Un vieil harcèlement: les guerres de l’opium
Cette perfide guerre commerciale étatsunienne me rappelle les guerres de l’opium aux XVIIIe et XIXe siècles. À l’époque c’étaient les Britanniques qui avaient un déficit commercial avec la Chine (importation de soie, de thé, de céramique). De plus le coût de maintenir leur empire des Indes était élevé. Alors, ils ont conçu un plan pour faire entrer de l’argent dans leurs coffres: la politico-commerciale British East India Company – également connue sous le nom de l’Honorable (!) East India Company car elle avait reçu sa Charte royale de la reine Elizabeth I – a commencé la contrebande d’opium de l’Inde vers la Chine. Certains citoyens étatsuniens – parmi lesquels rien moins que le grand-père du président Franklin D. Roosevelt et les ancêtres de l’ex-secrétaire d’État John Kerry – ont fait de même de la Turquie vers la Chine, contrevenant à l’interdiction de l’empereur chinois Qing (première interdiction de l’opium en 1729), et entrainant une forte dépendance de toute une population.
Nous pouvons regretter la guerre, mais nous ne pouvons pas nier les grands bénéfices qu’elle a procurés
Les deux guerres ont commencé, l’une en 1839 lorsque des marins britanniques ivres ont tué un villageois chinois et les Britanniques ont refusé de le laisser juger en Chine. Et la seconde lorsque, le 8 octobre 1856, les Chinois ont arrêté l’équipage chinois d’une jonque chinoise – la Flèche – qui s’était livré à la piraterie mais arborait le pavillon britannique (alors que le registre britannique du navire avait expiré 11 jours auparavant, le 27 septembre). De toute façon les Britanniques cherchaient des excuses pour extorquer plus d’accès et de concessions pour leur commerce en Chine. Ils ont pilonné Guangzhou (alors appelé Canton) pendant trois semaines, alors que Ye Mingchen, le gouverneur local, avait libéré les marins chinois. Les Anglais ont continué leur intervention armée pendant quatre ans jusqu’à ce qu’ils détruisent et pillent l’ancien palais d’été de Beijing (alors appelé Pékin).
Charles George Gordon, qui était alors capitaine de 27 ans dans le Royal Engineers et faisait partie du corps expéditionnaire anglo-français de 1860, a écrit à propos de son expérience:
«Nous sommes sortis et, après l’avoir pillé, nous avons brûlé tout l’endroit, détruisant comme des vandales les biens les plus précieux qui ne pouvaient pas être remplacés pour quatre millions. Nous avons gagné plus de 48 livres chacun … J’ai bien fait. Les gens [locaux] sont très civils, mais je pense que les officiels nous détestent, comme ils se doit après ce que nous avons fait au Palais. Vous pouvez à peine imaginer la beauté et la magnificence des lieux que nous avons brûlés. Cela faisait mal au cœur de les brûler; en fait, ces lieux étaient si grands et nous étions tellement pressés par le temps que nous ne pouvions pas les piller à fond. Des quantités d’ornements en or ont été brûlées, considérées comme du laiton. C’était un travail très infiniment démoralisant pour une armée».
L’UNESCO a estimé en 2006 qu’environ un million de reliques chinoises de l’ancien palais d’été sont en la possession de 47 musées dans le monde entier…
Afin d’obtenir des concessions commerciales similaires, la France s’est jointe à l’attaque en utilisant comme prétexte le meurtre, en février 1856, d’un missionnaire français. De toute façon, les impérialistes occidentaux se sont toujours unis contre le reste du monde.
À l’époque, le brave périodique The Economist avait assimilé ce pillage à une croisade humanitaire: «Le commerce est aussi nécessaire à la ‘société que l’air, la nourriture, les tissus ou la chaleur […] Nous pouvons regretter la guerre, mais nous ne pouvons pas nier les grands bénéfices qu’elle a procurés […] Il en va ainsi de toute guerre avec la Chine qui permet à ses populations de participer plus complètement aux échanges commerciaux avec toutes les autres nations”.
