Célébration de notre indépendance: le temps des démagogues et des mystificateurs

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Martelly brandissant ses (faux?) passeports.

Se lan pa prese an n gade

Ki fè de yè a kounye vakabon ap sikile

Manno Charlemagne

 

Après avoir lu le discours du président inculpé Jovenel Moïse, à l’occasion du 214e anniversaire de l’indépendance d’Haïti, après m’être bien satisfait de l’inanité, de la vanité, de la vacuité, du vide, du néant de ses propos, j’ai voulu le comparer avec quelques uns des discours de Martelly à l’occasion de la célébration de notre indépendance. Je n’ai pas été étonné des similitudes observées. Je me demande toutefois si nos deux compères, comme sans doute leurs prédécesseurs, sont totalement inconscients du vide absolu de leurs discours; ou s’ils le font de façon délibérée pour continuer la routine d’une grotesque mise en scène le premier janvier de chaque année et satisfaire un je ne sais quel ego d’adolescent.

Les choses semblent se passer comme si les chefs de l’État étaient au-dessus de la mêlée, ne faisant nullement partie des “leaders et dirigeants qui portent la responsabilité de l’échec, de la faillite” du pays, alors que leur présence au timon des affaires de l’État et leur administration des affaires de la nation font tout pour entretenir cette faillite, et rien pour la redresser ou la corriger. À coups d’anaphores, ils croient pouvoir conjurer le malheur de ne pas être en mesure ou plutôt de ne pas vouloir se porter au devant des revendications des masses laborieuses et des gagne-petit puisque représentant et gérant les intérêts des classes dominantes auxquelles ils appartiennent.

D’où l’incessante reprise de formules telles que : nous devons, il faut, il faut que, il est impératif que, fòk nou. Et chacune de ces formules introduit un vœu pieux, une pensée grandiloquente et chimérique, une mystification, parce que à vrai dire, rien de concret ne se fait. Ainsi: “nous devons retrouver aujourd’hui l’unité fondamentale  pour reprendre notre marche conquérante (sic) vers cette Haïti de Paix, de justice et de progrès…nous devons quintupler nos forces pour changer les conditions de vie de la population… cette bataille que nous devons mener aujourd’hui, c’est cette bataille que nous devons gagner.”

Il faut que nous redressions l’environnement du pays…Il faut que tous les pouvoir collaborent pour mettre le pays sur les rails…il faut à tout prix éviter de se laisser aller à des pulsions destructrices,.. il faut que nous continuions à nous tenir la tête haute..  Il est impératif que nous travaillions à relancer notre production agricole… Il est impératif que nous nous attelions à réduire les trop flagrantes inégalités sociales… fòk nou elabore de politik piblik ki kapab favorize kreye kondisyon pou envestisman”. Goût de l’anaphore, des reprises d’expressions vides de réalité? Goût de l’excentricité? Goût du ridicule? Difficile à savoir.

Au moment du discours de l’inculpé Jovenel, on pouvait lire sur des pancartes brandies par des militants aux alentours tenus loin du stand des officiels (et pour cause): “nou pa bezwen pawòl, se manje nou bezwen”. Ils donnaient ainsi libre cours à leurs frustrations, leurs misères, leur inassouvissement, leur mal-être, et dénonçaient l’hypocrisie du président inculpé. Car quand Jovenel l’inculpé affirme imprudemment et désinvoltement: “Sistèm ki lage nou atravè listwa nan esklizyon, nan koripsyon, nan enpinite, nan malsite, sistèm sa a kap jenere mizè, esplwatasyon ak sou devlopman, li fini”, les manifestants savent pertinemment que c’est pure démagogie, pure mystification, pure hypocrisie, puisque rien n’a changé de l’opulence et de la gabegie administrative en cours sous Martelly, alors que “Rome est dans les fers”.

 

Les deux larrons Jovenel Moise et Michel Martelly: deux jouisseurs, deux coquins et démagogues qui excellent dans l’art de la mystification.

En s’arcboutant contre le concept de “l’union” et la geste de 1803, nos chefs d’État croient pouvoir exorciser un mal social contre lequel, de concert avec leurs coreligionnaires de classe, ils ne font rien pour en modifier la dynamique. Ainsi: “ Linyon ki te fòs 1804 nan batay kont esklavaj ak kolonizasyon, nou dwe fè l reviv”, a clamé l’inculpé Jovenel. Mais il sait fort bien que sa fameuse “caravane du changement” a été élaborée loin de toute participation de secteurs valables du pays, loin de toute “union”, loin de l’esprit dessalinien d’union. Alors, pourquoi cette imposture, cette démagogie, cette hypocrisie, cette duperie, cette supercherie, cette fourberie?

