Il était une fois un certain colonel Jean Claude Paul, puissant militaire à la tête du corps le plus important des forces armées d’Haïti, le bataillon des Casernes Dessalines. Paul est l’homme fort au sein des hommes en kaki, au point où rien ne peut se décider sans son assentiment. Il a surtout la réputation de contrôler le trafic de la drogue en Haïti. Entre les lignes, il faut lire qu’il doit y avoir assurément des connections en Colombie avec un certain Pablo Escobar, le grand caïd de la drogue, celui qui veille à s’assurer le transit par Haïti de la cocaïne en direction de l’Amérique du Nord et de l’Europe. Ne voilà-t-il pas que le 10 mars 1988 un juge fédéral de Miami, en Floride, prononce l’inculpation de notre colonel pour trafic présumé de cocaïne. Ah !
Il était aussi une fois une femme du nom de Mireille Délinois, amie intime, intimissime de Paul. Femme de tête et d’action, de ‘stupéfiante’ action même, la Mireille fut cueillie par la police américaine anti-drogue (DEA) pendant un séjour à Miami, peu de temps après l’inculpation du colonel Paul par la justice fédérale américaine, sans doute à cause des amours illicites de madame pour…les stupéfiants. Peu après, elle fut remise en liberté sous caution, avec interdiction de départ. Mais alors, à la stupéfaction de plus d’un, elle put regagner Haïti. Stupéfia-t-elle la police floridienne en s’échappant vers Haïti ou bien était-elle rentrée au pays chargée d’une mission spéciale ?
Coïncidemment, bizarrement, étonnament, curieusement, confondantement, brusquement, Jean Claude Paul est pris de convulsions et s’effondre soudainement, le 6 Novembre 1988, alors qu’il était à table, dans sa résidence sur les hauteurs de la capitale, mangeant sa soupe du dimanche, accompagné de son ‘intimissime’. Comme on n’a jamais vu de crise cardiaque accompagné de convulsions, tous les soupçons sont permis. En fait, à son frère Antonio Paul accouru à son chevet, le colonel lui désigne le bol de soupe, comme pour dire : il doit y avoir quelque chose de ‘‘tuatoire’’ là-dedans. Aurait-il dû dire plutôt : cherchez la femme ? Jean Claude Paul est mort pratiquement sur le coup.
On ne saura jamais comment le colonel a fait voile pour l’au-delà, puisqu’il n’y a jamais vraiment eu d’enquête sérieuse.
On ne saura jamais comment le colonel a fait voile pour l’au-delà, puisqu’il n’y a jamais vraiment eu d’enquête sérieuse. Question de principe pour toutes affaires louches concernant seulement le ‘‘laboratoire’’ et ses hommes (et femme) de main. Toutefois, au niveau du commanditaire de l’empoisonnement présumé, l’affaire s’est poursuivie, puisque peu de temps après, notre Mireille fut victime d’un attentat en Haïti. Bizarre, n’est-ce pas ? Des ‘‘inconnus’’ lui logèrent, avec une précision incroyable, une balle juste dans la colonne cervicale. Elle s’en est sortie avec des dommages irréversibles de la moelle. C’est à Miami qu’elle devait rendre son dernier souffle, ‘‘dans d’atroces souffrances’’, rapporte-t-on.
Difficile de ne pas voir dans ce lugubre scénario une maffieuserie, un règlement de compte mettant en scène la drogue, l’argent, des escrocs, le pouvoir, les trois pouvoirs, l’ambition du pouvoir, l’influence d’un puissant chef militaire, la probable complicité d’une femme ‘‘stupéfiante’’, la corruption, l’indigence et l’absence de moralité d’un système pas le moindrement du monde intéressé à mener à bien une enquête, l’intervention en coulisse (présumée) du ‘‘laboratoire ’’ et de ses hommes de main, tous ces éléments baignant dans une soupe giraumonde présumée homicide. De quel ‘écart’ Paul avait-il été coupable ?
Il faut bien comprendre la mafia, les chefs maffieux. Leur préoccupation reste le business, comme le trafic d’alcool de contrebande dans le cas d’Al Capone. Selon Joël Chatreau rapporté par Stéphane Bourgoin , « S’ils tuent, c’est par vengeance. Il n’y a aucune passion. La victime est chosifiée et ne sert qu’à envoyer un message aux membres rivaux. Avec souvent, un sens de la mise en scène accru ». [1] Ainsi certains gangs de narcotrafiquants au Brésil filment les exécutions à la tronçonneuse.
