Production de balles de baseball en Haïti et l’impérialisme américain !

Enquête

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Les balles de baseball étaient fabriquées en Haïti

A travers l’histoire, Enquet’Action a constaté une certaine insistance à vouloir implanter le baseball en Haïti. Une insistance qui a toujours trouvé une certaine résistance que n’ont pas eu le basketball et le volleyball. D’impérialisme culturel américain à la consécration d’une place spécifique à Haïti dans la division internationale du travail – avec la mise sur pied des industries de sous-traitance par-ci par-là, les différentes stratégies n’ont pas pu donner les résultats escomptés.  Et le baseball reste et demeure au rang de sport marginal.

Après la deuxième occupation, respectivement en 1906 pour Cuba et 1916 pour la République dominicaine, la jeunesse de ces deux pays – comme ceux de nombreux autres  territoires  occupés par les Américains ont adopté le baseball comme leur sport roi.

Mais en Haïti, la population a rejeté cette initiative d’un revers de main alors que toutes les conditions étaient réunies du fait que le baseball supplantait le football pendant les premières années de l’occupation américaine de 1915 à un moment où l’unique stade de football a été fermé.

Dans les années 60 jusque dans les années 90, bien qu’on ne jouait  pas au baseball,  les balles de ce sport étaient fabriquées en Haïti. Ainsi, la deuxième phase de l’offensive des Etats-Unis pour implanter le baseball en Haïti se faisait au travers de l’implantation d’industries de production dans le pays.

Avec la doctrine de Monroe qui préconisait l’Amérique aux Américains, le baseball était un outil de pénétration et d’acculturation.

Haïti fut l’exception à un moment où pas moins d’une dizaine d’usines de fabrication de balles de baseball parsemaient la région de Port-au-Prince. Dans les années 70, Haïti fut le plus grand producteur et exportateur mondial de balles de baseball alors que ce sport ne se pratiquait pas dans le pays.

La première occupation américaine a essayé d’imposer le baseball en Haïti, la deuxième débutée en 1994 ne l’aurait pas concrétisé.

Une nation qui ne joue pas au baseball, mais qui exportait chaque année plus de 20 millions de balles. La première de toute l’histoire du monde. « Ce qui montre encore une fois, l’indécence et le non-sens qui entourent la politique d’extractiviste promue dans le pays depuis plusieurs décennies par les autorités haïtiennes », dénonce le professeur et sociologue Auguste D’Meza.

Ce qui ne fait que renforcer la dépendance du pays vis-à-vis de l’étranger, constate-t-on. Cette stratégie rentra dans la ligne droite de la politique internationale visant à faire d’Haïti le Taiwan des Caraïbes sous la dictature de François Duvalier dans les années 60.

Des balles de baseball au cœur de la pauvreté haïtienne et de la richesse américaine ?

La production de jouets, de chaussettes, de pièces électroniques et de sous-vêtements féminins est collée au dos du pays dans la dynamique de la division internationale du travail. On est passé de 13 entreprises de sous-traitance en 1966 à 240 à la fin des années 70. Une progression non négligeable !

Comme centre d’usines d’assemblage à l’étranger, le pays aux côtés du Honduras et du Costa Rica, faisait partie des producteurs les plus compétents du monde sur le marché des balles de baseball destinées au sport national des Etats-Unis. Elles sont cousues à la main, comme les premières balles de baseball. Ce et surtout, par la main d’œuvre féminine bon marché – soit 6 fois moins chère que la main d’œuvre portoricaine. Les salaires des meilleurs confectionneurs de balles de baseball du monde sont misérables pour des gens qui travaillent dans des conditions inhumaines.

Chaque balle est cousue avec 108 points de suture et chaque ouvrier.ère est capable de coudre 4 balles par heure.  « En Haïti, ils tournent autour de 30 cents l’heure. Certains rapports avancent des chiffres s’élevant jusqu’à 14 cents l’heure au milieu des années 1990 », écrit Perrin Banzeu dans son essai Ciments de l’Afrique à la conquête du Cameroun qui ajoute qu’en dépit de ce maigre salaire, elles doivent satisfaire les exigences de précision d’un produit fait à la machine.

