Me Monferrier Dorval, la victime de trop !

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L’éminent juriste Me Monferrier Dorval, bâtonnier de l’ordre des Avocats de Port-au-Prince assassiné à Pèlerin 5

A qui profiterait ce crime ? Cette question, on va certainement la retrouver pendant longtemps en Haïti. Chacun aura bien sûr la réponse. Chacun donnera naturellement sa réponse. Pourtant, ni les uns ni les autres auront tort d’identifier un camp. Ils ne le savent pas. A qui profiterait ce crime ? En vérité, à personne, pas même à celui ou ceux qui ont appuyé sur la détente de leurs armes à feu juste pour une poignée de gourdes. Ceux qui ont exécuté le sale boulot. Et pour cause. Les cerveaux intellectuels, le ou les commanditaires de cet incompréhensible assassinat de l’un des plus brillants avocats et constitutionalistes d’Haïti de nos jours, Me Monferrier Dorval, auront eux aussi tout perdu. Car, en supprimant cette voix qui a fait honneur au pays tant sur le plan national qu’international, ils ne font que mettre en péril leur propre ambition. Leurs propres projets politiques ou économiques. Leur propre avenir et celui de leurs descendants.

Assassiner un cadre, un intellectuel, un professionnel Haïtien de haut niveau aujourd’hui comme ce fut le cas au temps des baïonnettes, des régimes de généraux postindépendance c’est condamner pour toujours Haïti à son état de végétation dans lequel il est plongé depuis des lustres. La disparition du Bâtonnier du Conseil de l’Ordre des avocats du Barreau de Port-au-Prince dans ces conditions plus qu’odieuses et certainement gratuites dans le sens que ce meurtre d’une brutalité sans pareil ne servira ni ses auteurs ni les décideurs intellectuels dont le but est de mettre une nouvelle fois Haïti sur la liste des pays en voie de somalisation. A qui profiterait ce crime ? La question est sur toutes les lèvres en Haïti et dans la diaspora haïtienne qui suit de très près comment le pays rentre dans un engrenage de violence à nul autre pareil que rien ni personne ne semble en mesure d’arrêter.

Pour tenter de répondre d’une façon plus au moins objective à cette interrogation comme à chaque période de tension politico-sociale dans le pays, tous les regards se tournent avec raison dans le sens des deux protagonistes qui ont pris le pays et son peuple en otage depuis bientôt quatre longue années : le régime PHTK (Parti Haïti Tèt Kale) conduit par le Président Jovenel Moïse et l’opposition politique morcelée, fracturée, divisée, balkanisée où, là aussi, personne n’a aucun contrôle sur personne et par conséquent difficile de trouver celui ou celle faisant office de leadership. D’où la difficulté pour porter un regard plus précis comme l’on peut le faire par rapport aux faits et actions qu’on pourrait attribuer au pouvoir en place. Bien entendu, si tous les observateurs politiques et leaders d’opinion orientent leurs commentaires et leurs analyses relatifs à ce meurtre crapuleux, -pensant que l’origine ne peut qu’être de nature politique- vers les deux frères ennemis que sont : le pouvoir et l’opposition, il serait imprudent et même enfantin d’ignorer d’autres pistes sur ce coup fatal porté à la Communauté universitaire et à la corporation du monde de la justice.

Michel Saieh, 84 ans, propriétaire de Piyay Market

Car, en premier lieu, Me Monferrier Dorval était un défenseur des justiciables dans un pays où la justice se vend aux plus offrants et au prix fort. Mais aussi s’exerce sous forte pression politique des régimes en place. Ç’aurait été une erreur pour les enquêteurs, pour les autorités judiciaires et la police scientifique d’ignorer ou de négliger ce côté dans leurs investigations. Somme toute, ce lâche assassinat dans ce contexte politique tendu entre le Président de la République Jovenel Moïse et l’opposition plurielle ne peut échapper aux investigateurs et tous ceux qui tenteront de comprendre les raisons et les causes qui ont poussé une entité de la société et particulièrement le microcosme politico-social de Port-au-Prince et ses périphéries à commanditer l’assassinat de l’une des personnalités publiques les plus en vue du pays. Tout d’abord, ce meurtre a été exécuté au moment où un grand débat national a lieu dans le pays sur un sujet, qu’on le veuille ou non, qui doit et devrait intéresser tout citoyen qui a foi dans ce pays : la Constitution. Ce débat initié depuis le début de l’année par le chef de l’Etat a pris de l’ampleur et, chaque jour qui passe, monte en puissance au sein de la population en général et auprès des professionnels de toutes disciplines en particulier.

