(2ème partie)
En absence du Pouvoir législatif qui aurait pu lui mettre des bâtons dans les roues, le docteur Ariel Henry avait une seule crainte, voire la peur, que les juges, compte tenu de la conjoncture et surtout que son nom personnel apparaît dans le dossier d’assassinat du Président de la République, Jovenel Moïse, lui cassent les pieds. Oh surprise ! Les responsables du Pouvoir judiciaire, comprenant le Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire (CSPJ), la Cour de cassation, la plus haute juridiction haïtienne et les autres magistrats, tout le monde, dans une unanimité déconcertante, s’est accordé à obéir, voire à courber l’échine devant le nouveau « Roi Henry » qui n’en demandait pas mieux.
Les juges, en dehors du Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire, qui auraient dû profiter de la pagaille qu’a engendré l’assassinat du chef de l’Etat, du dysfonctionnement du Parlement jusqu’à son absence définitif avec le départ du dernier tiers du Sénat pour marquer leur indépendance, se sont, eux aussi, couchés devant un Premier ministre qui, en définitive, est totalement illégitime dans la mesure où il a dépassé de loin les limites de sa durée constitutionnelle au pouvoir si l’on part du principe qu’il devait organiser des élections générales dans un délai de trois (3) mois après la mort du Président de la République.
Cette attitude d’accepter le fait accompli, somme toute, a conforté Ariel Henry dans sa stratégie de cumuler tous les pouvoirs entre ses mains vu que personne ou du moins aucune autre grande institution du pays ne conteste l’étendu du pouvoir qu’il s’est octroyé et détient dans l’illégalité la plus parfaite en entamant sa troisième année de pouvoir en dehors de tout mandat constitutionnel. Avec l’Administration publique sous son contrôle, la justice et les autres institutions en veilleuse, il ne reste au Premier ministre qu’à s’occuper de ses oppositions. C’est là que Ariel Henry va appliquer tout son art pour casser toute velléité de s’opposer de manière concrète à son régime, puisque c’est ainsi qu’il faut qualifier cette prouesse de faire taire toute opposition pouvant mettre en péril son pouvoir. Dès le départ, le docteur, devenu homme politique, s’est distingué de tous ses prédécesseurs soit au Palais national soit à la Primature.
Même du temps de Papa Doc (François Duvalier), à une époque où il n’existait pas de Premier ministre, la mise à mort des oppositions n’a pas été si efficace. Avec Ariel Henry, elle a été faite sans aucune effusion de sang et surtout en un temps record. Il a mis moins de temps pour neutraliser tous ceux qui pouvaient se prétendre être dans l’opposition contre sa politique que son illustre modèle et collègue médecin. Papa Doc avait du temps. Et pour cause. Il avait un mandat constitutionnel. Docteur Henry, non. De 1957 à 1960, il y eut encore certains mouvements de contestation contre la politique du futur dictateur. Car, selon tous les historiens, les plus objectifs naturellement, jusqu’à cette date, il existait encore certains foyers de contestateurs au Président Duvalier. Il a fallu le début de l’année 61 pour que François Duvalier puisse contenir l’opposition et encore. Pas tout ce temps avec l’autre docteur qui est à la fois à la Primature et au Palais national à Port-au-Prince.
D’emblée, le neurochirurgien a employé une méthode qui a fait ses preuves, celle d’attirer dans ses escarcelles politiques tous les récalcitrants et téméraires d’hier et même d’avant hier. Cela a été si facile, si expéditif qu’il devient même déroutant pour certains observateurs de la politique haïtienne qu’ils soient étrangers ou locaux. Ce que les Duvalier, Aristide, Martelly et Moïse n’ont pas pu faire durant des années, pourtant ils avaient tous obtenu un mandat constitutionnel et populaire ayant été élus au suffrage universel direct, Ariel Henry qui est arrivé au timon des affaires publiques par un Tweet publié d’un Consortium de diplomates étrangers en date du 17 juillet 2021 l’a fait en moins d’une année. Il arrive à intégrer les oppositions les plus radicales dans son régime jusqu’à les faire devenir les plus fidèles de ses défenseurs. C’est un exploit politique là encore qu’il faut saluer en dépit de tout.
