
(9ème partie)
Les signataires de l’Accord de Montana, à travers le Bureau de Suivi de l’Accord (BSA), s’en prenaient directement au Collège présidentiel de 9 membres qu’ils considéraient comme un Exécutif de pure forme qui continuerait à affaiblir Haïti. A l’instar des autres Parties prenantes, le BSA a publié une note le 6 octobre 2024 pour dire ce qu’il pensait de ce pouvoir dans lequel les signataires de l’Accord du 3 avril ne se retrouvent plus « La publication du Rapport de l’ULCC confirme ce que le BSA avait déjà dénoncé en mai 2024 : l’utilisation des fonds du Service de renseignement à des fins personnelles par les neuf membres du CPT. Ce premier acte de corruption annonçait une série d’autres violations de l’éthique et de la moralité publique. Il devenait évident que ces nouveaux dirigeants considéraient la gestion des ressources de l’État comme un moyen destiné exclusivement à satisfaire leurs intérêts personnels. Depuis lors, dans un esprit de corps, ils se sont concertés en secret pour agir de manière solidaire, que ce soit en refusant de faire leur déclaration de patrimoine, que ce soit en reniant leur engagement de publier et de respecter l’Accord du 3 avril 2024 à l’élaboration duquel ils avaient activement participé et qu’ils avaient signé librement.
Leur solidarité s’est aussi manifestée dans leur choix opaque d’un Premier ministre, par un vote unanime, dans la violation des mécanismes prévus, qu’ils ont ensuite tenté de justifier en évoquant une prétendue pression de l’International, en particulier des États-Unis, afin de masquer leurs propres motivations intéressées. Ils sont solidaires et se doivent protection mutuelle dans la poursuite de leur projet de tirer des avantages financiers personnels. Le gouvernement n’est pas innocent dans les détournements d’argent parce que c’est lui qui est responsable de gérer l’argent de l’État dans l’intérêt du pays. Il se doit d’expliquer à la nation ce que lui-même il défend lorsqu’il laisse confisquer les fonds du Service de renseignements alors qu’il sait fort bien que c’est la corruption qu’il alimente pendant que le pays, lui, s’effondre. » Même les propres soutiens des Conseillers, sous le coup d’accusations de corruption, ont fini par les lâcher en réclamant leur démission ou leur éviction du CPT.
C’est le cas de l’ancien sénateur lavalas, Sorel Jacinthe, émigré au PHTK puis rejoignant Ariel Henry, qui disait son incompréhension devant l’acharnement des trois Conseillers à s’accrocher à leur fauteuil présidentiel alors même qu’ils sont conspués par tout le monde. L’ancien élu de la Grand’Anse se pose une série de questions sur les motivations des accusés les empêchant de jeter l’éponge. Sur radio Magik9, Sorel Jacinthe avouait qu’il ne comprenait pas pourquoi le CPT n’arrivait pas à prendre une « Résolution » contre ces trois Conseillers-Président qui prennent l’institution en otage « Ce qui se passe au sein du CPT, c’est un coup porté à l’Accord du 3 avril. Il y a lieu de se demander si l’ULCC doit continuer d’exister. Je rappelle les engagements du Président sortant Edgard Leblanc Fils à la CARICOM et celui de l’actuel Président Leslie Voltaire dans un média de la capitale, qui ont tous deux promis d’écarter les trois Conseillers s’ils étaient épinglés. Que se passe-t-il ? Est-ce une combine ? Est-ce un deal ? Est-ce une compromission ? Est-ce que le consensus du 11 mars appartient uniquement à ces trois Conseillers ?
Les trois Conseillers Présidentiels ont reconnu leur culpabilité en se retirant de la présidence tournante mais restent en place pour jouir des avantages de la fonction » avait exprimé cet ancien parlementaire, membre de l’Accord du 21 décembre. Après Sorel Jacinthe, c’est un autre signataire de l’Accord du 3 avril, l’ancien ministre Jonas Coffy, leader du parti Ayisyen pou Ayiti, membre du regroupement politique RED/EDE, la plateforme qui a cautionné Smith Augustin au CPT, qui s’est exprimé dans la presse. Le 15 octobre 2024, Jonas Coffy devait demander ouvertement la démission du Conseiller Présidentiel Augustin en soulignant que celui-ci et son collègue Gilles ont reconnu leur implication dans le dossier de corruption relative à la BNC vu qu’ils ont accepté une modification de la présidence tournante.
