Camilo Torres Restrepo, prêtre et guérillero 3 février 1929 – 15 février1966

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Camilo Torres au milieu de paysans colombiens (vers 1968)

Parmi les hommes et les femmes qui ont donné leur vie pour qu’une nouvelle société plus juste, plus humaine naisse sur les décombres d’un système capitaliste prédateur, oppresseur et assassin, il n’y a pas eu que des laïcs. Il y a eu également des religieux, des prêtres qui à un moment de leur sacerdoce en sont arrivés à se convaincre de la nécessité d’un changement social radical et même à considérer la violence légale, dans des situations de grave injustice sociale. Ce fut le cas pour le prêtre Camilo Torres Restrepo né à Bogota, en Colombie, le 3 février 1929.

Camilo Torres appartient à une famille aisée, bourgeoise, aux traditions libérales. Du premier mariage de sa mère, Isabel Restrepo Gaviria avec Carlos Westendorp, de nationalité allemande, sont nés deux enfants. Fernando et Camilo Torres sont nés d’un second mariage avec  Calixto Torres. Les premières années de Camilo sont semblables à celles d’autres jeunes de sa catégorie sociale. La famille voyage en Europe : Bruxelles, Barcelone, puis retourne en Colombie en 1934. Les parents se séparent en 1937, les enfants restent avec leur mère. Camilo fréquente le collège allemand de Bogotá pour ses primaires, et le lycée Cervantès pour ses classes secondaires. Il participe aux retraites annuelles organisées par les Jésuites. Il restera très attaché à sa mère jusque peu avant sa mort.

En 1947, il commence des études de droit à l’Université nationale. Il y reste seulement un semestre. Il devient rédacteur au journal La Razón. De façon surprenante et inattendue, il décide  d’entrer en prêtrise. Séminariste, il manifeste, pendant ses sept années de formation, une préoccupation précoce pour les questions sociales. Après avoir été ordonné prêtre en 1954, il part en Belgique afin d’entreprendre des études de sociologie et de sciences politiques à l’université catholique de Louvain.

Depuis lors se sont manifestés son esprit de sacrifice, son désir d’exercer une influence sur  l’ensemble de la société et sa volonté d’être lié aux problèmes des groupes sociaux les plus pauvres. Il s’y lie d’amitié avec François Houtart, prêtre et sociologue belge, professeur à l’Université de Louvain, militant de la cause du Tiers-Monde. Il représente les étudiants au Collège pour l’Amérique latine. En 1958, Camilo obtient sa licence de sociologie à la suite de la présentation d’un mémoire intitulé « Approche statistique aux problèmes socio-économiques de la ville de Bogota ».

Muni d’une formation académique différente de celle de la plupart des membres du clergé colombien plutôt traditionnel, ringard, accroché au parti conservateur et au statu quo, il retourne en 1956 en Colombie pour préparer sa thèse.  De ses discussions avec un ami marxiste paraît le livre Conversations avec un prêtre colombien de Rafael Maldonado Piedrahita, ouvrage affichant une pensée nettement progressiste quoique encore solidement ancrée dans la doctrine catholique.

Il voyage à nouveau en Belgique pour passer sa maîtrise. Là, il rencontre Margaret Mary Olivieri, e activiste sociale qui allait être sa plus proche collaboratrice en Colombie. Son diplôme obtenu, il retourne travailler dans son pays en 1958, après un crochet de quelques mois d’études à l’Université de Minnesota, aux «États-Unis. On le nomme aumônier de l’Université nationale à Bogotá et professeur à la Faculté de sociologie nouvellement créée.

Il compte parmi les organisateurs du premier Mouvement Universitaire de Développement communautaire (MUNIPROC). A l’université commence à s’enraciner une pensée radicale influencée par le marxisme et la révolution cubaine. Dès 1961, ses prises de défense de la cause estudiantine, son implication de plus en plus marquée dans les affaires politiques du pays, ses interventions contre les inégalités sociales lui valent des conflits avec la haute hiérarchie catholique et l’establishment politique. Ses supérieurs le destituent de ses fonctions. Il est muté dans la paroisse de Vera Cruz où il sert comme vicaire. Il y décroche un poste d’enseignant à l’École supérieure d’administration publique.

Il préside en 1963 le premier congrès national de sociologie de Bogotá au cours duquel il présente une étude ayant pour titre La violence et les changements socioculturels dans les régions rurales colombiennes. Les conflits avec les autorités ecclésiastiques et civiles engagées dans la répression de la protestation sociale et le contrôle de toutes les formes de dissidence le rapprochent des groupes radicaux de l’Université et le mènent à la conclusion que les chrétiens qui veulent le changement social doivent travailler aux côtés des socialistes et des marxistes, et même considérer que la violence est légale dans des situations de grave injustice sociale. Son expérience dans les Plaines Orientales avec les agriculteurs du conseil d’administration de l’Institut Colombien de la Réforme Agraire, entre 1962 et 1964, finit par le convaincre de la nécessité d’un changement social radical en Colombie.