Ce que l’omnipuissant narco-trafiquant mexicain Joaquin Guzman, alias ‘‘El Chapo’’ (le petit) détestait par-dessus tout, c’était la trahison ; quand des narcos originaires de l’Etat mexicain de Sinaloa, sa région natale, se mettaient au service des Zetas (les « Z » en espagnol), l’organisation « la plus à la pointe de la technologie, la plus sophistiquée, la plus puissante, la plus violente et dangereuse agissant au Mexique », selon le gouvernement des États-Unis, alors là, c’était chapeau bas devant El Chapo. Ainsi, il avait frappé deux traîtres, des heures durant… avec un fusil d’assaut. ‘‘Ils étaient complètement démantibulés, tous leurs os étaient brisés, ils ne pouvaient plus bouger mais il continuait à les frapper’’, a raconté un déserteur à la DEA. (EURO News 25/01/2019).
Pablo Escobar, le plus riche baron de la drogue que le monde ait jamais connu s’est fait aussi remarquer par ses méthodes expéditives. En 1975, il fait assassiner son compétiteur Fabio Restrepo, un trafiquant influent du cartel de Medellin. À partir de là, il est l’unique maître du jeu et va changer à jamais les règles du trafic de la drogue. Il fait assassiner tous témoins gênants et corrompt les policiers qui le dérange. Jusque là discret et insoupçonnable, il commandite en 1984 le meurtre affreux de l’incorruptible ministre de la Justice colombienne, Rodrigo Lara Bonilla.
Mais, les caïds de la drogue ne sont pas tous des hommes. Ah ! Vous n’y aviez pas pensé. Griselda Blanco, surnommée « La Madrina » ou « La marraine », est l’une des « reines » de la drogue les plus impitoyables de tous les temps. Blanco était l’une des figures clés du cartel de Medellín. L’une de ses méthodes favorites était les fusillades en moto. Miami a connu une vague de crimes liés à Blanco, dont une attaque à la mitraillette dans un centre commercial. Blanco a été l’instigatrice de 40 à 250 meurtres, dont quelques-uns tout à fait personnels. Ainsi, elle a abattu l’un de ses maris à bout portant pour une affaire de drogue. Ah ! Une vraie ‘‘femme fatale’’ ! Oui, cherchez la femme.
Dans le cadre de la soi-disant enquête en cours à propos de l’assassinat de Jovenel, selon Marco Teruggi, journaliste à Workers World, un ancien sénateur haïtien, John Joel Joseph est actuellement en fuite, tout comme d’autres énergumènes, tel Rodolphe Jaar, accusé en 2013 d’avoir fait passer de la cocaïne de la Colombie aux États-Unis via Haïti. L’enquête, toujours selon Terrugi, a également mis au premier plan des suspects Dimitri Hérard, qui était chargé de la sécurité du président. Or, Hérard s’est rendu en Équateur, en Colombie et en République dominicaine dans les mois et les jours précédant l’embarquement des Colombiens pour Haïti. Pour faire quoi ? Danser la cumbia et la merengue ? Bizarre stupéfiance !
voilà que le 5 janvier 2014, Evinx disparaît. Depuis, on ignore où se trouve le ‘récupérateur de drogue’ en haute mer.
Qui se ressemble s’assemble, dit le proverbe. Pensez-y. Kiko Saint Rémy, frère de Sophia Martelly, a admis, d’après un article du New York Times [2], qu’il était un drogue dealer dans son jeune âge ; et puis devinez : il est devenu le conseiller de Michel Martelly (sic) et le père politique de Jovenel Moïse qu’il choisit comme son dauphin. Suivez mon œil.
Pensez-y encore. Il y a aussi cet insignifiant aigrefin nommé Evinx Daniel. Le 12 septembre 2013, il est arrêté après avoir ‘‘récupéré’’ (sic) 23 kilos de marijuana au large de la côte sud d’Haïti, dans un ‘‘élan citoyen’’ (resic). Il est libéré le lendemain par… le ministre de la Justice. Pour fêter ce haut fait, dans la plus grande stupéfiance, Martelly, un habitué du Dan’s Creek Hotel, propriété de Daniel aux Cayes, s’invite au Creek le 26 septembre 2013. À en croire Me. André Michel : « le nom [d’Evinx] est mêlé à des affaires louches, notamment de trafic de stupéfiants ; il faisait partie du « Board » des dirigeants de Agritrans au même titre que Jovenel Moise. » Des révélations à vous mettre en …transe.