Cette histoire est tellement invraisemblable que certains préfèrent s’interroger sur cette alliance entre l’eau et le feu qui, logiquement, est impossible encore plus politiquement dans le cas haïtien. La plupart des gens se demandent, avec raison d’ailleurs, si avant des gens comme Me André Michel, l’exemple type de cette fusion entre le bien et le mal, n’étaient pas des agents doubles, travaillant dans l’ombre comme opposants en sapant la base de tous les pouvoirs d’hier, – d’Aristide à Moïse – afin de faciliter l’arrivée ou l’accession de quelqu’un pouvant conduire ce type de pouvoir, c’est-à-dire capable de mettre à bas la République et ses institutions. Sinon, comment l’expliquer ? En vérité, personne, apparemment, n’a la réponse. Seuls le Coordonnateur général du SDP (Secteur Démocratique et Populaire), Me André Michel et ses amis ont la réponse et dans une moindre mesure pourraient l’expliquer. Passer son existence à combattre un régime avant de l’abattre pour après faire corps avec celui qui a été nommé par son chef en devenant son plus grand soutien, le pays a du mal à comprendre et ne comprendrait sans doute jamais, même après moult explications.
Pourtant, c’est l’exploit qu’a accompli une bonne partie de l’ex-opposition au Président Jovenel Moïse qui codirige, aujourd’hui, le pays avec le Premier ministre Ariel Henry. Celui-ci, à travers deux Accords politiques, celui de 11 septembre 2021 et le plus récent 21 décembre 2022, tous les deux publiés au Journal officiel Le Moniteur, et un organisme politique créé à cet effet, le Haut Conseil de la Transition (HCT), fomenté avec les ex-opposants, ont conçu un espace politique qui lui donne une formidable assise politique lui permettant de contrôler tous les rouages politiques et administratifs du pays. Les signataires d’autres Accord, entre autres, ceux de Montana dit du 30 août 2021, se trouvent dans l’incapacité de contrecarrer les plans de Ariel Henry qui, dans la foulée, détient les pleins pouvoirs en cumulant à la fois le rôle du chef du Pouvoir exécutif (Premier ministre, chef de l’Etat, chef de la Transition) et chef des autres Pouvoirs : législatif et judiciaire dans la mesure où le premier n’existe plus n’ayant aucun élu pour le représenter et le second, comme on l’a dit plus haut, ne fait que subir en exécutant les ordres de cette autorité unique et inique de la République. C’est inédit dans toute l’histoire tumultueuse d’Haïti.
Or, quand bien même le Premier ministre s’est retrouvé, peut-être malgré lui, à la tête de ce qui ressemble à une entreprise privée, ayant seulement des Conseillers pour le seconder, deux ans après, le moins que l’on puisse dire, le bilan est plus que maigre, désastreux, sinon pas de bilan tout court. Sans aucune mauvaise foi, il nous est impossible de citer la moindre avancée dans aucun domaine qui aurait dû être la priorité pour le chef de la Transition : la sécurité, la libre circulation des Hommes et des biens sur l’ensemble du territoire, la mise en place de structures pour un retour à l’ordre démocratique, etc. Il se trouve que deux ans après le début de cette nouvelle Transition, et avec Ariel Henry à sa tête, l’Etat haïtien a perdu toute capacité de s’autogérer et les autorités de facto ne se gênent point de faire appel à la Communauté internationale afin d’envoyer une force militaire robuste pour reprendre en main la situation du pays tant, selon elles, les gangs armés terrorisent la population et entravent la circulation sur la majeur partie du territoire.