Le 1er janvier 2013, Martelly déclare que: “Le jour est arrivé de nous unir, de mettre de côté vos différences”. Et il a bien dit: “vos” différences. Est-ce à dire qu’il est au-dessus de la mêlée et aux autres de s’unir, de déméler leur guêtre d’union? En janvier 2016, il revient avec la même rengaine unitaire: “ C’est cette unité que nous devons à tout prix retrouver”, faisant allusion à l’unité des aïeux. Alors qu’il va devoir déguerpir du pouvoir le 7 février 2017, il découvre après cinq ans de je-m’en-foutisme effréné et de vagabondage politique que: “ Le jour est arrivé pour nous unifier, pour mettre nos différences de côté”. Franchement! N’est-ce pas se payer la tête des citoyens?

Sans sourciller, faisant fi du désastre de sa calamiteuse expérience avec son entreprise agricole “Agritrans” dont il ne parle plus depuis belle lurette, l’inculpé Jovenel a le sacré culot de parler de “lè yon pèp kwè nan yon lide […] lide pou modènize agrikilti pou latè an Ayiti kapab pwodui manje pou mete nan asyèt pitit li, se lè sa a rèv papa Desalin nan ap reyalize”. Agritrans, c’était de la poudre aux yeux, de l’argent du pays jeté par les fenêtres de l’inconscience d’un gouvernement dont Martelly tenait négligemment, sinon malhonnêtement les rênes. Si Jovenel l’inculpé a fait faillite dans une entreprise privée, comment croire que lui, doublure d’une bourgeoisie qui a le petit peuple en horreur, va vraiment avoir à coeur de moderniser l’agriculture pour assurer la nourriture aux masses défavorisées? Di m.

À la traîne du système néolibéral, Jovenel l’inculpé s’évertue à proclamer: “fòk nou elabore sou politik piblik ki kapab favorize kreye kondisyon pou envestisman, favorize kwasans ak devlopman”. Mais quel développement? Est-ce ce développement dont Manno Charlemagne disait : “m tande gon kòb ki pral prete pou zòn Sid devlope” Et puis un an après: “ren tout fanmi mare / nonm nan pat konsènen /car se vòlè li ye”, chantait Manno.

Martelly, en 2013, sur les mêmes longueurs d’onde que le misérable inculpé, insistait: “ Il est impératif que nous travaillions à relancer notre production agricole, de telle sorte, que nous arrivions à réduire notre dépendance alimentaire”. Quel bilan positif, même partiel, a-t-il présenté en s’en allant en février 2017? Manno avait raison: “Se manje l ap manje…se vre”. Martelly? Jovenel? Mêmement, pareillement, 50 kòb ak 2 gouden. Les deux misérables compères se trompent eux-mêmes et croient qu’ils peuvent tromper “konpreyansyon moun serye”.

Le mensonge est “dans leur chemise”, comme disait feu le professeur Pierre Eustache Daniel Fignolé. Écoutez-moi Jovenel qui voudrait se persuader que: “Le temps de la rupture est arrivé… lè chanjman an sonnenSistèm ki lage nou atravè listwa nan esklizyon, nan koripsyon, nan enpinite, nan malsite, sistèm sa a kap jenere mizè, esplwatasyon ak sou devlopman, li fini”. Voilà un homme qui est inculpé pour blanchiment d’argent et qui à l’ extrême audacité de parler de corruption. Vous parlez de corde dans la maison du pendu… Le jeudi 21 septembre 2017, à la Tribune des Nations Unies, au nom d’Haïti, Jovenel Moïse a été probablement l’unique chef d’État en fonction à avoir été mis en examen par la justice de son pays. À  travers la modification par le Parlement de la loi-cadre créant l’UCREF, Jovenel Moise s’est arrangé pour faire obstruction à la justice.

Le président inculpé Jovenel Moïse, qui passe pour «un général sans troupe», selon le député Jerry Tardieu, est très mal placé pour parler de corruption, pense le sénateur du sud Jean-Marie Salomon. Ce dernier, qui sympathisait au départ avec le régime tèt kale, a fini par s’interroger sur les millions de gourdes prêtées à Jovenel Moïse par l’État, dans le cadre de son projet AgriTrans.

