La situation des Haïtiens à la frontière sud du Mexique : de mal en pis

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Des migrants haïtiens à Tjuana, Mexique

Les projecteurs sont mis depuis plusieurs mois sur la crise politique en Haïti autour du scandale de corruption dans l’affaire PetroCaribe qui a éclaboussé l’actuel président Jovenel Moïse, de plus en plus invité par un large mouvement social à rendre son tablier; pendant que la situation des Haïtiennes et Haïtiens à la frontière sud du Mexique va de mal en pis. Le moment de faire un zoom sur cette situation, rendue pourtant invisible par la spectacularisation de l’actualité politique haïtienne!

Un total de 252 Haïtiennes et Haïtiens ont été déjà déportés à Port-au-Prince, au cours de cette année, par l’administration du gouvernement mexicain Andrés Manuel López Obrador. Par ailleurs, de plus en plus d’organismes de défense des droits humains dénoncent les abus perpétrés contre les migrants au cours de ces opérations de déportations et, en général, dans l’ensemble des mauvaises conditions de vie et des traitements inhumains infligés à l’encontre de ceux-ci, notamment dans le centre d’internement à Tapachula appelé « Estación Migratoria ».

Un total de 252 Haïtiennes et Haïtiens ont été déjà déportés à Port-au-Prince, au cours de cette année, par l’administration du gouvernement mexicain Andrés Manuel López Obrador.

Selon ces organismes, cette année 2019 c’est « la commémoration la plus triste de la Journée Mondiale des Réfugiés » (1) que le Mexique ait connue, le 20 juin dernier. Rien à commémorer ! Le Mexique a perdu les rails des droits de l’homme et de sa belle tradition de l’hospitalité envers les migrants et réfugiés, selon ces entités hétérogènes de la société civile, du monde académique, religieux et autre, unanimes à constater l’actuelle détérioration des conditions humaines et humanitaires des migrants et réfugiés dans ce pays.

Effectivement, l’année en cours est devenue de plus en plus difficile pour les migrants haïtiens cherchant à se rendre aux États-Unis d’Amérique, en passant par le Mexique. La majorité d’entre eux ont entrepris le périple depuis le Brésil, le Chili ou encore l’Équateur, en raison de la discrimination, du chômage et de sérieuses menaces de déportation auxquels ils ont été confrontés en Amérique du Sud.

N’envisageant pas de retourner en Haïti, ils ont décidé d’aller plus loin, toujours plus loin: de partir en quête du rêve américain, face au cauchemar sud-américain. Ils se sont associés aux grands flux migratoires composés de Cubains, d’Africains et de Centraméricains prenant, tous, cette route si dangereuse et pleine d’embuches (rivières en crue, animaux sauvages, réseaux criminels, maladies, etc.) vers le purgatoire aztèque.

Le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (HCR) a souligné, dans son dernier rapport statistique annuel « Tendances mondiales. Déplacements forcés en 2018 » (2) en date, que près de 110.600 personnes au Guatemala (sûrement à la frontière guatémaltèque-mexicaine) et environ 83.000 autres au Mexique étaient en train de faire face à une très grande vulnérabilité en 2018. Évidemment, ces Haïtiennes et Haïtiens ont fait partie de cette population en détresse communément appelée « la caravane », sans qu’on soit en mesure d’en préciser le nombre.

Le porte-parole du HCR Adrian Edwas avait, lors d’une conférence de presse le 23 octobre 2018 au Palais des Nations à Genève, exprimé les préoccupations de cette agence onusienne au sujet de « l’évolution de la situation humanitaire et des risques connus concernant les enlèvements et la sécurité dégradée dans les zones où la caravane pourrait s’aventurer. (3)»  

Cette situation s’est empirée depuis, en particulier, suite aux pressions récemment exercées par le président étasunien Donald Trump sur son homologue mexicain, Andrés Manuel López Obrador. Trump a menacé, le 8 juin dernier, d’imposer des droits de douane sur les produits mexicains, au cas où le Mexique n’accentuerait pas le contrôle de sa frontière (au sud) et le freinage des flux migratoires de l’Amérique Centrale.

