On connait l’histoire de l’homme qui voulait traverser un cours d’eau et qui avait avec lui une chèvre, un chou et un loup. Il ne pouvait les passer tous ensemble à cause de l’exiguïté de sa barque. Ne voulant pas laisser la chèvre avec le chou, de peur que l’une ne mangeât l’autre, ou le loup avec la chèvre dans la crainte que celle-ci ne fût mangée par le premier, il passa la chèvre d’abord, persuadé qu’il n’y avait aucun danger à laisser le chou avec le loup. Après avoir déposé la chèvre sur l’autre bord, il revint chercher le loup et le chou, de cette façon la chèvre ne mangea pas le chou et le loup ne mangea pas la chèvre.
Cette histoire serait à l’origine, au XIIè siècle, de l’expression “ménager la chèvre et le chou”, voulant dire parer à deux inconvénients et ménager des intérêts opposés, satisfaire deux personnes aux intérêts opposés. Cette locution proverbiale s’emploie plutôt en mauvaise part. On soupçonne les personnes qui ménagent la chèvre et le chou d’être intéressées ou, même, ambitieuses. Il faut avoir le courage de son opinion et approuver ou désapprouver la conduite des autres, sans critiquer pour autant ostensiblement tout ce qui n’est pas conforme à son opinion. Autrement, c’est de la ticoulouterie ou de la bacoulouterie.
Cette histoire relevant à la fois du végétal et de l’animal m’est venue à l’esprit tandis que j’écoutais, avec attention, l’interview accordée, le 16 juin écoulé, par l’ancien député des Verrettes Vickens Dérilus, à Radio Vision 2000. Il n’y a rien à faire avec les politiciens. Dans maintes circonstances, ils ont le tour de “se faufiler” avec de belles paroles sans vraiment prendre une position claire, tranchée. Justement, ils ont l’art de savoir “ménager la chèvre et le chou”.
Ce que monsieur le député pense de la situation désastreuse en cours à l’université d’État? Y voit-il quelque solution? Eh bien, nous devrions commencer par “ramasser notre caractère” pour résoudre le problème, répond l’ex-parlementaire. Il faut une intervention quelconque. De la société civile sans doute. Une “commission de médiation”? Bon, selon l’honorable ancien parlementaire, il ne voit aucune entité ayant suffisamment d’autorité morale pour jouer ce rôle interventionnel, médiationnel: ni la présidence, ni le parlement, ni les ministères de l’Éducation et de la Justice, ni même l’Église, ni chen ni chat. Les étudiants et les professeurs doivent se chercher “des alliés”. Le ministre Cadet konn sa pou l fè, mais quoi, diantre?
Depuis plusieurs semaines déjà, les employés de l’Office assurance véhicules contre tiers (OAVCT) sont en grève, accusant le Directeur général, Élie Blaise, de vouloir privatiser l’institution au profit de certains membres du secteur privé des affaires. Il y a eu barricades de pneus enflammés, carcasses de véhicules, grosses pierres éparpillées sur la chaussée, voitures garées en travers de la route, non loin de l’OAVCT. Dans une circulaire publiée le 29 mai 2017, le dirèk de l’institution avait demandé, gwoponyèttement, aux employés de regagner leur poste. La situation est maintenant chaotique. Qu’en pense Dérilus?
Il se rappelle que lorsque Blaise était au parlement, ils n’étaient pas du même bord politique, nou te ka depaman, mais c’était «dans un respect mutuel». Il ne sait pas si les reproches de corruption, de népotisme à l’adresse de son ancien collègue sont vrais, mais le Blaise qu’il a connu dans le temps, c’était une sorte de papa bonkè, un bon vye gason. Blaise a-t-il des tendances privatisatrices? Les employés disent-ils vrai à propos de ses accointances présumées avec les bigshat, les gros makouchat du secteur privé? Ah! Excellentes questions. Réponse de Dérilus? C’est à l’État de venir avec “un argumentaire” (sic) pour démêler l’affaire.
Dérilus sait bien que son compère Blaise, comme lui d’ailleurs, n’est pas né de la dernière pluie politicienne. Il sait bien aussi que tout se sait dans ce petit enclos maffieux qu’est Port-au-Prince. Si Blaise a l’habitude de pratiques népotistes, favoritistes, malversationnistes, on doit bien le savoir. Dérilus aussi, bien sûr.
Les employés protestataires de l’OAVCT devaient observer une trêve le vendredi 16 juin. Il était bruit ou question d’une commission interventionnelle pour arrondir les angles du conflit. Bonne initiative, n’est-ce pas? De l’avis de l’honorable ex-député, «la meilleure façon pour ne pas résoudre un problème, c’est de créer une commission». Dire que le mal élu et inculpé Jovenel serait déjà sou plizyè komisyon. Ce sont des sousou, des flatteurs, des djobeurs qui viennent «gonfle tèt prezidan an». Et Dérilus de se lamenter: « Pòdyab prezidan an!». Alors, que faire? Ce n’est pas Vladimir Ilitch qui nous donnerait la réponse. Monsieur le député a ses recommandations: « Encourager Blaise et l’État à résoudre le problème». Blaise et l’État? Ces deux présumés corrompus!
