Le 12 août 2024, le Premier ministre, Garry Conille, et le Président du CPT, Edgard Leblanc-Fils, ont reçu une Délégation de la CARICOM composée des anciens Premiers ministres Kenny Anthony de Sainte-Lucie, Bruce Golding de la Jamaïque et Perry Christie des Bahamas. C’est le fameux Groupe des Éminentes Personnalités (GEP). Ces émissaires de la Caraïbe devaient rester à Port-au-Prince jusqu’au 16 août inclus après des rencontres avec l’ensemble des acteurs liés par l’Accord du 3 avril 2024.
La CARICOM voulait s’enquérir de l’évolution non seulement du gouvernement et du CPT sur la Transition mais surtout sur l’avancement du Conseil Électoral Provisoire depuis que le CPT l’avait initié en juillet. D’autre part, c’est le responsable élection au CPT, Frinel Joseph, qui commençait à perdre patience devant les tergiversations des acteurs qui profitent de la situation chaotique du pays pour trainer les pieds en demandant sans arrêt, selon lui, la prolongation de délai qui ne pourrait être sans fin.
Un mois après le lancement du processus et après sa série de rencontres avec les différents secteurs engagés dans la course à la nomination des représentants au CEP, il était invité sur radio Magik9 le lundi 12 août 2024 pour faire un premier bilan sur l’avancement d’un dossier qui, de toute évidence, répond aux complications et aux inquiétudes que tous les acteurs avaient imaginées. Frinel Joseph va même jusqu’à regretter l’absence d’un CEP Permanent. Certes, il avait annoncé d’emblée que le mois d’août ne passera pas sans qu’il n’y ait un CEP en place tout en insistant sur les difficultés rencontrées avec la plupart des Secteurs pour confirmer leur représentant. « Jusqu’à présent, depuis la lettre que j’ai adressée le 8 juillet, cela fait plus d’un mois et nous n’avons pas encore réussi à former ce Conseil. Certains Secteurs ont proposé un nombre excessif de candidats, tandis que d’autres n’ont toujours pas désigné leurs représentants, demandant davantage de temps pour le faire. Malgré ces contretemps, le CPT a décidé de leur accorder ce délai supplémentaire dans l’espoir de parvenir à une solution inclusive. Si le CEP était permanent, les élections seraient mieux organisées et les préparations seraient simplifiées. Les conséquences d’une absence de permanence de cette institution entraînent à chaque cycle électoral des difficultés récurrentes pour sa formation, générant des tensions entre les secteurs concernés. »
Le 14 août 2024, durant la visite de la CARICOM dans la capitale haïtienne, plus d’une dizaine d’organisations de défense des droits humains sont montées au créneau pour dénoncer la lenteur prise dans la mise en place du CEP. Lors d’une conférence de presse commune, ces acteurs de la Société civile ont amèrement critiqué d’autres organisations notamment l’Organisation des Citoyens pour une Nouvelle Haïti (OCNH) et la Plateforme des Organisations de Défense des Droits Humains (POHDH) qui tardent à désigner leur représentant malgré plusieurs rallonges dont elles ont bénéficié de la part du CPT.
L’Organisation Sant Karl Lévêque qui était l’un des acteurs à l’initiative de cette conférence de presse pour critiquer le comportement de ses collègues avait déclaré ce mercredi 14 août 2024 par la bouche de son dirigeant Gardy Maisonneuve que « Cette attitude des organisateurs témoigne de leur manque de volonté de mener un processus transparent et inclusif, dans le but de procéder de manière unilatérale à la désignation du représentant du secteur. Il n’y a pas eu d’avancement jusqu’à cette minute dans le processus. Cependant, nous croyons fermement qu’il est de bon ton pour les responsables d’organiser les élections de manière inclusive et transparente en collaboration avec les structures concernées. » Par ailleurs, l’organisation Entente des Citoyens Compétents à la Recherche d’Égalité des Droits de l’Homme (ECCREDHH), elle aussi partie prenante de la conférence contre l’attitude des mises en cause, a qualifié de manœuvres exclusives le comportement de la POHDH et de l’OCNH.
Sur son compte X, l’ECCREDHH souligne que « Le représentant des droits humains et de la Société civile au CEP doit être choisi par un vote de toutes les organisations légalement reconnues du secteur. Cela ne doit pas être une imposition des organisations dites paternalistes et condescendantes. La position de l’ECCREDHH est ferme » martelait-elle. Et de fait, toutes ces entités avaient confirmé le choix du Pasteur Thomslay Budlaire Laguerre pour les représenter au CEP. Selon un Communiqué signé par l’un des portes paroles de ce regroupement anti-Fédération Protestante d’Haïti (FPH), le pasteur Dorvila Normil, qui est lui Président de la Conférence des Pasteurs Haïtiens (COPAH) « Le Conseil exécutif de la Conférence des Pasteurs Haïtiens (COPAH) informe le public en général et la communauté protestante en particulier que, dans le but de mettre fin aux controverses résultant de la désignation unilatérale par la Fédération Protestante d’Haïti de son représentant au Conseil Électoral Provisoire (CEP), au nom du vaste secteur des cultes réformés, elle a tenu plusieurs réunions avec des organisations telles que : la Fédération des Pasteurs Haïtiens (FEPAH), le Conseil National Spirituel des Églises d’Haïti (CONASPEH) et la FPH, toutes représentatives du secteur protestant haïtien.

