(3ème partie)
Après la polémique et les contestations du début, on pensait que le Secteur Vodou avait fini par se mettre d’accord sur le nom de Me Newton Louis Saint-Juste. Puisque, Alix Compas, membre du Secrétariat du KNVA, l’annonçait comme tel. « La Confédération Nationale des Vodouisants Haïtiens (KNVA) informe avoir trouvé un accord concernant le choix de Me Newton Louis St-Juste comme représentant du secteur au Conseil Électoral Provisoire (CEP). Cet accord a été trouvé suite aux discussions avec les 4 candidats à ce poste ainsi qu’avec au moins 30 organisations du vodou » disait-il. Toujours dans la même semaine du 18 juillet 2024, on avait appris que le secteur des Universités avait fait choix d’une femme pour être Conseillère électorale. Il s’agit de la professeure Marie Florence Mathieu. Elle a été désignée lors d’une session extraordinaire du Conseil de l’Université d’État d’Haïti le jeudi 18 juillet 2024. Quelques jours après, c’était au tour des syndicats d’annoncer le nom de leur heureux élu au CEP. Là aussi, après bien de polémiques et de débats, ils avaient fini par réaliser un scrutin à bulletin secret tant le consensus était difficile à trouver afin de départager les différents candidats souhaitant devenir membre du CEP.
C’est un avocat, Me Nemrod Sanon, qui a été élu avec 79% des voix. Le leader syndicaliste bien connu de la presse, voire du grand public pour être un activiste très médiatique, Duclos Benissoit a voulu être rassurant après le résultat en annonçant la manière dont le secteur syndical est parvenu à dégager un nom par la voie démocratique, bien que ce choix ait suscité quelques gorges chaudes. « Nous n’avions pas pu trouver un consensus, mais nous avons réalisé une élection transparente pour élire Me Nemrod Sanon comme représentant du secteur. C’est un camarade. Nous avons envoyé dès le même jour le procès-verbal de notre représentant au Conseil Présidentiel de Transition, en attendant d’acheminer les autres documents réclamés par le Conseil Présidentiel de Transition. Les plaignants sont la plupart des organisations qui ont boudé les démarches en choisissant de manière délibérée de ne pas participer à la course. Mais nous pouvons affirmer que les élections ont été réalisées en toute transparence » insiste dans la presse Duclos Benissoit le mercredi 24 juillet 2024.
Après les syndicats, le secteur Femme faisait semblant de se rassembler toujours dans la douleur. Si différentes entités se sont retrouvées pour choisir une personnalité pour les représenter au sein du CEP, c’est par voie des urnes que les femmes ont pu trancher tant qu’aucune organisation féminine ne voulait céder et surtout toute souhaitait imposer quelqu’un de son camp. Preuve que c’était très compliqué pour sortir un nom parmi les dizaines de milliers de femmes composant ce secteur. Il fallait recourir plusieurs fois aux urnes, comme la plupart d’ailleurs des autres organisations, pour finir par trouver celle qui fait consensus. Le mardi 23 juillet 2024, Mme Yves Marie Édouard a été élue avec 154 voix contre 138 pour Mme Josette Massillon. Un scrutin séré confirmant combien ce secteur demeure divisé en dépit de ce que disent toutes les responsables des organisations féminines, notamment Dialogue Inter-Femmes.
D’ailleurs, cette élection n’allait pas tarder à être contestée par tout un ensemble d’organisations féminines qui ne se reconnaissent pas dans Yves Marie Édouard et refusant de l’avoir comme leur représentante. Des associations de femmes comme Fanm Vanyan Marigot, Liaison Nationale des Organisations de Femmes pour l’Intégration (LINOFI), Plateforme des Femmes Engagées pour Haïti, etc s’opposaient à Dialogue Inter-Femmes et contestaient le scrutin que son leader Predrica Saint-Jean a réalisé en leur nom. Pour se faire entendre, ces organisations féminines ont organisé le mercredi 24 juillet 2024 une conférence de presse pour dénoncer, disent-elles, les manœuvres unilatérales de la Coordinatrice de DIFE pour désigner une représentante au CEP. Ces diverses associations de femmes estiment qu’il est inconcevable que plusieurs organisations représentatives soient absentes du processus.
Ce jour-là, la responsable des relations publiques de l’organisation Fanm Angaje pou Ayiti, Rachelle Louissaint, a déclaré « Nous nous sommes adressées aux responsables du Comité Dialogue Inter-Femmes, nous leur avons confié que FANM YO LA n’avait pas reçu la lettre d’invitation en même temps qu’eux et les avons conseillés de retarder les procédures et de demander une rallonge au Conseil Présidentiel de Transition. Nous étions d’accord sur ce point, mais la Coordinatrice de DIFE a tout modifié après une rencontre et s’est lancée dans le processus. Nous voulons une élection transparente, pas une sélection. » L’une après l’autre, les représentantes de divers regroupements de femmes se sont exprimées lors de cette rencontre avec la presse le lendemain de l’élection de Mme Yves Marie Édouard. Rosenie Gustave, dirigeante de Groupe de Fanm Vanyan de Marigot, voit dans cette manœuvre une discrimination envers des organisations régionales de la part des groupements féminins de la capitale. Celle qui se présente comme une paysanne accuse la responsable de DIFE d’exclure les structures des régions de toutes organes de prises de décisions à Port-au-Prince.