Mais voilà que le 5 janvier 2014, Evinx disparaît. Depuis, on ignore où se trouve le ‘récupérateur de drogue’ en haute mer. Peu importe, car même en 2021, Martelly qui n’a jamais soufflé mot de ‘‘l’évaporation’’ de son ami, sait sans doute que ‘l’enquête se poursuit’… et que Daniel, en ‘‘bon citoyen’’ qu’il est, se trouve à la recherche de drogues non pas en haute mer mais au fond des océans.
Et telefòn ne lâchez pas, mes amis. Pensez-y toujours. Le 5 janvier 2017, le sulfureux Guy Philippe, sénateur élu, est arrêté par les forces de sécurité haïtiennes alors qu’il sort d’une émission de radio, dans la banlieue de Pétion-Ville. Puis, il est remis aux responsables de l’Agence antidrogue des États-Unis (DEA), quatre jours avant son entrée en fonction officielle. Un tribunal fédéral de la Floride lui colle 9 années de réclusion pour avoir accepté des pots-de-vin de trafiquants de drogue. Pas du tout gentil, ça, cher monsieur Philippe. Dura lex, sed lex.
Il faut toujours penser aux choses même ‘stupéfiantes’. Il arrive que Jovenel Moise, Guy Philippe et Martelly ont été ‘‘élus’’sous la bannière du parti PHTK. Qui se ressemble s’assemble. « Jovenel Moise et Guy Philippe ont tous les deux fait campagne massivement et publiquement l’un pour l’autre au cours d’un processus électoral qui a duré deux ans. La campagne du président Jovenel Moise et/ou lui-même ont-ils reçu des contributions monétaires de Guy Philippe ou de ses collaborateurs, un homme dont l’argent est lié au trafic de drogue et au blanchiment ? Ce n’est pas clair, mais l’arrestation de Guy Philippe semble être directement liée à cette question. » [3]
19 sénateurs sur 24 avaient approuvé une forte résolution condamnant formellement l’arrestation et l’extradition aux États-Unis de Philippe et exigeaient son retour ; sans doute une parade ; toutefois, et comme dirait mon ami ce loustic : Jovenel pour sa part n’a arraché pas même une syllabe là-dessus jusqu’à son tragique assassinat. Était-ce une position kazwèl ? Était-ce trop se mouiller pour un délinquant aux mains de la DEA ? Y avait-il quelque honteuse, stupéfiante connivence entre les deux qui l’empêchât de parler ? Nous ne le saurons peut-être jamais.
Au mois de mars 2017, le site ZONE 509 rapportait : « Le président haïtien Jovenel Moïse, fait actuellement l’objet d’une enquête par un tribunal haïtien pour blanchiment d’argent, après que l’Unité centrale de renseignements financiers (UCREF), une institution gouvernementale, a déclaré dans un rapport avant que Moise ait été élu, qu’un compte bancaire, que Moise détenait avec sa femme entre 2007 et 2013 (sic), était liée au blanchiment d’argent (resic). » Qui blanchit l’argent sale sinon les escrocs, les voyoucrates, et ceux-là qui fricotent avec la drogue
Suivez mon regard : Colombie, Mexique, caïds; blanchiment d’argent, drogue, un passeur de cocaïne de la Colombie aux États-Unis via Haïti en fuite, un président fortement présumé de liaisons dangereuses avec des gangs et qui a donné décharge à d’anciens hauts fonctionnaires dont presque tous sont connus pour être des escrocs notoires ; un président épinglé par deux entités d’État pour malversation, blanchiment d’argent ; une madan prezidan qui fut au sein d’un manman scandale relatif au dossier de renouvellement des cartes d’identification nationale, ça donne à réfléchir : Jovenel Moïse ne côtoyait assurément pas un environnement d’angelots et de chérubins.