En lançant le débat sur la nécessité pour le pays de se doter d’une nouvelle Constitution, c’est un nouveau chantier politique que le Président Jovenel Moïse ouvre dans le pays avec toutes les conséquences que cela implique. Sujet passionnant dans la mesure où l’actuelle Constitution ne cesse de susciter débats et controverses quasiment au quotidien depuis son origine en 1987 et même après son amendement de manière cavalière et impromptue en 2011. Inutile de dire que le sujet divise ; surtout, une Loi mère n’est pas seulement l’affaire d’une catégorie de la population ni uniquement des experts. C’est un sujet qui concerne tous les citoyens et en premier lieu la classe politique qui croit qu’il y a toujours matière soit pour le régime en place de consolider sa position soit pour l’opposition de se remembrer face au pouvoir. En clair, s’agissant d’une Constitution, qu’elle soit nouvelle ou amendée, elle demeure une affaire éminemment politique soupçonnée d’arrière-pensées politiques de part et d’autre.

ce meurtre a été exécuté au moment où un grand débat national a lieu dans le pays sur un sujet qui doit et devrait intéresser tout citoyen : la Constitution.

Dans ce débat qui déchire la Communauté nationale et dans lequel le Président Jovenel Moïse fait face aux critiques de l’opposition, chaque citoyen de la Cité s’amène, voire est appelé à donner son avis, ses opinions sur le sujet. Certains le font de manière caricaturale sans chercher à connaître ou à comprendre les enjeux. D’autres avec parcimonie et le sens de responsabilité qui est le leur tout en exerçant leur droit de citoyen n’hésitant pas à prendre part à ce débat d’intérêt collectif. Alors que les politiques, pour des raisons qu’on peut comprendre, font une lecture linéaire, totalement opposée de la majorité. Le chef de l’Etat veut à tout prix ouvrir le chantier d’une nouvelle Constitution avant les élections prévues pour l’année prochaine, alors que l’opposition elle, si elle n’est pas opposée à l’idée d’une nouvelle Charte fondamentale, ne souhaite pas non plus que ce soit l’actuel Président de la République qui l’initie. Les chefs de l’opposition, toutes tendances confondues, s’accordent d’abord pour le départ du Président. Ils tableront ensuite pour un gouvernement de Transition, et après de nouvelles élections générales.

Enfin, une fois que le nouveau pouvoir sera installé, en accord avec la Société civile, le gouvernement penchera sur la nouvelle Constitution. Des points de vue très différents de ce que le locataire du Palais national préconise depuis quelque temps. Ces positions contraires fracturent la société et l’opinion qui n’arrivent plus à se réconcilier ou à trouver un compromis sur la question. Ainsi, le débat s’enlise et le temps passe sans que personne ne voit une issue tandis que la fracture se fait de plus en plus visible entre les deux groupes que rien ne semble pouvoir rapprocher pour le salut de la République. C’est dans ce contexte que plusieurs citoyens de rang social différent montent en première ligne afin de faciliter la tâche des uns et des autres antagonistes et permettre à ce qu’ils débouchent sur une entente ou tout au moins débattre sur les divergences qui opposent les deux camps. Alors, d’un côté, des Partis et organisations politiques s’organisent face au pouvoir ; de l’autre côté, la Société civile s’active à ouvrir des brèches pouvant harmoniser les points de vue.

Enfin, des professionnels, imbus de la situation inextricable dans laquelle les parties et les acteurs pataugent, proposent leurs analyses, leurs services et se positionnent sur la question de la Constitution qui paraît être un point de blocage entre les partisans des pour et des contre. C’est ainsi qu’on a vu fleurir dans les journaux, Forums, Réseaux sociaux et les médias en général un tas d’interventions de personnalités de toute sorte. Des anciens parlementaires aux étudiants, en passant par des universitaires, élus, juristes et acteurs sociaux, tous s’engagent et donnent leurs avis sur ce sujet amenant à des débats très controversés. Dans cette foultitude de déclarations et d’interventions de notables et autres spécialistes et experts en la matière, il y a eu l’interview de Me Monferrier Dorval dans le quotidien Le National le mardi 25 août 2020 sur la Constitution qui a retenu l’attention de tous. La particularité de cet entretien est que le juriste n’a pas fait dans la langue de bois.

