Jean Henry Céant, humiliation !

1ère partie

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Jean Henry Céant était dans un autre monde le 18 mars au Parlement, dans la salle vide des séances du Sénat.

Pathétique ! Il n’y a pas d’autres mots pour qualifier la présence de celui qui était encore Premier ministre ce lundi 18 mars 2019 jusqu’à 13 heures dans la salle vide des séances du Sénat. Visage vidé. Regard ailleurs. Teint fatigué. Jean Henry Céant était dans un autre monde ce jour-là au Parlement. Qu’on soit partisan du Notaire de Bourdon ou son opposant, il y avait de quoi être triste et choqué à la fois pour lui. Le comportement de l’ancien chef du gouvernement haïtien faisait pitié. Surtout après son escapade sans succès dans la cour du Sénat, derrière un sénateur, pour le ramener dans l’hémicycle. Quelle déchéance politique pour cet homme, pourtant connu et reconnu du tout Port-au-Prince et même au-delà ! Si l’on devrait raconter en détail le fil des évènements qui ont mené à la destitution du locataire de la Primature le lundi 18 mars 2019, il faudrait toute une vie. Finalement, on va se contenter de comprendre ce qui s’est passé ce jour-là entre les deux Chambres du Parlement haïtien.

Très vite Céant va tout de suite prendre goût au pouvoir et va se placer pratiquement en adversaire du Président de la République…

Cette rocambolesque histoire a commencé en réalité dès le lendemain de la nomination ou tout au moins de l’installation de Me Jean Henry Céant comme nouveau Premier ministre en lieu et place du Dr Jack Guy Lafontant un ami personnel du Président Jovenel Moïse suite aux émeutes qui avaient ébranlé quelques semaines plus tôt le pouvoir. Très vite Céant qui, selon un proche du chef de l’Etat, est « l’un des nôtres », c’est-à-dire un proche du clan Martelly, va tout de suite prendre goût au pouvoir et va se placer pratiquement en adversaire du Président de la République en se rapprochant davantage de l’opposition. Le Premier ministre fonde son choix sur un fait constitutionnel : en cas de départ de Jovenel Moïse de la présidence, c’est lui en tant que Premier ministre qui lui succèdera au Palais national. Prenant certainement Jovenel Moïse et son équipe pour des enfantins de la politique, Jean Henry Céant et son équipe vont se livrer à une guerre ouverte ou s’opposer publiquement  au chef de l’Etat. Sauf que celui-ci ne va pas se laisser faire. Mieux, Jovenel Moïse va contre-attaquer.

Le Président va chercher et employer tous les moyens possibles et imaginables pour bloquer et empêcher son Premier ministre de sortir la tête de l’eau. Toutes les démarches, actions et initiatives venant de la Primature seront systématiquement combattues ou sabotées. L’épisode du Forum sur le dialogue national au Centre de Conférences de la BRH est dans toutes les mémoires. Depuis cette affaire, Céant et ses Conseillers auraient dû comprendre qu’il fallait s’en aller de la Villa d’Accueil. Sinon, le Palais national allait humilier le Premier ministre, le pousser à la démission ou le faire démettre par le Parlement où il détient une majorité. Mais, Céant, comme si de rien n’était, continue à défier la présidence. Il prend fait et cause pour les revendications des PetroCaribe/Challengers qui réclament la reddition des comptes du Fonds PetroCaribe et le jugement pour les coupables, tout en faisant de plus en plus des yeux doux à une partie de l’opposition qui, on va le voir plus loin, finit par le soutenir au Parlement face au Président de la République. Enfin, le dernier coup qui va être fatal pour Céant, c’est l’affaire dite des sept mercenaires.

Visage vidé. Regard ailleurs. Teint fatigué.

Avec cette troublante affaire, Céant va lui-même asséner à sa fonction de Premier ministre le coup de grâce. L’épilogue de cet étrange film à l’allure d’espionnage n’avait pas mis la puce à l’oreille du Notaire pour le laisser comprendre qu’il s’agissait d’une affaire d’Etat mettant en scène deux gouvernements : celui d’Haïti et celui des Etats Unis d’Amérique. Le malheureux  qui n’était pas mis dans la confidence par la présidence haïtienne s’est livré dans la presse pour dire, et le pire sans aucune information fiable, que c’est lui qui était physiquement visé par le commando de 7 hommes accidentellement arrêtés par une patrouille de la police nationale à Port-au-Prince un dimanche à la tombée de la nuit et renvoyés chez eux aux USA deux jours plus tard. Depuis cette déclaration, le sort de Jean Henry Céant à la Primature était scellé. Et aussi surprenant que cela puisse paraître, cette déclaration du Premier ministre a en quelque sorte permis à Jovenel Moïse d’avoir le feu vert plus rapidement pour le « virer » de la Primature plus tôt que prévu et sans avoir d’explications à donner à Washington.

