Féminisme et tensions sociales en Haïti : un débat nécessaire!

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Mouvement de la lutte des femmes haïtiennes

Introduction
Le féminisme haïtien a marqué l’histoire sociale et politique du pays en luttant pour la reconnaissance des droits fondamentaux des femmes longtemps marginalisées. Le mouvement qui a pris forme dans les années 1930, a permis pour la première fois à une femme haïtienne de subir avec succès les examens du bac en 1932 (Ménard, 2013) ouvrant ainsi la voie à de nouvelles opportunités pour les femmes dans la société. Deux (2) ans plus tard, soit en 1934, le mouvement a connu un tournant majeur avec la création de la première organisation féministe, la Ligue Féminine d’Action Sociale, et ceci, malgré les blocages du gouvernement de l’époque (Côté, 2016). En Haïti, ce mouvement a permis des avancées significatives, telles que l’obtention du droit de vote en 1950, sous le gouvernement de Dumarsais Estimé. Cependant, ce même féminisme semble maintenant se transformer et se perdre dans des débats et des actions qui ne correspondent plus à ses objectifs de départ. Cet article examine l’évolution du mouvement en mettant en lumière ses racines historiques, ses dérives contemporaines, et l’importance de revenir à ses principes fondamentaux.

Les débuts du féminisme haïtien : une quête de justice et d’égalité

Le féminisme haïtien, à ses débuts, était un mouvement fondé sur des principes d’égalité et de justice. Des figures comme Madeleine Sylvain Bouchereau et Gilbert Vieux ont porté la lutte pour des droits essentiels tels que l’accès à l’éducation, la participation politique et l’égalité devant la loi. Ce n’est qu’en 1950, sous le gouvernement de Dumarsais Estimé, que les femmes haïtiennes ont obtenu le droit de vote et d’être élues, avec Madame Bouchereau devenant la première candidate au Sénat du pays (Sainvil, 2010), marquant ainsi une avancée majeure dans la lutte pour l’égalité des sexes.

Le féminisme haïtien contemporain : un outil d’exacerbation de tension sociale

À travers les temps, le féminisme en Haïti a été intimement lié à la quête de justice sociale, particulièrement avec les luttes de la Ligue Féminine d’Action Sociale. Cependant, aujourd’hui, il perd son cap à cause des réseaux sociaux qui mettent en vedettes des extrémistes du mouvement largement suivies, au détriment d’associations féministes réellement utiles à la société. Certaines voix au sein du mouvement se sont éloignées des principes fondamentaux et préconisent des approches controversées qui alimentent la violence, la division et une dégradation des valeurs. Au lieu de promouvoir l’égalité, le féminisme semble parfois accentuer les divisions dans une société déjà fragile. Après les clivages entre différents religions, partis politiques et classes sociales, voilà que le féminisme haïtien contemporain exacerbe de nouvelles tensions entre sexes.

De nos jours, certains discours féministes contemporains en Haïti sont perçus comme une opposition radicale aux hommes et parfois particulièrement aux hommes noirs. Les scènes d’humiliation publique et de violences faites aux hommes, diffusées sur les réseaux sociaux, ont été accueillies avec satisfaction par des leaders du mouvement alors que celles des femmes ont toujours reçu des critiques proportionnées. Pour soutenir leur approche, certaines disent : « Nou fè yon kou tou » ou « Nou resi pran youn ». Ces leaders justifient souvent leur satisfaction par la violence systémique dont les femmes sont trop souvent victimes dans la société. Mais, elles semblent ignorer que la véritable justice doit être rendue par les institutions de l’État et non par des individus ou des groupes. Le combat qu’il faut mener, c’est pour une justice qui fait respecter le droit de tout le monde sans distinction. Le recours à la vengeance ne peut en aucun cas être une solution, car il ne fait qu’alimenter un cycle de violence et d’injustice qui ne profite à personne. Cela ne fera qu’entraîner davantage de violences, avec des conséquences potentiellement graves pour les femmes elles-mêmes.

Les femmes en Haïti ont obtenu le droit de vote en 1950, sous le gouvernement de Dumarsais Estimé.

