La démission du CEP annonce-t-elle «la fin de Jovenel Moïse» ?

0
1543
La démission du CEP de Léopold Berlanger, aussi vilipendée soit-elle, pourrait s'avérer être la goutte d'eau qui a fait déborder le vase.

La démission massive du Conseil électoral provisoire d’Haïti (CEP) cette semaine entraînera inexorablement la chute du président Jovenel Moïse et son remplacement par un gouvernement provisoire, selon l’ancien membre du CEP Jaccéus Joseph, qui représentait le secteur des droits humains au sein de l’organe de neuf membres en 2015 sous la houlette de Pierre Louis Opont.

La démission collective des huit membres restants du CEP, effective le 27 juillet (un avait déjà démissionné le 3 juillet) a été déclenchée par une lettre de Moïse aux différents secteurs civils qui nomment les membres du conseil, exigeant qu’ils confirment ou remplacent leurs représentants dans les quatre jours. «Ils ont été choqués et trompés par la lettre du président Moïse, qu’il a envoyée sans rien leur dire, alors qu’ils pensaient avoir une garantie de sa part qu’ils resteraient pour la prochaine élection», a expliqué Jaccéus à Haïti Liberté dans un entretien prolongé.

Plus tôt en juillet, le CEP avait même soumis à Moïse un «avant-projet» de décret électoral, révisant celui formulé en 2018. Déjà, Moïse n’a pas organisé d’élections législatives et municipales depuis son entrée en fonction le 7 février 2017, ce qui a entraîné la dissolution du Parlement le 13 janvier et l’expiration des mandats des maires et des conseils municipaux ce mois-ci. Gouvernant par décret, Moïse a simplement nommé ses propres agents pour diriger les choses, même au niveau local.

C’est la fin de Jovenel Moïse» a déclaré l’ancien conseiller électoral Jaccéus Joseph

Il y a aussi une énorme controverse sur la question de savoir si Moïse doit démissionner le 7 février 2021 ou le 7 février 2022, en raison de clauses contradictoires dans la Constitution haïtienne.

Les groupes d’opposition haïtiens soutiennent que Moïse doit partir en 2021. Le leader du Secteur Démocratique et Populaire, l’avocat André Michel, la figure de l’opposition la plus franche, cite l’article 134.2 de la Constitution, qui stipule que, même si les élections ne se tiennent pas dans les délais avant le 7 février. «Le président élu prend ses fonctions immédiatement après la validation du scrutin et son mandat est réputé avoir commencé le 7 février de l’année du scrutin». Moïse a été élu de manière très controversée le 20 novembre 2016, donc son mandat de cinq ans a commencé techniquement, selon cet article, le 7 février 2016.

Mais Moïse et son Parti Haïtien Tèt Kale (PHTK) citent l’article 134, paragraphe 1 de la Constitution haïtienne amendée de 1987: “La durée du mandat présidentiel est de cinq ans. Cette période commence et se terminera le 7 février suivant la date de les élections … Le président élu prend ses fonctions le 7 février suivant la date de son élection».

Au cours de cette âpre lutte pour le pouvoir, exacerbée par la pandémie de Covid-19, «Jovenel Moïse s’est rendu compte que personne n’accepterait une élection de ces membres du CEP, car ils avaient déjà organisé une élection truquée en 2016», a expliqué Jaccéus. «Il a donc tenté de piéger les secteurs qu’ils représentent en ne leur donnant que quatre jours pour approuver leurs représentants. Mais il l’a fait sans le consentement de ces membres du CEP, alors ils ont tous démissionné”.

Jean Simon Saint-Hubert, le représentant du secteur des droits humains, avait déjà démissionné trois semaines plus tôt à la suite de dénonciations et de manifestations d’organisations populaires et de groupes de défense des droits humains car «son nom et sa réputation étaient boueux après son odieuse collaboration avec le PHTK qui lui a permis d’introduire ses trafiquants de drogue au Parlement et au palais présidentiel », a déclaré Jaccéus.