Dérilus sait bien que son compère Blaise, comme lui d’ailleurs, n’est pas né de la dernière pluie politicienne. Il sait bien aussi que tout se sait dans ce petit enclos maffieux qu’est Port-au-Prince. Si Blaise a l’habitude de pratiques népotistes, favoritistes, malversationnistes, on doit bien le savoir. Dérilus aussi, bien sûr. Et pourquoi ne le suggère-t-il pas, ne le dit-il pas? Même “dans un respect mutuel”. Et si ce n’est pas le cas, s’il est un bon papa, pourquoi cette grève, cette hargne, cette hargnerie, cette acrimonie, cette acerbité, cette acariâtreté, cette agressivité de la part des employés de l’OAVCT depuis le 22 mai?
Il n’y a pas que l’OAVCT, Blaise, l’Université d’État à faire les manchettes, il y a aussi, et surtout, le dossier du fameux salaire minimum sous l’écrasant poids duquel tombent travailleuses et travailleurs du textile. Demandons à Dérilus si dans ce dit dossier il faut faire un pas en avant, deux pas en arrière, ou bien deux pas en avant et un pas en arrière, deux pas en avant et deux pas en arrière, ou plutôt plusieurs pas résolument en avant. Mais Dérilus ne se veut ni léniniste, ni opportuniste, ni rien-d’autreniste.
Quid des patrons qui ne veulent rien entendre de l’augmentation du salaire minimum à 800 gourdes? Grosse question, petite réponse-loup-chou-chèvre du côté du parlement, avance Dérilus.
Comment se positionne-t-il alors par rapport au conflit? Tout ce qu’il sait, c’est que d’un côté, il y a les propriétaires d’usines qui «donnent du travail», et de l’autre les ouvriers et ouvrières qui réclament au moins 800 gourdes comme salaire minimum. Il sait que les patrons se tiennent sur une bit pwendfèpa. Il sait aussi que les grévistes ne peuvent pas vivre du tout avec l’actuel salaire minimum de 300 gourdes, et que les «violences de rue pa dwe rive». Alors? Eh bien, les ouvriers doivent «mache kòrèk» pour que les patrons et l’État «mache kòrèk». Le député avance que des économistes avertis tel un Kesner Pharel assurent que le patronat peut payer les 800 gourdes. N’empêche, lui, il ne dit pas que les patrons ne peuvent pas payer cette somme.
Quid des patrons qui ne veulent rien entendre de l’augmentation du salaire minimum à 800 gourdes? Grosse question, petite réponse-loup-chou-chèvre du côté du parlement, avance Dérilus. En effet, telle grosse légume parlementaire affirme que accorder 800 gourdes c’est une bonne chose, tandis que tel autre gros paletot pense que ce serait yon tètchaje. Mais de quel côté penche Dérilus?
Oui, il avait proposé des tribunes d’opinion/définition /argumentation /discussion /répétition/organisation /concertation/conclusion avec la participation de l’incontournable “Leta” et toute autre personne/entité – y compris Dérilus bien sûr – susceptible d’éclairer la lanterne des uns et des autres. Mais si ces tribunes sont pareilles aux “commissions ki pa fè komisyon”, alors là autant ne pas en parler.
Enfin d’interview, notre futé député a livré son opinion sur la fameuse “caravane du changement” de Jovenel le mal élu, Jovenel l’inculpé. Il dit que le président est «bien intentionné, de bonne foi», malgré qu’il y ait plein de sousou dans son entourage qui lui “gonflent la tête”. Avez-vous bien lu: “bien intentionné”? Un président dont la première campagne présidentielle en 2015 avait été tellement frauduleuse que même le tortueux, retors, roublard, combinard Martelly avait été forcé de trouver une sortie acceptable à l’escroquerie organisée par l’agence publicitaire d’Antonio Solá.
Dérilus, vieux loup dans la forêt politicailleuse haïtienne sait bien que la bourgeoisie tilolit qui a dépensé sans compter pour faire de Jovenel un candidat acceptable, valable, respectable, fiable, si ce n’est enviable, n’a aucune bonne foi ou bonne intention de faire quelque changement réel que ce soit pour les masses appauvries du pays. Il ne manque pas d’ailleurs d’énumérer les failles (flagrantes) de ladite caravane dont la principale est l’absence de «base structurelle, scientifique».
Plutôt que de dire que Jovenel est un farceur, un salisseur, un bonimenteur, un bluffeur, un imposteur, un mystificateur comme André Apaid Junior avec sa “Caravane de l’Espoir / Nouveau Contrat social”, en 2003, notre député préfère continuer à dire que Jovenel est «de bonne foi» et, en même temps, se perdre dans des considérations qui ne se matérialiseront pas à savoir qu’il y a plein de gens – dont lui-même assurément – capables d’aborder la question de la production agricole “yon lòt jan”. Mais quel jan? Et lui, s’il était président, il ferait ci, il ferait ça… Vraiment?
Et sans doute, Dérilus continuera à ménager la chèvre et le chou, je veux dire le dirèk Blaise et les grévistes de l’OAVCT, les ouvriers du textile et les patrons, le président de bonne foi et une caravane qui n’annonce aucun changement réel, jusqu’au jour où le président mal élu et inculpé Jovenel fera appel à lui soit pour présider une quelconque commission d’évaluation / investigation /conclusion / solution /application, soit pour remplacer Blaise, un vrai loup à la tête de l’OAVCT, drôle d’animal omnivore du XXIè siècle qui menace de manger aussi bien la chèvre des cotisations payées par les contribuables à l’institution que le chou des salaires des employés.
Sa pou n fè ak politisyen sa yo?
17 juin 2017