En 1964, année de marasme économique, Camilo Torres participe à la mise en place d’un mouvement politique regroupant différents milieux progressistes. Le but est de déterminer « une action révolutionnaire commune par voie légale ». Il s’agit de fédérer l’opposition progressiste fragmentée dans un projet commun. Dans l’optique révolutionnaire de Camilo Torres, il est nécessaire de se débarrasser de l’impérialisme américain et de l’oligarchie qui sert ses intérêts pour transformer le pays et faire accéder les classes populaires à un minimum de bien-être. Il est nécessaire de mobiliser, d’organiser et d’associer les secteurs pauvres de la population à la lutte pour la construction d’un nouvel Etat. Par conséquent, il faut créer l’unité du mouvement révolutionnaire en rassemblant les masses opprimées du pays.                                                                                                                                         On doit être convaincu de mener la lutte jusqu’au bout avec  toutes les conséquences que cela comporte. Les chrétiens ont non seulement la possibilité de participer à la révolution, mais ils sont tenus de la faire: «Le devoir de chaque chrétien est d’être révolutionnaire, et le devoir de tout révolutionnaire est de faire la révolution». Une maxime proche de celle de Che Guevara. Un autre élément clé de la pensée de Camilo a consisté en un effort pour concilier le christianisme et le marxisme,  promouvant ainsi à ses yeux un nouveau type de société à caractère socialiste et chrétien, fondée sur la répartition équitable des richesses. Torres était d’avis que «Les marxistes luttent pour une société nouvelle, et nous les chrétiens, nous devrions être aux côtés de leurs combats».

Entre 1965 et 1966, il multiplie conférences et manifestations à travers le pays tout en appelant à une révolution pacifique. Dans une sorte de Manifeste, il définit sa pensée et son engagement politique : « Je suis révolutionnaire en tant que Colombien, en tant que sociologue, en tant que chrétien et en tant que prêtre. En tant que Colombien : parce que je ne peux pas rester étranger à la lutte de mon peuple. En tant que sociologue : parce que les connaissances scientifiques que j’ai de la réalité m’ont conduit à la conviction qu’il n’est pas possible de parvenir à des solutions techniques et efficaces sans révolution. En tant que  chrétien parce que l’amour envers le prochain est l’essence du christianisme et que ce n’est que par la révolution que l’on peut obtenir le bien-être de la majorité des gens.
En tant que prêtre : parce que la révolution exige un sacrifice complet de soi en faveur du prochain et que c’est là une exigence de charité fraternelle indispensable pour pouvoir réaliser le sacrifice de la messe, qui n’est pas une offrande individuelle mais l’offrande de tout un peuple, par l’intermédiaire du Christ. »

Le moment décisif arrive enfin pour Camilo Torres de demander à l’archevêque de Bogota   de le relever de ses fonctions de prêtre tant les conflits s’aggravent. Il n’aura aucune fonction sacerdotale. C’est fait au mois de juin 1965. Manifestement, les pouvoirs laïcs et religieux lui en veulent, s’opposant de plus en plus durement aux manifestations qu’il organise. Toute issue légale lui est fermée. Camilo Torres choisit alors la violence révolutionnaire en rejoignant l’Armée de Libération Nationale (Ejército de Liberación Nacional [ELN]). Il annonce cette décision au début de l’année 1966: «Les voies légales sont épuisées. Pour que le peuple puisse posséder éducation, toit, nourriture, vêtement et, surtout, dignité, la voie armée est l’unique voie qu’il lui reste».

La première opération militaire à laquelle participe Camilo Torres a lieu le 15 février 1966 à San Vicente de Chucurí, municipalité du nord-est de la Colombie. Des  guérilleros tendent une embuscade à des soldats de l’armée. A un moment, ceux-là pensent que ceux-ci ont tous été abattus. L’ordre est donné de récupérer les armes. Quand Camilo s’aventure pour y donner suite, un soldat qui était seulement blessé tire sur Camilo qui s’approchait de lui. Atteint de deux balles, la seconde lui est fatale. On ignore où il a été enterré et les recherches faites pour retrouver son corps n’ont jusqu’à présent pas abouti.

Selon Camilo Torres, la lutte armée n’avait jamais été une fin en soi, mais une solution de dernier recours à un moment historique précis où tous les autres moyens légaux d’établir la justice sociale ont échoué. Rassembler divers secteurs de la lutte populaire autour d’un projet commun, sans abandonner l’identité de chacun, telle était la base de l’action politique de Camilo: un processus difficile, mais pas une tâche impossible. Aujourd’hui, il est plus nécessaire que jamais.

Quand Camilo Torres est mort en 1966, la théologie de la libération, en tant que discipline, n’était pas née. Cependant, sa base était déjà établie, comme en témoigne l’engagement des chrétiens dans les luttes sociales et révolutionnaires. Camilo Torres a été l’un des précurseurs, inspiré d’abord par la doctrine sociale de l’Église dans son orientation la plus radicale: la condamnation des abus et des excès du capitalisme comme source d’injustice. La pensée politique de Camilo Torres, comme celle du Che ne mourra jamais.

Références:

¿Quién es Camilo Torres Restrepo? Batallón Camilo Torres Restrepo. Septembre 2007. Biogafía política de Camilo Torres. Edgar Camilo Rueda Navarro. 2002

Unidad que multiplica. Entrevue de Rafael Ortiz membre du Commandement central de l’Union Camiliste de l’ELN accordée à Marta Harnecker journaliste, sociologue militante de gauche chilienne. (Quito, Editorial La Quimera, 1988).

Camilo Torres Restrepo and the Peace Process in Colombia. François Houtart. Telesur. 13 février 2016.

 

 

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