Selon lui, Ayisyen pou Ayiti ne peut continuer à soutenir quelqu’un qui fait fi du Rapport de l’Unité de Lutte Contre la Corruption. Dans les médias, Coffy avait estimé que la présence au sein du CPT des trois Conseillers-Président indexés dans le Rapport enlève toute crédibilité à l’organisme politique faisant office du Pouvoir exécutif. D’où la position ferme de Ayisyen pou Ayiti contre le maintien de Smith Augustin dans le Conseil Présidentiel de Transition même si cette formation politique fait partie intégrante de la plateforme RED/EDE. « L’intégrité des membres du CPT est primordiale pour assurer la légitimité de la Transition en cours. La femme de César doit être au-dessus de tout soupçon et que dans cet esprit, Ayisyen pou Ayiti exige la démission immédiate de Smith Augustin. Après le Rapport de l’ULCC, nous avons demandé à Smith Augustin de démissionner. Nous avons demandé à RED de se désolidariser d’avec notre représentant au CPT.
Automatiquement que les Conseillers impliqués ont décidé d’abandonner la présidence tournante, ils ont indirectement admis la véracité du Rapport de l’ULCC. Au nom de la morale publique et de l’éthique, au sein de Ayisyen pou Ayiti on ne peut pas accepter que les Conseillers indexés méprisent le Rapport. Les groupes organisés de la société ne le supporteront pas. Il ne peut pas y avoir d’élections avec ce CPT tant que ces trois Conseillers en feront partie. Il va y avoir une situation de tension, une aggravation de la crise actuelle dans le pays. Il va y avoir des protestations, des groupes populaires, des groupes sociaux politiques qui vont contester l’autorité et la morale des Conseillers Présidentiels. » En vérité, si les politiques se sont exprimés largement après la publication du Rapport de l’ULCC et la « Résolution » modifiant l’ordre de passage de la présidence tournante, la Société civile, elle non plus, n’a pas été silencieuse. Plusieurs organisations et acteurs sociaux se sont prononcés sur la question. Parmi lesquels, l’Initiative de la Société Civile (ISC), le Réseau National de Défense des Droits Humains (RNDDH) et Entente Contre la Corruption (ECC).
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Dans un premier temps, c’est l’Initiative de la Société Civile que dirige Rosny Desroches qui, dans une note de presse, demandait au CPT de renvoyer les trois Conseillers Présidentiels. D’après cette organisation, il faut faire quelque chose pour laver l’image du pays. Dans sa note, l’ISC dit que le monde entier regarde Haïti. Les dirigeants supplient le CPT de mettre les trois accusés à la disposition de la justice. « Les membres du Conseil Présidentiel de Transition, concernés par cette affaire et indexés par l’ULCC, se doivent, au nom du principe de l’égalité de tous les citoyens devant la loi, de remettre leur démission pour se mettre à la disposition de la Justice. Les autres membres du Conseil Présidentiel ne peuvent se contenter de demi-mesures, ils doivent prendre les dispositions courageuses qui s’imposent, pour regagner la confiance de la nation et mener à bien la mission qui leur a été confiée. Le peuple haïtien vous regarde, le monde vous observe et l’histoire se réserve de vous juger. Aujourd’hui, l’image de notre pays s’est dégradée de façon désastreuse au point que nos voisins les plus proches osent nous traiter en parias.
Seules la Rectitude et la Justice peuvent relever notre dignité nationale. L’Initiative de la Société Civile a pris connaissance du rapport de l’enquête menée par l’Unité de Lutte contre la Corruption (ULCC) sur l’affaire des pots-de-vin qui auraient été réclamés pour le maintien à son poste du Président du Conseil d’Administration de la Banque Nationale de Crédit et qui demande la mise en mouvement de l’action publique contre les agents publics qui se seraient rendus coupables de ces actes de corruption. L’ISC espère vivement que le Commissaire du Gouvernement va donner une suite appropriée à cette enquête. En effet, l’appareil Judiciaire doit jouer sa partition, avec fermeté, dans la lutte contre la corruption dont le peuple haïtien attend avec impatience les effets bénéfiques pour la sauvegarde de notre nation. Toutes les institutions publiques du pays doivent adopter une attitude de « Tolérance Zéro » face à la corruption, ce fléau qui gangrène l’administration publique, plonge une grande partie de la population dans une misère abjecte, freine le développement économique et affecte négativement la vie politique du pays » note signée de Rosny Desroches et Lionel Rabel.