Lorsque le Notaire l’a eu compris et a fait son rétropédalage sur sa déclaration « que ce n’est peut-être pas moi qui était visé par le commando », il était déjà trop tard. La grenade était déjà dégoupillée. Alors tout va aller très vite. L’opposition qui a toujours l’œil sur le renversement de Jovenel Moïse avant la fin de son mandat et maintenant rejoint par un ancien supporter de celui-ci, le sénateur Youri Latortue, devrait lancer une nouvelle offensive contre le pouvoir. Pour ce faire, elle comptait utiliser le Premier ministre au Sénat sous prétexte de nouvelles informations sur le rôle exacte du Commando, sa mission en Haïti et pourquoi les 7 hommes ont si rapidement été exfiltrés vers les Etats Unis.  Comprenant que l’affaire pouvait revenir sur le tapis et ne souhaitant courir aucun risque, le Palais national, sans doute couvert par Washington, va tout mettre en œuvre pour empêcher le Premier ministre de parler une nouvelle fois en tant que chef de gouvernement. Cette fois officiellement. Puisqu’il devrait prendre la parole devant le Sénat de la République en répondant aux questions de la Commission de Défense et Sécurité de la haute assemblée.

Confiant, le Premier ministre Jean Henry Céant part en voyage officiel à l’étranger, au Maroc, afin de prendre part à un Sommet sur la Planète. Du royaume Chérifien, il apprend, comme convenu sans doute, qu’il est convoqué au Sénat pour le mercredi 20 mars 2019 pour être interpellé sur l’affaire dite des 7 mercenaires en compagnie de deux ministres, celui de la Justice et de la Sécurité Publique, Jean Roudy Aly et de Jean Marie Reynaldo Brunet, ministre de l’Intérieur, qui seraient à l’origine de l’extradition des 7 hommes. En fait, cette pseudo interpellation est une manœuvre des sénateurs de l’opposition et alliés en vue de donner un vote de confiance au chef du gouvernement afin de le mettre à l’abri au moins pendant six mois, selon la Constitution. Une opération menée par le sénateur de l’Artibonite, ancien Président de l’Assemblée Nationale et chef du Partis AAA (Artibonite En Action) Youri Latortue qui a fait une OPA au Sénat en devenant le chef de fil de l’opposition parlementaire au Président Jovenel Moïse depuis quelques mois.

Président de la Commission anti-corruption au Sénat et qui, en vérité, a révélé le dossier du détournement du Fonds PetroCaribe, Youri Latortue se place de plus en plus dans la posture d’un présidentiable. C’est un secret connu de tous, il vise la présidentielle de 2022. Ce sénateur devient l’opposant le plus cohérent à Jovenel Moïse. Bref, l’idée d’interpeller Céant le 20 mars c’est de lui. Car, Latortue cherche des informations et données afin d’attaquer davantage le Président Moïse qu’il croit pouvoir faire tomber s’il y a des éléments prouvant que Jovenel Moïse était bien à l’origine de la présence des 7 mercenaires armés jusqu’aux dents sur le territoire national. Sauf que dans cette affaire, Jovenel n’est pas seul. Il a des bras très longs et des soutiens très loin de Port-au-Prince. En apprenant la nouvelle de la convocation du Premier ministre au Sénat, Jovenel, ses Conseillers et ses soutiens extérieurs paniquent. Il faut à tout « prix » arrêter cette machine de torture qui va pousser Céant dans son dernier retranchement et le forcer à cracher le morceau.

En clair dire tout ce qu’il sait du dossier de 7 mercenaires. En l’occurrence, accuser le chef de l’Etat d’être le cerveau intellectuel de ce que le commando était venu faire en Haïti. Selon certaines informations, Céant était disposé à parler, « coopérer » avec la Commission du sénateur Jean Rénel Sénatus. D’autres informations laissent croire aussi que beaucoup d’argent était en circulation du côté de la Primature, complice de cette farce d’interpellation qui devrait arranger le chef du gouvernement, les leaders de l’opposition et une partie du Secteur des affaires qui les supporte dans leurs bras de fer avec Jovenel Moïse. Convoqué pour le mercredi 20 mars, le temps qu’il rentre de son voyage, le camp de Jovenel Moïse devait trouver la parade pour contrecarrer la manœuvre du Sénat cherchant à prolonger le bail d’un Jean Henry Céant banni et honni par la présidence et ulcéré de l’attitude de leur Premier ministre qui cherche à évincer celui qui l’a nommé à la Primature. Immédiatement, au Palais national, ils ont pensé à Gary Bodeau, qui, de jour en jour prend confiance en lui et ne cesse de prendre de la hauteur politique.

