’est pas perdue pour le monde et témoigne de la volonté de nos frères et sœurs d’Haïti d’aller de l’avant. Le Kenya exprime sa forte solidarité avec Haïti, alors que nous sommes impatients de travailler avec vous et votre gouvernement pour remettre Haïti sur la voie du développement durable. N ap fè konfyans nan lavni ! » écrivait, le mercredi 28 mai, le Président William Ruto dans un Tweet. C’est le samedi 1e juin 2024, dans l’après-midi, que le nouveau chef du gouvernement était rentré en Haïti en provenance de Miami après une dizaine d’années passée à l’étranger en tant que haut fonctionnaire de l’ONU un peu partout dans le monde. Le lendemain, dimanche 2 juin, il était déjà au pied de la rampe, en France l’on disait au plancher des vaches, pour constater de visu l’effet dévastateur des groupes armés sur le Centre-ville, la partie historique de la capitale.
Doublement coincé d’abord avec un gilet pare-balle visiblement trop petit et ensuite enfermé dans un véhicule blindé de la PNH, il avait du mal à s’extraire pour regarder l’état déplorable et lamentable de Port-au-Prince, la capitale d’Haïti, le pays dont il s’apprêtait à prendre les rênes. Après un petit tour en compagnie du Directeur général de la police nationale, Frantz Elbé, il a pu regagner sans encombre son hôtel à Pétion-Ville, en attendant de s’installer à sa résidence officielle à Musseau en tant que Premier ministre. Trois jours après son retour en Haïti, en effet, soit le lundi 3 juin 2024, le nouveau locataire de la Villa d’Accueil a été officiellement installé et investi dans ses fonctions par le Président du Conseil Présidentiel de Transition, Edgard Leblanc Fils. Devant un parterre de diplomates, de grands commis de l’État, des membres des parties prenantes de l’Accord du 3 avril et quelques autres invités, une cérémonie sobre a été organisée à Musseau où siège provisoirement la Primature en compagnie de tous les membres du CPT et où Edgard Leblanc Fils s’était adressé à son Premier ministre.
«Cet acte intervient dans un moment particulièrement difficile, le pays vit dans une crise multidimensionnelle, il importe donc aux forces vives de la nation et particulièrement aux acteurs politiques de travailler dans la concertation, dans le consensus, dans l’harmonie, de manière à réussir cette transition. Nous comptons sur le docteur Conille pour mettre en place les politiques qui conviennent avec le CPT de manière à adresser le problème de l’insécurité et également redresser l’économie du pays, réformer les institutions et arriver aux élections crédibles, libres, démocratiques», eut à déclarer celui qui préside le CPT pour une période de 5 mois dans le cadre de la présidence tournante de cet organisme faisant office de chef du Pouvoir exécutif. Après un bref instant d’applaudissement, Garry Conille, dans son allocution d’investiture, s’est adressé aux invités. «Les premières instructions que m’ont données les membres du Conseil c’est qu’il n’y a pas de temps à perdre. J’apprécie beaucoup cette convivialité qui se dégage entre les différents membres du gouvernement.
Cela nous fait voir que les groupes politiques doivent mettre leurs différends de côté, dans un moment où l’intérêt de la nation doit être priorisé. On n’a pas d’illusion sur les défis qui nous attendent, sur les impasses difficiles que nous avons à traverser» avait souligné celui qui a pris les commandes du gouvernement pour une période de deux ans comme, d’ailleurs, les membres du CPT, soit jusqu’au 7 février 2026 si tout se passe bien d’ici là. Une fois l’installation du Premier ministre effectuée, ce sont les tractations d’une part avec les membres du CPT et d’autre part avec les parties prenantes pour la formation du gouvernement qui allaient retarder cette fois la formation d’un nouveau cabinet ministériel en lieu et place de celui d’Ariel Henry. Il fallait attendre quasiment un mois après l’investiture du PM avant que le nouveau gouvernement puisse voir le jour.