Le féminisme haïtien actuel semble souffrir d’un manque de direction claire et de leaders capables de porter une vision inclusive et constructive. Le mouvement semble être pris dans une dérive, perdant de vue ses objectifs initiaux de justice et d’égalité. Au lieu de se concentrer sur l’élimination des inégalités de genre, il semble parfois se focaliser sur la division et la propagation de la haine, plutôt que sur l’unité et la coopération entre les fils et les filles d’Haïti. Comment comprendre qu’aujourd’hui, très peu de femmes parlent des contraintes juridiques imposées par le code civil aux femmes mariées? Comment expliquer qu’au 21ème siècle, certaines femmes travaillant dans certaines institutions, peuvent voir leurs contrats résiliés si elles tombent enceintes sans se marier? Comment les féministes de nos jours peuvent-elles oublier les luttes menées pour permettre à tous les sexes de pouvoir travailler et recevoir des salaires similaires pour les mêmes travaux? Aujourd’hui encore, des milliers de femmes subissent des inégalités salariales, mais cela semble être un sujet peu abordé. Pourquoi ne cherchent-elles pas à révolutionner la sous-représentation des femmes dans les staffs de direction des universités publiques ainsi que dans les universités privées? Par exemple, selon une étude publiée par Ketleine Charles en 2019, les femmes ne représentaient que six (6) pourcent pour les postes de direction au sein de l’Université d’État d’Haïti et était sous représentées dans le corps professoral de l’institution. Ces éléments ne méritent-ils pas plus d’attention que le fait d’attiser des tensions dans une société déjà considérée comme une poudrière?

Les différents appels à la haine et les incitations à la violence, contre l’homme noir haïtien présenté comme un être sauvage, sans amour et souplesse, sont extrêmement dangereux. Cela ne trahit pas uniquement les fondements du mouvement féministe haïtien, mais cela traduit aussi un mépris de l’homme noir, une couleur emblématique de notre peau qui détermine notre résistance. Ces appels sont également un affront aux valeurs fondamentales de la famille haïtienne, car aujourd’hui, la famille n’est plus valorisée. Seul le féminisme semble compter. Si l’on est contre le radicalisme du mouvement, on devient immédiatement sexiste, machiste et traditionaliste.

Les enjeux juridiques et sociaux actuels

L’incitation à la haine et la violence contre l’homme noir haïtien qui sape le fondement de la famille haïtienne est aussi un affront à la légalisation de notre pays. Ce genre de pratique constitue une discrimination fondée sur le sexe et la couleur de peau, en violation des engagements internationaux d’Haïti. Le deuxième paragraphe de l’article 20 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (1966) interdit tout appel à la haine nationale, raciale ou religieuse qui constitue une incitation à la discrimination, à l’hostilité ou à la violence. De même, l’article 4 de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (1979) engage les États parties à condamner toute propagande et toutes organisations prétendant justifier ou encourager toute forme de haine et de discrimination raciales, en s’engageant à adopter immédiatement des mesures positives destinées à éliminer toute incitation à une telle discrimination. De plus, cela constitue une violation des valeurs fondamentales énoncées dans le préambule de notre Constitution amendée, telles que la paix sociale et le respect des droits humains.

Conclusion

Le féminisme haïtien doit revenir à ses racines pour retrouver son sens et son efficacité. Ce mouvement ne doit pas être un instrument de division ou de vengeance, ou encore de propagation de mœurs ignobles. Il doit être un catalyseur de justice sociale et d’égalité pour aider à la préparation d’une nouvelle Haïti fondée sur le respect des droits de tous ses citoyens. C’est cette vision inclusive qui doit guider les actions du mouvement, loin des clivages et des affrontements inutiles.

 

Référence

  1. Code civil Haïtien
  2. Constitution de 1987 amendée
  3. Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, 1979.
  4. Pacte international relatif aux droits civils et politiques, 1966.
  5. Denise Côté, 2016. Luttes féministes en Haïti. Université du Québec en Outaouais.
  6. Évelyne Trouillot Ménard, 2013. L’éducation en Haïti : inégalités économiques et sociales et question de genre. La femme dans l’enseignement supérieur. Cahier Thématique femmes et sciences. Haïti Perspectives. Vol2 no
  7. Ketleine Charles, 2019. Représentation des femmes dans le corps professoral universitaire haïtien et les instances de décision. Cahier Thématique – Condition des femmes haïtiennes. Haïti Perspectives. Vol7 no
  8. Julien Sainvil, 2010. Formation du mouvement féministe haïtien.

 

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