Cerise sur le gâteau : deux énergumènes coffrés par des agents du Federal Bureau of Investigation (FBI) et de la Drug Enforcement Administration (DEA) pour leur implication dans le trafic de drogue en Haïti font braquer les feux sur Jovenel: l’un, Joseph L. Mathieu, citoyen américain d’origine haïtienne, qui « jusqu’à son arrestation, était le chauffeur privé et homme de confiance de Jovenel Moïse » Ah ! De quoi parlaient-ils en voiture ? Des symphonies de Beethoven ? Du dernier livre de Yanick Lahens ? L’autre, Peterson Jefferson, membre du gang « 5 secondes », avait été appréhendé pour enlèvement suivi de séquestration contre rançon d’un citoyen américain. Sans doute un élève de Sonson La Familia.
Or, il était de notoriété publique que Jovenel faisait régulièrement des yeux doux aux gangs dont il se servait pour terroriser la population et empêcher les incessantes manifestations de rues des masses révoltées contre lui. Ce dont il a été souvent fait mention dans ce journal. Bref, tout un micmac, tout une rebutante salade haïtiano-colombo-américano-politico-assassino-présidentielle agrémentée d’une stupéfiante sauce ‘‘petersonienne cinq-secondes’’. Avec en plus dans le décor une femme témoin en première loge d’un crime monstrueux sur la personne de son mari, affichant pourtant une froide sérénité, suspecte, à vous couper le souffle, à vous donner froid dans le dos. Que doit savoir madame ?
De mémoire d’homme (ou de femme) il n’y a jamais eu un président ou un premier ministre en Amérique latine, en Afrique ou ailleurs à avoir connu une fin aussi macabre que Jovenel Moïse. Même Trujillo, criblé de balles lors d’un attentat (politique) monté par des opposants connus n’a pas été mutilé comme l’a été Jovenel. Thomas Sankara, traîtreusement abattu par son « frère d’armes », Compraoé, à la solde de la Françafrique n’a pas subi cette violence bestiale dont Jovenel a été victime.
Cet homme sauvagement agressé avait-il été trop loin en faisant des menaces à peine voilées aux ‘‘sept oligarques’’ présumés de déstabilisation de son pouvoir ? Fallait-il qu’il dût se targuer d’être le président qui a ruiné des oligarques du secteur de l’énergie, vampirisateurs sans conscience du Trésor public ? Était-ce une ruée démagogique, verbiagique, pour évincer des oligarques en disgrâce auprès du pouvoir pour les remplacer par d’autres qui avaient la bonne grâce du pouvoir ? Saura-t-on jamais ?
Dans cet environnement de pègre, Jovenel avait-il oublié qui l’avait fait roi ? Un des caïds faiseurs de président (ou plusieurs d’entre eux) avait-il décidé de punir le traître à la manière d’El Chapo, avec l’intention sadique d’envoyer un message clair à toute éventuelle traîtrise ? Ça en a tout l’air. Je t’ai fait roi. Voilà qu’aujourd’hui, tu veux faire ton grand nègre, tu prends de grands airs alors que tu ne peux être qu’un bouffon. Gade non, monchè !
Force est de conclure que le malheureux Jovenel a été trop imprudent et sans aucun flair de ce que peut être la brutalité dans le monde des caïds. Lui-même avait grimpé au rang des ‘‘oligarques’’ et à ce titre aurait dû exercer un peu de retenue. Jovenel baignait et se plaisait dans une ambiance d’escrocs, de sulfureux maffieux et de drogue, comme Jean Claude Paul. Qui se ressemble s’assemble.
Jovenel le chèchko banza a voulu faire son frekan avec ‘‘les oligarques’’, avec une certaine pègre. Ceux-ci, sans doute de mèche avec le ‘‘labo’’, lui ont fait savoir de quel bois (colombien) ils se chauffent. De là à dire qu’il y a eu règlement de compte entre maffieux, entre gens de même stupéfiance, il n’y a qu’un pas. Nous l’avons allègrement franchi.
Hier, que savait Mireille Délinois ? Aujourd’hui, que sait la veuve Martine ?
Notes
[1] Joël Chatreau. “El Chapo”, le narco barbare : ses méthodes abominables exposées au procès. EURO News 25/01/2019
[2] Frances Robles. Haitian Leader’s Power Grows as Scandals Swirl. NYT, March 16, 2015.
[3] ZONE509, 24 Mars, 2017