Ces entretiens ont permis à la COPAH de dépasser les contestations liées aux comportements antidémocratiques et arrogants de la Fédération protestante pour aboutir à la finalisation des discussions menant à l’endossement officiel du choix du Dr Thomslay Budlaire Laguerre comme représentant des cultes réformés… » Mais, le pasteur Dorvila Normil ne se contente pas de confirmer le choix de leur préféré. Il a aussi attaqué et accusé publiquement la Fédération des Pasteurs d’Haïti, (FPH) d’entrer dans des combines qui ne font pas honneur à la Communauté protestante. Les responsables de la FPH, en effet, leur auraient proposé d’accepter Peterson Pierre-Louis en échange d’un poste de Directeur général dans une administration publique qu’ils auraient négocié avec les CPT. Dans une note de presse datée du 19 août 2024, on pouvait lire « Les responsables de la Fédération Protestante d’Haïti nous avaient proposé de laisser passer le pasteur Peterson Pierre-Louis comme représentant du Secteur protestant au CEP, ceci en échange d’un poste de Directeur général négocié avec le pouvoir pour les autres organisations.
La COPAH, ne voulant pas sacrifier les valeurs morales, spirituelles et démocratiques qu’elle défend sur l’autel des intérêts financiers et personnels et jugeant que cette proposition était indécente et compromettante a décidé de mettre fin aux discussions avec la Fédération protestante. » Aussitôt après la publication de cette note, le clan Peterson Pierre-Louis allait répliquer aussi virulent qu’énergique et sans langue de bois. Dans la foulée, la FPH publie un communiqué responsif dans lequel elle met en cause le Conseil Présidentiel de Transition d’avoir fomenté à dessein cette crise au sein des protestants en associant d’autres organismes religieux dans la désignation d’un représentant au CEP. Dans son communiqué, la FPH disait être attaché à son choix initial qu’est Peterson Pierre-Louis. « Les organisations CONASPEH, FEPAH et COPAH, qui sont en opposition à la Fédération protestante, sont très fortes en publiant des notes de presse, mais elles ne sont pas représentatives dans le Secteur.
Cette situation de division dans le secteur protestant a été créée par la Conseil Présidentiel. Le CPT n’aurait pas dû associer la Fédération avec d’autres organisations dans la formation du CEP. Le Conseil Présidentiel ne l’a pas fait pour l’Église catholique, pourquoi il l’a fait pour l’Église protestante qui est représentée par la Fédération ? La Fédération reste attachée à son choix, à savoir Peterson Pierre-Louis comme son représentant au CEP tout en étant consciente que cette situation de division ne fait pas honneur au secteur protestant. » Comme on peut le constater, même l’intervention du CPT n’avait pas tout de suite ramené le calme au rang des protestants. Alors, faute d’accord et de consensus entre les multitudes d’organismes ayant été sollicités pour désigner une personnalité devant entrer au CEP, la présidence et la Primature ont dû repousser une énième fois la date de la nomination officielle du CEP. 2
Or, l’on est déjà à plus de trois mois après l’installation du CPT constitué sur la base de l’Accord dit du 3 avril 2024 donnant au maximum 60 jours aux 9 membres de cet exécutif collégial pour mettre en place le CEP provisoire. Après ce nouveau report, le CPT se voit dans l’obligation de s’adresser à la population à travers les médias via un Communiqué publié en date du 21 août 2024. Selon lui, ce sera la dernière prolongation et qu’il pleuve ou qu’il neige, sa décision est prise, le 1er septembre au plus tard le pays connaitra les noms des personnalités retenues pour constituer le CEP quitte à présenter une liste incomplète. Dans son long communiqué, on peut lire « Le Conseil Présidentiel de Transition (CPT) informe la population en général et les secteurs concernés de la société en particulier qu’il continue à travailler sans relâche en vue de terminer d’ici la fin du mois d’août 2024 avec le processus de désignation des personnes devant faire partie du Conseil Électoral Provisoire (CEP). Le CPT prend acte du retard constaté dans le processus de la formation du CEP. Il entend néanmoins rassurer tout un chacun que le délai annoncé, soit le 28 août 2024, sera respecté.
