(4ème partie)
Pendant que la Direction du Conseil Electoral Provisoire (CEP) est toujours privée de ses Conseillers électoraux qui constituent l’organe décisionnel de l’institution, les manœuvres pour arriver justement à constituer cet ensemble bat son plein auprès des acteurs socio-politiques et notamment auprès du Conseil Présidentiel de Transition (CPT). Face à la division qui s’est installée au sein de la quasi-totalité des entités choisies par l’exécutif pour désigner les personnalités devant former le nouveau CEP, un mois après l’ouverture du processus, la présidence a dû taper du poing sur la table afin de pousser les organisations à trouver un terrain d’entente sur leur choix. En effet, malgré diverses élections et désignations qui ont été organisées depuis le lancement du processus de désignation, à part la Conférence Épiscopale d’Haïti et le secteur presse, toutes les autres organisations se déchirent dans des crises en interne rendant presque impossible tout accord.
Pour les aider à se réconcilier et surtout à trouver un consensus, au début du mois d’août 2024, le CPT a fini par convoquer pratiquement tous les protagonistes à la Villa d’Accueil pour leur mettre la pression et les convaincre à s’entendre. Pour simplifier et aller plus vite, le CPT avait établi un calendrier de rencontres et en même fait une répartition de tâches avec les Conseillers-Présidentiel. Le lundi 5 août 2024, c’est le Coordonnateur du CPT, Edgard Leblanc-Fils accompagné de Frinel Joseph, chargé des affaires électorales au sein de la structure présidentielle, qui s’était réuni avec quasiment tous les représentants du secteur des Cultes réformés, en clair les protestants, qui étaient à couteau tiré après l’élection contestée de Peterson Pierre-Louis. A la Villa d’Accueil ce 5 août 2024, on allait retrouver outre la Fédération Protestante d’Haïti (FPH) qui a organisé le scrutin, tous les contestataires à savoir : le Conseil National Spirituel des Églises d’Haïti (CONASEPH), la Fédération des Pasteurs Haïtiens (FEPAH) et la Conférence des Pasteurs Haïtiens (COPAH) autour du Président du CPT, Edgard Leblanc-Fils.
Lors de cette rencontre, selon les informations qui ont circulé, l’exécutif a été très clair et même très ferme avec les leaders du secteur protestant qui eux, selon les mêmes témoins, ont été très conciliants. En tout cas, d’après une note de presse de la présidence à l’issue de la rencontre, les protagonistes avaient un délai de trois jours, soit le 8 août pour rendre leur copie en bonne et due forme avec le nom de celui qu’ils auront choisi. « Le Président du Conseil Présidentiel, Edgard Leblanc Fils et Frinel Joseph membre du CPT ont rencontré lundi à la Villa d’Accueil les représentants du Secteur des cultes réformés (secteur protestant). Ce Secteur a été représenté par : CONASPEH, FEPAH, FPH et COPAH, qui n’ont pas pu se mettre d’accord sur le choix de leur représentant au nouveau Conseil Électoral Provisoire. Le Conseil Présidentiel de Transition a jugé bon de les réunir afin de parvenir à un consensus permettant de choisir un unique représentant du Secteur des cultes réformés. Ce Secteur devra transmettre le nom de leur représentant au CPT d’ici le 8 août 2024. »
A la sortie de la rencontre avec le CPT, les dirigeants de la Fédération des Pasteurs Haïtiens, notamment les Pasteurs Calixte Fleuridor (Président) et Junior Jean Ricot (Secrétaire exécutif) se sont adressés aux médias lors d’une conférence de presse, selon eux, pour donner quelques précisions sur la manière dont le scrutin contesté s’était déroulé et dire leur étonnement des parties adverses. D’après Pasteur Fleuridor, « Plus de 308 groupements à travers les dix départements géographiques du pays ont pris part aux démarches. Le processus s’est déroulé en toute transparence avec la participation des groupements de membres. Cependant, trois parmi les structures contestent les élections, en proférant des allégations négatives et infondées contre les organisateurs. » A en croire les dirigeants de la FPH, les contestataires sont des mauvais perdants dans la mesure où, dans un premier temps, tous avaient accepté le verdict des urnes.
