Conseil Présidentiel de Transition, histoire d’une création

(1e partie)

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Le Conseil Présidentiel de Transition (CPT)

Lorsqu’au mois de janvier 2022, on avait décidé de baptiser cette chronique « Haïti, d’une transition à l’autre », l’on était loin de penser que la transition post-Jovenel Moïse allait se diviser en deux parties distinctes même si les acteurs – locaux et étrangers – demeurent les mêmes.

Pour justifier ce titre prémonitoire, on avait écrit ceci « Cette rubrique s’intitulera : Haïti, d’une transition à l’autre. A juste titre, puisque, pour le moment, personne ne sait jusqu’à quand cette énième transition prendra fin. D’ailleurs, il serait bon de savoir de quelle transition il s’agit aujourd’hui. Est-ce celle débutée le lendemain de la chute de la famille des Duvalier en 1986 ? Ou celle après le meurtre politique de Jovenel Moïse le 7 juillet 2021? Enfin, s’agit-il de la transition de la fin de son mandat qui devrait arriver à terme le 7 février 2022. » Et l’on se questionnait déjà sur le devenir de cette nouvelle transition en se demandant « Cette transition sera-t-elle, enfin, la dernière du cycle trentenaire ouvert le 7 février 1986, ou sera-t-elle le début d’un nouveau cycle d’instabilité politique qui durera encore 30 longues années ? Personne n’a de réponses. » 

Avec l’arrivée de ce Conseil Présidentiel de Transition (CPT) à la tête de cette nouvelle transition pour succéder à l’ex-Premier ministre Ariel Henry, aujourd’hui, tout le monde a en partie la réponse. C’était le début d’un nouveau cycle d’instabilité politique. « Car, cette transition, le moins que l’on puisse dire, s’est régie en système politique en Haïti depuis plus de trois décennies » comme on l’avait écrit. Mais, dans cette continuité, si en tant qu’haïtien, l’on se doutait à ce moment précis de l’incapacité des acteurs à s’entendre sur une feuille de route pour sortir de cette impasse, de cette transition sans fin, les vrais décideurs qui alimentent et attisent, dont on ne sait à quelle fin, les crises sociopolitiques dans ce pays, eux faisaient semblant d’avoir une toute autre lecture et vision de la fin cette transition post-Jovenel Moïse.

Jusqu’au bout, sans prendre en compte l’énorme avantage que représentent la transition et les enjeux politiques à venir pour tous les protagonistes haïtiens – partis politiques, Société civile, Secteur privé des affaires, groupes armés – une grande partie de ce condominium du nom de Communauté internationale se prenait à rêver en décrétant qu’une « transition ne remplacera pas une transition » comme si elle détenait toutes les clés de la crise en une seule main. Or, contrairement à ce que peut penser l’ensemble de ceux qui se disent « amis » d’Haïti, en réalité les tuteurs, et qui pensent pouvoir décider de tout, il y a toujours un « inconnu» dans l’équation qu’il ne faut jamais ni négliger ni sous-estimer en dépit qu’il soit l’éternelle victime. Cet « inconnu», ce sont les Haïtiens qui ne sont jamais là où on les attendait. En somme, des impondérables avec lesquels il faut toujours compter sinon ce sera l’échec de la stratégie. En ignorant ces « impondérables » dans le but recherché, que ce soit la Communauté internationale, que ce soit les dirigeants de la transition et Ariel Henry le premier, les deux se sont précipités dans l’abîme.

Le Congrès National de Ouanaminthe pour la nouvelle Haïti

Leur plan a été une catastrophe. Non seulement, les Haïtiens les ont poussés à revoir leur stratégie, mais il fallait, en urgence, trouver une porte de sortie sinon cela aurait débouché sur ce qu’ils redoutent le plus : une révolution. Après avoir contraint le chef de la première partie de la transition à la démission le 11 mars 2024, pris de court, les tuteurs, notamment Washington, ont dû propulser à  nouveau en Haïti un de leurs sous-traitants dans la région, la CARICOM, en première ligne afin de sauver sa politique et sa prépondérance en Haïti. Pragmatique et sans se soucier du qu’en dira-t-on, compte tenu de leurs précédentes déclarations sur la transition, en catastrophe, les autorités américaines ont vite récupéré le cadavre de la transition A partie en lui faisant de belles funérailles et se sont lancés à préparer la partie B avec les mêmes acteurs, certes, avec quelques accommodements et quelques surprises dans le scénario.

