Un fait paradoxal

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L’épicentre de ce paradoxe est l’incident grave qui vient de se produire à  la Faculté d’Ethnologie le lundi 12 juin dernier au cours duquel un doyen de Faculté a laissé un pneu de sa voiture rouler sur la jambe d’un étudiant protestataire, couché sur le sol d’un parking.  L’épisode a fait couler beaucoup d’encre, alimentant une interminable et stérile polémique, jusqu’à devenir une querelle de clans. Dans la longue histoire de notre pays tout entier, c’est la première fois qu’on a assisté à un tel dérapage. Cependant, si l’on prend en compte la note de l’Organisation Ayiti Djanm, le doyen de la Faculté d’Ethnologie Jean Yves Blot serait un militant politique. Alors là, on est tombé des nues. Pour mieux comprendre cette mésaventure, ne vaudrait-il pas   faire la genèse de cette situation qui a déclenché la guerre au sein de certaines organisations étudiantes et populaires ?

Il n’y a vraiment aucune crise au sein de l’Université d’Etat d’Haïti, voire à la Faculté d’Ethnologie.  La réalité est que toutes les institutions haïtiennes existent dans le cadre d’un État démantelé, d’une société haïtienne déstabilisée, désarticulée, désorientée par rapport à l’application d’un système socio-politico-économique allumant des feux par ci, par là, avec dégradation totale du  climat et davantage de flammes dans tout le pays. Sauf que ces dérives ignées et ces étranges incidents ne datent pas d’aujourd’hui. On a affaire à une crise structurelle programmée par le plan néolibéral.

Un pneu de la voiture du doyen Blot a roulé par dessus la jambe d’un étudiant allongé sur le sol en signe de forcer ce doyen au dialogue, c’est un acte on ne peut plus odieux. Mais il est de la même lignée que d’autres actes brutaux contre lesquels  le peuple haïtien mène une lutte constante, à l’instar de la lutte des ouvriers de la sous-traitance, des travailleurs de la santé, de l’Office d’Assurance véhicules contre tiers (OAVCT), des syndicats des professeurs ainsi que du transport créant par là un état de crise permanente qui ne fait qu’exposer le peuple à des lendemains difficiles et incertains.

C’est une lutte globale et transversale. Les revendications d’un secteur en particulier, même quand elles auraient été satisfaites ne sauraient résoudre  en aucune circonstance celles de tous les autres, socle des aberrations structurelles qui doivent être corrigées. Malgré cet imbroglio, les étudiants, les professeurs et directeurs d’Université, au lieu de chercher les sources qui font exploser la société haïtienne, préfèrent se laisser emporter par des menaces, du chantage, la trahison des uns, la supercherie des autres sans en prendre conscience et le temps de questionner ensembles le système en marche, source de l’exploitation et de l’insécurité économique et sociale auxquelles le pays est soumis. Au lieu de mettre en cause le pouvoir en place qui continue à appliquer le plan néolibéral qui nous détruit silencieusement, les acteurs se déchirent  entre eux. En d’autres termes, l’adversaire n’est plus le système lui-même qui continue calmement sa course sans aucune inquiétude avec cette nouvelle administration corrompue et vassale de Moise/Lafontant, mais bien nous-mêmes dont nos propres forces agissent en fossoyeurs de la patrie.

Les revendications d’un secteur en particulier, même quand elles auraient été satisfaites ne sauraient résoudre en aucune circonstance celles de Tous les autres,socle des aberrations structurelles qui doivent être corrigées.

Cet épisode de violence qui a traumatisé un étudiant au sens le plus littéral du terme, a, en effet, des causes profondes, fondamentales. En vérité, quand on n’a pas d’objectif clair, pas de but visé et qu’on ne fait que vaciller dans la lutte, il est normal qu’on perde la tête  jusqu’à commettre des bêtises incroyables qui ne font que  le jeu sinistre et cynique de l’ennemi. Voilà d’un côté, un doyen  d’Université, Jean Yves Blot, se laissant aller à une barbarie sans nom au détriment physique d’un étudiant. Voilà d’un autre côté un fait tout à fait insolite et violent, celui d’une gifle administrée, en 2011,  au même doyen, par un de ces étudiants. Ces deux épisodes  illustrent clairement que la prise de conscience de classe n’est pas pour demain. Ainsi, l’impérialisme et les classes dominantes n’ont plus besoin de la force d’occupation de la Minustah, de la police et des forces armées pour nous combattre quand  nous nous entre-déchirons. Avec de tels « combattants » politiques on n’a pas besoin d’autres ennemis.

C’est un déficit idéologique, un sous-développement politique qui les aveugle et les empêche même de faire la distinction de classe. Même quand ils sont pris dans un même pétrin jusqu’à être des partenaires qui naviguent dans un même navire en péril, au lieu de gérer leurs conditions communes, ils se transforment plutôt en adversaires résolus, suivant les mêmes stratégies qui dans les années 2001-2004 avaient porté certains étudiants et certains professeurs à s’allier à l’impérialisme international, à la bourgeoisie patripoche pour déstabiliser le pays.

Inconsciemment, c’est une autre forme d’alliance à Apaid, Baker, Sassine et autres qui se constate, quand on voit ces derniers continuer de plus belle à exploiter, humilier la classe ouvrière pendant que les fils et filles de ces mêmes ouvriers s’entredéchirent. Ils ne font que cautionner les conditions lamentables des masses populaires pour satisfaire les vautours de la classe dominante qui continuent d’accaparer et de partager nos ressources.

Il est évident que les organisations populaires qui se positionnent soit en faveur du doyen de la Faculté Jean Yves Blot, soit en faveur de l’étudiant Jean John Rock Gourgueder, sont tout à fait désorientées par rapport à la vraie cause du grave incident. Elles expriment leur peine relative au conjoncturel, soit le grave incident causé par Blot, mais n’appréhendent pas vraiment le structurel, ne semblent pas en être conscients, à savoir cette grave crise sociétale qui rend le pays méconnaissable.

Le paradoxe c’est que  cette Université est une sorte de fourre-tout qui ne fait pas de la lutte des classes le moteur du changement ; mais la réduit à une guerre de bourreaux, de règlements de compte en bonne et due forme. Blot aurait dû être un vrai leader, un rassembleur d’étudiants autour de lui à toutes fins de changement politico-sociétal. Hélas ! Ce n’est pas le cas.

Lutter, ce n’est pas faire du sentimentalisme, mais bien se définir par rapport à un engagement politique conscient et conséquent puisque nous devons construire l’unité nationale contre les vrais ennemis, les vrais coupables de la déchéance nationale.

 

 

 

 

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