« Le chien comme métaphore en Haïti » d’André Vilaire Chéry: compte rendu !

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Un chien errant dans les rues comme un chômeur

Par les étudiants: Pierre Schneider SENAT, Pierre Luc JEAN PIERRE, Edlyne ORIVAL, Ronald CHARLES et Jeff DIVERS (Faculté des Sciences Humaines – UEH)

Sous la direction du Professeur Ethson OTILIEN

            “Le chien est le meilleur ami de l’homme”,  ce dicton semble bien ancré dans certaines cultures occidentales. Pourtant chez nous, pays de culture métissée avec une préférence occidentale on dit « Malere pa chen ». Le livre d’André Vilaire Chéry, Le chien comme métaphore en Haïti, entend souligner le rapport ambigu et ambivalent que l’Haïtien entretient avec le chien  

Le chien comme métaphore en Haïti est un essai, écrit par André Vilaire Chéry. Il a été publié Chez les éditions Henri Deschamps en 2004. Dans ce livre, Chéry, psychologue et linguiste, tente d’analyser un corpus de proverbes et de textes littéraires pour dépeindre une frange de la réalité haïtienne. Cet ouvrage de deux cent six pages comporte deux parties : la première comprend huit chapitres et la deuxième sept chapitres. L’auteur, travaillant sur les figures animalières dans les proverbes haïtiens a compris que le chien est l’animal qui revient le plus fréquemment dans les créations culturelles. Ainsi, il cherche à comprendre ce que le chien métaphorise dans la culture haïtienne. Aussi tente-t-il de mettre à jour de possibles nœuds d’articulations et de correspondances entre la linguistique et le social.

Le chien vu comme Métaphore collective haïtienne

D’entrée de jeu, il présente le chien en Haïti en quelques tableaux où il voit les rapports entre l’Haïtien et le chien se définissent selon une modalité conflictuelle. D’autre part, il présente le chien à travers certaines civilisations comme l’Egypte ancienne qui eut une grande estime pour le chien au point qu’on éleva des tombes aux chiens morts, et on réservait de sévères châtiments corporels au cas où l’on tuerait un chien. Chez les perses, il était considéré comme un délit de tuer un chien. Selon les Grecs, le chien fut créé par Vulcain, le dieu de la métallurgie. Chez les Perses, le chien était un animal sacré. Dans l’ancien testament de la bible, le chien est considéré comme un être vil et impur. C’est pourquoi on trouve dans la bible plusieurs références sur le chien pour la plupart péjoratives.

Plus loin, l’auteur parle du chien dans les proverbes haïtiens où il considère plusieurs proverbes tirés des œuvres de certains auteurs haïtiens comme Justin Lhérisson, Georges Sylvain, lesquels proverbes dont les contenus font montre d’une charge hautement péjorative, négative du chien. On cite en exemple : « Rayi chen di dan l blan » ; « Bon chen pa jwenn bon zo » ; « gran mesi chen se kout baton », etc. L’auteur conclut que d’une manière générale, le chien est un être mal-aimé en Haïti, dans la vie comme dans le langage. Après tout, il comprend que la représentation symbolique de l’animal chien dans l’imaginaire collectif haïtien fait apparaitre trois visages superposés et cohérents : le chien comme figure de la faim et de la misère ; le chien comme figure de l’errance et de l’abandon ; et le chien comme figure de l’humiliation résignée et de persécution.

Point de vue de certains auteurs haïtiens

André Vilaire Chéry évoque certains auteurs haïtiens qui utilisent le chien dans leurs œuvres. C’est le cas du roman d’Edris St-Armand où le chien n’est considéré autrement qu’un objet-symbole de mépris. Le chien richement exploré dans le livre d’Emma-Célie Agnant, est vu comme le souvenir d’un traumatisme originel ; le chien est aussi symbole de la faim, de la misère, de l’humiliation. Dans ce roman, le chien est un animal qui peut facilement devenir un rival pour l’être humain. En outre, dans Bobomasouri de Franckétienne, le chien, en plus d’être un rival de l’homme dans la lutte pour la survie, il est aussi une figure éminemment sociale, et apparait tantôt comme : le pauvre marginalisé et exclu, d’un côté ; le gardien du système, soucieux de sa reproduction, de l’autre. Dans le roman de Marie Vieux Chauvet, le chien y parait comme une figure éminemment symbolique de la problématique sociale haïtienne, caractérisée par une situation de profonde injustice, où de très larges couches de la population sont maintenues en dehors de toute possibilité d’accéder à un minimum de bien-être et de dignité. Enfin, dans l’œuvre de Francis-Joachim Roy, le chien apparait comme une figure du laissé-pour-compte et de l’exclusion.