Il s’était clairement positionné dans la démarche d’une nouvelle Constitution sans s’intéresser à qui conduira ou procèdera à cette réforme constitutionnelle : « Toutes élections avec la Constitution en vigueur plongeront le pays encore dans une autre crise électorale et gouvernementale » avait-il avancé. Pour celui qu’on considère comme l’un des meilleurs constitutionalistes du pays, se positionner dans le débat sur la Constitution est une question n’ayant rien à voir avec un positionnement politique ou idéologique encore moins partisan. Il s’agit de l’intérêt du pays. D’ailleurs, le feu Bâtonnier de l’Ordre des avocats du Barreau de Port-au-Prince ne se souciait guère de la nature du régime devant procéder à cette réforme « L’essentiel n’est pas de savoir quel secteur politique va diriger les travaux sur la nouvelle Constitution, mais la logique, c’est que le pays n’en peut plus avec celle en vigueur » soutenait l’homme de loi. Sans ambages, il était pour un changement de la Constitution « Qu’il s’agit du pouvoir en place, de l’opposition ou d’un gouvernement de transition » qu’importe, le pays devrait se doter d’une nouvelle Constitution fonctionnelle.

Le moins qu’on puisse dire, cette interview de cette haute personnalité connue du milieu juridique et universitaire dans le quotidien Le National a fait du bruit en Haïti surtout dans les milieux politiques, universitaires et diplomatiques. Car, Me Monferrier Dorval n’était pas n’importe qui en Haïti, professeur des universités, juriste respecté et respectable, patron des avocats du Barreau de la capitale, Monferrier Dorval c’était un nom, un prestige et du respect que bien d’autres l’enviaient. Dès la lecture de son entretien, tous les observateurs politiques du pays s’attendaient à ce que cette voix forte qui vient de parler allait susciter des remous dans la communauté politique en Haïti. Il ne pouvait en être autrement ! Surtout, le juriste de 64 ans avait enfoncé le clou lors de son intervention à la matinale de Radio Magik 9, le vendredi 28 août 2020 soit quelques heures avant son assassinat. Car, ce professionnel du droit militant pour une justice à la hauteur d’une Haïti digne de la grandeur de son histoire est une voix qui compte. Mais personne ne pouvait s’attendre ou même imaginer que c’est par une réponse aussi barbare, sauvage, ignoble et indigne des filles et fils de ce pays qui a tant lutté pour la liberté de parole et de pensée que ceux qui ne méritent pas d’être appelés Haïtiens allaient frapper l’une des rares personnalités de ce pays dont le nom est synonyme de probité, de respect et d’honnêteté.

Cet entretien n’a laissé personne indifférent, tout au moins tous ceux s’intéressant à la question politique en Haïti dans une conjoncture où le tension sociopolitique est à son zénith. Si Me Dorval avait bien pris position et ce, sans ambiguïté, pour une nouvelle Constitution, pour ceux qui ont fréquenté cet homme de loi et toujours objectif, modéré et lucide devant les évènements qui ont jalonné le pays ces dernières années, jamais personne ne l’avait accusé ou taxé d’être partisan d’un camp politique ou d’un autre. Certes, en tant que citoyen de la Nation, il avait ses idées sur le penchement inquiétant, voire suicidaire de nos dirigeants vis-à-vis du pays, mais jamais un comportement qui pourrait le conduire à une fin assez brutale et choquante. Comme c’est le cas sur ce projet lancé par le Président de la République, il s’est positionné en tant qu’observateur de premier plan sans pour autant être un porte étendard d’un pouvoir quelconque. D’ailleurs, il aurait pu être accusé d’être dans le camp de l’opposition pour avoir soutenu qu’il serait absurde d’organiser des élections sous l’empire de cette Constitution quand on sait qu’aucun parti politique de l’opposition ne souhaite participer à un quelconque processus électoral sous la présidence de Jovenel Moïse.