D’autre part, l’organisation RNDDH et l’ECC ont signé en commun un communiqué dans lequel elles mettent les autorités haïtiennes devant leurs responsabilités. Madame Marie Rosie Ducenat Auguste qui intervenait le mardi 8 octobre 2024 dans les médias au nom de ces deux organisations disait suspecter une entente entre le CPT et les trois mis en cause pour laisser passer la tempête. Elles réclament la démission des trois accusés compte tenu des graves accusations qui pèsent sur eux. Ces organisations soulignent que la Rapport de l’ULCC est clair et que personne ne peut faire abstraction de ce document.
« Le RNDDH ainsi que ECC condamnent l’entente trouvée entre les différents membres du Conseil Présidentiel de Transition (CPT) en vue de garder les trois (3) Conseillers-Président qui sont indexés dans le rapport de l’Unité de Lutte Contre la Corruption (ULCC), pour abus de fonction, versement de pot-de-vin, corruption active, corruption passive, entrave au fonctionnement de la Justice, instigateur de versement de pot-de-vin, etc. Nous estimons que ces Conseillers-Président doivent être écartés de la gestion des affaires de l’Etat et se mettre à la disposition de la Justice, pour répondre des graves faits qui leur sont reprochés. Nous croyons aussi que leur présence au sein du CPT ne fera qu’affaiblir cette structure dont les résultats sont, à date, insignifiants par rapport à l’agenda qui lui a été confié.
Par conséquent, s’ils ne sont pas écartés, en affaiblissant encore plus le CPT, ils œuvreront aussi à faire échouer la Transition pour la réussite de laquelle la population haïtienne avait accepté un Conseil de 9 membres à la tête du pays. Les garanties judiciaires dont l’égalité devant la Loi et l’égalité des armes, doivent être les mêmes pour les cinq (5) personnes indexées dans ce scandale de corruption soit les 3 Conseillers-président, l’ancien Président du Conseil d’administration de la BNC ainsi que le Consul d’Haïti à Santiago. Elles doivent pouvoir toutes bénéficier par devant l’autorité de jugement, des mêmes traitements. Donc, elles doivent comparaître sans apparat et sans titre, comme de simples justiciables.
Nous pensons que ce sont d’abord les autorités étatiques qui doivent commencer par manifester du respect pour les travaux d’enquête réalisés par des institutions qu’elles ont créées comme l’ULCC ainsi que pour l’appareil judiciaire haïtien qui a un grand rôle à jouer dans la lutte contre l’impunité des crimes financiers et de droit commun. Vouloir se soustraire à la Justice pour des crimes de corruption, c’est vouloir banaliser l’institution judiciaire et la lutte pour l’assainissement des finances publiques ». Enfin, d’autres organisations issues de la Société civile, notamment le Collectif du 4 décembre et Nou Konsyan, disaient être sidérés du comportement des trois membres du CPT et aussi de l’attitude des autres Conseillers-Président à l’égard de leurs collègues accusés de corruption. Alors que Jean Robert Argand du Collectif 4 décembre a déclaré d’une part « Nous comprenons aisément pourquoi M. Leblanc s’est abstenu de participer à cette cérémonie de passation de pouvoir.
Cela constitue une entorse à la moralité en général. M. Leblanc a toujours maintenu une ligne droite et honnête, et il avait clairement indiqué qu’il ne souhaitait pas cautionner une telle passation. Toutefois, face aux multiples problèmes au sein de la société et du CPT en particulier, il est impératif de repenser la présidence de notre pays ». D’autre part, Ebens Cadet, le Coordonnateur général de l’organisation de Nou Konsyan, laissait entendre que « Les trois Conseillers Présidentiels impliqués dans des affaires de corruption selon l’ULCC ne devraient pas participer à la désignation d’un nouveau Président du Conseil. Il est inquiétant de se demander si la signature de ces trois Conseillers sera imposée dans les différents documents au nom de la nation haïtienne.