Par ailleurs, Chéry en tant que psychologue, soutient que l’haïtien entretient un rapport trouble au chien, et même troublant, marqué par une oscillation permanente entre l’attraction et la répulsion ; l’identification et le rejet. De ce fait, dans plus d’une œuvre littéraire haïtienne, on voit des auteurs prendre explicitement parti du chien, affirmer des affinités avec le chien en qui il reconnait un ami, un frère de malheur, voire son propre visage. En revanche, cet aspect de la métaphore du chien est encore plus marqué dans le texte « Comme des chiens » de Michèle Duvivier Pierre Louis. Chez l’auteur Jétro Denis, dans une analyse publié dans Le Nouvelliste, il en a déduit que l’animosité entre l’Haïtien et le chien s’expliquerait donc par le fait qu’ils partagent les mêmes conditions de vie, la même réalité existentielle, faites de privation de précarité, etc.

Au-delà de la métaphore du chien

Dans la deuxième partie du texte Chéry déclare l’avoir écrite sous l’emprise d’un sentiment d’urgence, voulant essayer de comprendre un peu les ressorts du tragique haïtien, et partager avec le lecteur, le lecteur haïtien d’abord, les éléments recueillis au cours de cette quête. Il annonce aussi qu’il va tenter de répondre aux questions suivantes : « Qu’est-ce que la métaphore du chien a à nous apprendre, à nous Haïtiens, sur nous-mêmes ? » ; « Quels sont ses tenants et ses aboutissants ; « Peut-on établir des corrélations entre l’existence de cette métaphore et la condition humaine des Haïtiens ?

Cela étant, le psychologue relate tout d’abord que l’Haïtien est traversé d’une double pulsion envers le chien : la répulsion, d’une part ; l’attraction, d’autre part.« Ala move nanchon se Ayisyen» ;« Mikwòb ki pou tiye Ayisyen an, fò l ta gwosè yon kay », sont entre autres les exemples tirés dans des éditoriauxet des ouvrages par l’auteur pour illustrer la mauvaise conception que l’Haïtien se fait de lui-même, comment il se dénigre continuellement, à longueur de journée, dans leur langage même. Haïti, non plus n’est pas épargné. En effet, Haïti  n’est pas vu comme un pays mais comme un « kote », c’est-à-dire un vulgaire espace. Le pays est aussi considéré comme une terre glissante caractérisée par la précarité et l’instabilité. Sans oublier la définition que l’Haïtien donne au mot « Haïtien » : « Quelqu’un qui hait les siens ». Par ailleurs, l’auteur nous fait savoir que si l’Haïtien se dénigre tellement c’est parce que son idéal est ailleurs ; son idéal c’est le « Blanc ». Le Blanc est pour l’Haïtien celui qui est bon et celui qui sait. « Apre Bondye se Blan » ;« Mwen menm se lè Blan mwen genyen » sont ce que l’Haïtien répète tous les jours ; preuves d’une idéalisation du « Blanc ».

Ensuite, Chéry se demande si la résonance émotionnelle qu’a le chien dans la culture haïtienne a à voir avec un traumatisme originel. Car, selon l’historien Thomas Madiou, Rochambeau avait l’habitude d’attacher à un poteau un esclave et le faire dévorer par des dogues très féroces juste pour offrir des spectacles. De plus, la chair de nègres et de mulâtres, des prisonniers en particulier était tout simplement considérée comme le repas de plusieurs dogues.