Tout juste après le blocage du territoire par les gangs armés après leur assaut sur Port-au-Prince, le jeudi 26 février 2024, tous les acteurs de la transition et de la crise y compris Washington se mettaient à l’ouvrage, en quête d’une solution dite pacifique. L’objectif étant de trouver un remplaçant au Premier ministre Ariel Henry que certains avaient ironiquement baptisé « Roi Henry » pour avoir cumulé tous les principaux postes à responsabilité du pays à son profit : Président de la République, chef de gouvernement, Premier ministre, ministre de l’Intérieur, Président du CSPN (Conseil Supérieur de la Police Nationale) et chef de la transition, etc. Ce qui est intéressant dans cette recherche de leadership pour conduire provisoirement la destinée du pays, tous les protagonistes, sans se consulter, s’étaient mis d’accord pour que cette transition deuxième partie soit dirigée par un exécutif bicéphale. Celui-là même qui fut un cauchemar pour Ariel Henry et ses anciens alliés, particulièrement Me André Michel, sorte d’éminence grise de la transition, qui a honteusement échoué et qui est, en partie, un des responsables de l’échec politique d’Ariel Henry.

Jusqu’au bout, en effet, l’ex-avocat du peuple, André Michel, a toujours été opposé à ce que la transition post-Jovenel Moïse soit dirigée par un exécutif bicéphale, c’est-à-dire par un Président provisoire de la République et un Premier ministre. Nous disions donc, dès le lendemain du blocus du pays et qu’il était devenu impossible pour Ariel Henry de retourner en Haïti, tout le monde avait compris que le pouvoir était vacant. Même si, pour la galerie, il y avait un Premier ministre a.i en la personne de Michel Patrick Boisvert, titulaire du ministère de l’Économie et des Finances, qui assumait l’intérim en l’absence d’Ariel Henry retenu contre son gré à Porto Rico dans un premier temps et ensuite à Los Angeles par les autorités américaines. Dans cette course au remplacement de l’ancien locataire de la Primature, si les américains s’arrangeaient pour ne jamais perdre le contrôle du processus, le groupe appelé « Congrès National de Ouanaminthe pour la nouvelle Haïti » était le premier à organiser à Pétion-Ville, le jeudi 7 mars 2024, une conférence de presse pour faire le point sur la situation sociopolitique haïtienne, mais surtout dans le but d’annoncer à la population les cinq points clés qu’il entendait proposer pour sortir le pays du chaos.

De gauche à droite Guy Philippe et Jean-Charles Moïse

C’est le citoyen, Dr Frantz Large, une figure du département du Sud-Est et même du pays, qui montait au créneau au nom de cette structure sociopolitique. Parmi les 5 points proposés par le « Congrès National de Ouanaminthe », celui qui attirait davantage l’attention était évidemment le point dans lequel le groupe proposa « un juge de la Cour de cassation pour prendre la tête d’un exécutif bicéphale afin de stabiliser le pays ». Se sentant menacé par les manœuvres de Washington qui avait déjà activé la CARICOM, Dr Large, connu pour son franc parler, voire pour être un nationaliste convaincu, avançait un mini programme de sa structure. Il disait « Qu’ils sont en faveur d’un gouvernement bicéphale où un juge de la Cour de cassation prendra les rênes du pays accompagné d’un Premier ministre de consensus, en concertation avec la classe politique, la société civile et d’autres parties prenantes. 

La mise en place d’un organe gouvernemental composé de 11 membres, dont 1 dans chaque département du pays et un autre dans la diaspora, suivi de l’élaboration de la feuille de route pour ce gouvernement et enfin la mise sur pied d’un Conseil Electoral Provisoire (CEP) pour bien gérer le pays. » Il a été soutenu par plusieurs leaders politiques lors de cette conférence de presse, notamment par l’ex-député de Marchand-Dessalines, Serge Jean-Louis, qui eut à déclarer qu’« On en a assez de vivre ainsi, c’est à nous d’arranger les choses. C’est un devoir civique que chacun de nous doit remplir afin de sauver notre honneur aux yeux des étrangers. » Ce 7 mars, les dirigeants du « Congrès National de Ouanaminthe », ne savaient pas encore qu’une grande partie de l’élite sociopolitique haïtienne s’apprêtait à jouer jusqu’au bout le jeu de leur impuissance en livrant la souveraineté d’Haïti à un cartel de petits États du lac antillais travaillant tous pour les Etats-Unis d’Amérique, qui allaient leur imposer, le 11 mars à la Jamaïque, la marche à suivre en vue de parvenir à un consensus sur la transition dans sa phase 2 après Jovenel.