Gary Bodeau sera appelé par le Président de la République qui lui propose un marché dont le secret est bien gardé.

Il a déjà deux mandats de Président de la Chambre des députés au compteur. Il a une certaine expérience. Et surtout, il a de l’ambition. Si de temps en temps il tacle le chef de l’Etat, ce n’est ni pour l’opposition ni pour le renverser. C’est pour se mettre en position et être vu par la classe politique et la presse. Le bonhomme apprend vite. Très vite la tactique et les manœuvres politiciennes. Gary Bodeau sera l’homme de la situation. Il sera celui qui fera mordre de la poussière au vétéran Youri Latortue grand connaisseur du fonctionnement du monde politique haïtien et du Parlement. Le jeune Président de la Chambre basse sera l’exécuteur politique du Premier ministre Jean Henry Céant. Gary Bodeau sera appelé par le Président de la République qui lui propose un marché dont le secret est bien gardé. Seulement on sait que le chef de fil de la Chambre des députés a exécuté avec maestria son rôle de patron du Bicentenaire. Son idée : couper l’herbe sous les pieds de Youri Latortue et les autres sénateurs interpellateurs en leur grillant la politesse en interpellant le Premier ministre avant la date limite du mercredi 20 mars 2019.

Il a le feu vert du Président de la République pour convaincre les députés de ridiculiser leurs camarades sénateurs. Les promesses pleuvent de toute part. Les réseaux financiers et l’autre secteur des affaires pro-Jovenel seront mobilisés pour le seconder dans sa manœuvre et dans sa quête de voix pour renverser Céant avant qu’il n’obtienne une prolongation de son mandat auprès des sénateurs de l’opposition, ce qui aurait été une catastrophe pour le pouvoir, pense-t-on. Une fois sorti du Palais national, Gary Bodeau contacte les députés de son groupe et tous les  députés PHTK et alliés. Ils sont chargés de convaincre leurs collègues de la nécessité de renverser Céant avant qu’il aille au Sénat. Avec des promesses mirobolantes des uns et des autres du Palais national, les députés acceptent le principe de la convocation du Premier ministre même en son absence. Nous sommes à moins de huit jours de la venue de Céant au Sénat, soit le jeudi 14 mars. Une lettre est donc adressée par principe et pour la forme au Président de la Chambre basse, Gary Bodeau.

Cette correspondance est signée par 70 députés lui demandant d’interpeller le Premier ministre et son gouvernement. Curieusement, et c’est une première dans l’histoire de ce Parlement : ce sont les députés interpellateurs qui ont décidé eux-mêmes de la date de l’interpellation. Elle est fixée pour le lundi 18 mars 2019, à 10 heures du matin, soit deux jours avant la date fixée par le Sénat. Un coup de maitre ! Gary Bodeau lui-même n’en revient pas de la promptitude de ses collègues tant il a du mal à organiser une simple séance ordinaire et réglementaire à la Chambre faute de quorum. Dans la foulée, une correspondance a été envoyée le vendredi 15 mars 2019 au Cabinet du Premier ministre indiquant que lui et son gouvernement sont attendus à la Chambre des députés pour être interpellés le lundi 18 mars 2019. Pris de court et surpris par ce coup inattendu, les sénateurs interpellateurs et particulièrement leur chef dans cette affaire, Youri Latortue, sont tombés des nues. Sans hésiter, ils accusent le Président Jovenel Moïse de vouloir court-circuiter leur action au Sénat. Et ils tentèrent de réparer le coup.

Une nouvelle fois, ils écrivent au Président du Sénat, autre sénateur de l’Artibonite, Carl Murat Cantave, et fixent un nouveau rendez-vous avec le Premier ministre cette fois pour le lundi 18 mars entre … 0h00 à 9 heures du matin. Et à partir de cette date, le Sénat commença à entrer dans le ridicule dans cette histoire de « sauver le soldat » Céant coûte que coûte. Puisque les honorables sénateurs trouvent le culot de fixer toute une série de date allant du mardi 19 mars, ou le mercredi 20, ou le jeudi 21 mars 2019 entre 0h00 AM à 6 heures PM. Une façon, croient-ils, d’empêcher les députés d’aller jusqu’au bout de leur intention de renvoyer le chef du gouvernement. Sauf que dans cette lutte opposant les quatre principaux personnages de la République : Jovenel Moïse, Jean Henry Céant, Gary Bodeau et Youri Latortue, la balance se penche dès le départ du côté du Palais national qui, en dépit de tout, détient une majorité assez confortable à la Chambre des députés.

Même au Sénat, d’ailleurs, Jovenel Moïse peut se targuer d’avoir une majorité relative. C’est dire que la lutte était quasi inégale entre le Champ de mars (Palais national) et le Bicentenaire (Primature).

(A suivre)

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