Selon les proches de tous les camps, les négociations sur le partage des postes ministériels ont été âpres, voire rudes entre la présidence et la Primature qui, dès le départ, souhaiterait avoir un gouvernement resserré entre 14 ou 15 ministères, pas plus. Une décision qui n’allait pas faciliter la tâche du Premier ministre qui voulait réduire le nombre de ministères, c’est-à-dire, regrouper certains ou carrément les supprimer. Or, en prenant cette décision, Garry Conille allait ouvrir une guerre avec ceux qui voyaient là une occasion de les écarter du pouvoir. Durant plusieurs semaines, ce sont de longues journées et de nuits blanches que les protagonistes ont dû passer avant de parvenir à un accord.
Le Premier ministre a eu finalement gain de cause à moitié de ce bras de fer qu’il avait entamé avec divers secteurs qui entendaient avoir leur part du gâteau, même si plusieurs ministères qu’il a voulu supprimer, notamment, la Jeunesse et sport, la Culture ou encore l’Environnement et la Condition Féminine et des Droits la femme sont maintenus soit dans leur autonomie soit en intégrant un autre ministère. Par ailleurs, au cours des semaines de la formation du gouvernement, plusieurs noms de personnalités qui ont circulé ou fuité sur les réseaux sociaux pour occuper tel ou tel ministère sont disparus de l’organigramme. Et pour cause. Il n’avait pas assez de part pour contenter tous ceux qui espéraient ou nourrissaient l’idée de prendre part à l’aventure ministérielle. Finalement, le mardi 11 juin 2024, la liste des membres du Cabinet ministériel a été annoncée et l’arrêté publié en même temps dans un N° Spécial de Le Moniteur N° 26, journal officiel de la République.
Elle comprend 14 membres pour 18 ministères dont nous publions ici la liste pour l’édification des lecteurs mais aussi pour l’histoire. Car ces personnalités auront la lourde responsabilité de sortir Haïti de cette Transition qui, en réalité, date de 1986, c’est-à-dire, à la sortie de la dictature des Duvalier bien que ce gouvernement intérimaire dirigé par Garry Conille est la seconde après celle du Premier ministre-Président Ariel Henry qui avait pris la charge du pays après le meurtre du Président Jovenel Moïse il y a de cela trois ans. La liste du gouvernement du Premier ministre Garry CONILLE : Ministre de l’Intérieur et des Collectivités Territoriales, Garry CONILLE ; Ministre des Affaires Etrangères et des Cultes et Ministre des Haïtiens Vivant à l’Étranger, Dominique DUPUY.
Ministre de l’Économie et des Finances et Ministre de la Planification et de la Coopération Externe, Ketleen FLORESTAL; Ministre de l’Agriculture, des Ressources Naturelles et du Développement Rural, Vernet JOSEPH; Ministre des Travaux Publics, Transports et Communications, Raphaël HOSTY. Ministre du Commerce et de l’Industrie et Ministre du Tourisme, James MONAZARD ; Ministre de l’Environnement, Moïse JEAN-PIERRE Fils ; Ministre de l’Éducation Nationale et de la Formation Professionnelle et Ministre de la Culture et de la Communication, Antoine AUGUSTIN ; Ministre des Affaires Sociales et du Travail, Georges Wilbert FRANCK; Ministre de la Santé Publique et de la Population, Georges Fils BRIGNOL; Ministre de la Condition Féminine et des Droits de la Femme, Marie Françoise SUZAN; Ministre de la Défense Nationale, Jean Marc Berthier ANTOINE.
Ministre de la Jeunesse, des Sports et de l’Action Civique, Niola Lynn Sarah DEVALIS OCTAVIUS. Trois jours après, la Primature publie un décret annonçant la nomination de trois ministres délégués auprès du Premier ministre. Il s’agit de Joseph André Gratien, Chargé des Élections et de la Réforme constitutionnelle ; Herwil Gaspart, Chargé de la Solidarité et aux Affaires Humanitaires et Marie Chantal Dumay, Chargée de l’Assainissement des Institutions de l’État, de Lutte contre la Corruption et de l’Impunité. Après l’investiture des membres du gouvernement, le Premier ministre Garry Conille devait faire un très long discours dans lequel il exhortait les récipiendaires à atteler chacun dans leur ministère respectif afin de redonner de l’espoir aux Haïtiens et rendre à Haïti sa dignité.