Entre-temps, la classe politique commençait à s’activer et se déchaînait dans les médias. Chaque leader, chaque acteur cherchait à court-circuiter l’autre ou monter des coups derrière l’autre tout en menant plusieurs stratégies à la fois et sur plusieurs fronts. Tel est le cas du dirigeant du parti Pitit Dessalines, Jean-Charles Moïse, ce qu’on verra plus tard. En effet, pratiquement au même moment que le « Congrès National de Ouanaminthe », Jean-Charles Moïse avait annoncé avoir monté un accord avec ses amis un Conseil Présidentiel (CP) de (3) trois membres pour succéder à Ariel Henry qui, selon lui, est en fuite à l’étranger. Au moment où il faisait ces annonces, Moïse fait distribuer un document donnant plus de détails sur la composition de son Conseil Présidentiel qu’il prétendait même vouloir installer au Palais national avec ou sans l’accord de la Communauté internationale. Il disait même qu’il avait prévenu le Directeur général de la police haïtienne, Frantz Elbé de son initiative.

L’ancien maire de Millot s’appuyait, lui aussi, sur la Cour de cassation pour assurer la conduite de l’exécutif. Selon le document qui était en circulation, « Le Conseil Présidentiel (CP) de 3 membres est structuré de manière à assurer une représentation diversifiée et équilibrée. Il est présidé par un membre issu des institutions républicaines (CSPJ/Cour de Cassation), garantissant ainsi une expertise juridique solide et une compréhension approfondie des enjeux judiciaires. Le deuxième membre du Conseil Présidentiel (CP) est sélectionné parmi les représentants du secteur politique, mettant en avant des compétences en matière de gouvernance et de politique publique. Cette représentation politique vise à apporter une expertise stratégique dans les décisions prises par le Conseil. Le dernier membre du Conseil Présidentiel (CP) représente à la fois le secteur religieux, le secteur féminin et le monde universitaire. Cette diversité d’origines assure une perspective morale et éthique dans les délibérations du Conseil, tout en intégrant les valeurs et les préoccupations des différentes composantes de la société haïtienne.»

Un document qui semblait être conforme aux déclarations antérieures de l’ancien sénateur du  Nord avant son virage à cent-quatre-vingt degrés vers le Conseil Présidentiel de Transition (CPT), mijoté par la CARICOM avec, bien évidemment, l’assentiment de Washington qui conduisait de main de maître le processus de récupération du pouvoir après avoir lâché en rase campagne son ancien collaborateur durant trois ans, Ariel Henry. Sans détour donc, Jean-Charles Moïse, dont on a du mal à saisir et à suivre la ligne directive avec constance, avait même rendu public les noms des trois membres de son Conseil Présidentiel, qu’il faut dire que le grand public, voire la population, était assez sceptique compte tenu de la conjoncture et des enjeux en présence. Le Conseil Présidentiel du patron de Pitit Dessalines s’était composé de trois ces personnalités suivantes : juge Durin Junior Duret (Président du Conseil), Françoise Saint-Vil Villier (membre) et … Guy Philippe (membre). Comment, en effet, parler ou prôner « révolution » et encourager la lutte armée avec les anciens agents de la BSAP et d’autres entités armées dans le pays et prétendre devenir simple membre d’un quelconque Conseil Présidentiel de 3 membres qui pis est en compagnie d’un membre de la Cour de cassation ?

Pour certains, c’était une supercherie de la part de ces prétendus révolutionnaires. La liste des membres du Conseil Présidentiel de Jean-Charles Moïse rendait peu crédible cette éventualité à partir du moment où le nom de Guy Philippe y figurait. L’ex-sénateur avait beau dit que « Ariel Henry étant en fuite, nous voulons prendre notre responsabilité », il faut l’admettre, sa liste n’impressionnait guère personne, à commencer par les américains qui n’allaient pas accepter cette gifle « démocratique » de la part de Guy Philippe à peine sorti de leurs geôles. Autant que celui-ci aurait pris le pouvoir à Port-au-Prince par les armes en chassant tout ce qui représentait l’ancien régime dans le paysage politique aurait eu un effet psychologique sur Washington et le pousserait certainement à négocier avec les nouveaux maitres du pays, autant, dans le projet de Moïse, Guy Philippe ne pèserait pas lourd et n’aurait eu qu’une simple fonction de membre, même pas de Président de ce fameux Conseil Présidentiel.

D’ailleurs, ç’aurait été mettre en danger l’ancien sénateur de la Grand’Anse qui n’aurait été qu’un simple officiel de la République sans plus. En clair, un appât, une cible ! Le revirement de Jean-Charles Moïse dans cette affaire a peut-être sauvé la vie d’un Guy Philippe qui a les potentiels politiques assez solides pour redevenir, sans nul doute, sénateur de son département tout acquis à ses causes. Et pourquoi pas se préparer à briguer la présidence d’Haïti dans la perspective des élections générales dans le cadre de cette transition seconde partie.

(A suivre)

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