Très remonté contre les prétentions de Jovenel Moïse à dénoncer la corruption, un Jovenel dont les sources de financement de sa campagne électorale n’ont jamais été révélées et qui s’était payé le luxe insolent des services de consultation électorale d’une firme espagnole, avec les locations par-ci par-là d‘hélicoptères et ses accointances avec Guy Philippe, un condamné pour trafic des avoirs, le sénateur Jean-Marie Salomon a  parlé de prison. Assurément en déclarant : «Des gens qui devraient être aujourd’hui derrière les barreaux nous font aujourd’hui la loi», Salomon avait sans aucun doute Jovenel en tête.

Aucun rapport de comptabilité nationale n’a jusqu’à présent fait le décompte des sommes dépensées par l’administration de l’inculpé pour mettre sur pied une «caravane de changement» dont des résultats positifs tardent à venir. Le sénateur Salomon est même allé jusqu’à mettre en question le budget de fonctionnement de cette caravane. Il a prestement rejeté les allégations de Jovenel Moïse, qui, selon lui, n’a rien versé à l’État haïtien à titre de remboursement en tout ou en partie des sommes d’argent débloquées dans le passé au nom de ses compagnies, en retour de services non rendus, au point qu’en 2015, la BID avait réclamé un remboursement (Rezo Nòdwès, 20 septembre 2017).

Nous avons encore en mémoire le scandale des kits scolaires  surfacturés par un ministre que la présidence a dû révoquer. Il s’agit de Roosevelt Bellevue, Ministre des Affaires Sociales et du Travail, soupçonné de corruption, dans une affaire de fraudes dans l’acquisition de kits scolaires. Aucune enquête n’a encore été déclenchée. Mais non, je me trompe, “l’enquête se poursuit”. Un président qui tolère un petit copain, en l’occurence un ministre, qui n’a pas fourni les services requis de commandes de kits scolaire, n’est-ce pas un corrompu? Ne sont-ce pas deux corrompus? Les Richard Doré, Lucien Jura, Reynald Lubérice et autres fanatiques tètkale ne sont-ils pas aussi des corrompus?  Et le mec a le culot, l’outrecuidance, l’arrogance, l’impudence, l’effrontance, la provocance de dire: “Pèp la pa vote yon sitwayen Prezidan pou sèvi enterè pèsonèl pa l ou enterè ti gwoup moun pa l”. Conférons volontiers le premier prix de démagogie et de sale hypocrisie à notre inculpé.

Se paske souvan nou pa vle respekte règ jwet yo ki fè peyi a fèb”. Joli propos, n’est-ce pas? Et qui l’a prononcé? Rien d’autre que l’inculpé Jovenel. Le mec s’est permis de remplacer Me Sonel Jean-Francois, Directeur Général de l’Unité Centrale de Renseignements Financiers (UCREF), celui-là précisément qui était à l’origine du rapport d’enquête transmis au Parquet de Port-au-Prince. Ledit rapport mettait en cause Jovenel dans une présumée manipulation de fonds et de blanchiment d’argent.

Pierre Espérance, le Directeur Exécutif du Réseau National de Défense des Droits Humains (RNDDH) a eu à dénoncer le remplacement de Me Sonel Jean-Francois par un type à Jovenel; remplacement fait dans le cadre de la loi portant sur l’organisation et le fonctionnement de l’Unité Centrale de Renseignements qui venait juste d’être votée, la semaine de révocation de Jean-François (coïncidence ?). Cette loi, opportunément, donne le pouvoir au Chef de l’État de remplacer à son gré, le Directeur Général de l’UCREF, pourtant indépendante. Cette loi devient un outil de pression entre les mains de l’Exécutif, qui peut l’utiliser au besoin à des fins politiques.

Lors de ces élections tellement attendues le 16 janvier 2016, Martelly, dans son discours du 1er janvier réclamait des électeurs : “Je demande à tous de respecter les règles du jeu”. L’audacieux! L’odasye! L’anraje! Lui qui avait fait arrêter un député en fonction par pure vengeance et sotte mesquinerie. Lui qui avait pris d’assaut le cabinet d’un juge pour le violenter verbalement au point que le magistrat en est mort. Lui dont on ne sait pas encore s’il est citoyen américain ou non.       Lui qui, à la lumière de telles dérives, disait aux Gonaïves, sans gêne aucune, en 2016: “En tant que Chef d’État, je me suis toujours comporté en vrai démocrate”. Enfoiré de saltimbanque!

