Deuxième volet de l’article « Je suis Haïtien, je parle créole »

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La conjoncture actuelle dominée par l’assassinat du chef de l’état haïtien, M. Jovenel Moïse, nous a contraints à nous éloigner un peu de notre débat lancé le 2 juin 2021 concernant l’appellation créole[i] désignant la langue haïtienne (voir l’article  « Je suis Haïtien, Je parle créole, vol 14 #48. Du 2 au 8 juin », Haïti Liberté). Reprenons-le aujourd’hui.

Dans le premier volet, nous sommes parvenus à la conclusion que nous sommes Haïtiens ou Créoles et nous nous reconnaissons dans le panafricanisme seul concept qui nous  a authentifiés. Notre objectif a été de soutenir  la thèse ci-après : si en 1804, par un tournant historique, nous sommes devenus de fiers Haïtiens cela ne nous rend pas pour autant moins Créoles. L’initiative imposée par l’Empereur Dessalines de rejeter, au jour de l’Indépendance le nom de Saint-Domingue en reprenant celui d’Haïti est en fait un acte irrévocable marquant l’histoire de la Résistance anticolonialiste. Par cet acte nous sommes devenus un peuple résilient demeurant fidèle au combat mené en collaboration avec d’autres communautés identifiables par le terme « les damnés de la terre » selon Frantz Fanon. Se dire donc Haïtiens, Créoles ou Panafricanistes et reconnaître que le créole est notre langue maternelle sont, en quelque sorte des petites victoires acquises sur l’esclavagisme et sa nouvelle forme, le néolibéralisme. En fait se revendiquer à juste titre de ces modalités, est une manière de répondre à l’appel lancé par Dessalines qui eut à dire : nous avons osé être libres, soyons-le.

Le propos de ce deuxième volet est de mettre en exergue certaines nuances cachées du terme créole pris comme appellation de la langue native des Haïtiens. Nous avions déjà abordé dans le premier volet le devoir de se dire Créole et être Haïtien, Panafricaniste avec pour langue maternelle « un » créole, puis ce que l’on perd en refusant la dénomination de Créole. Nous insistons sur l’importance de l’article défini « un » précédant le substantif créole.  Ces concepts constituent notre conscience en soi, qui sommes-nous en tant que peuple. L’interrogation telle qu’elle est formulée sous-entend ceci : une nation dont l’intelligentsia n’est pas claire sur son identité devient une nation fragilisée. Comme Marley l’a bien interprété dans une de ces chansons: « if you know your history then you will know where you come from ». Nous, peuples des Antilles, devions, dans le suivi de notre lutte anticolonialiste, adopter une désignation commune. Le changement socio-économique dont nous rêvions pour les cinquante-quatre états d’Afrique et pour tout le peuple antillais souffrant sous l’emprise du néolibéralisme aura besoin d’une idéologie. Dans ce monde qui se créolise serait-ce le panafricanisme? Cette rencontre entre peuple est l’impératif de l’heure. C’est elle la créolisation. Ce concept est le seul nous permettant de composer avec nos frères et sœurs d’Afrique. Souhaitons-le de tout cœur.

Soulignons qu’être Antillais, de surcroît francophones Antillais, nous ne pouvons ignorer les discussions animées dont fait l’objet le terme créole en tant que langue ou Créole en tant que peuple. D’ailleurs les réseaux sociaux n’ont de cesse de relayer ce genre de débat. Mal défini, le terme créole devient la source de différentes interprétations foncièrement erronées d’autant plus remarqué chez les défenseurs les plus acharnés de la langue créole. Mais vain est leur débat, car les peuples du continent américain d’origine africaine sont, pour la plupart, des Créoles et certains parlent un créole très rapproché du nôtre (le créole haïtien) : citons les Martiniquais(es), les Guadeloupéens (nes), les Guyanais (es) et les Louisianais (es) des USA…. Ces erreurs ou ces fausses interprétations deviennent courantes non seulement chez les Haïtiens, mais aussi chez nos confrères et consœurs des autres Antilles. Pour certains Martiniquais ou Guadeloupéens, il faudrait bannir le mot créole de notre patrimoine. D’après eux l’afro descendant qui s’approprie d’un tel qualificatif est un assimilé. Il est vraiment navrant que certains membres de l’intelligentsia caribéenne ne parviennent à trouver un commun accord sur ce qu’est le concept créole. Certains manifestent leur agacement » / en voyant d’anciens colonisés se réclamer d’être Créoles (visionne le clip :https://fb.watch/6oko8gCIBT/).

Tout d’abord nous tenterons d’éclaircir les points sombres qui s’articulent autour du terme créole en livrant la définition que donne le linguiste à ce mot. Ce travail, une fois achevé, nous permettra de bien élucider, d’une part les appréhensions à ce propos et d’autre part la rhétorique qu’utilisent ces critiques pour soutenir leur thèse.