Des départements du pays sont quasi-coupés du reste de la République. La capitale, Port-au-Prince, devenue une sorte de coupe gorge et livrée aux bandits, n’attend plus que sa capitulation devant des groupes armés réduisant en portion congrue la moindre parcelle où l’on pouvait encore circuler. Quant aux forces de police et de l’Armée, elles patinent ou se rongent le foin dans leur coin attendant que le secours vienne de l’extérieur tant elles sont submergées et envahies par les gangs, beaucoup plus équipés qu’elles. Les autorités policières se contentent d’appeler la population à la vigilance, la prudence et la coopération. Pire, devant le silence des autorités politiques de la Transition : le ministre de l’Intérieur, la ministre de la Justice et le Premier ministre lui-même, tout le monde a compris l’impuissance et l’incompétence des dirigeants et principalement d’Ariel Henry.
Pour s’occuper, il s’autorise de voyager à travers le monde dans des Forums et Sommets où Haïti est mise en scène comme pour démontrer l’incapacité des Haïtiens à diriger leur pays. Deux ans après l’assassinat d’un Président élu à moins de six mois de la fin de son mandat, le constat d’échec est on ne peut plus parlant. Même les plus farouches opposants à Jovenel Moïse reconnaissent sans détour que la Transition a failli et donc échoué à mettre en place les institutions afin de relancer le pays sur la voie de la stabilité politique, de démocratie et de développement économique, etc. Lorsqu’on entend, un Pierre Espérance, Directeur Exécutif du RNDDH (Réseau National de Défense des Droits Humains) qu’on ne peut soupçonner d’avoir de la sympathie pour Jovenel Moïse, déclarer : « Il y a une absence totale d’État de droit et de gouvernance. Le pays a reculé sur le plan de la sécurité.
Il y a plus de personnes tuées dans des massacres pendant les deux ans d’Ariel Henry que pendant les quatre ans et demi de Jovenel Moïse au Palais national », des propos rapportés par le quotidien Le Nouvelliste en date du 19 juillet 2023, il y a de quoi s’interroger sur la gravité de la situation sociopolitique durant cette autre Transition qui fait craindre le pire pour la République, pour la Nation. Rien que pour cette année 2023, selon le dernier décompte du Haut-Commissariat aux droits de l’homme des Nations-Unies à Genève, « Entre le 1er janvier et le 15 août de cette année, au moins 2.439 personnes ont été tuées et 902 autres blessées en Haïti», a déclaré Ravina Shamdasani, la Porte-parole de cet organisme de l’ONU à Genève lors d’un point de presse à la mi-août. Ceci pour dire que depuis, on est déjà très loin du constat de Pierre Espérance. La question maintenant est de savoir quoi faire et comment sortir de cette situation, de ce « piège à cons » ?
Surtout, comment réguler le pouvoir avec un Ariel Henry chef d’un régime sans légitimité et qui n’a ni obligation devant la Nation, ni délai pour rendre des comptes, ni un mandat pour quitter le pouvoir, ni aucune date pour passer le pouvoir à qui que ce soit ? Pire, il n’est responsable devant personne ni devant aucune institution. Le chef de la Transition n’a aucun agenda ni calendrier à moyen, court et long terme sur un processus quelconque de sortie de crise, voire de transmettre le pouvoir à une autre équipe élue ou non. Deux ans après, Ariel Henry, calme et serein, demeure confiant ; il pourra continuer à jouir d’une position inédite qui le place au-dessus de tous.
Personne ne connaît son intention, ce qu’il fait ni ce qu’il compte faire. Tout simplement, il est là comme un « Roi fainéant » attendant qu’on vienne le « déchouquer » si l’on peut et surtout si l’on veut – vouloir c’est pouvoir -. Car, l’homme ne compte sur personne. SI! Sur la Communauté internationale, celle-là même de qui il tient ce pouvoir à vie et sans contre-pouvoir. Le bilan, qu’il soit de deux, trois ou cinq ans, docteur Ariel Henry n’en n’a cure, l’essentiel il a la confiance de ses tuteurs étrangers et de ses suppôts locaux comme Me André Michel et compagnie jusqu’à ce qu’il termine la mission pour laquelle il a signé : celle de déclarer l’Entreprise Haïti en faillite et que ses cousins kenyans débarquent en tête de pont pour les américains. Quel destin ! (Fin)
C.C