Lui dont on ne sait quel passeport était le bon, quels passeports étaient de faux documents parmi les trois ou quatre livrets qu’il brandissait comme “preuve” de n’avoir jamais renoncé à la nationalité haïtienne. Lui qui n’a cessé de sucer les mamelles de la diaspora dont il n’est même pas un enfant adultérin, en lui volant illégalement les taxes prélevées sur les transferts d’argent et les appels téléphoniques vers Haïti. Lui dont on connaissait bien les ardeurs grouilladeuses mais pas les habitudes siphonneuses des fonds PetroCaribe soit-disant pour moderniser le pays et envoyer les enfants à l’école gratis ti cheri. Jean Marcenac avait bien raison: Martelly et Jovenel sont les prototypes de ceux-là dont le “dire humaniste (contraste fortement avec) le faire cabotin et égoïste”.

Après n’avoir rien fait pendant ses cinq années de kalewès et de bamboche au pouvoir, Martelly se demande et se lamente: ”Qu’allons nous laisser en héritage et surtout en exemple à nos enfants?” Les grouillades et les propos obscènes d’un président misogyne, sans doute. Marchant sur les brisées de Martelly, répétant comme un jako les mêmes pèpètudes de son maìtre à penser, Jovenel se plaît  à larmoyer: “Zansèt nou yo te leve yon gwo defi. Yo mete tèt ansanm, yo goumen kont lesklavaj, yo goumen kont kolonizasyon. Gras a sakrifis ak kouraj yo, Ayiti leve nan lemond drapo emansipasyon, dwa pou tout moun viv tankou moun, ki sa nou fè ak eritaj sa a?” Nous en avons fait des bananes grâce à des millions de gourdes prêtées à l’inculpé par l’État, dans le cadre de son projet AgriTrans, piteusement avorté..

Les deux renards ont l’audace de s’étonner de l’état du pays et de sombrer dans les flots d’une litanie de questions dont ils ne suggèrent mot des réponses possibles: “Ki sa nou deside fè avèk peyi a? Èske nou pre pou nou leve nouvo defi yo? Èske nou detèmine pou fè peyi nou, ekonomi peyi nou emèje? Èske nou pran konsyans, nou analize erè, fot nou fè ki kondui peyi a nan move chemen? Èske nou pran konsyans ke nou dwe chanje wout, mete yon pwen final nan move chwa politik piblik? Èske nou konprann ke Ayiti se yon byen kolektif, yon byen nou dwe fè pwospere pou nou transmèt pitit nou ak pitit pitit nou?”

Et  Mgr Yves Marie Péan de les encourager, sans doute sans le vouloir, dans le labyrinthe de questions sans réponses que le clergé catholique, à l’unisson des autorités constipées, n’arrête pas de demander depuis l’époque ou Jadis était caporal: “ Cette nation que nous avions créée au prix du sang, qu’en avons-nous donc fait? Où en sommes-nous aujourd’hui? N’avons-nous pas perdu trop de temps ? N’avons-nous pas raté trop d’opportunités?”.

Martelly grouilladeur patenté? Oui. Mais, Martelly batailleur pour la justice et la démocratie? Décidément non. Martelly profanateur de l’intimité des femmes? Oui. Mais, Martelly remembreur du secteur agricole? Non! Soixante-dix-sept fois et sept fois non! Comme son alter ego Jovenel. L’inculpé Moïse président mal élu et inculpé? Oui. Jovenel entrepreneur aux entreprises couronnées de succès? Non! Mille fois non! Jovenel inculpé et corrompu? Oui. Jovenel prêt à une quelconque “rupture”? Non, car Jovenel mare nan pye tab boujwa yo; ces bourgeois  qui ont dépensé leur argent pour en faire une doublure, une figure popétwèllée, un restavèk costumé.

Maintenant que je me sens satisfait d’avoir “déshabillé” ces deux larrons lâchés dans la foire de célébration de notre indépendance, je me retire. Remettez-vous des billevesées, conneries, attrape-nigauds, fariboles, bricoles, babioles de Martelly et de Jovenel. Bonne année 2018! À nous revoir en 2019 pour le 215è anniversaire de notre indépendance: un autre temps de démagogues, de farceurs, de menteurs et de mystificateurs.

7 janvier 2018

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