Sa collègue Savannah Savary de LINOFI n’en pense pas moins. Elle voulait faire annuler l’élection organisée, selon elle, sans le consentement des autres organisations régionales. Elle a fait des propositions au CPT tout en dénonçant les irrégularités qui ont entaché la crédibilité du scrutin du Dialogue Inter-Femmes. « Les irrégularités constatées dans cette élection mettent en cause la légitimité de la personne désignée. Mauvaise coordination, manque de planification, des frais de participation imposés aux organisations et la méthodologie utilisée ont suscité pas mal de doutes sur cette élection. Forte de ces manquements, LINOFI exhorte le Conseil Présidentiel de Transition à désigner le Réseau National des Femmes Candidates (RENAFECA), FENAFEM, ainsi qu’un Conseil de surveillance composé des femmes membres du gouvernement pour réorganiser les élections » devait-elle déclarer lors de la conférence de presse du 24 juillet.

Pendant ce temps, les autres acteurs continuent à se déchirer toujours dans le cadre de ce processus de désignation de personnalités pouvant faire partie de l’organisme électoral provisoire que le Conseil Présidentiel de Transition s’active à mettre en place en vue des élections générales au cours de l’année 2025. Dans une note de presse datant de la mi-juillet, on a appris que « Plusieurs organisations de droits humains demandent notamment à la Plateforme des Organisations Haïtiennes de Droits Humains (POHDH) et à l’Organisation des Citoyens pour une Nouvelle Haïti (OCNH) de mener un processus inclusif, transparent et démocratique en ce qui concerne la désignation d’un représentant au sein du Conseil Électoral Provisoire (CEP). Toutes les organisations enregistrées doivent participer normalement dans le choix de représentant du secteur au sein du CEP. Parmi ces organisations figurent le Réseau Observateur National pour la Démocratie et les Droits Humains (RONDDH), l’Union nationale des avocats progressistes pour l’avancement d’Haïti (UNAPAHA), l’Ordre des défenseurs des droits humains (ORDEDH). »
Le 22 juillet 2024, en plein débat et division entre les protagonistes en vue de la désignation des 9 membres de l’organisme électoral, la Direction exécutive de l’institution, quoique provisoire, continue de fonctionner et souhaite communiquer, d’après elle, sur certaines spéculations faisant état d’informations qui seraient fausses sur le fonctionnement et le personnel de l’institution. Dans une note de presse en date du 22 juillet intitulée : Précisions pour rétablir la vérité et éviter la désinformation, la direction du CEP tenait à rappeler ce qui suit : « La Direction Exécutive du Conseil Électoral Provisoire (CEP), après diverses rumeurs et la diffusion de fausses information, a décidé de faire la lumière en informant et expliquant au grand public et aux médias certains faits pour éviter de mauvaises interprétations, des spéculations, volontaires ou non, et la diffusion d’informations erronées : 1-Au CEP, 99,98% des actifs sont des contractuels qui signent des contrats chaque année pour un exercice financier et tous les contrats se terminent le 30 septembre, quelle que soit la date de leur signature.
Ce contrat c’est uniquement l’ordonnateur du CEP qui a le droit de le signer et le contracter ; 2- Lorsque le CEP n’a pas d’activités électorales, seuls le Président du Bureau Électoral Départemental (BED) et le petit personnel tel que les gardiens et agents de sécurité restent à leur poste ; 3- Depuis octobre 2021, aucun des membres du Bureau Électoral Communal (BEC), ni le Vice-Président et Secrétaire du BED n’ont de contrat avec le CEP. Depuis cette date, aucun travail n’a été réalisé pour le CEP. 4- Le CEP rémunère les personnes, contractuelles, fournisseurs sur la base du contrat et des services qu’ils fournissent à l’institution. Depuis octobre 2021, aucun des anciens membres du BEC et du BED qui s’expriment n’a répondu à l’une de ces conditions ; 5- Le Directeur Général n’est pas un ordonnateur, il ne signe de contrat avec personne et ce n’est pas lui qui paie qui que ce soit ; 6- Il serait bon que les anciens membres du BEC, l’ancien Vice-Président et l’ancien Secrétaire du BED qui prennent la parole montrent les contrats et le travail qu’ils ont accomplis pour le CEP depuis octobre 2021 et qui leur donne le droit et le salaire qu’ils réclament ; 7- La Direction Exécutive ne peut pas intervenir dans les affaires politiques ni défendre les intérêts des gens aux mains mal intentionnées. Pour cette raison, elle invite ceux qui tiennent des propos malveillants sur les gens et sur l’institution, pour des intérêts politiques partisans, à se ressaisir.