Pareil pour la reine Victoria. Le commissaire impérial spécial Lin Zexu, chargé par l’empereur d’éradiquer le commerce, lui a écrit d’intervenir, citant l’interdiction de l’opium par la Grande-Bretagne: «Vous ne voulez pas que l’opium nuise à votre propre pays, mais vous choisissez de porter ce préjudice à d’autres pays comme la Chine». Il n’a reçu aucune réponse.
Cependant, il y avait des voix honnêtes, comme Lord Derby, chef de l’opposition conservatrice (eh oui) qui a condamné l’attitude britannique comme «des exigences arrogantes d’une prétendue civilisation». William Ewart Gladstone, futur Premier ministre de Grande-Bretagne, l’a qualifié de “plus célèbre et atroce”, dénonçant la première guerre de l’opium comme “injuste à son origine” et “calculée dans ses progrès pour couvrir ce pays d’une disgrâce permanente”.
Plus on creuse, et plus on trouve de la pourriture (occidentale). Les Britanniques ont forcé les agriculteurs indiens à produire des pavots (pour exporter en Chine) au lieu des cultures vivrières traditionnelles. En 1838, 800.000 Indiens sont morts dans la famine d’Agra; plus de 500.000 affamés en 1860 dans le Nord-Ouest; en 1865-1877, un million de personnes ont péri dans la famine d’Orissa, un tiers de la population de cette région; en 1868-1870, 1/3 de la population du Rajputana est morte de faim.
En parlant de l’Inde, nous pourrions continuer indéfiniment avec la bellicosité britannique. Le plus célèbre étant le massacre d’Amritsar quand, en avril 1919, l’armée britannique a tiré sur une foule de civils non armés, tuant au moins 400 (certains disent jusqu’à 1000) personnes, y compris 41 enfants, dont un âgé de seulement six semaines. La reine Elizabeth n’a fait aucun commentaire à part l’appeler “un moment de tristesse” … Pourtant les Britanniques ont répété leur exploit dans leur colonie du Kenya en 1920-1963, tuant plus de 20.000 Africains, dont 1.090 militants Mau Mau condamnés à mort, soit plus du double du nombre exécuté par les Français en Algérie.
Mais demandez à n’importe qui dans la rue ce qu’il sait de ces événements les plus tragiques. “Pendant plus d’un siècle, les nations occidentales ont fait le trafic d’opium à une échelle qui éclipse tout cartel colombien moderne de plusieurs milliards de dollars, mais aujourd’hui, nous, occidentaux, en savons peu à ce sujet. Nous n’en apprenons rien en histoire au lycée – ni même à l’université, d’ailleurs. Un professeur de Xiamen m’a dit qu’il pensait que la guerre avait été menée pour empêcher la Chine d’exporter de l’opium »…
Blessures auto-infligées
Les Etats-Unis n’auront pas le dernier mot dans leur lutte de survie contre la Chine, car ils créent leurs propres problèmes et ne seront jamais en mesure de les résoudre car ils ont une mentalité de négligence. À part leur déficit commercial, un bon exemple, récent, est Aventura (un nom approprié), une société de surveillance et de sécurité basée à Long Island, dans l’État de New York. Elle a installé des équipements fabriqués en Chine «sur des dizaines de bases de l’armée, de la marine et de l’armée de l’air, des installations du ministère de l’Énergie et, entre autres, sur des porte-avions de la marine”, tout en prétendant faussement qu’elle a été faite aux États-Unis, dit la plainte pénale du procureur général de l’Etat de New York, Richard Donoghue, datée du 7 novembre. Il a fallu plus d’une décennie aux fonctionnaires étatsuniens pour découvrir la tromperie. La leçon: rangez votre maison et ne blâmez pas les autres pour vos lacunes.