Aussi, dit-il : est-ce à cause du trait famélique – trait dominant du portrait-robot du chien en Haïti – que les Haïtiens se projettent dans le chien ? Car, selon Claude Souffrant, Haïti constitue une « société de faim », développant une « culture de la faim ». En effet, arriver à « monte chodyè chak jou » reste la préoccupation essentielle de plus d’un. Aussi, mises à part les diverses connotations du mot « manje » dans la langue créole qui sont : bâfrer, tuer et faire l’amour, le débordement violent des antagonistes et des conflits en Haïti va emprunter ce même terme « manje » pour donner naissance à l’expression « chen manje chen » considérée comme celle qui ramasse l’ensemble des divisions et antagonismes de la société. Chéry estime même que si le chien est une métaphore basique en Haïti, le « chen manje chen » est sans aucun doute sa traduction sociale la plus achevée.

Plus loin, Chéry se demande si l’Haïtien habite vraiment Haïti. Il lie cette question au « chien errant ». Selon lui, pour répondre on peut d’abord considérer les mépris du mot « abitan. » Ce dernier est sujet à toutes sortes de propos péjoratifs de la part des citoyens du pays comme « abitan gwo zòtèy » ; « nèg fèy. » Or l’habitant est littéralement « celui qui habite », qui s’enracine. Ensuite, on peut se référer aux propos de divers auteurs traitant la question dont Odette Roy Fombrun qui stipule que : la majorité chantait : Nan Ginen mwen soti, nan Ginen m ape tounen. De nos jours, elle ne rêve plus que de visa pour les Etats-Unis et le Canada. » Ainsi, on peut déduire que l’Haïtien n’habite plus Haïti.

Ce qui amène donc Chéry à se poser ces trois questions : D’où venons-nous ? Qui sommes-nous ? Ou allons-nous ? Après avoir réfléchi sur nos origines, il conclut que le 1er janvier 1804 n’a pas été, et  n’aurait pu être le point zéro de l’histoire pour les nouveaux Haïtiens. Il explique que les contradictions du régime colonial, ses hérédités pesaient de tout leur poids sur la jeune nation à construire. Il conclut aussi que nous possédons une identité de moins en moins identifiable, caractérisée par le marronnage, l’ambivalence socialisée, les manifestations culturelles schizoïdes et désintégratrices du moi social. Et enfin, pour aller quelque part ensemble, il faudrait que nos intérêts se lient mais Lyonel Trouillot se demande en dehors du passeport, d’un drapeau, d’un territoire que chacun veut fuir en s’assurant que les autres ne le suivent pas, qu’est-ce qui lie les Haïtiens. Le lien social n’existe donc presque plus. C’est pourquoi l’auteur se demande : si ensemble on essayait de se donner les moyens d’un itinéraire différent ?

Faut-il jouer « chen manje chen » ou « asosye » ?

Pour clore le texte, André Vilaire Chéry nous demande : est-ce qu’il faut jouer « chen manje chen » ou jouer « asosye » ?  En ce qui le concerne, il déduit qu’il faut regarder notre passé d’un regard lucide et « prospectif » pour être vraiment capable de produire à nouveau l’histoire, et d’honorer la mémoire de nos ancêtres de la façon la plus appropriée, de nous montrer dignes de leurs sacrifices et de leur héritage.

En définitive, aussi limpide, intéressant et compréhensible que le texte parait, on a pu déceler des erreurs au niveau de la forme, par exemple les citations ne respectent pas à notre avis les règles méthodologiques. Cependant, le texte de Chéry jette un regard important quant à la complexité des rapports entre l’haïtien et son milieu social. La métaphore du chien montre dans une certaine mesure comment l’haïtien se considère. L’auteur a su capter avec brio les similitudes existant entre la réalité existentielle du chien en Haïti et de l’Haïtien lui-même. Cependant, nous considérons quelque peu ambitieux l’idée que la compréhension de la métaphore du chien puisse réellement ou suffire pour un total discernement du problème haïtien. Toujours est-il que cet essai permettrait au lecteur de comprendre un aspect de la réalité sociale tel que le problème d’identité à travers la métaphore du chien.

 

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