Étant donné que ce retard est dû, d’une part aux contestations effectuées par certaines institutions et organisations d’un même secteur et, d’autre part au non-respect par d’autres des termes de référence (TDR) qui leur ont été envoyés, le CPT les exhorte à tout mettre en œuvre pour finaliser le choix des personnalités devant constituer le CEP. Dans son souci d’agir dans la transparence et la concertation dans le choix des membres de cette prestigieuse et si importante institution pour la réussite de la transition, le CPT accorde aux secteurs qui ne l’ont pas encore fait un délai supplémentaire terminant au lundi 26 août 2024 pour lui communiquer leurs choix. » Il faut dire qu’à cette date, le pouvoir était déjà hors des clous en lisant l’article 14 de l’Accord du 3 avril 2024 qui stipule « Le Conseil Présidentiel nomme et publie la liste des membres composant le Conseil Électoral Provisoire dans l’esprit de la Constitution de 1987 dans un délai ne dépassant pas 60 jours, à compter de la date de l’installation du Gouvernement. »
Or, non seulement cela faisait une éternité que le CPT était au Palais national mais aussi plus de deux mois que Garry Conille était à la Primature et tout le monde tournait en rond. Pour démontrer sa détermination à avancer dans le processus, le gouvernement, à travers son chef Garry Conille et la ministre des Affaires étrangères, Mme Dominique Dupuy, a eu une longue rencontre avec une délégation étrangère en visite en Haïti. Il s’agissait de Sidi Diawara présenté par l’ONU comme un expert sur les questions électorales. Il était accompagné de l’ambassadeur américain en Haïti, Dennis H. Hankins. Selon un communiqué à l’issue de la rencontre, la Primature laissait entendre que cette réunion portait sur le processus et les préparatifs liés à la Conférence Nationale, la Réforme constitutionnel et à l’organisation des élections générales dans le pays à la fin de l’année 2025.
A l’approche de la date fatidique et même l’ultimatum fixé par les autorités gouvernementales, plusieurs organisations notamment l’ANMH, l’AMIH et la CORPUHA qui se questionnaient sur la promptitude de certaines de leurs collègues d’organiser des élections sans même les consulter pour désigner des personnalités au CEP, se sont retirées du processus sans aucune protestation ni contestation des choix qui ont été faits d’après elles pour ne pas bloquer la démarche des autorités. Dans une lettre en date du vendredi 23 août 2024, les dirigeants de la Conférence des Recteurs, Présidents et Dirigeants d’Université et d’Institutions d’Enseignement Supérieur Haïtiennes (CORPUHA) se sont adressés à Edgard Leblanc Fils, Président du CPT, en lui faisant part du retrait de leur organisme du processus qui avait, dans un premier temps, désigné le Recteur Franck Charles. Ils notent dans leur courrier « Cette décision de sagesse vise à éviter un conflit avec l’Université d’Etat d’Haïti qui a aussi désigné un représentant en vue de la formation du CEP. La décision du CORPUHA va faciliter la tâche au CPT qui n’aura pas besoin de choisir entre les deux représentants de l’université. »
Précédemment, l’Association des Médias Indépendants d’Haïti (AMIH) et leur homologue Association Nationale des Médias Haïtiens (ANMH) avaient jeté l’éponge devant la décision de l’AJH (Association des Journalistes Haïtiens) de désigner son Président Jacques Desrosiers au CEP sans même les prévenir et, comme nous les disions auparavant, aucune des autres associations de la confrérie n’était non plus opposée à ce choix. Par ailleurs, la tension était à son paroxysme entre les dirigeants du Secteur des droits humains après l’élection organisée à l’hôtel Marriott de Port-au-Prince par l’Organisation Citoyenne pour une Nouvelle Haïti (OCNH) que dirige Me Camille Occius. Ce scrutin ne bénéficiant pas de l’appui de toute la corporation a immédiatement été contesté. C’est le lundi 26 août que le Président du Centre d’Analyse et de Recherche en Droits de l’Homme (CARDH), Gédéon Jean, était élu pour être le représentant de ce secteur au CEP. Il s’était opposé à deux autres candidats : Jaccillon Barthélemy et Freud Jean. Mais, son élection était loin de faire l’unanimité au sein de ce conglomérat qu’est le Secteur des droits humains en Haïti.
A l’issue du scrutin, Me Camille Occius, pour justifier, d’après lui, le bon déroulement des élections, devait déclarer « Les organisations ont répondu à l’appel, ainsi que les observateurs : le Conseil Supérieur du Pouvoir judiciaire et l’Office de la Protection du Citoyen, qui devaient observer les élections, ont pu le faire. Sur les 107 organisations éligibles, 86 ont pu participer au processus. Des trois candidats, Gédéon Jean est arrivé en tête de liste avec 81 voix, Jaccillon Barthelemy a obtenu trois voix, et Freud Jean en a obtenu deux. Normalement, tout devrait être terminé, car nous avons déjà envoyé la liste au CPT. Nous avons déjà fait la correspondance pour indiquer que la personne élue est Gédéon Jean. Les élections ont été réalisées en prenant en compte le guide élaboré par l’OCNH et la POHDH (Plateforme des Organisations Haïtiennes des Droits Humains). Tous les critères ont été respectés. Nous avons transmis la liste des observateurs et la liste électorale. »
Rien à faire !
(A suivre)