Sans parler des années de Trumpisme fortement marquées par l’ineptie. Prenons le plus gros problème maintenant, l’accord commercial avec la Chine. Une étude de la Federal Reserve Bank de New York a révélé que ce sont les entreprises et les consommateurs étatsuniens qui supportent les tarifs imposés par Trump, pas les Chinois dont les prix n’ont pas bougé. D’ailleurs, la faible part (de 2 à 6%) des importations étatsuniennes de machines et d’équipements électriques et électroniques que la Chine perdue est allée «en Europe et au Japon pour les machines, et en Malaisie, Corée du Sud, Taïwan et Vietnam pour l’électronique et l’équipement électrique”.
ce sont les entreprises et les consommateurs étatsuniens qui supportent les tarifs imposés par Trump
Le perdant? «De Lincoln Logs aux bagages, l’accord commercial étatsuno-chinois laisse encore un énorme point d’interrogation sur les États-Unis. Alors que le président Trump peut changer de politique à la vitesse d’un tweet, les entreprises se démènent pour adapter les chaînes d’approvisionnement développées au fil des décennies», a noté le célèbre économiste et chroniqueur du New York Times Paul Krugman, lauréat du prix Nobel.
D’autres quittent tout simplement les États-Unis, comme RISC-V, une organisation à but non lucratif basée au Delaware – avec plus de 325 sociétés membres – qui supervise la technologie prometteuse des semi-conducteurs développée dans les laboratoires de l’Université de Californie à Berkeley, avec un financement de la Defense Advanced Research Research Agency du Pentagone (DARPA). Elle “déménagera bientôt en Suisse après que plusieurs membres étrangers du groupe aient exprimé leurs inquiétudes concernant les restrictions commerciales potentielles aux États-Unis”. Cela montre que l’attaque étatsunienne contre Huawei a un fort retour de flamme, et “pourrait préfigurer une nouvelle fuite technologique en raison des restrictions étatsuniennes. sur les relations avec certaines entreprises technologiques chinoises».
“L’idée selon laquelle la Chine puisse être empêchée de participer aux normes aux côtés des États-Unis et de l’UE n’est tout simplement pas viable”, a déclaré Morgan Reed, président de The App Association, qui représente les principales entreprises technologiques étatsuniennes telles qu’Apple Inc et Microsoft Corp. “La Chine est trop importante en tant que fabricant et marché final pour être ignorée”.
L’ineptie, la myopie et l’étroitesse d’esprit ne sont bien évidemment pas l’apanage de Trump. Plusieurs législateurs républicains agitent la peur de la Chine tel que le sénateur Tom Cotton de l’Arkansas et le représentant du Wisconsin Mike Gallagher. Avec les tensions commerciales qu’ils causent “ils pourraient rendre les États-Unis un endroit plus difficile pour héberger des groupes de normes technologiques” alors que “Rendre l’open source aussi ouverte que possible est important pour l’industrie”.
Le gagnant? La Chine à nouveau, qui a appris, tout comme la Corée du Nord, que “Trump parle fort mais porte un petit bâton et peut être berné”, comme l’a dit Krugman.
La recherche
La première partie de l’accord commercial était “destinée en partie à ralentir le passage de la Chine vers de nouvelles technologies, tel que les voitures électriques, en protégeant la propriété intellectuelle des sociétés étatsuniennes”. L’ironie est que “les premières berlines électriques Model 3 de Tesla [sont] en train de sortir des lignes d’assemblage dans la nouvelle usine de plusieurs milliards de dollars de l’entreprise à Shanghai […] Les gens qui apprennent à fabriquer des voitures électriques de manière toujours plus efficace dans l’usine de Tesla à Shanghai sont chinois».
«Trump ne comprend pas une réalité fondamentale de l’économie mondiale d’aujourd’hui: la rentabilité et la compétitivité des entreprises étatsuniennes ne sont pas les mêmes que le bien-être et la compétitivité des Étatsuniens, les entreprises étatsuniennes n’ont aucune obligation particulière envers les États-Unis. Ils ne sont obligés qu’envers leurs actionnaires».