Effectivement, le gouvernement mexicain a durci les mesures migratoires – ponctuées par des vagues de déportations, la militarisation brutale, des abus et violations systématiques des droits de l’homme- notamment à la frontière sud du Mexique (frontière partagée avec le Guatemala), dans la localité de Tapachula.  « Détention migratoire, utilisée comme stratagème de contrôle et de dissuasion » et « criminalisation de la solidarité et du travail de défense des droits humains » : autant d’irrégularités dénoncées, à la suite d’une visite in situ, par les observateurs indépendants de la Misión de Observación de Derechos Humanos de la Crisis de Refugiados y Humanitaria en el Sureste de México. Et aussi par nombre de médias locaux, voire internationaux, et aussi par plusieurs rapports élaborés par des institutions de défense des droits de l’homme sur place et des entités académiques.

Ces abus sont de plus en plus documentés, filmés, photographiés et amplement diffusés sur la toile de l’Internet.

Donc, les Haïtiennes et Haïtiens ne savent que faire à la frontière sud du Mexique: ils y sont bloqués et ne font qu’attendre un visa humanitaire leur permettant de continuer leur périple vers le territoire yanqui.

les Haïtiennes et Haïtiens ne savent que faire à la frontière sud du Mexique: ils y sont bloqués et ne font qu’attendre un visa humanitaire.

Certains se trouvant au bord du désespoir vont jusqu’à demander l’asile à l’État mexicain; ils n’entendent pas retourner dans leur pays d’origine que la plupart d’entre eux ont fui depuis plus de neuf ans (après le tremblement de terre). Ils tentent donc l’impossible.

D’autres sont cloitrés derrière les barrières du centre d’internement migratoire appelé « Estación Migratoria », demandant à cor et à cri de la nourriture, de l’eau, de l’aide, bref, un peu de compassion.

D’autres en plus déambulent et errent dans les rues de Tapachula, à l’affut d’emplois informels dans une ville où le racisme prend de plus en plus d’ampleur face à de minces expressions de solidarité et d’hospitalité.

Face à ce sombre tableau, tout semble indiquer que les opérations de déportation vont se poursuivre, non sans violence.

Par exemple, le samedi 29 juin dernier, 81 Haïtiens et Haïtiennes en situation dite irrégulière ont été rapatriés presque de force par les autorités migratoires mexicaines, selon une note publiée par l’Institut National de Migration (INM) sur son site web.

Bien que cette institution étatique ait insisté que « le retour de ces étrangers a été réalisé en conformité aux principes de droits humains, de concert avec les autorités d’Haïti et dans l’observance des normes et procédures migratoires en vigueur » (4), des médias locaux et des défenseurs de droits humains ont rapporté que, face au refus des migrants haïtiens d’embarquer à bord de l’avion Boeing 727 de la Police Fédérale [devant les rapatrier de la ville mexicaine de Tapachula à Port-au-Prince], ceux-ci auraient été sévèrement malmenés par les membres de la nouvelle « Guardia Nacional ».

Les dénonciations des organisations de défense des droits humains contre les mauvais traitements, infligés par le gouvernement du président Andrés Manuel López Obrador aux migrants et réfugiés centraméricains, cubains, haïtiens et africains, sont de plus en plus virulentes.

Il semble que le chef d’État mexicain a carrément fait la sourde oreille, préférant défendre les intérêts économiques du capital financier mexicain-étasunien au lieu de défendre les droits humains des migrants et réfugiés. Ainsi, le mur, annoncé à maintes reprises par Trump, est en train d’être érigé par le président mexicain, constate le bureau de l’Amnistie Internationale au Mexique. Un mur invisible, mais très cruel!

Wooldy Edson Louidor est professeur et chercheur à Instituto de Estudios Sociales y Culturales PENSAR de la Pontificia Universidad Javeriana

Notes

[1] Lire l’article sur ce lien actif: https://sjrlac.org/campaign_detail?TN=PROJECT-20190621014545&L=3

2 UNHCR, Global trends. Forced displacement in 2018. Geneva, 2019. Lien actif: https://www.unhcr.org/5d08d7ee7.pdf

3 Voir “Pour le Hcr, il est urgent de stabiliser la situation de la ‘caravane’”, 23 octobre 2018. Lien actif : https://www.unhcr.org/fr-fr/news/briefing/2018/10/5bcedca4a/hcr-urgent-stabiliser-situation-caravane.html

4 Voir: INM, Retorno asistido de personas de Haití. Tarjeta informativa. 29 de junio de 2019. Lien actif: https://www.gob.mx/inm/prensa/retorno-asistido-de-personas-de-haiti-207079

 Paris 7 juillet 2019

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