Junior Jean Ricot, pour soutenir la thèse du Président de la FPH, devait affirmer au cours de cette conférence de presse que « La Confédération nationale des pasteurs haïtiens, (COPAH), le Conseil national spirituel des églises (CONASPE), entre autres avaient à un certain moment accepté la défaite de leurs candidats et ont modifié leur position. Toutes ces complaintes, sont celles des mauvais perdants. » Les protagonistes, eux, devaient répondre quelques jours plus tard par une note de presse après que le CPT ait envoyé un courrier en date du 6 août invitant la FPH à collaborer avec les autres entités évangéliques pour trouver un consensus. « Le Conseil exécutif de la Conférence des pasteurs haïtiens (COPAH) salue la démarche du Conseil Présidentiel de Transition (CPT), qui, dans une lettre datée du 6 août 2024, invite la Fédération Protestante d’Haïti (FPH) à collaborer avec la COPAH, le CONASPEH et la FEPAH pour reprendre le processus de désignation du représentant des cultes réformés au Conseil électoral provisoire (CEP). Cette initiative vise à éviter les nominations unilatérales comme celle récemment effectuée par la Fédération Protestante d’Haïti, perçue comme une démarche isolée et non consensuelle.
En ce sens, la COPAH a applaudi cette décision du Conseil Présidentiel de Transition. La COPAH informe le public en général et le monde protestant en particulier qu’elle est en discussion avec d’autres organisations protestantes représentatives du secteur en vue d’aboutir à un consensus tant souhaité par de nombreux protestants d’Haïti et d’ailleurs. La COPAH reste déterminée à défendre les intérêts du secteur protestant tout en favorisant la transparence et la participation collective. Le Conseil exécutif de la COPAH réitère son engagement à poursuivre les discussions avec les autres organisations protestantes dans le but d’atteindre un consensus au sein du Secteur. Il appelle à l’unité et à la collaboration pour garantir une représentation harmonieuse et légitime au Conseil Électoral Provisoire. » Après le Secteur protestant, le CPT devait poursuivre les rencontres avec d’autres entités qui avaient du mal à s’entendre sur le dossier. Journée marathon donc pour les Conseillers-Président à la Villa d’Accueil ce 5 août 2024 dans le cadre de la mise en place du CEP.
Pendant qu’Edgard Leblanc-Fils rencontre les protestants dans un Bureau, ce sont les secteurs paysan et syndical qui sont reçus par Frinel Joseph dans un autre. Elles sont plusieurs ces organisations paysannes et syndicales qui ont été invitées par l’exécutif : le Réseau National des Paysans (RENAPA), l’Organisation Communautaire pour le Développement Rural (OCODER), 4G, KODEPA pour les paysans et la Centrale Nationale des Ouvriers Haïtiens (CNOHA), COSHARCD, UNSMT et la Brigade Syndicale Anti-Corruption (BSAC) pour les syndicats. Toutes ces organisations étaient confrontées à une lutte fratricide qui les empêchait d’avancer sur le dossier de la désignation de leur représentant au CEP alors que le gouvernement s’impatientait. Durant les discussions, le même ultimatum a été lancé par le pouvoir aux syndicats et aux paysans. Ils avaient jusqu’au 8 août 2024 pour expédier le nom de leur représentant au CEP.
Le samedi 11 août, ce fut le tour du Secteur Vodou d’entrer en scène à la Villa d’Accueil cette fois-ci autour des Conseillers-Président Frinel Joseph et Fritz Alphonse Jean. Le choix initial portant sur Me Newton Saint-Louis a été contesté à maintes reprises tantôt par KNVA qui avait fini par l’adouber, tantôt par d’autres coalitions vodoues mettant KNVA en difficulté. Le 11 août, le CPT a voulu élargir la rencontre avec d’autres acteurs du Secteur : AJAV, ZANTRAY, Wayom Vodou d’Ayiti et naturellement KNVA (Confédération Nationale du Vodou Haïtien) afin de trouver encore et toujours ce fameux consensus entre ce Secteur très puissant et influant qu’est le Secteur Vodou en Haïti. Dès l’ouverture de la rencontre, le sort de Me Newton Saint-Louis était scellé. Son cas a été rapidement mis sur le tapis et pratiquement tout le monde avait compris qu’il ne pourrait pas faire partie de la solution au problème. Confiants, Fritz Alphonse Jean et Frinel Joseph enjoignent KNVA qui soutenait Newton de se mettre d’accord avec les autres acteurs majoritaires sur un nom plus consensuel soit par élection soit par consensus.
