Le lundi 14 février 2022, jour de la Saint Valentin a été, en Haïti, le jour de la rupture entre les signataires des Accords du 30 août et ceux du 11 septembre. C’est un épiphénomène dans cette Transition à rebondissement mais qui peut avoir de grandes conséquences pour l’avancement des négociations entre les deux protagonistes. Comme disait l’autre, c’est quoi l’embrouille ? Une semaine auparavant, c’était déjà dans la suspicion que les membres de l’Accord du 11 septembre dit de la Primature et leurs homologues du 30 août avaient établi les premiers contacts directs. Nous sommes le 2 février 2022, les signataires de l’Accord de Montana qui venaient de désigner leurs représentants pour la Transition de rupture, – un Président et un Premier ministre – s’adressaient par courrier au Premier ministre a.i lui proposant d’entamer le dialogue sur la Transition de rupture. Sans tarder, mais sans y croire vraiment, le chef de la Primature avait accepté l’idée d’une rencontre au sommet.
Quelques jours après, soit le vendredi 11, les deux groupes se sont rencontrés à la Résidence du Premier ministre à Musseau. Après un débat houleux et fastidieux, si l’on se fie aux propos même des deux protagonistes, les choses ne s’étaient pas très bien passées. Puisque Ariel Henry lui-même, lors d’une Conférence de presse à l’issue de la rencontre, a parlé d’une « Rencontre qui a été assez longue » et quelques heures plus tard, sur son compte Twitter d’évoquer « Une rencontre qui a été laborieuse ». En fait, ce sont les déclarations de ses interlocuteurs qui intéressaient vraiment le grand public. Il se trouve que ceux qui avaient sollicité cette première rencontre ne l’ont pas fait comme il est de coutume après chaque rencontre. Alors même qu’une Conférence de presse avait été annoncée à l’issu de la rencontre ce même vendredi 11 février.
C’était déjà le signe indiquant que l’affaire était fort mal engagée entre les deux parties. Le quatuor qui représentait l’Accord du 30 août : Leslie Voltaire, Ernst Mathurin, Magali Comeau Denis et Jacques Ted Saint-Dic du Bureau de Suivi de l’Accord (BSA), n’avait donné aucune explication du report de la Conférence de presse. C’est dans la soirée qu’une note de la BSA (Bureau de Suivi de l’Accord) est venue indiquer ceci « Pour des raisons indépendantes de notre volonté, la Conférence de presse qui était prévue pour aujourd’hui après la rencontre avec le Premier Ministre en place est reportée à demain samedi 12 février à 10:00 AM à la même adresse, soit au 9 rue rivière, RNDDH ». On avait compris que la rencontre avec Ariel Henry s’était tout simplement mal terminée ou mal passée. Surtout qu’entre-temps, il y eut une somme de révélations venues de la presse américaine – The New-York Times et CNN – relative à l’assassinat du Président Jovenel Moïse. Ces révélations soulignent une possible implication du Premier ministre dans ce meurtre par l’intermédiaire de son ami Joseph Felix Badio, toujours en cavale et présenté comme l’un des cerveaux présumés de cet acte odieux.
Samedi 12 février, comme annoncé, les médias étaient sur pied de guerre dans les locaux du RNDDH pour entendre la version des interlocuteurs d’Ariel Henry. Cette fois-ci, les délégués du BSA auprès du Premier ministre étaient bien présents, à l’exception de Leslie Voltaire, représentant du parti Fanmi Lavalas au sein du groupe de Montana. Magali Comeau Denis, Jacques Ted Saint-Dic et Ernst Mathurin ont livré tour à tour leur sentiment sur la rencontre et ajusté la démarche de leur groupe vis-à-vis du locataire de la Villa d’Accueil tout en mettant le curseur très haut avant une nouvelle rentrée prévue pour le lundi 14 février 2022. « Hier, il y a eu un temps de déblayage sur la position des uns et des autres. Certaines choses qui ont été dites ont été clarifiées. Ensuite, nous nous sommes mis d’accord sur le principe de la négociation. Pour nous, il s’agit d’un moment extrêmement important. Maintenant, nous aurons à définir les critères et le contenu de la négociation, l’agenda, le temps qui sera consacré et les conditions.
Si on parvient à une entente sur le protocole, les négociations vont commencer. Au niveau de l’Accord de Montana, nous sommes prêts pour négocier. Notre Accord a été obtenu sur la base d’une négociation. Il y a des suspicions sur l’implication présumée d’Ariel Henry dans la mort de Jovenel Moïse qui doivent être clarifiées. De plus, il faut aborder les revendications des ouvriers et la répression des agents de la PNH lors de leur manifestation ». Après une longue précision et en prenant le soin de poser des conditions quasi-impossibles à Ariel Henry, tout le monde ou presque avait compris que les signataires de Montana cherchaient un moyen de sortir de cette chausse-trappe dans laquelle ils étaient entrés eux-mêmes. En effet, ne pouvant décliner sans motif valable le rendez-vous du 14 février fixé lors de la première rencontre, les délégués du groupe de Montana ont pris la route à reculons pour se rendre à Musseau, chez le Premier ministre, pour cette rencontre non désirée. Prévue pour 16 heures, on ne sait pas pourquoi, quelqu’un à la Primature n’avait pas mis la puce à l’oreille d’Ariel Henry pour qu’il soit là à l’heure. Ainsi, à 16 heures 22, ne voyant pas l’hôte des lieux, les émissaires de Montana ont lâché l’affaire et sont rentrés à leur base.