Que craignent les Haïtiens en prétendant parler Haïtien tout en refusant totalement l’appellation créole désignant leur langue maternelle ainsi que certains Antillais manifestant leur appréhension du terme créole ?  D’abord, il faut dire que trop souvent, ils ne sont pas en adéquation avec la définition que donnent les linguistes du terme créole. Ils confondent patois et créole, pidgin et créole, sabir et créole. Ils n’établissent  aucune différence entre ces termes.

Trouvons la définition que nous offrent les dictionnaires et les experts en langues : dans Le petit Robert nous lisons qu’un/une Créole est une personne de race blanche née dans les colonies intertropicales (Antilles). Selon les experts en linguistique un créole est considéré comme étant un mixte provenant du contact du français de l’espagnol, du portugais, de l’anglais, du néerlandais avec des langues indigènes ou importées (Antilles). Toujours dans Le Petit Robert, ce « mixte » après plusieurs générations, devenu une langue maternelle d’une communauté, s’oppose au pidgin ou sabir. Nous soulignons le mixte, pidgin et sabir comme des mots clés. Ils nous permettent de définir le concept de la créolisation qui scientifiquement n’a rien de péjoratif quand on considère l’usage, qu’a fait Glissant de ce terme. La Créolisation est un  élément  composite.  En tant que tel, elle est également un phénomène linguistique où la mutation des langages de nécessité se transforme en langues ou créoles.

La définition que donne Le Larousse ne s’éloigne pas de celle du Petit Robert. Nous paraphrasons ce qu’il rapporte : Créole : nom ou adjectif (en espagnol criollo) se dit d’une personne d’ascendance européenne née dans une des anciennes colonies européennes de plantation (Antilles Guyane, la Réunion etc.).Puis, il explique que toute personne native de ces régions quelle que soit son ascendance, est considérée Créole. Le créole en tant que langue est un nom masculin, c’est le parler né à l’occasion de la traite des esclaves noirs ( XVIe –XIX s.) devenu la langue maternelle des descendants de ces esclaves. La rencontre des peuples crée donc l’existence des créoles à base de français, d’anglais, et de portugais.

Que disent les linguistes sur la question de la langue ou du créole ? Ducrot cité par Robert Chaudenson dans son Livre Creolization of Language and Culture (2001) propose quelques définitions méritant un peu d’attention. Pour ces linguistes ( voir Le Dictionnaire encyclopédique des Sciences du langage (1972) , le sabir provient d’un rapport régulier entre communautés de langues différentes qui souvent amène à un langage mixte rendant ainsi possible la communication directe sans recours à la traduction. Le résultat de ce langage émergent est un Sabir. Le sabir, continue Ducrot, s’avère limité dans sa fonction, mais il permet quand même le commerce. Au cours des temps, quand une grammaire cohérente émerge,  le sabir devient un pidgin. Ce pidgin, des générations plus tard, peut parvenir à répondre à toutes les exigences qu’ une communication peut utiliser. Cette mutation entraîne le créole, permettant de tirer la conclusion suivante : le français est donc un créole du latin et le créole haïtien est un créole du français. Les deux langues ont la même valeur. Dire aussi que « ma langue n’est pas un créole », c’est dire que ma langue n’est pas une langue. L’article indéfini « un » susmentionné précédant le mot créole établit véritablement l’existence d’autres créoles.

L’antithèse serait de dire, tout de même,  que tous ces termes –sabir, pidgin ou créole- peuvent  bien avoir des connotations péjoratives. Difficile de nier une telle évidence, ils réactualisent la mémoire de l’esclavagisme (Terme emprunté à Parisot). Toutefois, il  importe de rappeler qu’il existe l’approche dite scientifique, celle que devrait adopter l’élite intellectuelle afin de ne pas induire en erreur la population avec de fausses interprétations  de l’ordre de l’émotionnel  ou sans fondement réel. Dire de quelqu’un, se réclamant  de sa créolité, qu’il est un assimilé faisant l’éloge d’un sombre passé peu glorieux, est un affront sérieux. Il est d’autant plus grave, quand on considère que la rhétorique de telles accusations est simplement due au manque d’information. Serait-ce, une nouvelle crise identitaire ? Price Mars, n’a-t-il pas répondu de façon exhaustive au rôle que devrait jouer nos élites dans le devenir du pays ?

On ne devrait pas avoir peur de la créolisation, cette pensée s’inscrit dans l’idéologie d’une solidarité avec les peuples des Antilles dans la volonté de s’allier au continent mère: l’Afrique.

Devrions-nous éprouver de l’embarras en nous disant Créole de peur d’être vu comme un assimilé ? Le terme n’est-il pas seulement une identité régionale symbolisant un passé historique où « la négritude s’est mise debout ». Pour ce qui relève de la honte à se dire Créole, car elle connote une certaine soumission, rappelons la colère de Césaire prônant sa négritude. Loin de s’enfermer dans le misérabilisme du fait d’être Nègre il assume sa position : « Le Nègre t’emmerde ». Il endosse ainsi la pensée de « la négritude » empruntée à Price Mars en  l’adoptant comme son cheval de combat….

[i] Nous écrivons créole avec un ‘c’ minuscule pour designer la langue et on met un “C” majuscule pour les personnes.

 

 

 

 

 

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