Eux aussi avaient un très court délai pour envoyer le nom définitif de leur représentant au CPT. Finalement, Me Newton Saint-Louis n’étant pas connu pour être un fervent vodouisant ni un prêtre du vodou devait être sacrifié sur l’autel de concession au nom de l’unité de la planète Vodou. En conclusion, ce sont deux autres membres actifs du monde Vodou et membres du KNVA, Charles-Pierre Lamercie (Hougan ou prêtre vodou) et Adely Schaïda (Mambo ou prêtresse vodou) qui ont été retenus pour être les finalistes pour aller au CEP. Le jour suivant, c’est la dernière qui a été choisie et confirmée au nom de la parité homme-femme auprès du CEP. Dans cette même dynamique de mettre la pression sur les acteurs qui ont du mal à s’entendre, le Conseiller-Présidentiel Frinel Joseph en compagnie de son chef de Cabinet a eu une rencontre avec le secteur Femme qui était déjà à leur deuxième représentante contestée. Cette rencontre a mis face à face Fanm Angaje, FEDOFEDG et Dialogue Inter-Femmes. Mais, devant l’intransigeance des uns et des autres, cette confrontation s’était soldée par un échec malgré le délai que voulait donner Frinel Joseph.
Alors, la présidence devait prendre une décision radicale. Par un courrier daté du mardi 6 août 2024, elle chargeait l’organisation Kay Fanm de la responsabilité de s’associer avec la Solidarité des Femmes Haïtiennes (SOFA), la Fédération des Organisations de Femmes pour l’Egalité des Droits Humains (FEDOFEDH), Fanm Deside, Fondation Toya, Fanm Angaje, Fanm Yo La, etc, pour organiser les élections visant à désigner la représentante du Secteur femme au Conseil Électoral Provisoire. Dans sa lettre, le CPT disait que le secteur femme devrait soumettre le nom de celui ou celle qui le représentera au plus tard le lundi 12 août 2024. En d’autres termes, le CPT se passera de leur service. Quelques jours après, un Comité électoral allait être constitué pour procéder à l’élection d’une nouvelle représentante. Ce Comité était composé de cinq membres dont Novia Augustin de la Fédération des Organisations de Femmes pour l’Égalité des Droits Humains (FEDOFEDH), Nadine Louis de la Fondation Toya, Guerlyne Résidor de Kri Fanm Ayiti (KRIFA) et Marie Frantz Joachim de la Solidarité des Femmes Haïtiennes (SOFA).
A la fin, c’est encore l’élue de Dialogue Inter-Femmes, Yves-Marie Édouard dont l’élection était contestée par les autres organisations à plusieurs reprises qui a été, une nouvelle fois, confirmée en tant que représentante du Secteur Femme au CEP. Ce même mardi 6 août, Frinel Joseph, toujours accompagné de son chef de Cabinet, Pierre Jean Raymond André, s’est entretenu avec divers acteurs du Secteur des droits humains qui, comme les autres, n’ont pu se départager sur le nom de qui que ce soit. A la fin de l’entretien, celui qui est chargé des élections au sein Conseil Présidentiel de Transition leur a donné jusqu’au mardi 13 août 2024 pour confirmer auprès du Secrétariat de la présidence un nom pour le CEP. Entre-temps, le 9 août 2024, le Premier ministre Garry Conille s’est entretenu avec un média étranger, la BBC World. Dans sa longue interview au journaliste Stephen Sackur, le chef du gouvernement clama son impatience devant la lenteur de la Communauté internationale à livrer l’aide qu’elle a promise pour combattre l’insécurité.
Pour Conille, il sera fort difficile de tenir des élections dans ces conditions si le gouvernement n’arrive pas à ramener la sécurité sur l’ensemble du territoire. Il a avoué être « inquiet par l’aide internationale qui arrive trop lentement ». Selon Garry Conille, les gangs armés sont envahissants et contrôlent trop de terrain. Difficile dans ces conditions d’organiser un scrutin qui serait équitable. « À l’heure actuelle, comme vous le savez, nous avons environ 103 policiers pour 100 000 habitants. Je n’ai donc aucun doute sur le fait que nous manquons de personnel. Il est extrêmement important que l’engagement pris par les partenaires et pays voisins d’Haïti pour soutenir cet effort se concrétise le plus rapidement possible. Sinon, il sera très difficile d’organiser des élections générales en 2026. Nous sommes certainement très, très, très inquiets. Le soutien promis arrive trop lentement. Le peuple haïtien a été extrêmement patient.
La saison politique certainement ne se fera pas attendre très longtemps. Il y aura des manipulations pour tenter de tirer profit de la situation très difficile que traverse actuellement le peuple haïtien ». (À suivre)
C.C