De toute façon, «environ 30% des actionnaires des grandes sociétés étatsuniennes ne sont même pas étatsuniens. Alors que l’argent mondial traverse de plus en plus rapidement les frontières, ce pourcentage augmente.
«Les 500 plus grandes sociétés ayant leur siège aux États-Unis deviennent de moins en moins étatsuniennes. 40% de leurs employés vivent et travaillent en dehors des États-Unis. Ils vendent et achètent des composants et des services dans le monde entier. Ils font des recherches partout où ils trouvent des ingénieurs et des scientifiques talentueux.
«La part de la Chine dans la recherche et le développement mondiaux dépasse déjà celle des États-Unis».
Les startups innovantes (licornes) également. Citées sur le nouveau Shanghai Star Market – le Science and Technology Innovation Board, un conseil technologique de style Nasdaq conçu pour renforcer la crédibilité de son marché boursier volatil – elles étaient, selon Hurun, au nombre de 202 au premier trimestre 2019, contre 28 dans l’UE …
Selon la National Science Foundation étatsunienne, la Chine a dépassé les États-Unis en 2016 dans les publications scientifiques avec «426 000 études recensées dans la base de données Scopus d’Elsevier contre 409 000 pour les États-Unis». Quant aux brevets, «les Chinois occupent le premier rang rang mondial en termes de dépôts (1,3 million en 2017)», dont «12.589 reconnus par les États-Unis en 2018, soit une augmentation de 12% par rapport à l’année précédente».
Encore une ironie. Alors que l’Occident essaie de protéger sa propriété intellectuelle contre les Chinois, une fameuse tâche contentieuse, en particulier en ce qui concerne Huawei, un jeune entrepreneur français a déclaré à Raffarin à Pékin: «Ne soyez pas obsédé par la protection de nos technologies. Maintenant, ce sont les Chinois qui veulent protéger la propriété intellectuelle. C’est dans leur intérêt! ”
La part de la Chine dans la recherche et le développement mondiaux dépasse déjà celle des États-Unis
Cela dit, la Chine mène aussi dans la recherche. C’est le moment de mentionner qu’en 2018 l’Université Tsingha de Pékin est devenue la meilleure en Asie, pour la première fois devant l’Université nationale de Singapour classée par le Times Higher Education. Soit dit en passant, Xi Pining est diplômé de l’Université de Tsingha …
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La cupidité est un autre aspect de la mentalité étatsunienne et de Trump. Les propriétaires d’Aventura Technologies, Jack Cabasso et sa femme Frances, ont acheté des propriétés et un yacht de 23 mètres appelé Tranquilo avec des millions de profits illégaux canalisés par le biais d’un programme de blanchiment d’argent.
Pendant ce temps, la Chine essaie de lutter contre cette mentalité … à sa manière habituelle, c’est-à-dire qu’à l’occasion de sa 70e fête nationale le 1er octobre, le Parti communiste a publié des lignes directrices et 58 “modèles moraux” nationaux, y compris contre l’abus de la les personnes âgées et la pratique de mariages et d’enterrements extravagants (qui privent des millions d’hommes ruraux de se marier par manque d’argent), mais aussi comment les Chinois devraient se comporter lorsqu’ils voyagent à l’étranger afin de bâtir “l’esprit chinois, les valeurs chinoises et la puissance chinoise”.
En 2001, la dernière fois qu’ils avaient publié de telles lignes directrices, ils avaient dit que “le culte de l’argent, l’hédonisme et l’individualisme extrême ont augmenté”. Maintenant ils disent qu’ils sont “toujours en suspens” …
Les hommes d’affaires vendant de la viande de rat ou du lait contaminé, les bureaucrates acceptant des pots-de-vin, les mariées pakistanaises maltraitées jusqu’à la mort (629 filles et femmes pakistanaises vendues en Chine en tant qu’épouses en 2018 – les hommes chinois sont plus nombreux que les femmes). Le gouvernement a besoin d’organisation et de discipline avec leurs 1,4 milliards d’habitants, des qualités totalement absentes en Grèce qui ont conduit le pays à un tel gâchis.