D’où cette incompréhension devant ce crime crapuleux. Qui aurait intérêt à faire taire cette voix ? Qui se cache derrière cet assassinat ? D’un côté, le professeur avait pris position en faveur d’une nouvelle Constitution dont le pouvoir a fait son cheval de bataille avant même toute considération sur les élections. Mais de l’autre côté, il trouvait incompréhensible de se lancer dans des joutes électorales que l’opposition ne veut pas non plus tant que le Président Jovenel Moïse demeura au pouvoir. Pourtant, il ne fait quasiment pas de doute que Me Monferrier Dorval est une première victime de la bataille pour la nouvelle Constitution.

Ses déclarations, son positionnement citoyen dans ce contexte font de lui une cible de choix pour tous ceux qui pensent que la mort d’un homme peut arrêter la marche de l’Histoire. La dernière sortie médiatique du professeur sur un sujet aussi sensible en Haïti, en effet, pouvait déranger beaucoup de monde dans les deux camps. Du côté de l’opposition qui pourrait comprendre qu’il s’agissait d’un soutien non négligeable au chef de l’Etat dans son projet de l’Assemblée Constituante avant les élections générales. S’agissant de la parole d’une sommité nationale en matière du droit, nul doute que la position de feu Me Dorval ne pouvait laisser de marbre les chefs de l’opposition pas seulement les plus radicaux sur la question de la Constitution. Mais, en Haïti et pas seulement, dans le domaine politique, la vérité se trouve rarement là où on l’attendait. Du côté du pouvoir aussi, les interviews du Bâtonnier des avocats pouvaient être mal comprises ou interprétées par certains fanatiques. Car, si ce professeur de droit avait bien pris position en faveur d’une nouvelle Constitution, il mettait aussi en question l’organisation des élections sous Jovenel Moïse qui ne cesse de brouiller les Cartes avec ces deux sujets bien différents l’un et l’autre.

Frantz Adrien Bony

Attaqués de tous côtés, les partisans du pouvoir auraient pu tenter de supprimer une personnalité dont ils estiment que ses déclarations peuvent gêner les actions de leur champion. Sans mauvais jeu de mots, avec ces entretiens, l’éminent juriste était pris entre deux feux avec les extrémistes des deux camps. Mais là encore, la prudence est de mise. Si selon toute probabilité Me Monferrier Dorval est victime de cette guerre larvée qui se déclare entre le pouvoir et l’opposition, dans l’Haïti d’aujourd’hui on ne peut pas exclure totalement un acte crapuleux du banditisme qui profite de cette longue série d’insécurité générale qui s’abat sur le pays depuis quelques années. Rien que la semaine durant laquelle ce haut cadre du pays a été sauvagement assassiné, on a enregistré un nombre incroyable d’assassinats de personnalités et de citoyens dont les motifs restent malheureusement inconnus. A l’avenue John Brown, (Lalue) à Port-au-Prince, le jeudi 27 août 2020, un homme d’affaires d’origine étrangère, Michel Saieh, 84 ans, propriétaire de Piyay Market a été abattu à côté de son épouse en plein jour dans sa voiture. Son chauffeur, lui, a été grièvement blessé.

Le soir même, c’est un journaliste de RTVC (Radio Télévision Caraïbes), Frantz Adrien Bony, bien connu de Port-au-Prince, qui, rentrant d’une soirée d’hommage organisée par la RTVC en faveur du chanteur et musicien Roger M. Eugène dit Shoubou du groupe mythique Tabou Combo, a été mortellement touché par une balle en pleine tête juste devant chez lui. Comme on peut le voir, le meurtre de Me Monferrier Dorval le vendredi 28 août 2020 juste devant sa résidence à Pelérin 5 à Pétion-Ville pourrait bien rentrer malheureusement dans la longue série de crime qui se perpétue dans la capitale et ses banlieues pratiquement au quotidien sans que les autorités policières, juridiques et politiques arrivent à comprendre ce qui se passe dans le pays. Une période troublée devant laquelle la population reste perplexe. Mais les dernières paroles de Me Monferrier Dorval sur Magik 9 le jour qu’il a été froidement abattu doivent donner à réfléchir : « Le pays n’est ni gouverné ni administré ».

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