Des balles qui se vendent au détail à environ 15 dollars chacune. L’auteur croit que la pauvreté en Haïti et la richesse des Etats-Unis sont pour les deux pays, à la fois une cause et une conséquence du choix de production qu’ils ont fait.

L’implantation en douceur du baseball symbolise l’affirmation de l’impérialisme culturel américain…

Pour sa part, dans le livre Le pouvoir politique en Haïti de 1957 à nos jours, Etzer Charles parle de la Haitian Manufacturing qui produisait les balles de baseball et employait 300 salariés. Celle-ci faisait partie des plus importantes entreprises industrielles dans les années 70. « L’industrie haïtienne est une industrie manufacturière. Et au cours des années 70, de nombreuses sociétés étrangères, profitant des avantages fiscaux et de la main-d’œuvre à bon marché du pays, y établissent leur filiales », note-t-il, soulignant que celles-ci sont en général des ateliers d’assemblage (ou de sous-traitance) et de ce fait non articulés réellement aux structures de l’économie nationale.

La production de balles de baseball et de softball s’élève à 2 millions 145 mille douzaines évaluées à plus de 96 millions 451 mille gourdes en 1984, selon l’Institut haïtien de Statistique (IHSI) dans son bulletin trimestriel sorti en 1987. Ce qui donne pas moins de 24 millions sur l’année. En moyenne une douzaine de balles pèse plus de 2 millions 189 mille kg.

Déclin et échec de la tentative ?

A la suite de problèmes politiques en Haïti – notamment l’embargo imposé par les Etats-Unis sur le pays en 1991 – une bonne partie de la production fut transférée au Honduras et au Costa Rica. Jusque vers 1996, on ne comptait pas moins de trois entreprises d’assemblage offrant 447 emplois – opérant dans la production de balles de baseball. La quantité aurait diminué à deux en 1997 qui offraient 442 emplois.

Ces compagnies sont parties et sont allées s’installer dans d’autres pays notamment en Amérique Centrale. Le prétexte, selon le sociologue Auguste D’Méza, serait l’augmentation du salaire minimum trop élevée qu’exigeaient des syndicalistes.

Si la première occupation américaine a essayé d’imposer le baseball en Haïti, la deuxième débutée en 1994 ne l’aurait pas concrétisé. Même l’implantation des industries de production de base de baseball arrivées dans les années 60-70 n’a pas réussi à se frayer un chemin pour l’expansion de ce sport. Ces occupants et les acteurs économiques ont plutôt laissé cette corvée aux nationaux.

Ainsi, l’après séisme de 2010, l’un des plus grand moments traumatiques qu’a connu le peuple haïtien, a-t-il offert une brèche pour le faire ? La discipline sportive du baseball existe en Haïti. Quelques jeunes la pratiquent. Mais, le baseball reste un sport marginal et incompris.

Le sport est en plein déclin en Haïti, à l’instar de toutes les structures de la société. Le sport roi qu’est le football peine à prendre son envol alors qu’on le pratique depuis plus de 100 ans et qu’il requiert peu comme infrastructures.

L’avenir d’un sport coûteux comme le baseball reste donc incertain en Haïti. L’implantation en douceur du baseball comme l’incorporation d’autre part symbolise non seulement l’affirmation de l’impérialisme culturel américain mais aussi un signe probant de l’affaiblissement des mouvements de résistance anti-impérialiste dans le pays.

ENQUET’ACTION est un média en ligne d’investigation journalistique, de journalisme multimédia et de journalisme de fond, créé en février 2017 à Port-au-Prince et lancé officiellement en juin 2017. Axé sur le journalisme de qualité qui croit en l’accès libre à l’information, il ambitionne de devenir une source d’informations indispensable pour les médias nationaux et internationaux, de même pour le public. Il est né de la volonté de renouer avec les fondamentaux du journalisme qui vise la quête de vérité afin de permettre à la presse de jouer véritablement son rôle de contre-pouvoir.

 

 

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