Se solidariser pour faire face aux hostilités de la rue !

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Pour survivre, entre autres, ces enfants essuient les vitres des voitures, lavent les autos…

Cheveux en bataille, pieds nus, t-shirt et jeans crasseux, les orteils tout autant, Mackenson Pierre, 12 ans, fait le va et vient entre les autobus, les marchands de comprimés, d’appareils électroniques et de nourriture longeant la gare routière de Portail de Léogâne. Il est 10h. À peine tiré du sommeil, Mackenson n’a pas encore ramassé un sou. Une commerçante lui donne de quoi manger. Il s’assied sur une banquette et ingurgite une infirme partie. Puis, il recouvre l’assiette.

«Je vais l’apporter à un frère », lance-t-il, en se dirigeant vers le Bicentenaire, à la recherche de son compagnon de rue qu’il épaule. « On quémande les passants. On partage tout !», ajoute l’enfant qui habitait à Carrefour Feuille (banlieue de la capitale) avant de fuir la maltraitance de ses parents pour se jeter dans la rue qui l’a accueilli non sans peine. « Les conditions d’existence sont difficiles. Parfois, j’arrive à récolter 10 gourdes au prix de grands efforts».

Ils pratiquent également la mendicité
Ils pratiquent également la mendicité

Plus de 2 800 enfants, dont plusieurs dizaines de fillettes, vivent dans la rue, selon l’Institut du Bien-Etre Social et de Recherches (IBESR). Les enfants en situation de rues en Haïti constituent un défi énorme auquel la communauté fait face actuellement. Ils n’ont pas accès aux services de base (santé, éducation, nutrition …) et leurs droits sont complètement  bafoués, constate l’Unicef qui considère comme « terrible » la quantité d’enfants dans les rues haïtiennes.

L’Unicef retient comme causes majeures, la pauvreté, les abus, la négligence et le manque de politique et de dépenses sociales. Ces enfants défavorisés et vulnérables sont affectés par la violence, la sous-alimentation, la consommation de drogue et par les MST, particulièrement le VIH/SIDA. Ils essayent le plus souvent de survivre en se prostituant ou en exerçant d’autres petits boulots, note-t-il.

Ils se forgent dans la rue une existence dangereuse et dans l’ignorance. […] Ils se donnent une socialisation et une culture de rue en marge de toutes les normes de la société qui les rejette.
Ils se forgent dans la rue une existence dangereuse et dans l’ignorance. […] Ils se donnent une socialisation et une culture de rue en marge de toutes les normes de la société qui les rejette.
L’aire métropolitaine de la capitale regorge d’endroits connus pour la présence persistante d’enfants de rues livrés à eux-mêmes: le long de la Grand-rue, non loin de ce qui reste du Palais national, sur la route de l’aéroport, aux alentours des marchés et sur les places publiques.

Pour survivre, entre autres, ils essuient les vitres des voitures, lavent les autos et pratiquent la mendicité. Leur journée finit tard dans la soirée. Ils doivent attendre que toute la rue se vide pour aller dormir sur les vérandas, les trottoirs, les dessous des étals des marchands et marchandes, dans les camionnettes garées, investissant anarchiquement les rues.

Tout partager et s’entraider !

Comme Mackenson, ces enfants s’organisent en bande ou en clan pour faire face aux hostilités inhérentes à cet espace de socialisation qu’est la rue. Pour cela, aucun besoin de lien de parenté entre eux. Pour la grande majorité, ils se sont croisés sur le macadam où, entre eux, ils s’appellent colonne, frère, partisan, pour la rue (pou lari a – en créole). Leur dépendance mutuelle est une évidence exigée par la rue elle-même. Ils partagent tout entre eux : argent, nourriture, vêtements, etc.

 « Chacun doit se faire des amis dans la rue. Car, je vous défendrai quand on vous tabasse et vous me protégerez quand on me frappe », assure Mackenson. Il rappelle qu’il vivait au Champ de Mars et qu’il a changé de quartier à cause des maltraitances des plus âgés. Sa bande comporte au moins sept autres enfants qui escaladent quasi tous les matins, l’arrière des autobus qui se rendent à la frontière haitiano-dominicaine de Malpasse-Jimani pour aller travailler et mendier.

Le vivre-ensemble ne s’arrête pas là. Il s’étend jusqu’à l’entourage immédiat de ces enfants. « Tous les commerçants les supportent. Les détaillantes de nourriture leur donnent à manger, celles des habits usagés importés leur offrent des vêtements. Ils sont des enfants de rue, donc sous la responsabilité de tout le monde », souligne Andrice Murat, mère de quatre enfants et commerçante. L’un utilise les services de l’autre pour parvenir à ses fins. Mme Andrice côtoie cette catégorie d’enfants depuis 1998. « Partager avec eux, c’est ma façon à moi de faire de la charité. Ces actions vont répercuter sur mes enfants », poursuit-elle. « Il ne faut pas toucher à aucun d’entre eux. Dès que vous avez affaire avec l’un des leurs, c’est toute la bande qui est concernée. C’est comme ça qu’ils fonctionnent ».

Josué Vaval, professeur à la Faculté des Sciences Humaines a réalisé son travail de sortie de Licence autour de la question de maturité socio-affective chez les enfants des rues. Sa recherche a révélé qu’en dépit de la situation de misère que connaît cette catégorie d’enfants qui est de nature à engendrer de la haine et de la méfiance parmi eux, ils sont capables de faire montre de solidarité au travers d’actions de support mutuel et d’entraide. Des indicateurs qui expliqueraient leur degré de maturité socio-affective, estime le chercheur.

« Voulant vivre malgré tout, ils se forgent dans la rue une existence dangereuse et dans l’ignorance. […] Ils se donnent une socialisation et une culture de rue en marge de toutes les normes de la société qui les rejette. [Ils] créent leur propre environnement et qui pis est, ont leur propre langage, leur code, leur organisation (base) […] », explique pour sa part Me Madeline Pierre-Noel dans un article publié dans Le Nouvelliste.

Les situations qui conditionnent cette dépendance réciproque sont entre autres, la survie, la quête de reconnaissance et de protection face à la violence quotidienne, contre le vol et les actions arbitraires des ainés-  auxquels ils font face. Etre enfant de rues à Port-au-Prince comme dans les grandes villes de province, c’est payer un lourd tribut … Mais c’est aussi cultiver certaines valeurs socio-culturelles essentielles comme la solidarité, la convivialité, l’échange, la coopération, l’entraide pour pouvoir survivre.

Face à l’exclusion des uns et des autres, la stigmatisation, l’indifférence des autorités au niveau de l’Etat incapable de les prendre en charge, l’inefficacité des programmes d’accompagnement d’organisations nationales et internationales, les enfants de rue créent leur propre univers avec leurs propres stratégies et leurs propres lois.

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