Je suis convaincu que le Président Leslie Voltaire doit nous fournir des explications à ce sujet ». Sans oublier la position du sociologue Willy Jean-Louis qui déclarait le mercredi 9 octobre 2024 au quotidien Le National qu’il vaudrait mieux qu’on revienne à la formule du Président de la Cour de cassation sinon avec ces crises en interne, cela devient de plus en plus néfaste pour le pays. « Le CPT, avec ces tensions internes qui le déstabilisent, se transforme en une association de dirigeants « patri-poches ».
L’affaire des 3 Conseillers du CPT casse les bras et les pieds de celui-ci de délivrer la marchandise en tant qu’organe présidentiel qui n’a de légitimité qu’aux yeux de la CARICOM et une poignée d’acteurs de la classe politique. Car, la classe politique, détestée et défiée, est en voie de disparition. Le Conseil Présidentiel de Transition est en passe de perdre la confiance de la population qui se sent abandonnée. La lutte pour le pouvoir au sein de cette institution se reflète dans la composition du Conseil Électoral Provisoire (CEP). La course des acteurs politiques pour obtenir une représentation au sein du CEP compromet la crédibilité de l’institution dès sa formation, un phénomène récurrent. Cette rivalité devient de plus en plus néfaste, sapant tout espoir de cohésion nationale. Pour éviter une nouvelle crise en 2026, il serait préférable de dissoudre le CPT et de revenir aux principes de la Constitution, qui prévoient un Exécutif bicéphale : un Président issu de la Cour de cassation et un Premier ministre choisi par consensus ». Nous terminons ce tour d’horizon de prise de position contre la présence des trois Conseillers-Présidentiel après le Rapport de l’ULCC et la transmission du dossier à un juge d’instruction par la position d’un analyste politique grand connaisseur du système politique haïtien et journaliste sénior.
Il s’appelle Daly Valet. Directeur d’un think tank politique, ce spécialiste se passe de présentation en Haïti pour avoir été pendant longtemps l’une des grandes voix de la radio Vison 2000 avec Valery Numa. En entretien avec le quotidien Le Nouvelliste, le mardi 8 octobre 2024, voici ce qu’il a déclaré « Dans ma compréhension des choses, le problème avec le CPT ne se pose pas en termes d’individus. Le scandale des 3 Conseillers supposément impliqués dans la corruption passive, ne sont que l’écume putride d’un pourrissement social et politique profond et lourd, à l’œuvre, en Haïti, depuis au moins une génération : la banalisation de toutes les formes de crimes (politiques, financiers et autres) et l’institution de l’impunité comme la norme gouvernante de la Cité. Le CPT n’est que la coexistence au sommet de l’État de tribus politiques au passé douteux et la formalisation de l’impunité comme ciment du consensus politique.
La formule d’un Conseil de Transition à 7 ou 9 membres comporte en elle les germes d’une Transition ratée. Cette longue Transition, ouverte depuis la chute de la dynastie des Duvalier il y a 38 ans, n’en finira pas comme l’a si bien chroniquée notre confrère Pierre Raymond Dumas. Aux conjonctures cruciales où le pays devrait avoir pour guides des bâtisseurs, des réformateurs voire des révolutionnaires, bref, des semeurs d’espérance, nous avons eu plutôt, par une inqualifiable malédiction, des destructeurs et des agents propagateurs du mal. Il n’existe aucun indice dans notre histoire et notre culture politique qui m’amènerait à croire que 9 Haïtiens pourraient être à même de s’entendre dans l’intérêt général, de transcender nos atavismes, nos habitudes tribaux clientélaires pour nous projeter résolument dans la modernité et nous inscrire dans les paramètres institutionnels d’une gestion saine, adulte, pragmatique, responsable et citoyenne de notre reliquat de République. Ce que nous vivons aujourd’hui c’est plutôt une fin d’histoire, la faillite d’un système socio-culturel aliénant, l’épuisement d’un modèle économique de rentiers, sous la forme trompeuse et envahissante d’une crise politique que l’on croirait passagère. Nous y sommes, pourtant, pour longtemps encore, tant que la société haïtienne ne générera pas de nouvelles élites pour les défis du 21è siècle. » (A suivre)
C.C