«Aujourd’hui, notre pays est confronté à une grave crise politique et institutionnelle, entraînant de graves conséquences économiques, sociales et sécuritaires», ont écrit les membres du CEP à Moïse le 24 juillet. «Tout en reconnaissant l’urgence de la normalisation, il nous semble essentiel de donner la priorité au dialogue entre les principaux acteurs du pouvoir, de l’opposition et de la société civile afin de parvenir à un consensus approprié. Cette étape inévitable est nécessaire pour parvenir à une solution viable capable d’enrayer la crise actuelle. C’est aussi une condition préalable à la fiabilité et au succès d’un processus électoral inclusif … Afin de faciliter cette évolution, les soussignés, membres du Conseil électoral provisoire, ont volontairement décidé de vous soumettre leur démission, qui prendra plein effet le lundi 27 juillet 2020″.

La lettre est signée par Léopold Berlanger, président (représentant du secteur de la presse), Carlos Hercule, vice-président (représentant de la Conférence épiscopale d’Haïti), Marie Frantz Joachim, secrétaire générale (représentante du secteur des femmes), Frinel Joseph, trésorier (représentant des sectes réformées), Josette Jean Dorcély, conseillère (représentante du secteur syndical), Kenson Polynice, conseiller (représentant du secteur paysan / vodou), Lucien Jean Bernard, conseiller (représentant du secteur universitaire), Marie-Hérolle Michel, conseillère (représentante du secteur des entreprises).

«Une période de crise a commencé. Aucun acteur politique n’acceptera désormais de se présenter aux élections sous Jovenel»

«C’est la fin de Jovenel Moïse», a déclaré Jaccéus. «Une période de crise a commencé. Aucun acteur politique n’acceptera désormais de se présenter aux élections sous Jovenel. Son mandat se termine l’année prochaine. Psychologiquement, tout le monde est prêt à faire tout ce qui est nécessaire pour s’assurer qu’il ne reste pas à la tête de l’Etat, là où il n’a jamais été légitime. Il ne fait aucun doute que nous nous dirigeons vers une transition. Cela peut aller de deux manières. D’une part, le PHTK pourrait essayer de contrôler la transition, tout comme il l’a fait avec le président Jocelerme Privert en 2016, afin que le PHTK puisse conserver le pouvoir. De l’autre, il y a eu une énorme mobilisation populaire pour se débarrasser de Jovenel et du PHTK au cours des deux dernières années. Cela peut permettre une transition plus radicale, qui peut résoudre divers problèmes sociaux, même si ce n’est en profondeur, et mettre en place des garde-fous pour empêcher des individus manifestement pourris de revenir au pouvoir … On pourrait donc voir un gouvernement provisoire qui émergerait des cris des gens qui sont dans la rue pour demander un changement. Je parle dans le cadre de la démocratie libérale, pas d’un changement fondamental. Mais cela pourrait garantir un minimum de stabilité politique, ce qu’on n’aurait pu faire avec le CEP qui vient de démissionner».

«L’un des meilleurs moyens pour que cette transition puisse apporter un minimum de stabilité politique – je ne dis pas de changement fondamental pour la population mais de stabilité politique – est pour un nouveau CEP de refaire le mécanisme électoral, mettre à la feraille le mécanisme électoral qui est là depuis 1987 … garantissant l’instabilité politique », a poursuivi Jaccéus. «Leur travail serait de refondre le mécanisme électoral, ne pas se présenter ni organiser des élections immédiatement, car ce serait une garantie que des personnes malhonnêtes reprendraient à nouveau le pouvoir et cela découragerait le peuple, lui donnant le sentiment qu’il ne peut y avoir de véritable changement dans le pays”.

Malgré des années de manifestations massives exigeant sa démission, Jovenel Moïse est peut-être confronté à son procès politique le plus grave de son histoire. La pandémie de Covid-19, qui a freiné les afflux hebdomadaires de manifestants, est apparemment en baisse en Haïti, du moins pour le moment. L’inflation fait rage à plus de 23% au cours de l’année écoulée. Les groupes armés des vastes bidonvilles d’Haïti, qui lui sont désormais hostiles, recherchent l’unité. La faim est plus répandue que jamais.

La démission du CEP de Léopold Berlanger, aussi vilipendée soit-elle, pourrait s’avérer être la goutte d’eau qui a fait déborder le vase, même si ses membres avaient récolté des millions de dollars en salaires et avantages au cours des cinq dernières années et leur démission « n’était pas sincère ou de bonne foi», selon Jaccéus.

Traduit de l’anglais par Alexandre Panagulli

HTML tutorial

LEAVE A REPLY

Please enter your comment!
Please enter your name here