Voici un long extrait de l’intervention du successeur de Ariel Henry prononcé le mercredi 12 juin 2024 à Villa d’Accueil lors de l’installation officielle de son gouvernement : « Notre pays, Haïti, est confronté à des défis majeurs. Les violences et l’insécurité paralysent notre quotidien, les crises humanitaires exacerbent les souffrances de nos compatriotes les plus vulnérables, et l’instabilité politique sape les fondations mêmes de notre société. En reconnaissant ces réalités douloureuses, nous devons trouver en nous la force et la détermination nécessaires pour les surmonter. Comme le disait le philosophe grec Héraclite, « Le caractère de l’homme est son destin ». Nous devons faire preuve de courage et de détermination, car c’est dans ces moments de crise que se révèle le véritable caractère d’une nation. Ensemble, je crois fermement que nous pouvons transformer ces défis en opportunités pour rebâtir notre pays sur des bases plus solides et plus justes. Je m’engage donc devant vous, chers concitoyens, à servir notre nation avec intégrité, transparence et dévouement. Mon gouvernement travaillera sans relâche pour améliorer les conditions de vie de chaque Haïtien et de chaque Haïtienne, pour bâtir un avenir plus sûr et plus prospère, et pour rétablir la dignité de notre peuple.
Par l’entremise du Conseil Présidentiel de Transition, nous avons signé un contrat collectif avec le peuple haïtien pour matérialiser l’accord du 3 avril 2024, qui prévoit un ensemble de grands chantiers : la sécurité publique et nationale, le redressement économique, la réhabilitation des infrastructures, la sécurité alimentaire et sanitaire, la conférence nationale et la question constitutionnelle, l’état de droit et la justice, ainsi que les élections pour le renouvellement du personnel politique. Ce paradigme du changement irriguera toutes les artères de l’action gouvernementale, il inspirera et illustrera nos postures et tous les actes que nous serons appelés à poser à la tête du gouvernement. Je vous demande donc, Mesdames, Messieurs les Ministres, de participer vaillamment à cet effort commun pour promouvoir et alimenter cette culture du changement dans les sphères d’activités relevant de vos compétences respectives. Oui, notre pèlerinage collectif commence nécessairement par un retour à un climat sécuritaire. Sans sécurité, aucun progrès durable ne peut être accompli. Pour ce faire, il est crucial que nos policiers et nos soldats soient bien préparés pour faire face aux défis sécuritaires actuels. Nous veillerons à ce qu’ils disposent d’outils nécessaires pour accomplir leur mission avec efficacité et professionnalisme. »
Avec la formation et l’installation du gouvernement, le mercredi 12 juin 2024, dont Garry Conille en a la charge, plus rien ne devrait s’opposer, empêcher ou retarder le déploiement des troupes de la Mission Multinationale d’Appui à la Sécurité en Haïti au cours de ce mois de juin 2024, comme il a été dit à mainte fois et confirmé par le chef de l’État kenyan, William Ruto la semaine dernière et confirmé cette semaine (lundi 24) par l’arrivée imminente et officielle en Haïti d’un contingent de 400 hommes. Mais selon toute vraisemblable et diverses sources, notamment, du ministère kenyan de l’Intérieur, il y a déjà sur le sol haïtien des troupes kenyanes arrivées dans le plus grand secret depuis deux semaines. Les autorités kenyanes et américaines attendent l’arrivée de ces 400 soldats pour annoncer officiellement le début du déploiement de la Mission Multinationale d’Appui à la Sécurité en Haïti (MMAS) qui finalement sera commandé par l’Inspecteur général adjoint, Godfrey Otunga
(Fin)