Ensuite, il s’ensuit une succession de Tweets. Une sorte de guerre de Tweets entre les deux camps qui se renvoient la balle, ce qui en dit long sur la volonté des acteurs politiques haïtiens de cesser de jouer avec le destin d’un peuple à bout d’une Transition politique et d’une crise sociopolitique qui le réduit à l’état d’assisté. Ce sont les membres du Bureau de Suivi de l’Accord de Montana, les premiers, qui ont ouvert les hostilités par un premier Tweet à 17h 25 précises pour mettre en cause le non-respect par le Premier ministre et de l’Accord du 11 septembre de l’horaire prévu. Ils ont Twitté « Le 11 février, nous avons attendu pendant 40 minutes le Dr Henry et ses alliés dans une salle sans un mot d’excuses. En dépit de tout, nous avons discuté et nous nous sommes entendus sur l’agenda des discussions. Aujourd’hui, nous avons attendu 25 minutes. Personne n’est venu nous parler. Cela montre qu’ils n’accordent aucune importance au dialogue attendu par tout le pays. Nous sommes partis ». En réalité, les signataires de l’Accord du 30 août attendaient qu’une occasion se présente pour quitter à toute allure la table avant même que les discussions ne commencent vraiment.
Prétextant un retard de quelques minutes pour le début d’une rencontre politique, surtout en Haïti, c’est vraiment prendre tous les haïtiens pour des enfants. Bien sûr le patron de la Primature a eu tort de ne pas être présent à l’heure H compte tenu des enjeux du moment. Surtout, il avait déjà fait poiroter ses invités dans les salons de la Primature la première fois. C’est même une question de respect vis-à-vis de ses interlocuteurs. Ceci dit, les signataires du Montana auraient dû rester quelques minutes de plus s’ils voulaient sincèrement mettre en place, comme ils disent : les modalités, la méthodologie, le protocole et le délai pour les négociations. A en croire les partisans du Premier ministre, entre autres, Edmonde Supplice Beauzile, qui a en quelque sorte joué le rôle de soldat de la première ligne du régiment, cette affaire de « l’heure » est un alibi donné par Montana pour claquer la porte.
Elle aussi a Twitté pour donner la version de la Primature et de ses amis de l’Accord du 11 septembre sur ce qui s’est réellement passé « J’étais venue participer à la rencontre entre des signataires de l’Accord du 11 septembre et ceux qui expriment leur position à travers le document de Montana. Nous étions présents, attendant qu’ils soient là au complet. A 4h15, ils n’étaient que 2. Ils ont quitté à 4h22. Voilà ! On ne va pas faire une guerre sur l’heure. 80% des signataires de l’accord du 11 septembre étaient présents avant 4h. Nous étions en train d’attendre les signataires de Montana. A 4h10, j’ai vu Magali Comeau Denis et Ted Saint-Dic dans la salle. Je les ai salués. A 4h15, quelqu’un de la Primature nous a signalé la présence d’un troisième membre de l’accord de Montana. Ils attendaient l’arrivée d’un quatrième membre. Nous aussi. Ensuite, on est venu nous dire qu’ils étaient partis. Jusqu’à maintenant, nous avons l’impression qu’il s’agit d’un malentendu. C’est pour cela que nous sommes encore ici, en train de les attendre » avaient rétorqué les partisans du Premier ministre.
Comme nous le signalons plus haut, cette histoire de retard qui aurait motivé le camp en face pour faire faux bond à Ariel Henry ne tient pas et ne convainc personne connaissant l’ambiance politique en Haïti. D’ailleurs, sans tarder, dans la soirée même de ce 14 février, le Bureau de Suivi de l’Accord (BSA) avait fait parvenir un nouveau courrier au chef actuel de la Transition en lui imposant une panoplie de conditions à remplir avant toute reprise des pourparlers sur la Transition. Parmi ces conditions, ils réclament, entre autres, un lieu neutre, plus question de venir s’asseoir ni à la Primature ni à la Villa d’Accueil, les fiefs d’Ariel Henry. Ils veulent « Que le siège des rencontres soit déplacé vers un lieu neutre, un hôtel dont les coûts seront pris en charge à égalité par les deux parties ».
Ou encore « Que le chef du gouvernement en place déclare publiquement surseoir, le temps des discussions pour la recherche d’un consensus, à la nomination illégale des juges de la Cour de cassation, à la mise en place de son Conseil Electoral Provisoire, de son Assemblée constituante et de son Autorité de contrôle, autant de décisions qui ne peuvent être légitimées que par un large consensus ». En clair, les signataires de l’Accord du 30 août suspendent pratiquement toute relation avec le Premier ministre sauf si celui-ci obéit ou accepte sans conditions les demandes du BSA, ce qui serait déjà une première victoire pour Montana et signerait aussi le premier échec des caciques des partis politiques qui conseillent et entourent Ariel Henry depuis la prise du pouvoir. Ce courrier pourrait aussi sceller la rupture entre les deux Accords : Montana/PEN et Museau. Puisque, jusqu’à aujourd’hui, le Premier ministre a.i, Ariel Henry, et ses alliés n’ont donné aucune suite aux demandes des membres du Bureau de Suivi de l’Accord du 30 août.
C.C