Le 30 juillet 2024, nouvel épisode dans le conflit opposant divers secteurs protestants. Ils continuent à laver leurs linges sales sur la place publique. C’est par voie de presse que les chrétiens d’Haïti tentent de résoudre leurs problèmes internes. Ainsi, la Fédération des Pasteurs Haïtiens (FEPAH), le Conseil National Spirituel des Églises d’Haïti (CONASPEH) et bien d’autres entités du secteur évangélique avaient organisé une conférence de presse le mardi 30 juillet dans le but de se positionner, disaient-ils, sur la décision de la Fédération Protestante d’Haïti (FPH) de désigner, sans consultation, un représentant au CEP. Au cours de cette conférence, la Présidente du CONASPEH, Françoise Saint-Vil Villier, n’avait pas fait dans la diplomatie pour critiquer vertement le FPH en déclarant : « La Fédération Protestante d’Haïti se comporte comme un chef dans l’affaire du choix d’un représentant du secteur au CEP. Nous demandons au Conseil Présidentiel de Transition de prendre des mesures pour contrôler et bien gérer la formation du CEP afin d’éviter une crise. La FPH ne peut pas choisir sans consulter les autres entités de la communauté.
Nous demandons aux différents responsables de la fédération de faire machine arrière et de réunir toutes les entités concernant le choix de la personne qui devrait nous représenter au Conseil Electoral Provisoire (CEP). » Une charge que la Révérend-Pasteure n’était pas la seule à porter contre la Fédération Protestante d’Haïti. Lors de cette prise de parole, la Fédération des Pasteurs Haïtiens, par la voix de son Président, le Révérend Antoine René Samson, devait faire la leçon à son homologue du FPH en lui rappelant que ce secteur n’est pas uniforme mais multiforme composé de plusieurs unités, voire plusieurs courants, notamment la Communauté protestante qui se compose de quatre entités : la Fédération des Pasteurs Haïtiens, le Conseil National Spirituel des Églises d’Haïti, la Fédération Protestante d’Haïti. Alors, il préconise une entente entre les quatre principales branches du secteur protestant pour mieux s’organiser et être plus crédible devant la population et les pouvoirs publics. Ensemble et en accord avec la Conférence des Pasteurs Haïtiens (COPAH), ils ont proposé le nom du Dr Thomslay Budlaire Laguerre.
Malgré les désaccords et la division relevés au grand jour parmi les diverses entités de la Société civile, la Direction exécutive du CEP poursuit ses travaux en perspective de la nomination des 9 membres de l’institution provisoire, des élections à venir et naturellement elle communique abondamment pour faire connaître ses activités. Le 30 juillet 2024, le Directeur exécutif, Max Délice, après la publication des informations relatives au fonctionnement du CEP en temps de vide électoral, allait publier un document présenté comme étant le langage de son organisme en période d’élections.
Lors de sa présentation à la presse, selon lui, ce Doc en créole devrait servir de « Guide de communication et de formation pour la population » et il croit que ce travail pourrait entrainer une large participation de citoyens lors des prochaines joutes électorales et pourquoi pas une meilleure compréhension du système électoral haïtien. Max Délice insiste sur les objectifs qui ont poussé lui et son équipe à préparer un tel document de travail. « Deux objectifs sont à l’origine de cette démarche : d’une part, elle traduit la volonté institutionnelle du CEP pour permettre aux citoyens de comprendre les mots et expressions utilisés lors du déroulement des élections. D’autre part, c’est un moyen de permettre un plus large droit de vote des citoyens, suivant les règlements de la loi » insiste le Directeur exécutif. Ce document ayant trouvé le soutien de plusieurs organismes étrangers et locaux, entre autres, l’Académie Créole Haïti (AKA), l’USAID et la Fondation Internationale du Système Électoral (IFES), etc, se présente en quatre parties. Le premier point se compose des vocabulaires qui présentent les mots et les expressions qu’on utilise couramment lors de l’organisation des élections.
La deuxième partie fait une représentation des lois, des décrets, des arrêtés, des accords et conventions utilisés en Haïti comme ressources légales qui garantissent l’organisation des élections. La troisième partie quant à elle est une représentation des départements, de toutes les circonscriptions ainsi que les communes qui avaient leurs représentants dans les élections de novembre 2016 et janvier 2017. Enfin, la quatrième et dernière partie faisant la liste d’organisations nationales et internationales qui ont participé, soutenu ou observé les activités électorales en Haïti pendant ces dernières années. Selon, le Secrétaire général de l’Académie Créole Haïtien, Samuel Jean-Baptiste, qui a travaillé en accord avec l’équipe du CEP à la conception de ce document « Cette initiative du CEP est un moyen qui va davantage contribuer à la promotion du créole haïtien, ainsi qu’à la formation de la population en matière électorale. » (A suivre)
C.C